Mme Évelyne Yonnet. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent amendement vise à donner aux députés et aux sénateurs la possibilité de poursuivre une activité de conseil parallèlement à leur activité parlementaire et indépendamment de celle-ci.
Bien que je souhaite permettre aux représentants de la Nation de travailler, cela doit évidemment être encadré et soumis à certaines règles. C’est pourquoi je propose que les revenus tirés des activités de conseil soient plafonnés à un seuil de 50 % de l’indemnité parlementaire, ce qui limiterait ainsi le risque de conflit d’intérêts sans engendrer de suspension ou de cessation forcée d’activité.
En effet, je le rappelle, la politique n’est pas un métier, mais bien un mandat, une fonction ; elle ne doit donc être que momentanée. Je ne vois pas pour quel motif une telle activité pourrait entraîner une incompatibilité ou provoquer un conflit d’intérêts. Je tiens d’ailleurs à le rappeler, le présent projet de loi organique prévoit qu’un parlementaire qui aurait commencé une telle activité moins de douze mois avant son entrée en fonction ne pourrait la poursuivre pendant son mandat.
Il s’agit donc non pas d’inciter les parlementaires à se consacrer à leurs affaires personnelles plutôt qu’à celles de la Nation, mais de leur permettre de conserver leur activité de conseil qui serait bien antérieure à leur prise de fonction d’élu du peuple, sans les pénaliser, le délai d’un an écartant de facto ceux qui auraient anticipé ou souhaité un cumul des deux pour diverses raisons, comme cela a d’ailleurs pu être le cas auparavant. Cela nous paraît donc à nous, sénateurs socialistes, juste et légitime.
Nous souhaitons donc leur donner la possibilité de cumuler ces deux activités, mais avec un plafonnement de rémunération, dans la mesure où, au regard du droit en vigueur, aucun motif d’incompatibilité n’est caractérisé.
Il nous semble injuste d’imposer une cessation d’activité à tout parlementaire ayant une quelconque activité de conseil ou autre datant de plus d’un an avant son entrée en fonction à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 35 rectifié ter.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Pour l’adoption | 106 |
Contre | 211 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l’amendement n° 25 rectifié.
M. Alain Richard. Je voudrais répondre, en quelques mots, aux questions soulevées par la garde des sceaux.
Si le problème réside dans la fixation du seuil, madame la garde des sceaux, celui que je préconise n’a rien de hasardeux ; il est indexé sur le montant de l’indemnité parlementaire. Si vous considérez qu’il est préférable que cette obligation déclarative, qui n’empêche nullement l’activité, soit déclenchée par le franchissement d’un seuil qui serait fixé au niveau de l’indemnité parlementaire – environ 72 000 à 75 000 euros bruts par an –, je veux bien rectifier mon amendement en ce sens.
Néanmoins, pour que la mesure proposée ne soit pas exagérément rigoureuse, j’ai préféré que l’on se place au double de l’indemnité parlementaire, ce qui correspond au fond à une situation objective, celle dans laquelle le parlementaire a choisi de consacrer une partie de son temps et de sa disponibilité à une activité qui représente les deux tiers de son revenu. Il s’agit donc bien d’un seuil objectif.
Le secret professionnel est, quant à lui, le résultat d’une relation contractuelle. Lorsque le client, pour une activité de conseil, choisit comme prestataire un parlementaire, dont toutes les activités politiques sont publiques, on peut considérer qu’il renonce par là même au bénéfice du secret professionnel. S’il tient absolument à ce que le secret professionnel protège entièrement cette activité de conseil, il lui suffit de choisir un prestataire qui n’est pas parlementaire. C’est extrêmement simple !
Le dispositif de mon amendement me semble au moins de nature à éclairer le public sur les priorités du parlementaire dans l’exercice de son mandat et sur le risque que certaines de ses décisions soient influencées par la part que prennent, dans ses activités et revenus, des clients spécifiques, raison pour laquelle on a précisément inventé les déclarations d’intérêts.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Après l’article LO 146-1 du code électoral, il est inséré un article LO 146-2 ainsi rédigé :
« Art. LO 146-2. – Il est interdit à tout député d’acquérir le contrôle d’une société, d’une entreprise ou d’un organisme dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil.
« Il est interdit à tout député d’exercer le contrôle d’une société, d’une entreprise ou d’un organisme :
« 1° Dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil, s’il en a acquis le contrôle dans les douze mois précédant le premier jour du mois de son entrée en fonction ;
« 2° Dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil aux sociétés, entreprises, établissements ou organismes mentionnés aux 1° à 7° de l’article LO 146. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 6
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 67, présenté par MM. Doligé, Cardoux et Chasseing, Mme Deseyne, M. J.P. Fournier, Mmes Imbert et Lopez, MM. Milon, Pellevat et Pointereau, Mme Procaccia et M. Vasselle, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après l’article LO 146-1, il est inséré un article LO 146-2 ainsi rédigé :
« Art. LO 146-2 – L’exercice du journalisme est incompatible avec un mandat parlementaire.
« La propriété d’un organisme de presse est incompatible avec un mandat parlementaire.
« Sont incompatibles avec le mandat de parlementaire les fonctions de président, directeur, membre du conseil d’administration chef de service, secrétaire général, conseil de surveillance d’un organisme de presse. » ;
2° L’article LO 151-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les 3 mois qui suivent son élection, le parlementaire qui se trouve dans un des cas précités d’incompatibilité prévus à l’article LO 146-2 est tenu de la faire cesser en démissionnant de ses fonctions. À défaut d’option dans le délai imparti, le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d’office de son mandat. »
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Cet amendement concerne la prévention des conflits d’intérêts.
Nous nous sommes beaucoup intéressés aux professions d’avocat, de conseil. Une autre profession importante me semble également mériter notre intérêt : il s’agit de la presse. (M. Roger Karoutchi approuve.)
En effet, la presse peut avoir parfois une influence sur le choix des électeurs, elle peut conduire à orienter les résultats des élections. Il m’a donc semblé intéressant que des journalistes élus parlementaires soient dans l’obligation de démissionner au bout de trois mois, pour retrouver leur joli métier à l’issue de leur mandat. Cette obligation me paraîtrait tout à fait logique pour éviter les éventuels conflits d'intérêts.
Les journalistes jouent un rôle important dans la société. Il est également important qu’ils puissent, comme la plupart d’entre nous, être parlementaires à temps plein.
Bien sûr, ce sujet est toujours un peu sensible dans cet hémicycle… Je me souviens notamment des interventions de M. Charasse sur les avantages de la presse. Sur ces questions, notre assemblée a toujours été très réservée.
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Vasselle, Pellevat, Raison et A. Marc, Mmes F. Gerbaud et Duchêne, M. Doligé, Mme Deromedi et MM. de Legge, Béchu et G. Bailly, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article LO 146-1 du code électoral, il est inséré un article LO 146-… ainsi rédigé :
« Art. LO 146-… - I. - Sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonctions de directeur de la publication ou de directeur de la rédaction d’une entreprise de presse.
« II. - Il est interdit à tout parlementaire de détenir des participations directes ou indirectes dans une entreprise de presse. »
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Mon amendement est un peu différent de celui de mon collègue.
Il s’agit de considérer que la mission d'informer est par nature consubstantielle à la démocratie et que l'indépendance nécessaire pour être source d'information ne peut être compatible avec le fait d’exercer des fonctions de représentation politique.
Dans une démocratie, la mission d’informer n’est pas une mission comme une autre : elle est essentielle.
Pour celui qui exercerait les deux fonctions, la tentation d’en abuser peut être forte. Ainsi, la détention d’un groupe de presse peut devenir un instrument politique.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que le régime des incompatibilités parlementaires soit étendu à de telles activités.
M. Jean-Pierre Sueur. On comprend mieux pourquoi M. Dassault n’est pas venu ce matin…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Les auteurs de ces amendements soulèvent le problème de la participation de parlementaires à des organes de presse, non seulement, d'ailleurs, pour ce qui concerne la propriété ou la direction de ces organes, mais aussi, s’agissant de l’amendement de M. Doligé, pour les activités journalistiques.
Leur adoption aurait pour effet d’interdire aux parlementaires l’exercice du journalisme, notamment la possibilité de signer des articles ou des tribunes dans des journaux.
Elle aurait également pour effet de restreindre le droit de propriété des parlementaires, qui pourraient investir dans un certain nombre d’entreprises, mais pas dans des entreprises de presse, au motif que la presse, si je comprends bien, ne doit jamais exprimer d’opinion et doit se borner à relater des faits de manière objective.
Cette appréciation de la nature même du métier de journaliste n’est pas la mienne. Pour ma part, je constate que tous les journaux ont une « inspiration », et un journalisme qui serait dénué de toute expression directe ou indirecte d’opinion me paraît inaccessible.
L’histoire – je pense à Clemenceau, à Jaurès et à beaucoup d’autres – démontre au contraire la reconnaissance, dans la tradition républicaine, d’un engagement des parlementaires dans des activités de presse et de l’existence d’une presse d’opinion qui s’assume comme telle.
Par conséquent, si je reconnais volontiers que le débat sur les incompatibilités soulevées par ces amendements mérite d’être ouvert, nous devrions peut-être nous y pencher autrement qu’au détour du présent texte, dont je rappelle qu’il porte sur beaucoup d’autres matières.
Je veux aussi souligner qu’en matière d’incompatibilités, les seules règles posées, qui sont constitutionnelles, protègent le parlementaire contre le risque de dépendre d’intérêts. Aucune incompatibilité ne peut être justifiée par d’autres motifs. Or la participation à une entreprise de presse, l’exercice d’une activité de journaliste ne mettent pas en cause l’indépendance du parlementaire lui-même.
En réalité, ces amendements visent à préserver l’indépendance de la presse, et non l’indépendance du parlementaire lui-même. Or la restriction de la liberté d’entreprendre d’un parlementaire ou de sa liberté d’exercice d’une profession comme celle de journaliste, même exercée à titre gratuit, se trouve limitée par des impératifs d’ordre constitutionnel. Dès lors, même si nous admettions leur opportunité, ces amendements se heurtent à des principes fondamentaux, qui ne sont pas de pure forme et touchent à la liberté du citoyen qu’est aussi le parlementaire.
Dans ces conditions, mes chers collègues, si les problèmes que vous soulevez sont sérieux, la commission des lois, bien qu’animée de la meilleure volonté du monde, a estimé devoir s’opposer à ces amendements.
J’ajoute que j’ai été saisi par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui est toujours extrêmement sourcilleuse lorsqu’il s'agit de préserver, comme vous voulez le faire, l’indépendance de la presse. La commission m’a fait part de sa préoccupation : elle considère que l’adoption de ces amendements entraînerait l’obligation, pour les parlementaires qui siègent actuellement dans les conseils d’administration de Radio France ou de France Télévisions, de se retirer. C’est aussi un élément que nous devons prendre en considération. Souvent, j’entends des plaintes sur le traitement de l’information par les médias audiovisuels.
Pour toutes ces raisons, dans l’hypothèse où nos collègues ne retireraient pas leurs amendements, la commission des lois sera obligée d’émettre, à leur sujet, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je comprends parfaitement l’objet de ces amendements, qui est de renforcer les règles de déontologie applicables aux parlementaires.
M. le rapporteur a cité quelques figures historiques de parlementaires qui ont aussi été journalistes. Je ne reviendrai pas sur cette liste, qui pourrait encore être allongée.
Pour m’en tenir à un raisonnement strictement constitutionnel, l’interdiction très générale que pose l’amendement n° 67 me semble porter atteinte non seulement à la liberté d’entreprendre, mais également à la liberté d’expression, qui est, constitutionnellement, extrêmement protégée, sans parler évidemment du droit de propriété, que M. le rapporteur a également évoqué.
Pour cette simple raison constitutionnelle, je suis obligée d’émettre un avis défavorable sur ces amendements. Nul besoin d’aller au-delà !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Les ancêtres sont toujours utiles, mais on pratique souvent avec eux ce qui ressemble un peu à du trafic de reliques. (Sourires.)
Il est vrai que l’on ne manque pas de parlementaires qui furent aussi des journalistes de grande classe. On a évidemment cité Clemenceau et Jaurès, mais il y en eut beaucoup d’autres.
Toutefois, c’était il y a longtemps, à l’époque où les journalistes exprimaient encore des opinions, et pas tous les mêmes… Aujourd'hui, les journalistes sont beaucoup plus nombreux. Le problème, c’est que plus ils sont nombreux, plus ils disent la même chose, du moins sur l’essentiel : « Il faut faire des économies », « l’Europe fonctionne actuellement très bien », j’en passe et des meilleures. On en arrive à une situation où il n'y a plus d’expression d’opinion. Nous sommes les témoins non de la liberté de la presse, mais de la liberté de l’argent dans la presse, avec dix milliardaires qui contrôlent à peu près tout.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Pierre-Yves Collombat. Au reste, les seuls qui sont en principe indépendants, notamment sur internet, ont tellement peur qu’on leur coupe les vivres qu’ils usent de leur droit d’expression avec modération.
Franchement, cela ne peut plus continuer ainsi si l’on veut que la République fonctionne normalement !
On m’oppose la Constitution, mais ce qui me frappe, c’est que le préambule de celle-ci fait référence au préambule de la Constitution de 1946, qui, me semble-t-il, appelle à la fin des monopoles… Mais cela, on l’a complètement oublié ! C’est très pratique une Constitution : chacun y prend ce qui l’arrange au moment où cela l’arrange !
Cela dit, il est vrai qu’il s’agit ici des parlementaires, et je ne suis pas persuadé que ce soit par le biais de ces amendements que l’on fera avancer les choses. Toutefois, pour le symbole, pour signaler qu’il y a un vrai problème de fond, je les voterai.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour ma part, je trouvais ces amendements sympathiques, ce qui n’est pas si mal par les temps qui courent… (Sourires.)
Toutefois, je ne suis pas convaincu.
J’entends bien notre ami Pierre-Yves Collombat : il fut un temps où la presse et la politique entretenaient un lien sympathique. Mais c’était alors une presse d’opinion. Ce n’est pas tous les jours que l’on publie J’accuse, et les Clemenceau et autres Jaurès ne courent pas les rues. Je ne suis pas convaincu que les débats d’aujourd'hui, dans la presse ou dans les enceintes parlementaires, soient comparables, en qualité, à ceux de la Troisième République.
Je remercie Éric Doligé et François Bonhomme d’avoir ouvert le débat sur ce qui est un vrai sujet. Cependant, ce n’est pas dans le cadre de ce texte que ce débat devrait avoir lieu.
Pierre-Yves Collombat a raison : si nous débattons régulièrement de textes relatifs au milieu politique et à l’organisation de la politique, nous devrions aussi ne pas être totalement absents de l’organisation de la presse.
Est-ce pour autant dans le cadre du présent projet de loi que nous devrions en débattre ? Pas franchement. Ce n’est pas au détour d’amendements sur ce texte que devraient être posés les sujets de la liberté de la presse, de son organisation, de son indépendance, de ses liens avec la politique.
Par conséquent, je souhaite que ces amendements soient retirés, quitte à ce que l’on demande au Gouvernement un débat sur la presse, son organisation, sa liberté et son indépendance, sur ce qu’elle peut apporter à la vie publique et sur la manière dont celle-ci dépend encore des médias aujourd'hui.
Au demeurant – M. le rapporteur m’en excusera –, je n’ai pas le sentiment que nos collègues qui siègent dans les conseils d’administration exercent une influence considérable sur les médias concernés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. Je suis également sensible à ce sujet, en tant que rapporteur pour avis des crédits relatifs aux médias.
Comme Roger Karoutchi, j’estime que le présent projet de loi organique n’est pas forcément le bon support pour voter une telle disposition. Le texte sur l’indépendance des médias et des rédactions que nous avons examiné voilà seulement trois mois offrait un cadre bien plus approprié ! Or, à ce moment, tous ces sujets ont été soigneusement écartés.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le rapporteur, votre argument nous touche, mais l’adoption de ces amendements n’empêchera pas les nouveaux journalistes dont on constate aujourd'hui le développement – ceux-là mêmes qui se font désormais appeler « éditorialistes », ce qui leur permet de dire n’importe quoi – de continuer à exister. Ce n’est pas l’impossibilité pour un journaliste de détenir un mandat de parlementaire qui changera les presses d’opinion.
J’admets donc les quelques réticences qui ont pu être exprimées, mais, pour le symbole, je voterai les amendements de nos collègues Éric Doligé et François Bonhomme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je m’exprime en qualité de membre de la commission de la culture.
À entendre M. le rapporteur, les membres de la commission de la culture qui siègent dans les conseils d’administration d’organes de presse ne pourraient plus le faire. Je m’interroge sur cet argument.
À mon humble avis, le fait de siéger dans de tels organes n’a rien à voir avec un conflit d'intérêts : il y va de la mission de contrôle exercée par les parlementaires. Nous représentons le Sénat à Radio France, à France Télévisions ou encore à l’Institut national de l’audiovisuel, pour ce qui me concerne, afin de mieux les contrôler. C’est du moins ainsi que je vois les choses.
Cela dit, il me semble que le débat soulevé est important. Il faudra certainement y revenir.
Les exemples du passé sont intéressants, mais la situation actuelle n’est plus celle du XIXe ou du XXe siècle.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. J’ai bien entendu tous les arguments qui ont été développés, mais je dois dire que j’ai beaucoup de mal à m’y ranger.
Il n’est pas évident de s’exprimer après l’évocation des figures tutélaires de Clemenceau et de Jaurès ; on se sent écrasé sous le poids de l’histoire. (Sourires.) Très franchement, j’ai l’impression que l’on jette un voile pour nous empêcher de réfléchir un peu plus avant. Comme tout principe, la liberté d’informer, comme la liberté d’entreprendre, a ses limites.
On nous dit que la presse d’opinion était bien sympathique, mais n’est pas Jaurès qui veut. Quand c’est un directeur de publication ou de rédaction qui intervient d’une manière ou d’une autre auprès de ses journalistes – regardez les communiqués du Syndicat national des journalistes –, lorsque les chartes déontologiques propres à chaque journal sont ignorées, cela pose un vrai problème.
D’autres problèmes se posent concernant la presse écrite. En cas de campagne électorale, la presse audiovisuelle est assujettie à quelques règles inspirées par un souci d’équilibre. Tel n’est pas le cas de la presse écrite, notamment de la presse quotidienne régionale – la PQR – écrite. Je pourrai vous citer d’innombrables cas où les principes d’équilibre les plus élémentaires ont été ignorés au moment du débat public !
Nous faire croire qu’un élu qui dirige par ailleurs un groupe de presse en situation de monopole dans une région n’est pas amené à abuser de cette situation, c’est vraiment nous raconter un conte pour enfants !
On nous dit également que ce texte n’est pas le bon support. J’en conviens, mais, comme l’a fait remarquer notre collègue Jean-Pierre Leleux, la dernière fois, c’est l’occasion qui n’était pas la bonne !
On a le sentiment que certains veulent ignorer le principe même de séparation stricte. Je considère que cette situation est totalement anachronique : nous allons prendre des précautions pour élargir les régimes d’incompatibilité à d’autres fonctions pour lesquelles la porosité n’est pas évidente, alors que la consanguinité est, ici, le principe.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Bien évidemment, je n’avais pas du tout l’intention de toucher à l’indépendance ni à la liberté de la presse, qui vont bien évidemment perdurer bien au-delà de mon petit amendement.
Simplement, je ne vois pas pourquoi un avocat qui vient de terminer ses études ne pourrait pas pratiquer sa profession et devrait mettre son activité entre parenthèses pendant cinq ans, quand un journaliste ou celui qui participe à un organe de presse ne devrait pas faire de même durant son mandat. Le conflit d’intérêts est bien évident pour celui qui exerce un tel pouvoir d’influence sur la presse !
J’ai bien compris que ces sujets étaient toujours difficiles à aborder dans cette enceinte. Il faut dire que, bien souvent, certains de nos collègues ont à peine quitté l’hémicycle qu’ils contactent la presse pour essayer de faire passer un communiqué…
Je l’avoue, j’ai aussi déposé cet amendement parce que j’adore entendre Philippe Bas. (Sourires.) Je voulais savoir comment il exprimerait son désaccord avec ma proposition ! J’estime qu’il s’est défendu avec beaucoup de talent, mais, pour une fois, il ne m’a pas convaincu. (M. le rapporteur s’exclame.) Je maintiens donc mon amendement.
Croyez bien, monsieur le rapporteur, que je n’ai rien contre la liberté et l’indépendance de la presse.
M. Philippe Bas, rapporteur. Évidemment !
M. Éric Doligé. D'ailleurs, je vais essayer de faire passer un communiqué à l’issue de cette séance… Je ne suis pas certain qu’il sera accepté ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 67.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe La République en marche.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 120 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 10 |
Contre | 311 |
Le Sénat n'a pas adopté. (M. Éric Doligé s’exclame.)
Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Bonhomme, Vasselle, Pellevat et de Legge, Mmes Deromedi et Duchêne, MM. Doligé, A. Marc et Raison, Mme F. Gerbaud et M. Béchu, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article LO 146-1 du code électoral, il est inséré un article LO 146-… ainsi rédigé :
« Art. LO 146-… – I .- Sont incompatibles avec les fonctions exécutives au sein d’une collectivité territoriale, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte les fonctions de directeur de la publication ou de directeur de la rédaction d’une entreprise de presse.
« II. - Il est interdit à tout élu détenant des fonctions exécutives au sein d’une collectivité territoriale, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte de détenir des participations directes ou indirectes dans une entreprise de presse. »
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. En raison de la mission même d’informer, consubstantielle à la démocratie, nous voulons rendre incompatible l’exercice de fonctions exécutives locales avec celles de dirigeant d’une entreprise de presse.
On voit trop souvent le président d’un exécutif local orienter les annonces légales, dont le préfet ne contrôle que le montant, vers un support de presse appartenant au groupe qu’il dirige pour profiter de cette manne financière en toute légalité.
Il arrive encore que le même responsable de presse, par ailleurs titulaire de fonctions exécutives locales, décide de mettre en place une campagne de communication, sous couvert de publicité institutionnelle – avec argent sonnant et trébuchant – dont il confie la diffusion, ô miracle, à l’un des organes de son groupe.
Cette façon de recycler l’argent public constitue une machine à cash sans défaut, sinon qu’elle me semble en totale contradiction, madame la garde des sceaux, avec les principes affichés dans les objectifs généraux de ce texte.