Mme Françoise Laborde. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques jours, au salon international de l’agriculture, le Président de la République a été fortement interpellé par les agriculteurs, preuve que les revendications sont prégnantes et que le monde agricole ne va pas bien. Le président a dit connaître les angoisses et les souffrances des agriculteurs.
Après un vote unanime de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi de nos collègues communistes, puis d’un vote unanime et enthousiaste de la commission des affaires sociales du Sénat, vous décidez ce soir, madame la ministre, de passer outre, en déposant un amendement afin de reporter l’application de la mesure, voire de procéder à son enterrement, et en ayant recours au vote bloqué – procédure rarissime pour une proposition de loi. Comme l’a rappelé Dominique Watrin, sa dernière utilisation pour ce type de texte date de 1993 !
Oserais-je dire : « Courage, fuyons » ? Vous attendez la fin du salon de l’agriculture pour afficher vos intentions… Vous nous contraignez à nous mettre à votre service. Quelle brutalité, quel déni de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Nadine Grelet-Certenais. Cette attitude augure mal de votre réforme institutionnelle : notre démocratie parlementaire est-elle en danger ? Nous pouvons être inquiets, mais ceux qui le seront inévitablement, ce sont nos agriculteurs. Vous exercez un marchandage tactique sur leur dos, ce qui n’est pas acceptable.
On ne peut sans cesse parler des agriculteurs, déplorer leur condition, dénoncer le fait que les choses ne vont pas comme elles devraient, inscrire dans les programmes électoraux la nécessité de leur venir en aide en améliorant leurs revenus et ne pas agir en conséquence. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Nadine Grelet-Certenais. C’est la raison pour laquelle nous ne participerons pas à cette mascarade ; le monde agricole vaut mieux que tout cela. Et il est tout de même étonnant de constater un tel acharnement du Gouvernement à empêcher l’aboutissement d’une proposition de loi consensuelle visant à améliorer le quotidien des retraités agricoles.
Rappelons que la retraite moyenne d’un non-salarié agricole, tous bénéficiaires confondus, s’élève aujourd’hui à 766 euros par mois, soit un niveau inférieur à la fois au seuil de pauvreté et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
La Mutualité sociale agricole, dans un rapport de la fin de l’année 2016, avait tiré la sonnette d’alarme, en révélant qu’un tiers des non-salariés agricoles percevaient une retraite inférieure à 400 euros par mois. Le nouveau seuil de 85 % permettrait de dépasser tout juste le seuil de pauvreté, qui, calculé à hauteur de 60 % du revenu médian, est d’environ 1 000 euros. Convaincus de la pertinence de cette mesure, nous l’avions soutenue à l’automne dernier, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sur la question du financement, le déséquilibre démographique du régime de retraite agricole explique à lui seul le recours à la solidarité nationale. Sans mesure nouvelle, le déficit de la MSA ne cesserait de se creuser.
Il est désormais urgent de trouver des ressources pérennes, seules à même de garantir le redressement financier du régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO. Cette proposition de loi esquisse une bonne piste de financement, à travers une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières. Par ailleurs, compte tenu de la réduction du nombre d’actifs, le régime des retraites agricoles pourrait, à terme, améliorer le ratio entre retraités et cotisants.
Ce texte s’inscrit donc dans la poursuite de la politique volontariste menée par François Hollande durant le précédent quinquennat, qui a permis d’atteindre pour les chefs d’exploitation le minimum garanti de pension globale – base et complémentaire – de 75 % du SMIC net en 2017, objectif qui avait été défini, sous Lionel Jospin, dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, dont l’initiative revient à Germinal Peiro.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Patriat. Il fallait aller jusqu’au bout…
Mme Nadine Grelet-Certenais. Il faut aussi citer l’attribution de droits gratuits aux conjoints et aux aides familiaux pour les années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire en 2011.
Ainsi, les nouvelles avancées proposées par ce texte viennent confirmer ce sillon politique et corriger les injustices qui caractérisent le régime des retraites agricoles, aussi bien sur le territoire hexagonal qu’en outre-mer.
Cette proposition de loi présente également l’avantage d’être unanimement soutenue par les syndicats agricoles et les associations de retraités agricoles, qui sont présents dans les tribunes et nous regardent. Tous appellent de leurs vœux un vote conforme de ce texte, afin que la mesure, qui répond concrètement à leurs difficultés d’existence, puisse s’appliquer au plus tôt.
Repousser l’entrée en vigueur de ce texte reviendrait à nier l’urgence sociale et la précarité vécue par des milliers d’anciens travailleurs de la terre.
Garantir une retraite minimale digne pour nos agriculteurs, c’est donner un espoir important à ce secteur qui en a bien besoin. C’est également penser à l’avenir, faciliter la transmission de l’exploitation dans le cadre d’une agriculture familiale et assurer l’entretien et la pérennité de nos paysages.
La commission des affaires sociales avait ouvert la voie à une adoption conforme du texte en l’état. Puisque le texte était bien ficelé…
Mme Patricia Schillinger. Mais pas financé !
Mme Nadine Grelet-Certenais. … et que nous partagions l’objectif d’intérêt général de la proposition de loi, puisque nous détenions une solution clef en main validée par l’ensemble de la profession et des associations, nous aurions pu saisir l’occasion inédite de voter ce texte, sans risquer de prolonger inutilement l’examen avec une seconde lecture plus qu’incertaine.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Le message politique adressé à nos agriculteurs, qui plébiscitent cette proposition de loi, aurait été fort. Malheureusement, le Gouvernement a choisi de museler le Sénat en recourant à la procédure du vote bloqué, ce qui, quelle que soit l’issue de cette dernière, entravera l’adoption rapide du texte.
Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe ne prendra pas part au vote. Quelle occasion manquée pour les agriculteurs, qui assistent, à leur grande surprise, à la suppression de fait d’une proposition de loi que le Sénat s’apprêtait à voter sans modification ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation des pensions agricoles est douloureuse au lendemain du salon international de l’agriculture, à l’occasion duquel les Français ont pu rencontrer et échanger avec leurs agriculteurs. Ces derniers ne peuvent plus tenir ; cette évidence mérite d’être redite publiquement !
Comment peut-on accepter, au XXIe siècle, que ces hommes et ces femmes qui se sacrifient au service de la Nation et nourrissent le pays à la sueur de leur front souffrent d’une véritable misère sociale ?
Pour aggraver cette situation, la Mutualité sociale agricole, qui a commis, en décembre dernier, une erreur regrettable dans le versement des pensions de retraite, demande aujourd’hui à récupérer les trop-perçus.
Certes, le Gouvernement et la Mutualité sociale agricole se sont engagés à ce que ces retenues échelonnées ne dépassent pas 15 %. Cependant, ce sont aujourd’hui ces mêmes agriculteurs qui sont injustement tenus de mener des démarches pour obtenir des attestations d’erreur de versement et modifier leurs déclarations d’imposition sur le revenu. Tout cela est inacceptable, et nous serons vigilants sur le déroulement de cette pénible affaire.
Aurait-on oublié dans ce pays ce que le duc de Sully, conseiller d’Henri IV, disait de notre agriculture : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée » ? (Sourires.) N’oublions pas que le monde agricole fait la fierté de notre pays ! En conséquence, il est de notre devoir, en tant que représentants de la Nation, d’être à l’écoute des agriculteurs et de réparer l’injustice qui leur est faite aujourd’hui. Avec une retraite moyenne de 736 euros, les agriculteurs français ne peuvent pas vivre décemment.
Certes, depuis la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, des efforts avaient été consentis.
Tout d’abord, une revalorisation des petites retraites agricoles a été mise en œuvre. Actée par décret dès mai 2014, elle a accordé des points gratuits aux conjoints et aides familiaux.
Ensuite, le Gouvernement s’était engagé à l’attribution d’un complément différentiel de points de retraite complémentaire permettant d’atteindre un montant minimum de retraite à 73 % du SMIC en 2015 et à 75 % du SMIC en 2017.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne pourra que soutenir une initiative de revalorisation réelle des retraites agricoles, dont mon collègue Daniel Chasseing vous dira ce qu’il en pense. Soyons à l’écoute des souffrances du monde agricole et travaillons à leur apporter une solution viable et durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la volonté du Gouvernement d’utiliser le 44.3, comme les braqueurs le 11.43 (Sourires.), soit le revolver de l’exécutif posé sur la tempe du législatif, prenant en otage les agriculteurs par le biais du vote bloqué, constitue une nouvelle agression faite au Parlement et, donc, à la démocratie. Elle est aussi une violence de plus infligée à nos paysans, à nos agriculteurs.
Tout d’abord, rien ne nous garantit qu’une telle disposition sera retenue dans le projet à venir sur les retraites.
Ensuite, les parlementaires font figure de quantité négligeable et méprisée, ce qui est tout à fait insupportable, d’autant que la détresse du monde paysan est absolument terrible et devrait faire honte à celles et ceux qui en sont responsables !
Puisque le Gouvernement a décidé de rester sourd, les Français doivent entendre et retenir ce chiffre effroyable : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France ! Un agriculteur met fin à ses jours toutes les quarante-huit heures, mes chers collègues ! Vous évoquiez tout à l’heure, madame la ministre, un débat prématuré. C’est le deuil de familles entières qui est prématuré !
Comment en est-on arrivé là, alors que près de 800 millions d’individus dans le monde souffrent de la faim, dont un certain nombre dans notre propre pays ? Face à cette situation scandaleuse, quelles sont vos réponses ? (M. François Patriat s’exclame.)
Les transferts sociaux en faveur des nouveaux venus sur notre territoire n’ayant jamais cotisé sont plus élevés que la retraite de nos agriculteurs, qui, eux, ont cotisé toute leur vie en ayant travaillé sept jours sur sept, douze, voire quinze heures par jour ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Chassez le naturel, il revient au galop !
M. Stéphane Ravier. Il s’agit d’un scandale d’État, qui se transmet et se confirme gouvernement après gouvernement.
Il est évident que nous accueillerons très favorablement cette proposition de loi, même si elle est aujourd’hui entachée d’un coup de force de l’exécutif, qui a pris l’habitude d’exécuter tout débat.
Porter le minimum de la retraite à 85 % du SMIC est une mesure salutaire. Le minimum retraite agricole dans notre pays est en effet scandaleusement bas. Avec un montant moyen de 766 euros mensuels, il est inférieur de 10 % au seuil de pauvreté.
Le déficit structurel lié aux retraites du monde paysan est le fruit des politiques agricoles menées ces dernières décennies, qui visent à concentrer au maximum les exploitations et à faire baisser dans la dépense globale des Français le montant de leurs dépenses consacrées au secteur alimentaire.
Vous aurez beau créer des numéros verts et augmenter les enveloppes pour financer les aides temporaires aux agriculteurs en difficulté, vous ne changerez rien au problème. Il ne faut pas seulement s’attaquer aux conséquences, les retraites ; il faut aussi travailler sur les causes et accorder à nos paysans une rémunération à la juste valeur de leur difficile et noble travail.
Rappelons que, en 2015, un tiers des agriculteurs percevaient un salaire de 354 euros par mois. De plus, la Mutualité sociale agricole a reçu, en 2016, quelque 200 000 demandes de revenu de solidarité active, ou RSA, ce qui représente un tiers des exploitants et deux tiers des salariés agricoles.
Aussi, je voterai cette proposition de loi, car les agriculteurs ne méritent vraiment pas une violence supplémentaire. Mais je le dis ici : honte à ce gouvernement d’utiliser des méthodes de voyous, piétinant allègrement le Parlement et prenant en otage des hommes et des femmes qui sont déjà à l’agonie.
Au reste, que le président du grand déracinement veuille en finir avec la paysannerie française n’a finalement rien de surprenant.
M. Martin Lévrier. Poil aux dents ! (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte de profond désarroi au sein du monde agricole. En effet, les zones rurales se sentent souvent abandonnées.
Pour rappel, ce texte a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Il semblait, jusqu’à ce jour, faire consensus et répondre aux attentes des agriculteurs, qui ont encore fortement interpellé les acteurs publics, jusqu’au Président de la République, lors du dernier salon international de l’agriculture, dont les portes viennent de se fermer.
Nous sommes tous sensibles, sur les travées de cette assemblée, aux inquiétudes des agriculteurs et aux difficultés auxquelles ils doivent faire face pendant toute la durée de leur activité professionnelle.
Arrivée à l’âge de la retraite, une majorité d’entre eux ne parvient pas à accéder à un niveau de revenu décent. Mes prédécesseurs à la tribune en ont déjà parlé, mais il me semble important de marteler les chiffres des montants de retraite, qui se situent en deçà du seuil de pauvreté, et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
En moyenne, la pension d’un chef d’exploitation ou d’entreprise agricole s’élève actuellement à 730 euros. Et, comme l’a souligné le rapport Watrin, cette moyenne ne doit pas occulter les inégalités entre les retraités eux-mêmes, notamment en ce qui concerne les conjoints collaborateurs – presque toujours des femmes –, dont la retraite moyenne s’élève à moins de 600 euros.
Cette proposition de loi s’attaquait également au chantier des pensions en outre-mer, où la situation est particulièrement alarmante et dont les spécificités ont encore plus éloigné les retraités d’un niveau de vie décent. Pour eux, les articles 3 et 4 de la proposition de loi vont dans le sens d’une réelle amélioration, et notre groupe y était très sensible.
Les raisons du faible niveau des retraites agricoles, nous les connaissons : les profils de carrière discontinus, l’effort contributif insuffisant, les problèmes structurels de la caisse de retraite qui fragilisent le financement des pensions… Cette proposition de loi apparaît particulièrement opportune. En effet, malgré plusieurs réformes successives, l’écart n’a cessé de se creuser entre les pensions des non-salariés agricoles et celles des autres régimes.
Revaloriser les retraites est pourtant un souci récurrent. Le groupe du RDSE, toujours sensible aux conditions de vie des exploitants agricoles, avait déposé, dès 1998, par la voix de deux de ses membres, une proposition de loi allant dans ce sens.
M. Jean-Claude Requier. Exact !
M. Éric Gold. Parmi les principales mesures venues améliorer le niveau de vie des retraités du secteur agricole, je citerai également la loi Peiro du 4 mars 2002, qui, en instaurant le principe d’une pension à 75 % du SMIC, a laissé de côté les paramètres de cotisation spécifiques au monde agricole, souvent sources de moindres droits, pour se concentrer sur un objectif chiffré et intangible, en tout cas théoriquement.
Ces mesures n’ont malheureusement pas suffi, l’indexation de la pension sur l’évolution des prix plutôt que sur celle du SMIC aboutissant à un niveau de pension à 70 % du SMIC en 2012. Le précédent gouvernement n’est pas resté inerte. Avec le plan quinquennal de revalorisation, qui mobilisera près de 900 millions d’euros, et la réforme de 2014, les retraités ont vu leur situation s’améliorer. Toutefois, cette amélioration repose essentiellement sur le régime de retraite complémentaire obligatoire, le RCO, dont on connaît la fragilité en termes de financement.
Dans ces conditions, une nouvelle initiative était plus que bienvenue, et il faut la saluer. Porter le niveau de pension minimum à 85 % du SMIC permettrait de l’élever à 987 euros cette année, un rattrapage qui accorderait à environ 55 000 retraités supplémentaires des conditions de vie meilleures.
Certes, le financement des retraites demeure fragile, compte tenu du déséquilibre entre retraités et cotisants actifs. Cependant, cette fragilité ne doit pas nous exonérer d’une réflexion et, surtout, d’une action envers ceux qui ont consacré leur vie à nous nourrir et à travailler la terre. L’agriculture contribue à la richesse économique de notre pays et à l’équilibre de nos territoires. C’est la raison pour laquelle il est juste de faire appel à la solidarité nationale pour financer le régime des retraites agricoles.
Comme je l’ai redit en introduction de mon propos, cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale. La commission des affaires sociales du Sénat n’a pas souhaité l’amender, pour lui donner toutes les chances d’aboutir.
On peut aussi rappeler que le candidat Emmanuel Macron avait fait de la revalorisation des retraites agricoles l’un de ses sujets de campagne. Si toutes les conditions semblaient donc réunies pour une adoption définitive du texte, nous avons été surpris en prenant connaissance de la position du Gouvernement.
M. Roland Courteau. Le mot est faible !
M. Éric Gold. Le groupe du RDSE, fidèle à son souci d’apporter plus d’équité au sein des régimes de retraite, était, bien sûr, favorable à cette proposition de loi.
La procédure utilisée par le Gouvernement fait partie de ses prérogatives constitutionnelles, mais elle vise à empêcher le vote unanime et la mise en application de cette loi, ce qui est très largement contesté sur les travées de cette assemblée.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Éric Gold. Attaché au débat et au respect de l’initiative parlementaire, le groupe du RDSE regrette vivement le procédé employé, qui repousse encore la revalorisation des retraites agricoles et adresse un signal inquiétant aux territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, jusqu’à ce matin, j’avais prévu, comme très certainement beaucoup d’entre nous, une intervention visant à saluer le travail effectué par l’Assemblée nationale. Je voulais me féliciter de l’unanimité des votes recueillis sur le texte élaboré par mon collègue et ami André Chassaigne et par ma collègue, Huguette Bello, après plus de deux ans de réflexions et de rencontres avec l’ensemble des retraités du monde agricole.
J’avais également prévu de souligner la qualité des travaux de la commission des affaires sociales, laquelle, comme l’ont rappelé les représentants de la plupart des groupes du Sénat, avait souhaité préserver cette unanimité en votant conforme ce texte, pour lui permettre d’aboutir dans les délais les plus rapides.
La commission des affaires sociales entendait ainsi répondre à une urgence sociale, celle des retraités agricoles, qui, aujourd’hui, ne peuvent plus vivre dignement. En effet, comment parler de dignité quand le niveau de revenu se situe entre 700 et 800 euros en métropole et se réduit parfois à seulement 100 euros dans nos territoires ultramarins ?
Ces retraités agricoles, je veux les saluer, parce qu’ils sont présents ici – je les vois nombreux dans les tribunes. Comme nous, ils ont tous suivi l’évolution de cette journée à partir de neuf heures vingt-trois, quand la décision du Gouvernement a été rendue publique. Ils ont vécu les minutes et les heures qui ont suivi ; ils ont entendu la commission des affaires sociales annoncer l’utilisation par le Gouvernement du vote bloqué, ce qui a été confirmé ce soir en conférence des présidents. Et en début de séance, vous avez rappelé, madame la ministre, que vous alliez recourir coûte que coûte à cette procédure.
Cette attitude, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, est indigne ! Je veux vous le dire ici solennellement : les parlementaires et les retraités agricoles ne sont les paillassons ni du Gouvernement ni du Président de la République, qui a ouvert le salon de l’agriculture.
Nous sommes ici les représentants du peuple, les représentants des territoires.
M. François Patriat. Nous aussi !
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes l’expression de la démocratie dans notre pays. En utilisant le 44.3, vous voulez nous imposer au final le verrou de Matignon, le verrou gouvernemental. Vous vous attaquez ainsi aux retraités du monde agricole par un coup de force exceptionnel, cela a été dit, qui n’a été utilisé que de façon très rare pour une proposition de loi – six fois depuis 1959, la dernière remontant à 1993.
Avant même la révision constitutionnelle, vous nous imposez votre volonté et vous multipliez le recours aux ordonnances, le recours au vote bloqué. Continuez ainsi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État ! Bientôt, il n’y aura plus besoin de réduire le droit d’amendement, il n’y aura plus besoin de réduire le nombre des parlementaires ! En effet, vous êtes aujourd’hui en train de nous rendre sourds, incapables d’agir et de proposer.
Madame la ministre, vous nous avez parlé du dialogue social qui est en cours. Mais ce soir, le dialogue social gît dans un cercueil, parce que vous l’avez tué en niant la concertation au terme de laquelle cette proposition de loi a pu être élaborée, avant d’être débattue à l’Assemblée nationale et de venir en discussion aujourd’hui au Sénat.
Vous êtes incapables de gouverner ! Vous divisez, vous êtes incapables de rassembler. Vous stigmatisez, à l’instar du Président de la République, qui, au salon international de l’agriculture, a cherché à opposer les cheminots au monde agricole. Et lors de la séance de ce soir, vous les renvoyez dos à dos, les abandonnant à leur maigre pouvoir d’achat et à leurs difficultés pour vivre !
Alors, oui, aujourd’hui, les retraités agricoles sont désespérés. J’ose même dire qu’ils sont effondrés ! Je vous invite à réfléchir au message politique que vous envoyez après l’adoption unanime de cette proposition de loi par l’Assemblée nationale et la commission des affaires sociales.
Monsieur le secrétaire d’État, dois-je vous rappeler que vous apparteniez alors, à l’Assemblée nationale, à un groupe qui ne s’est pas opposé à ce vote ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. Quel message de la vie politique envoyez-vous à notre pays en recourant aujourd’hui au 44.3 ?
Votre coup de force, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est le mépris du monde rural, c’est le mépris des retraités, c’est le mépris des parlementaires et de l’ensemble des groupes politiques et du pluralisme dans notre pays !
Madame la ministre, je vous ai entendue. Pour différer l’application de cette proposition de loi, vous nous opposez l’argument du financement. Mais j’ai le regret de vous le dire, vous n’allez pas au bout du débat. En effet, l’amendement – le seul et l’unique ! –, que vous nous proposez en vote bloqué n’a pas pour objet d’aborder la question du mode de financement ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Vous esquivez cette question et le débat politique. Vous avez décidé ce soir de prendre en otage les retraités agricoles et de faire un coup de force, ici, au Sénat, pour apporter la démonstration que, demain, seul le Gouvernement décidera dans notre pays de ce qu’est la démocratie.
Eh bien, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est indigne, je l’ai déjà dit ! Je crois que nous nous en rendons compte, votre « nouveau monde » est dangereux. Tout d’abord, au bout du compte, il n’est qu’une pâle copie des pires caricatures de l’ancien monde ! (M. Roland Courteau approuve.)
Ensuite, pour changer les choses, il faut le vouloir ! Or vous n’avez pas de convictions profondes, si ce n’est cette volonté d’exercer le pouvoir, un pouvoir venu d’en haut, un pouvoir qui ne répond aux attentes que de quelques-uns, un pouvoir qui ne prend pas en compte la réalité de l’ensemble des femmes et des hommes dans la diversité de nos territoires, en France métropolitaine comme dans les outre-mer.
Vous le comprendrez – je crois que tous les orateurs de groupes l’ont dit –, nous sommes profondément déçus de ce coup de force que vous voulez nous imposer ce soir. Mais plus que tout, nous sommes déçus pour ces milliers de femmes et d’hommes retraités agricoles qui attendaient beaucoup. Au-delà d’un geste de reconnaissance, ils espéraient pouvoir rentrer chez eux demain la tête haute et, enfin, vivre dignement ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)