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Revalorisation des pensions de retraite agricoles
Suite de la discussion et retrait de l’ordre du jour d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la décision du Gouvernement de recourir à l’alinéa 3 de l’article 44 de la Constitution a fait l’effet d’une douche froide lors de sa communication ce matin à la commission des affaires sociales.
M. Claude Bérit-Débat. Qu’en pensent les retraités présents dans les tribunes ?
M. Dominique Watrin, rapporteur. « Recul de la démocratie », « procédure insupportable », « incompréhension de la méthode sur un sujet qui fédère » : voilà quelques exemples de réflexions entendues sur différentes travées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Absolument !
M. Dominique Watrin, rapporteur. Loin d’être un simple report dans le temps, cette décision signe l’arrêt de mort de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles.
En renvoyant la définition du minimum de pension à l’hypothétique future réforme systémique des retraites, le Gouvernement compromet la mise en œuvre immédiate de la mesure principale de ce texte : la garantie de retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC. Cela engage votre entière responsabilité, madame la ministre !
Cette méthode brutale heurte l’unanimité qui a prévalu chez tous les parlementaires, conscients de l’urgence sociale à laquelle se trouve confronté le monde rural.
M. Gilbert Bouchet. Absolument !
M. Dominique Watrin, rapporteur. C’est à l’unanimité que ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 2 février 2017, sur le rapport de notre collègue André Chassaigne et grâce au travail de notre collègue Huguette Bello.
C’est à l’unanimité, aussi, que la commission des affaires sociales du Sénat l’a adopté, sans modification, le 21 février dernier.
C’est à l’unanimité, enfin, que la même commission a émis ce matin un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement et condamné son choix de recourir à la procédure du « vote bloqué ».
Au lieu de dialoguer avec la représentation parlementaire, vous avez choisi de fermer le débat avant même son commencement.
M. Roland Courteau. Drôle de pratique !
M. Dominique Watrin, rapporteur. J’étais pourtant prêt à répondre à deux objections que vous étiez susceptible de nous adresser, madame la ministre : le prétendu coût financier de cette proposition de loi et sa supposée incompatibilité avec la réforme systémique des retraites annoncée.
Aussi, avant de revenir sur la méthode que vous avez décidé d’employer, je souhaite dire quelques mots sur ces deux objections.
Sur le coût budgétaire, tout d’abord, je rappelle que l’article 1er de la proposition de loi prévoit de faire passer le minimum garanti pour la pension de base et complémentaire des anciens chefs d’exploitation agricole de 75 % à 85 % du SMIC net agricole, soit de 871 euros à 987 euros par mois. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Énorme !
M. Dominique Watrin, rapporteur. L’article 3 propose d’assouplir les conditions d’accès à ce minimum garanti de 75 % du SMIC pour les exploitants agricoles ultramarins.
Les services du ministère de l’agriculture évaluent l’impact financier de l’article 1er à environ 350 millions d’euros et celui de l’article 3 à 50 millions d’euros pour 2018, soit un total de 400 millions d’euros. Trois arguments me semblent toutefois relativiser ce coût.
Le premier repose sur un constat que nous partageons tous : le régime des non-salariés agricoles sert actuellement le plus petit niveau de pension parmi tous les régimes de retraite de notre pays. Pour une carrière complète, les exploitants agricoles touchent en moyenne 730 euros par mois en 2015 et seulement 650 euros par mois en moyenne dans les outre-mer, soit la plus petite pension des régimes de retraite, moins que le seuil de pauvreté, moins que le minimum vieillesse.
Porter le minimum garanti de 75 % à 85 %, c’est augmenter d’un peu plus de 100 euros par mois le pouvoir d’achat des 230 000 bénéficiaires actuels du dispositif. C’est aussi permettre à 30 000 retraités agricoles supplémentaires de voir leur pension progresser.
Si nous savons que le principal problème des retraites agricoles réside dans la faiblesse des revenus professionnels, soumis à des aléas climatiques ou de marché qui dépassent bien souvent les agriculteurs, il nous a paru urgent de faire bénéficier chaque agriculteur d’une pension décente au moment où il cesse son activité.
Le deuxième argument qui doit nous faire relativiser ce chiffre, c’est le vieillissement de la population des exploitants agricoles. La dépense associée au minimum garanti devrait en effet diminuer à mesure de l’arrivée à l’âge de la retraite de nouvelles générations qui auront beaucoup plus cotisé que les précédentes.
Enfin, l’estimation du coût du dispositif : en 2014, lorsque la réforme des retraites a mis en place la garantie à 75 %, le Gouvernement évaluait le coût annuel de ce dispositif entre 140 et 160 millions d’euros, un niveau stable jusqu’en 2030. Je constate toutefois que, en 2018, ce dispositif coûte moins – 130 millions d’euros – et qu’il ne devrait représenter que 125 millions d’euros en 2020. Dès lors, il n’est pas interdit de penser que l’impact financier de l’augmentation du minimum garanti ne sera pas si élevé.
Je précise surtout que ce texte prévoit, à l’article 2, un financement suffisant et même dynamique : une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières.
Le passage de 0,3 % à 0,4 % me paraît raisonnable, puisque cela revient à prélever 4 centimes d’euros au lieu de 3 centimes lors de l’achat d’une action de 10 euros et permettra de rapporter au moins 450 millions d’euros par an, que le texte prévoit d’affecter à la Mutualité sociale agricole.
Cette recette, qui est supérieure au coût des mesures proposées, consoliderait donc aussi financièrement le régime de retraite des non-salariés agricoles, qui plus est sans que cela ne coûte un centime à l’État ou au contribuable, madame la ministre, tout en assurant des retombées positives sur l’économie réelle.
Je dirai un mot sur l’article 4. Celui-ci est important, car il met fin à une discrimination qui touche les salariés agricoles de Guadeloupe, de La Réunion et de Mayotte, en prévoyant l’extension à leur bénéfice de la retraite complémentaire. Ils sont en effet les derniers salariés à ne pas être couverts. Cela n’est plus supportable.
J’en viens à la supposée contradiction avec la réforme systémique annoncée. La logique de la réforme proposée par le Président de la République, qui veut qu’un euro cotisé rapporte la même chose pour tous, nécessitera de réinterroger tout notre système de retraite, en particulier ses dispositifs de solidarité.
Dans ce contexte, le dispositif de minimum garanti que nous proposons et qui devra être intégré à cette large réflexion présente déjà l’avantage de fonctionner sur un système d’attribution de points de retraite complémentaire à titre gratuit.
À ce stade, je ne vois donc pas de contradiction avec le vote de cette proposition de loi, qui offre une perspective immédiate de revalorisation des pensions de retraite agricoles modestes, sauf bien sûr si votre intention est de minimiser les dispositifs de solidarité.
J’en viens enfin aux conditions d’examen de cette proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour du Sénat depuis plusieurs semaines.
En tant que rapporteur, j’ai mené une série d’auditions avec l’ensemble des acteurs concernés, auditions auxquelles ont assisté de nombreux collègues sénateurs de toutes les sensibilités. Elles ont permis de consolider l’esprit de consensus face à l’urgence sociale que j’évoquais et à la nécessité d’y apporter une réponse.
Nous avons en particulier auditionné les représentants des administrations de l’agriculture et de la sécurité sociale, qui n’ont pas été en mesure de nous communiquer la position du Gouvernement.
Madame la ministre, je regrette d’avoir appris hier soir, très tardivement, votre décision non seulement de vous opposer à ce texte, mais également de recourir au vote bloqué, ce qui n’est pas conforme à la nécessité d’un dialogue respectueux entre le Gouvernement et le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Comme je l’ai rappelé ce matin en commission, cette procédure n’avait pas été utilisée depuis 1993 sur une proposition de loi. Et l’argument de l’obstruction ne peut tenir ici ! Notre commission réunie ce matin a, je le répète, unanimement condamné cette décision, et mes collègues s’en feront sans doute l’écho dans la discussion à venir.
À ce stade, je me borne à rappeler la position de notre commission, qui est d’adopter ce texte de manière conforme, afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. François Patriat. Le concours de démagogie peut commencer…
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, vous rendez-vous bien compte du message que vous adressez au monde agricole alors que le salon international de l’agriculture vient à peine de refermer ses portes ?
Pourtant, nous misons tout sur nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Ce sont eux qui sont chargés de nous nourrir, de protéger l’environnement et d’opérer la transition écologique. Il est donc important que la société les reconnaisse dignement, en particulier via le système des retraites.
Par ailleurs, quel message entendez-vous adresser au Sénat, madame la ministre, au moment même où sont engagés des travaux en vue d’une réforme constitutionnelle ? La mesure violente que vous allez prendre ce soir ne peut que constituer un message de non-respect du Sénat et du Parlement en général. Ce n’est pas acceptable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je souhaite, en tant que futur rapporteur du projet de la loi sur les retraites, formuler quelques remarques, tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, la proposition de loi illustre clairement le problème du régime de retraite des non-salariés agricoles. Cette profession est très spécifique, puisque les revenus dépendent de cours mondiaux et sont donc très variables. En outre, les prestations sont pilotées et les disparités dans l’organisation des exploitations peuvent entraîner des différences dans le niveau des cotisations.
Le régime de retraite actuel est fondé sur des prestations définies, et le passage à un système par points, qui correspond finalement à des cotisations définies, n’augmentera en rien le montant des retraites agricoles. Il faudra être particulièrement attentif sur ce point.
En ce qui concerne les modalités de calcul des pensions, il existe, là aussi, des différences importantes entre les régimes : pour le monde agricole, l’ensemble de la carrière est pris en compte, alors que, pour le monde salarié, il s’agit des vingt-cinq meilleures années et, pour les fonctionnaires, des six derniers mois.
On le voit, si nous voulons transformer les régimes de retraite en un régime universel, tous ces éléments méritent d’être évalués attentivement, en respectant les spécificités qui existent.
Par ailleurs, madame la ministre, je conteste nettement, avec tout le respect que j’ai pour vous, votre argument fondé sur la solidarité nationale. Certes, cette solidarité existe, elle est même inévitable du fait du déséquilibre entre le nombre de pensionnés et celui des cotisants – trois pour un ! –, mais n’oublions pas les fortes particularités du régime agricole : la solidarité passe par le régime complémentaire obligatoire, le RCO, et ce sont les actifs du secteur, déjà insuffisamment nombreux, qui payent des cotisations supplémentaires pour financer le minimum vieillesse des retraités agricoles. C’est clairement un exemple à ne pas suivre ! Il faut le souligner et en tenir compte pour la future réforme des retraites.
Sur la forme, utiliser au Sénat l’article 44, alinéa 3, de la Constitution, c’est comme employer l’article 49, alinéa 3, à l’Assemblée nationale.
Mme Esther Benbassa. Exactement !
M. René-Paul Savary. Ce n’est pas acceptable pour le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Madame la ministre, vous sortez l’artillerie lourde ! Et pourquoi ? Pour une proposition de loi qui ne constitue tout de même pas une transformation sociétale extraordinaire…
M. François Patriat. Ce sont 400 millions d’euros qui sont en jeu !
M. René-Paul Savary. Et avec cette artillerie lourde, vous donnez le sentiment de museler les sénateurs. C’est particulièrement douloureux et difficile à accepter. (Mêmes mouvements.)
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Pierre Cuypers. C’est inacceptable !
M. René-Paul Savary. Le groupe Les Républicains estime que ce n’est pas aux retraités agricoles de payer la méthode brutale utilisée par le Gouvernement. C’est ce qui guidera notre expression commune et notre vote sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Exclamations sur diverses travées.)
Mme Esther Benbassa. Bon courage…
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a maintenant un peu plus d’un an, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la proposition de loi d’Huguette Bello, d’André Chassaigne et des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, visant à assurer la revalorisation des retraites agricoles.
Ce texte a permis de rappeler les nombreuses difficultés du monde agricole et a mis en exergue le fait que la pension minimum de cette catégorie de travailleurs demeure inférieure au seuil de pauvreté et au montant du minimum vieillesse. Les pensions moyennes des retraités non-salariés agricoles étaient de 710 euros en 2014 – 850 euros pour les hommes et seulement 570 euros pour les femmes.
M. Jean-François Husson. C’est pour cela qu’il faut les augmenter !
M. Martin Lévrier. Le seuil de pauvreté s’élevait en 2014 à 840 euros mensuels pour une personne seule. L’allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – était fixée à 800 euros jusqu’à la dernière loi de financement de la sécurité sociale, et elle atteindra 900 euros en janvier 2020.
Les retraités agricoles et les exploitants et salariés de ce secteur attendent un geste fort de soutien, de reconnaissance de leur travail et d’amélioration de leurs conditions de vie. (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Laurence Cohen. C’est le grand soir ! (Sourires.)
M. Martin Lévrier. Les États généraux de l’alimentation ont été clôturés il y a deux mois. L’un de leurs objectifs est de relancer la création de valeur et d’en assurer l’équitable répartition, notamment pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Par conséquent, loin de nous l’idée de rejeter le message de solidarité envoyé par nos collègues députés. (Mêmes mouvements.)
Pour autant, la solidarité doit s’associer à la réalité et à l’équité. Vous le savez aussi, le Gouvernement s’est engagé dans une grande réforme, qui a pour objectif d’harmoniser les retraites,…
Mme Esther Benbassa. Par le bas !
M. Martin Lévrier. … au travers d’un système universel. Aussi, mes chers collègues, quelle est la finalité du travail parlementaire, de notre travail ? (Exclamations.)
Mme Françoise Laborde. La démocratie !
M. Jean-François Husson. Le 49.3 ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Faire une loi qui, à peine publiée au Journal officiel, sera supprimée et modifiée, puisque d’autres textes législatifs sont en gestation et arriveront rapidement ? (« Quels textes ? Dites-le ! » sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Inscrire une énième loi éphémère, qui ne servirait qu’à nous donner bonne conscience, mais qui ne réglerait pas le problème ? Notre rôle est-il de travailler l’urgent au détriment de l’important ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Fabien Gay. Il y a urgence pour les retraites agricoles !
M. Martin Lévrier. La crise de confiance des Français envers le travail parlementaire est trop souvent associée à ces lois qui ne durent que le temps d’une rose et qui ne sont jamais appliquées.
M. Pierre Laurent. C’est Emmanuel Macron qui a parlé des retraites au salon international de l’agriculture !
M. Martin Lévrier. À l’aube de cette grande réforme voulue par le Gouvernement, comment proposer un texte qui ne revalorise qu’un seul type de pension, celui des retraites agricoles, à l’exclusion de toutes les autres, en particulier de certaines qui sont tout aussi faibles ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. Claude Bérit-Débat. C’est laborieux…
M. François Patriat. C’est courageux et responsable !
M. Martin Lévrier. C’est pourquoi il est indispensable que la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France métropolitaine et outre-mer soit intégrée dans la réforme générale des retraites prévue en 2020. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Et en attendant ?
M. Martin Lévrier. En outre, cette pension pourra être financée par des systèmes pérennes.
M. Pierre Cuypers. Enfumage !
M. Martin Lévrier. L’adoption de l’amendement n° 3 présenté par le Gouvernement, qui a pour objet de rappeler que l’amélioration des petites pensions agricoles ne peut être envisagée indépendamment des autres évolutions qui affectent notre système de retraite, est donc nécessaire.
M. Jean-François Husson. Il n’y a pas de « grosses » retraites agricoles ! Cela n’existe pas !
M. Martin Lévrier. Pour ces raisons, le groupe La République En Marche votera l’amendement présenté par le Gouvernement et la proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme aime à le rappeler notre président, Gérard Larcher, nous sommes des représentants des territoires. Et nombre d’entre nous représentent les territoires ruraux. Il est donc probable que vous ayez reçu, tout comme moi, ces courriers manuscrits de retraités agricoles vous interpellant sur l’indigence de leur situation.
Mes chers collègues, qui, parmi vous, n’a pas noté ces écritures frêles, mais déterminées, ces rédactions fébriles, mais pudiques, ce choix des mots résigné, mais courageux ?
Qui parmi vous n’a pas remarqué la précision des montants, au centime près, nous prouvant à chaque ligne qu’avec peu, on peut faire encore beaucoup, mais que, quand survient l’impossible, l’imprévu, l’hiver plus froid, la panne d’un appareil ménager, la maladie, le décès d’un proche – tous ces aléas et malheurs qui vous tombent dessus –, la peur et, parfois, la colère vous font sortir du silence, de votre pudeur et de vos gonds ?
Qui parmi vous n’a pas observé les demandes, de plus en plus fréquentes, de ces mêmes retraités au fonds de solidarité logement pour l’achat de bois ou de fuel ?
Qui parmi vous n’a pas été sollicité pour compléter le paiement des frais de réparation d’une voiture, qui sert quotidiennement et permet de continuer à ne dépendre de personne pour ses déplacements ?
Qui parmi vous n’a pas été touché par les difficultés rencontrées pour acheter un appareil dentaire ou auditif, pour payer des frais d’ambulance ou d’obsèques ?
Et que répondons-nous à ces personnes, mes chers collègues, après avoir interrogé la Mutualité sociale agricole et plaidé leur cause auprès d’elle ? Nous leur répondons presque systématiquement qu’elles n’ont pas assez cotisé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Françoise Laborde approuve.)
Or, nous le savons bien toutes et tous, à une certaine époque, on ne cotisait pas, en particulier les femmes. Et quand on cotisait, c’était pour des montants peu élevés, parce que les revenus étaient eux-mêmes peu élevés.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité de corriger une situation inacceptable. Une situation où un non-salarié agricole ayant réalisé une carrière complète se retrouve, une fois à la retraite, avec une pension moyenne bien inférieure au seuil de pauvreté.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Élisabeth Doineau. La pension moyenne demeure inférieure au montant du minimum vieillesse – 803 euros, montant qui sera certes revalorisé d’ici à 2020 pour atteindre 900 euros, mais qui restera en dessous du seuil de pauvreté.
Les prestations constitutives de l’ancien minimum vieillesse – l’ASPA, dorénavant – ne sont demandées que par 1,3 % des retraités agricoles. On le sait, le recours sur succession est un barrage psychologique ; il est difficilement accepté par ces générations, qui ont mis toute une vie de labeur à se constituer un petit patrimoine, susceptible de servir et souvent sanctuarisé pour la prise en charge de la dépendance lorsque le moment viendra.
Derrière ces chiffres, ce sont des femmes et des hommes qui ont travaillé dur toute leur vie.
Ce qu’il faut rappeler aussi, c’est l’inégalité entre les femmes et les hommes en matière de retraites agricoles : un différentiel de 258 euros par mois en moyenne au détriment des premières. À la pauvreté s’ajoute donc l’inégalité. Ces femmes ne sont pourtant pas moins méritantes que leurs conjoints. Elles sont même des maillons indispensables au sein des exploitations agricoles. La délégation aux droits des femmes, présidée alors par notre ancienne collègue Chantal Jouanno, en avait pris la mesure ; son rapport est un document précieux et j’invite celles et ceux qui ne l’ont pas lu à en prendre connaissance rapidement.
Face à cette réalité, que propose le texte qui nous est soumis aujourd’hui ? Je rappelle que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale avant la présidentielle de 2017.
M. François Patriat. Période propice…
Mme Élisabeth Doineau. L’article 1er vise à augmenter le niveau de pension de base et complémentaire minimal : de 75 % du SMIC, soit actuellement 871 euros, il passerait à 85 % du SMIC, soit 987 euros, ce qui le rapprocherait sensiblement du niveau du seuil de pauvreté. Cela représenterait 55 000 bénéficiaires supplémentaires pour un total de 280 000 retraités et un coût de 350 millions d’euros.
L’article 2 organise le financement de cette mesure, en instituant une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières. La recette attendue – 450 millions d’euros – couvrirait le coût de l’ensemble des mesures de la proposition de loi, dont celles qui concernent les agriculteurs des outre-mer que je vais maintenant aborder et qui sont inscrites aux articles 3 et 4.
J’évoquais tout à l’heure l’inégalité que vivent les agriculteurs face à l’ensemble des retraités, mais également l’inégalité vécue par les agricultrices par rapport aux agriculteurs. Je n’avais pas mentionné celle à laquelle font face les outre-mer.
Pour une carrière complète, les non-salariés agricoles ultramarins perçoivent une pension moyenne d’environ 200 euros de moins qu’un retraité en métropole. Par ailleurs, moins du quart des monopensionnés ultramarins du régime des non-salariés agricoles ont réalisé une carrière complète. Par conséquent, rares sont ceux qui peuvent bénéficier du dispositif de garantie de 75 % du SMIC. En réalité, la moyenne des pensions versées est inférieure à 300 euros.
Je ne développerai pas davantage mon propos sur ces articles 3 et 4, afin de respecter mon temps de parole. D’autres orateurs ne manqueront pas de les évoquer plus précisément.
Unanimement persuadés du bon fondement de cette proposition de loi, les membres du groupe Union Centriste avait décidé de voter ce texte de manière conforme. Ce matin, en commission des affaires sociales, l’annonce de l’usage de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution par le Gouvernement a suscité de vives indignations. C’est mépriser le monde agricole comme le travail parlementaire !
Au sein du groupe Union Centriste, nous n’avons de cesse de rappeler la nécessité d’une refonte en profondeur de notre système de retraite. Notre inclination historique est même de privilégier la voie d’un système unique, afin de favoriser l’instauration d’un mode de calcul de l’ensemble des pensions sur la base d’un système à points. Pour autant, voter ce texte n’entre pas en contradiction avec la future réforme systémique annoncée par le Gouvernement.
Aujourd’hui, l’urgence commande de soutenir le monde agricole, et ce texte nous permettait d’effacer une honte nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)