M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Voilà un peu plus d’un an, le 1er novembre 2017, le Président de la République rappelait, à Strasbourg, l’attachement profond de la France aux droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, et à son instrument le plus efficace de mise en œuvre qu’est la Cour européenne des droits de l’homme. Cet attachement, le Président l’a souligné, implique aussi notre attachement « à la force obligatoire des arrêts de la Cour ».
En l’espèce, cette loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public, qu’en a dit la Cour ? Saisie par une requérante, dans son arrêt S.A.S. c. France de 2014, elle a écarté fermement toute violation de la Convention du fait de l’application de la loi de 2010, dont elle a jugé qu’elle ne revêtait pas de caractère discriminatoire et qu’elle ne portait atteinte ni au respect de la vie privée, ni à la liberté de conscience, ni à la liberté d’expression.
Aussi, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la préservation de conditions du vivre ensemble était un objectif légitime et que cette loi entrait dans la marge d’appréciation qui revient, fort heureusement, aux États pour définir ce vivre ensemble – le sénateur Pierre Charon l’a rappelé.
Au contraire, le Comité des droits de l’homme de l’ONU, saisi d’une requête individuelle, a rendu le 22 octobre dernier des constatations sur la loi du 11 octobre 2010, dans lesquelles il estime que l’application de cette loi porte atteinte au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion résultant de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et à l’interdiction des discriminations prévue par l’article 26 de ce même pacte.
Je dirai tout de même un mot sur ce comité des droits de l’homme de l’ONU. C’est un organe composé d’experts internationaux indépendants, chargé de contrôler la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte international de 1966. Organe non juridictionnel, le comité ne reconnaît, à la différence de la Cour européenne des droits de l’homme, pas de marge nationale d’appréciation sur les questions concernant la préservation du vivre ensemble.
À cet égard, je me permets de souligner que les récentes constatations du Pacte s’inscrivent résolument dans la continuité de ses orientations traditionnelles. Le Comité s’était ainsi déjà prononcé contre l’obligation de poser tête nue sur les photos d’identité en 2013 et contre l’interdiction, résultant de la loi de 2004, du port de signes religieux ostensibles par les élèves de l’école publique.
Toutefois, je le rappelle, ces constatations ne sont ni une condamnation de l’État ni une injonction au Gouvernement. En somme, elles ne permettent pas de remettre en cause notre droit national.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’entends vos inquiétudes et votre souhait d’adopter la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui.
Cependant, comme je viens d’essayer de le démontrer, ces inquiétudes ne sont pas fondées tant la détermination du Gouvernement à préserver et appliquer cette loi et les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme est intacte.
Vos inquiétudes sont d’autant moins fondées que les constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU sont dépourvues de portée contraignante et n’ont donc pas vocation à bouleverser notre paradigme législatif et juridique actuel.
En revanche, l’adoption de cette proposition de résolution aurait un caractère contre-productif, en ce qu’elle invite le Gouvernement « à ne pas donner suite à ces constatations ».
Or, conformément à la Constitution et à nos traditions en pareille situation, et justement parce que nous défendrons toujours notre vision du vivre ensemble, la France entend répondre aux constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU.
Vous connaissez comme moi ce dicton populaire : « Qui ne dit mot consent. » Eh bien, la France répondra, car elle ne consent pas : là est notre point d’accord.
Monsieur Retailleau, vous avez raison de souligner que les constatations du Comité des droits de l’homme sur l’affaire Baby Loup ont été commentées par le premier président de la Cour de cassation. Cependant, il ne faut pas dramatiser ou donner une portée excessive à ces constatations, le Comité ayant déjà critiqué deux précédentes lois sans que notre jurisprudence soit pour autant bouleversée. Il paraît naturel que la Cour de cassation réfléchisse à l’impact plus médiatique que juridique de telles constatations, qui, encore une fois, ne s’accompagnent pas de revirement de jurisprudence.
Pour tous ces motifs, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat quant à l’adoption de cette proposition de résolution, mais il répondra fermement au Comité. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à préserver l’ordonnancement juridique relatif au port du voile intégral dans l’espace public
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public,
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,
Vu la Convention européenne des droits de l’homme,
Vu l’arrêt « S.A.S. contre France » de la Cour européenne des droits de l’homme rendu le 1er juillet 2014,
Vu la décision n° 2010-613 DC du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010,
Vu les constations du Comité des droits de l’homme des Nations unies publiées le 22 octobre 2018,
Considérant que la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant du visage dans l’espace public est essentielle à la préservation des valeurs de la République et de la conception française des droits de l’homme et de la dignité humaine ;
Considérant que le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme à nos principes constitutionnels, et notamment à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
Considérant que la Cour européenne des droits de l’homme l’a également jugée conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment à son article 9 sur la liberté religieuse ;
Considérant que, en contradiction avec ces jurisprudences, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a estimé qu’elle contrevenait à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
Remarquant que les dispositions prévues à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 sont identiques à celles de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
Appelle à faire primer la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme sur les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies ;
Invite en conséquence le Gouvernement à ne pas donner suite à ces constations afin, a minima, de préserver l’ordonnancement juridique national relatif au port du voile intégral islamique dans l’espace public.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe La République En Marche.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 38 :
Nombre de votants | 253 |
Nombre de suffrages exprimés | 236 |
Pour l’adoption | 236 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communes nouvelles et diversité des territoires
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à adapter l’organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 503 [2017-2018], texte de la commission n° 180, rapport n° 179).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi.
Mme Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse du débat qui s’ouvre aujourd’hui au Sénat, chambre des territoires, pour parler de cet espace unique, essentiel, où bat le cœur de notre démocratie : la commune.
Création révolutionnaire, elle a été conçue comme le lieu le plus apte à l’expression des citoyens et le plus proche de leur vie quotidienne. Alexis de Tocqueville affirmait : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. »
Dans ces temps troublés, chacun, y compris le Président de la République, redécouvre le rôle essentiel de la commune. Amortisseur social, la commune rassemble. Elle est l’ancrage de la République, « une petite patrie » selon Érik Orsenna, portée avec ferveur par ses élus, véritables vigies de la démocratie.
L’attachement à la commune n’est ni nostalgie, ni repli, ni immobilisme.
La commune est plus vivante, plus moderne et plus nécessaire que jamais, car c’est là que se tissent la fraternité et la solidarité, sans lesquelles la cohésion sociale se délite.
Mais le monde bouge, les attentes de nos concitoyens évoluent et, que l’on vive à la ville ou à la campagne, l’exigence de services est la même, comme nous le voyons fortement ces jours-ci. Aujourd’hui, la commune doit assumer une double fonction, celle de la proximité, mais également celle de l’efficacité, obligeant les élus à s’interroger et à inventer des possibles.
À côté du maquis des réformes territoriales récentes, parfois hasardeuses et uniformisantes, reposait une pépite de liberté, dont je salue les initiateurs : la commune nouvelle, pari des décentralisateurs, augure d’une profonde révolution, librement choisie, décidée et portée par les élus eux-mêmes.
Elle est la révolution des faiseurs que sont les élus locaux. Dans notre pays à la culture profondément jacobine, l’affirmation de la Nation n’a eu de cesse de se construire sur l’uniformisation qui gomme la diversité, alors que tous les univers se construisent aujourd’hui en réseaux souples et multiples et que l’agilité est devenue la clé de l’efficience territoriale.
La loi sur les communes nouvelles n’oblige ni ne contraint ; elle permet, offre la liberté à ceux qui la choisissent et à eux seuls d’évoluer pour conforter cette entité communale. La commune nouvelle n’efface pas la commune, mais elle est la porte qui lui ouvre l’avenir. Évolution territoriale librement choisie, elle est conduite par des hommes et des femmes qui engagent courageusement, et avec lucidité, un projet pour l’avenir.
C’est aussi une aventure humaine, qui doit respecter l’histoire et l’identité des communes historiques. Créer une commune nouvelle, c’est en quelque sorte recomposer une famille de destin, convaincre, expliquer, lever les freins et les peurs, instaurer la confiance et l’adhésion des habitants et de tous les élus qui savent que demain ne ressemblera pas à aujourd’hui.
La commune nouvelle est un chemin qui s’ouvre et qu’il faut jalonner, en acceptant de donner du temps au temps, sans renoncer à l’objectif d’une nouvelle entité, forte de ses identités historiques, mais aussi différente de celles d’aujourd’hui.
Parce qu’elle est faite par des hommes et des femmes, pour des hommes et des femmes, elle ne doit ni brusquer ni forcer, mais convaincre.
Comme le montrent les nombreux déplacements et rencontres que j’ai effectués avec mon collègue Christian Manable et les travaux de la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale, dont Mathieu Darnaud est l’un des rapporteurs, comme l’avait vu en 2015 Jacques Pélissard, alors président de l’Association des maires de France, l’AMF, adapter n’est ni renoncer ni renier. Au contraire, la réussite d’un projet d’avenir nécessite des assouplissements qui ne sont pas des reculs. C’est un peu, finalement, ce que le Président de la République a expliqué hier.
Tel est le sens et l’objectif de cette proposition de loi.
L’article 1er prévoit un régime transitoire pour l’effectif du conseil municipal à compter du premier renouvellement général qui suit la création de la commune nouvelle.
En 2020, la plupart des communes nouvelles verront l’effectif de leur conseil municipal diminuer de plus de 70 %. À titre d’exemple, la commune nouvelle de La Hague, dans la Manche, créée en 2017, compte 19 communes historiques et 234 conseillers municipaux. Ils ne seraient plus que 35 en 2020, soit une baisse vertigineuse de 80 %.
Sans régime transitoire, les communes nouvelles affrontent des craintes de sous-représentativité des communes historiques.
L’article 2 donne au conseil municipal d’une commune nouvelle la possibilité de créer, pendant une période transitoire, une commission permanente ayant délégation sur certaines affaires courantes, comme cela existe dans d’autres collectivités.
Cette disposition pertinente pour des communes nouvelles comptant de nombreux élus a été supprimée sur l’initiative de Mme la rapporteur. Je ne m’y suis pas opposée, mais le groupe centriste proposera une solution de remplacement permettant de favoriser une décision collégiale autour du maire et des adjoints.
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Françoise Gatel. L’article 3 traite de ce qu’il est convenu d’appeler un « irritant », dont les conséquences peuvent être lourdes. Il vise à sécuriser le principe de continuité du conseil municipal lors de l’élection d’un nouveau maire en cours de mandat et prévoit, en cas de vacance de siège, une adaptation à la règle de complétude du conseil municipal.
Il s’agit ainsi d’éviter la répétition de situations ubuesques et inextricables où l’équipe municipale, avant même la mise en place du conseil municipal de la commune nouvelle, se retrouve confrontée à une obligation d’élections générales en raison de la démission d’un seul conseiller municipal intervenue entre l’arrêté de création de la commune nouvelle et la première réunion du conseil municipal qui doit procéder à l’élection du maire de ladite commune nouvelle.
L’article 4 porte une innovation territoriale, la communauté commune ou la « commune-communauté ». C’est une proposition disruptive pour certains, qui peuvent préférer un modèle plus dogmatique et uniforme d’organisation territoriale, ou simplement une proposition empreinte de pragmatisme pour d’autres, qui privilégient la capacité des élus locaux à inventer des possibles pour leurs territoires.
Je le dis très clairement : il n’y a aucune volonté de ma part d’opposer commune nouvelle et intercommunalité ni de renier le rôle essentiel de l’intercommunalité construite sur le principe de subsidiarité.
Toutefois, nul, ici, au Sénat, ne peut ignorer la réalité de ces intercommunalités très intégrées, qui assument de nombreuses compétences transférées par les communes pour des raisons de capacité à faire. Certaines aujourd’hui aspirent à une nouvelle étape d’organisation, qui simplifierait des procédures et renforcerait la proximité avec les habitants et tous les élus.
Or, aujourd’hui, la loi contraint toute commune à intégrer une intercommunalité, imposant une course sans fin et sans beaucoup de sens au « toujours plus loin » et « toujours plus grand », qui épuise les élus et éloigne les citoyens des lieux de décision, alors même que notre pays traverse une grave crise de la démocratie.
Mes chers collègues, quel serait le sens de contraindre un EPCI existant, qui souhaite devenir aussi commune nouvelle, à rejoindre un nouvel EPCI ?
Portalis soulignait très justement : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour la loi. »
M. Loïc Hervé. Il nous regarde ! (Sourires.)
Mme Françoise Gatel. Il nous surveille même ! (Nouveaux sourires.)
Ne peut-on aujourd’hui accepter la diversité des réponses ? En effet, nous débattrons dans quelques mois du droit à la différenciation et il n’est pas de jour où nous n’évoquions au Sénat la diversité de nos territoires et la nécessaire confiance dans le sens des responsabilités des élus, à qui il appartient, avec leurs concitoyens, d’inventer l’avenir de leurs territoires.
Je salue très sincèrement les excellentes dispositions ajoutées par Mme la rapporteur, notamment le positionnement des maires délégués dans le tableau du conseil municipal et le délai transitoire de trois ans pour lisser certains effets brutaux de seuil.
Je salue également la disposition sur la liberté concernant les communes déléguées et les mairies annexes proposée par notre collègue Hervé Maurey.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est une construction sénatoriale collective et largement concertée. Je tiens à saluer avec gratitude tous ses contributeurs, au premier rang desquels figurent les élus de terrain et les associations d’élus.
Je salue Jean-Marie Bockel, qui a confié à Christian Manable et à moi-même un rapport sur les communes nouvelles, que nous avons choisi d’intituler Les communes nouvelles, histoire d’une révolution silencieuse : raisons et conditions d’une réussite. En effet, aujourd’hui, plus de 1 900 communes, représentant 1,9 million d’habitants, ont créé librement 560 communes nouvelles.
Je salue également Hervé Marseille, qui a soutenu de toute sa conviction décentralisatrice cette proposition de loi, Philippe Bas, président de la commission des lois, qui l’a encouragée très fortement en permettant son inscription à l’ordre du jour du Sénat, Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale, qui a intégré ce texte dans ses 30 propositions en faveur de la revitalisation de l’échelon communal, et enfin Agnès Canayer, rapporteur, pour la très grande qualité de son travail et l’enrichissement du texte.
Enfin, parmi les honorables contributeurs à la prospérité de cette proposition de loi, permettez-moi de citer le président Gérard Larcher, ardent avocat des territoires et de leurs élus.
Monsieur le ministre, je veux aussi saluer avec beaucoup de sincérité votre écoute particulièrement attentive et la qualité du dialogue que nous avons noué sur ce texte.
M. Loïc Hervé. Il faut le dire !
Mme Françoise Gatel. Vous le savez, au cours de ces derniers mois, le Sénat a exprimé ses regrets sur l’absence de dialogue du Gouvernement avec le Parlement, qui s’apparentait parfois à la négation de l’initiative parlementaire. Les associations d’élus ont, elles aussi, exprimé leur mécontentement.
Aujourd’hui, le Président de la République semble vouloir reprendre le chemin d’une relation partenariale avec ceux et celles qui font et qui sont la France du quotidien, les élus locaux. Je sais votre conviction de la force des territoires et de leurs élus, qui sont une chance pour notre pays, mais aussi votre volonté de corriger les irritants, monsieur le ministre.
Lors de votre prise de fonction, vous avez déclaré vouloir mettre fin au « prêt-à-porter uniformisateur » et soutenir ce que vous avez appelé le « cousu main ». Réjouissez-vous, monsieur le ministre, le Sénat vous offre aujourd’hui l’occasion de réaliser une première séance de travaux pratiques de « sur-mesure », qu’il vous appartiendra de poursuivre en permettant que cette proposition de loi utile aux territoires puisse prospérer dans un temps utile. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le système démocratique a de tout temps été jalonné de la défiance des gouvernés face à leurs représentants. La baisse de confiance devenue croissante s’est installée durablement dans les démocraties modernes. Aujourd’hui, cette crise de représentation, ce désamour, cette désaffection des citoyens s’expriment au travers du mouvement des « gilets jaunes ».
Face à cette crise, de nombreux maires, sur l’initiative de l’Association des maires de France ou de l’Association des maires ruraux de France, ont décidé d’ouvrir leur mairie, cette semaine, pour recueillir les doléances et renouer le dialogue républicain. Ces initiatives prouvent le rôle fondamental des élus locaux dans le fonctionnement de notre démocratie.
La commune reste en effet la collectivité la plus plébiscitée par les Français, 73 % d’entre eux, soit trois Français sur quatre, déclarant un attachement fort pour la commune. Qu’ils soient jeunes ou plus âgés, diplômés ou non, habitant à la campagne ou en ville, la grande majorité des Français soutient l’institution communale.
La commune est à la fois un lieu de mémoire et de production de l’identité, mais aussi un laboratoire de la vie démocratique et de l’entraide de proximité.
Cependant, les élus locaux, tout comme les citoyens, déplorent une perte de substance de l’institution communale affectée par la baisse des concours de l’État et par la perte d’une partie de ses compétences au bénéfice de l’intercommunalité.
Ce constat, corroboré par la hausse du nombre de démissions de maires depuis 2014, est celui du rapport d’information de notre collègue Mathieu Darnaud, effectué au nom de la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale, sur la nécessaire revitalisation de l’échelon communal.
Face à cette réalité, perçue lors des nombreux déplacements de la mission, la commune nouvelle constitue une réponse pour redynamiser cet échelon de proximité indispensable à la qualité du service public comme à la vitalité de la démocratie locale. Comme le dit justement le sénateur Darnaud, « elles sont une voie de modernisation de l’institution communale ». (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Cette voie, nombre de maires l’ont déjà empruntée. Comme l’écrivaient Françoise Gatel, auteur de la proposition de loi, dont je veux saluer ici l’engagement constant pour défendre la commune nouvelle, et Christian Manable dans leur rapport de 2015, nous vivons une « révolution silencieuse ».
Au 1er janvier 2018, 560 communes nouvelles, regroupant 1910 communes et 1,9 million d’habitants, ont vu le jour et plus de 200 projets de création sont en cours d’élaboration au 1er janvier 2019.
Cette dynamique, qui concerne aussi bien les territoires ruraux que les territoires urbains, n’est cependant pas uniforme. Si les projets sont nombreux dans le Grand Ouest –les départements de la Manche et de Maine-et-Loire sont les champions des communes nouvelles –, aucun projet n’a encore été mis en œuvre dans certains départements de l’arc méditerranéen.
La réussite des communes nouvelles repose essentiellement sur la place laissée à l’initiative locale, comme cela a été voulu par la loi Pélissard. La reconnaissance de l’identité des communes déléguées qui composent la commune nouvelle participe aussi à la réussite du projet.
Toutefois, l’expérience des premières communes nouvelles a révélé quelques imperfections, régulièrement pointées par les associations d’élus locaux qui accompagnent ces projets. Des verrous compliquent la vie des élus qui se sont engagés dans l’aventure de la commune nouvelle et découragent parfois certains autres qui seraient pourtant tentés par la démarche.
Avec pragmatisme, la proposition de loi de Françoise Gatel répond à une attente forte. Dans le prolongement du travail mené par la mission sur la revitalisation de l’échelon communal, nous avons souhaité, dans une démarche collaborative avec l’auteur de la proposition de loi et un dialogue constructif avec le ministre, enrichir le texte d’un certain nombre de dispositions.
Ainsi, la proposition de loi vise à perfectionner le régime des communes nouvelles afin d’introduire une transition plus graduelle vers le droit commun, à assouplir certaines règles de fonctionnement et à diversifier les modèles d’organisation des territoires.
Tout d’abord, il s’agit de donner du temps au temps pour permettre une intégration progressive de la commune nouvelle dans le droit commun. La « révolution silencieuse » doit se faire en douceur !
En effet, si la commune nouvelle, qui est une nouvelle commune, doit à terme être soumise aux mêmes règles que toutes les communes françaises, il est certain que l’application trop rapide de certaines dispositions contribue à rendre plus difficile l’adhésion de tous au projet de la commune nouvelle. Parfois même, elle peut provoquer un effet repoussoir et décourager les volontaires.
La proposition de loi adoucit la transition en limitant la réduction du nombre de conseillers municipaux lors du premier renouvellement. Pendant cette période, certains conseils de communes nouvelles comportent un nombre très important d’élus, jusqu’à 234 pour Livarot-Pays d’Auge, 226 pour Petit-Caux en Seine-Maritime ou encore 184 pour Mesnil-en-Ouche dans le département de l’Eure, cher à M. le ministre.
La règle actuelle de détermination du nombre de conseillers – il est égal à celui d’une commune de la strate supérieure lors du premier renouvellement – engendrera une perte de 40 % des effectifs en moyenne en 2020, pouvant même aller jusqu’à 85 % pour Petit-Caux, en Seine-Maritime.
Nombre de communes nouvelles auront alors du mal à maintenir la représentation de toutes les communes historiques, alors que le projet de fusion n’est pas encore stabilisé. De plus, la perspective d’une réduction drastique du nombre de conseillers risque de démotiver de nombreux élus.
En conséquence, et dans un souci de lisibilité de la règle, nous vous proposons de fixer le nombre minimum de conseillers lors du premier renouvellement au tiers de l’effectif du conseil municipal initial, pour permettre d’atteindre plus graduellement le droit commun lors du deuxième renouvellement. Ainsi, le conseil municipal de la commune de Baugé-en-Anjou passerait de 148 membres actuellement à 51 en phase 2, puis à 33 en 2026. (Mme Catherine Deroche approuve.)
De plus, nous vous proposons de neutraliser les effets de l’application de cette règle transitoire sur le nombre de délégués sénatoriaux. Tel est l’objet de l’article 1er.
Par ailleurs, la création d’une commune nouvelle demande beaucoup d’énergie et de temps pour mettre en œuvre les modalités de fonctionnement. À cela s’ajoutent, dès lors que la commune franchit certains seuils liés notamment à sa taille, des obligations supplémentaires. Ces nouvelles contraintes sont souvent difficiles à respecter au moment où se crée la commune, faute de temps et de ressources humaines ou financières. Ajouter de nouvelles obligations liées aux seuils risque de fragiliser la commune nouvelle, encore sur les fonts baptismaux. Nous proposons donc de prévoir un délai de trois ans pour permettre à la commune nouvelle de se mettre en conformité.
En outre, permettre aux maires des communes historiques devenus maires délégués de figurer juste après le maire de la commune nouvelle dans l’ordre du tableau est une revendication régulièrement émise par les élus. Limitée à la première période, cette dérogation permet d’assurer une transition mieux acceptée.