M. André Gattolin. À la différence du cinéma et du livre, qui ont pu, dès 1946, bénéficier de la création quasi concomitante du Centre national de la cinématographie et de la Caisse nationale des lettres, ancêtre du Centre national du livre, il manquait jusqu’à présent une grande institution nationale consacrée à la promotion de la musique et de la chanson sous toutes leurs formes.
Je parlais à l’instant des soixante ans du ministère de la culture. L’impulsion donnée par André Malraux au développement des politiques publiques dans le domaine des arts et de la culture fut déterminante. Mais, il faut bien le constater, il aura fallu attendre plus de sept ans après la création du ministère pour que celui-ci se dote enfin d’une direction de la musique, confiée à l’excellent compositeur altoséquanais et boulonnais Marcel Landowski, et deux ans supplémentaires avant que ne soit annoncé en 1969 son fameux plan décennal pour la musique, visant à doter chacune des vingt-deux régions de l’époque de son conservatoire, son orchestre et son théâtre lyrique. Pour Marcel Landowski, il s’agissait, d’une part, de « former des musiciens de haut niveau » et, d’autre part, de « rendre l’enseignement musical accessible à tous ».
Cette volonté résonne encore aujourd’hui quand le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, veut développer l’apprentissage de la musique dans les établissements scolaires en faisant en sorte qu’il y ait des chorales dans toutes les écoles et tous les collèges et en encourageant les pratiques instrumentales.
Cette incitation est indispensable, mais si nous voulons que l’industrie musicale française puisse se développer et son poids économique, actuellement estimé à 8,7 milliards d’euros et à quelque 240 000 emplois, augmenter, il est nécessaire qu’elle parle d’une seule voix. Le Centre national de la musique sera cette voix, en regroupant en son sein le CNV, le FCM et l’IRMA. Le Bureau export, le fameux « Burex », et le Calif devraient d’ailleurs très prochainement le rejoindre.
Alors, oui, ce qui est fait là aurait dû l’être il y a déjà bien longtemps. C’est cette évidence, laquelle a pourtant eu bien du mal à s’imposer, qui fait sans doute que nous sommes aujourd’hui presque unanimes pour saluer la création du Centre national de la musique. Alors, ne boudons pas notre plaisir ! C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous annonce, sans fausse note, que le groupe La République En Marche votera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs orateurs l’ont dit, cela fait maintenant bien des années qu’une large partie des acteurs du secteur réclame la création d’une maison commune de la musique ou, à tout le moins, une clarification des dispositifs existants.
Notre groupe soutiendra, comme il l’a fait en première lecture, cette proposition de loi de création du Centre national de la musique.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. C’est beau !
Mme Céline Brulin. Je suis surprise de votre étonnement, madame la présidente de la commission. Nous soutenons toujours les initiatives qui vont dans le bon sens.
M. André Gattolin. Bravo !
Mme Céline Brulin. Mais, à mon tour, je souhaiterais faire part de plusieurs inquiétudes ou réserves.
La première concerne la place du ministère de la culture dans le processus. Celui-ci se met lui-même en retrait de son cœur de mission. S’engager économiquement pour promouvoir le secteur et sécuriser ses professionnels est évidemment une bonne chose, mais, si vous m’y autorisez, monsieur le ministre, signer le chèque ne suffit pas à parler d’engagement ferme dans le secteur de la création.
Pour ne prendre qu’un exemple, l’abandon de la mission d’agrément, ouvrant droit à des crédits d’impôt, est préjudiciable et prête le flanc aux mêmes débats sur l’objectivité des aides attribuées que ceux qui touchent aujourd’hui le Centre national du cinéma.
En outre, ce désengagement risque d’entraîner une perte du contrôle parlementaire sur les stratégies déployées par le Centre national de la musique.
La deuxième réserve tient justement au fonctionnement du CNM, réserve par ailleurs renforcée par les craintes d’une partie des organisations professionnelles d’être exclues ou sous-représentées dans sa gouvernance.
Cette question de la représentation a été l’objet de débats en première lecture, mais il me semble que nous n’avons pas encore trouvé de solution parfaitement satisfaisante. La même question se pose d’ailleurs pour les collectivités – je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous y serez attentif –,…
Mme Céline Brulin. … dont il est assuré qu’elles auront une place dans le conseil d’administration et dans le conseil professionnel, sans en préciser pour autant l’importance. C’est là un enjeu central sur lequel – soyez-en certain – nous resterons vigilants.
Les premiers échos que nous avons concernant la stratégie voulue par le comité opérationnel de lancement du CNM interrogent aussi.
L’objectif à court terme et la réponse absolue à la crise de la musique seraient le développement du streaming pour l’écoute et les concerts. Il s’agirait donc de reproduire la stratégie du choc qui avait présidé au règlement de la crise de la fin des années soixante-dix, résolue par la généralisation du CD. Il me semble cependant qu’il faut réinterroger ce modèle, qui conduit concrètement à la concentration des moyens de la musique entre les mains de quelques artistes stars en asséchant progressivement le nombre d’artistes et de ventes.
Le choix du streaming rend en effet difficile l’émergence de nouveaux artistes. Il crée en outre une dépendance vis-à-vis de plateformes qui restent financièrement instables et qui généralisent un modèle de rémunération extrêmement faible des artistes, en éliminant par là même une grande partie d’entre eux dont la musique ne serait pas jugée « rentable ».
Le streaming exclut également de fait une partie importante des artistes qui ne produisent pas de musique directement commercialisable, comme c’est le cas des œuvres accompagnant les supports cinématographiques, et affaiblit plus généralement les artistes éloignés du monde des musiques actuelles.
Notre troisième réserve concerne évidemment – vous n’en serez pas surpris, et d’autres intervenants l’ont déjà évoqué – le financement.
Il y a quelques mois, on nous laissait entendre que ce financement serait de l’ordre de 78 millions d’euros, répartis entre des crédits d’impôt, des taxes, des dotations et des subventions. Vous venez d’évoquer le chiffre de 50 millions d’euros, monsieur le ministre. En termes d’apport de l’État, le montant de 20 millions d’euros avancé par notre commission ne sera pas au rendez-vous, puisque le projet de loi de finances prévoit des chiffres très différents qui nous inquiètent.
On doit en effet s’attendre à ce que le CNM ne soit pas pleinement opérationnel dès sa création si, comme nous le croyons, il bénéficie d’un apport de moins de 8 millions d’euros, ce qui est beaucoup trop faible pour permettre un démarrage correct. Pourtant, le recrutement d’agents pour arriver à 111 personnes, contre 35 au CNV, augurait d’une ambition bienvenue.
J’espère que nos craintes seront apaisées et, surtout, que les professionnels du secteur et les élus locaux seront rassurés.
Comme je le disais en préambule, au regard de l’urgence, nous voterons cette proposition de loi. Mais il faudra évidemment par la suite améliorer considérablement le fonctionnement du CNM. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Maryvonne Blondin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’ici à quelques mois, le Centre national de la musique verra le jour, fédérant l’ensemble des acteurs de la filière musicale française. Je me réjouis de l’écoute du Gouvernement, en particulier du ministre de la culture et de son implication dans ce dossier.
La commission mixte paritaire s’est mise d’accord sur un texte volontairement général. La gouvernance de l’établissement sera précisée par décret, et son financement de 50 millions d’euros sera prévu par le prochain projet de loi de finances.
Il s’agit d’accompagner à la fois le développement des forces institutionnelles, des lieux de musique et le rayonnement des artistes, qui interprètent et enrichissent un vaste répertoire, classique ou moderne. Il s’agit aussi de promouvoir toutes les formes de musique, dont la chanson française, qui n’est pas assez mise en valeur. Elles constituent un patrimoine musical dont nous pouvons être fiers !
Cette première sphère d’artistes et de créateurs est accompagnée de maisons de disque, de journalistes, de professeurs, d’ingénieurs du son, de luthiers, de facteurs de pianos et d’orgues, sans lesquels aucun disque, aucune représentation, ne pourrait voir le jour.
La diversité et la complémentarité entre les structures permettront à chaque musicien de trouver les ressources dont il a besoin pour développer sa carrière.
Il s’agit, aussi, de réduire les fractures géographiques, sociales, culturelles au travers de la diffusion de la musique, sous toutes ses formes, sur l’ensemble du territoire.
L’accès à la pratique musicale dès le plus jeune âge est toujours une réussite. C’est ce que j’ai fait dans ma ville, monsieur le ministre !
M. Alain Fouché. Je vous le dis, car c’est important.
Le « plan de dix ans » élaboré par André Malraux a permis la création d’un réseau d’institutions décentralisées poursuivant cet objectif de rendre la musique accessible à tous. Jack Lang a poursuivi cette politique de démocratisation. Aujourd’hui, pas une région n’est sans orchestre, sans festival, sans salle de concert.
La vitalité de la scène musicale exerce une force d’attraction sur les plus grands artistes étrangers. Les services culturels des ambassades sont une vitrine de la création musicale française. Je prendrai l’exemple de l’année culturelle France-Égypte, lancée à l’opéra du Caire en début d’année. Autre exemple : La Folle journée de Nantes, qui accueille plus de 130 000 visiteurs chaque année, s’est exportée en Espagne, au Japon, en Russie. La politique des quotas de diffusion, renforcée en juillet 2016, est une réussite.
Un renouveau de la politique musicale s’est manifesté avec l’ouverture de la philharmonie de Paris en 2015 et la signature d’un protocole d’accord pour un développement équitable de la musique en ligne.
La filière reste fragile, malgré une récente reprise de la croissance du secteur de la production musicale. Le streaming représente désormais plus de 50 % des ventes globales…
L’accompagnement de la numérisation de la filière est un enjeu majeur pour assurer la compétitivité de l’économie de la musique à l’échelle mondiale. C’est une mission essentielle du futur Centre national de la musique.
Cette excellente proposition de loi est un premier jalon des discussions parlementaires et des décisions gouvernementales qui vont se poursuivre avec deux temps forts.
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020, notre groupe soutiendra le financement du Centre national de la musique tel qu’annoncé par le ministre de la culture, ainsi que la préservation du crédit d’impôt en faveur de la production phonographique.
Enfin, le projet de loi sur l’audiovisuel est très attendu par les acteurs de la filière, avec notamment le renforcement de la lutte contre le piratage.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ouverture de la culture au plus grand nombre reste au cœur des préoccupations qui animent la rue de Valois et le Sénat. Par conséquent, le groupe Les Indépendants soutient ce projet.
Charles Trenet, qui a été évoqué précédemment, était un grand artiste. Je me remémore une de ses chansons (M. Alain Fouché se met à chanter.) :
Je chante, je chante soir et matin
Je chante sur mon chemin…
M. Joël Guerriau. Bravo ! Quelle voix !
M. Alain Fouché. Je m’arrête là, car le cachet n’est pas suffisant. (Sourires et applaudissements.)
6
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée nationale d’Arménie, conduite par M. Vladimir Vardanyan, président du groupe d’amitié Arménie-France, président de la commission des lois. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.) Elle est accompagnée par notre collègue Gilbert-Luc Devinaz, président du groupe d’amitié France-Arménie.
Cette visite s’inscrit dans le cadre des échanges interparlementaires approfondis entre nos deux assemblées. Elle intervient alors que l’Arménie est engagée dans un vaste champ de réformes, notamment dans le domaine de la justice.
Outre des entretiens organisés au Sénat, la délégation se déplacera pour rencontrer des élus locaux et divers spécialistes de l’aménagement local.
Nous souhaitons à nos amis arméniens un séjour et des échanges fructueux, en formulant le vœu que cette visite réponde utilement à leurs préoccupations. Nous leur souhaitons la bienvenue au Sénat français ! (Applaudissements.)
7
Création du Centre national de la musique
Suite de la discussion et adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sonia de la Provôté.
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme de l’examen de cette proposition de loi dont l’adoption permettra la naissance, le 1er janvier prochain, du Centre national de la musique. Les deux assemblées sont logiquement parvenues à s’accorder sur ce texte, qui est resté un projet pendant plus de huit ans. La musique va enfin avoir sa maison commune !
Dans l’idéal, le CNM a vocation à fédérer les structures de la filière afin de soutenir les professionnels du secteur musical sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Il doit répondre aux attentes de la filière et être un outil efficace, une instance de dialogue et de cohésion entre les acteurs du secteur de la musique et des variétés dans un contexte de révolution numérique. Il aidera aussi à porter notre musique dans le monde demain, mieux qu’aujourd’hui en tout cas. Il sera aussi un lieu d’observation privilégié qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut. Bref, il devra apporter de l’harmonie à ce qui représente actuellement la première pratique culturelle des Français et la deuxième industrie culturelle de notre pays.
En effet, le monde de la musique avait face à lui de nombreux organismes – cinq principalement. Leur séparation nuisait à la lisibilité de nos politiques publiques, était source de complexité pour les professionnels et limitait les interactions créatrices entre des secteurs jusqu’à présent artificiellement séparés. Cependant, la fusion en une seule et unique instance ne doit pas être synonyme de concentration – nous l’avons dit en première lecture –, alors que les inégalités culturelles sont nombreuses, trop nombreuses, en France.
C’est ainsi que, toujours dans un cadre idéal, l’accompagnement des initiatives locales et des collectivités territoriales devra être renforcé par l’intermédiaire du CNM, afin de garantir les droits culturels. Le Sénat a d’ailleurs substantiellement enrichi la proposition de loi de l’Assemblée nationale, en particulier avec l’inscription de l’égale dignité des répertoires et des droits culturels comme principes de fonctionnement du CNM.
Ainsi, le ton est donné : le Centre aura pour mission d’assurer le respect des droits culturels, la liberté et la diversité de l’expression musicale ainsi que de ses acteurs, professionnels comme amateurs et leur intégrale accessibilité. En tant qu’établissement public, le futur CNM sera, et devra toujours être, au service de l’intérêt général.
Il faudra au moins maintenir la vie, et la développer au mieux, des labels indépendants qui font la vie de nos territoires, mais aussi l’effervescence liée aux festivals qui ne présentent pas seulement des blockbusters. Tous les territoires et tous les genres musicaux doivent avoir leur place au sein du Centre national de la musique, et c’est ce à quoi nous avons veillé avec notre formidable rapporteur Jean-Raymond Hugonet et la non moins formidable présidente de la commission Catherine Morin-Desailly, que je remercie chaleureusement, tout au long du parcours législatif de ce texte.
Diversité sur le territoire, diversité des acteurs et diversité culturelle : c’est uniquement avec cette volonté que le CNM pourra devenir une véritable « maison commune de la musique » bien orchestrée.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Tout à fait !
Mme Sonia de la Provôté. Je souhaite cependant, de nouveau, appeler votre attention sur la problématique du financement de ce nouveau centre national.
Les documents budgétaires rendus publics par le ministère prévoient que 7,5 millions d’euros seront mobilisés l’an prochain sur le programme 334, sommes qui viendront s’ajouter aux moyens publics déjà consacrés au secteur. Un bémol cependant : nous voyons bien que nous sommes encore loin de la somme de 20 millions d’euros supplémentaires nécessaires au nouveau centre pour la bonne conduite de ses missions, telle que préconisée par le rapport Bois-Cariou et sur laquelle s’accordent l’ensemble des acteurs. Nous touchons là la corde sensible du projet. Nous serons donc très vigilants sur ce point lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020.
Les modalités de l’administration des crédits d’impôt en faveur de la production phonographique et du spectacle vivant ne me paraissent pas non plus tout à fait résolues, tout comme le devenir du Fonpeps, le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle. Ces deux sujets sont loin d’être superfétatoires et sont source de beaucoup d’inquiétude et d’insécurité.
Au-delà, la dotation du CNM met en exergue les contradictions du financement de la musique en France, dans lequel les grandes plateformes, qui sont quasiment des monopoles, sont celles qui recueillent le plus fort taux d’écoute sans pour autant être taxées pour financer la création musicale. Le CNM devra les mettre à contribution.
Enfin, je veux saluer le travail effectué par notre chambre pour renforcer la mission transversale de développement territorial du CNM, en lui octroyant la capacité de conclure des contrats et de nouer des partenariats avec les collectivités territoriales et les acteurs de la filière musicale. Renforcer les actions de développement dans les territoires marque une véritable avancée.
Dans la même mesure, conformément au vœu du Sénat, nous souhaitons élargir la composition du conseil professionnel aux collectivités territoriales. Cet élément est essentiel : le CNM a besoin de ces dernières pour déployer toutes ses compétences, et ce dans tous les territoires.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Très bien !
Mme Sonia de la Provôté. Pour bien connaître sa partition, le nouveau centre devra agir de concert avec ceux-ci.
M. Ladislas Poniatowski. Excellent !
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le ministre, je vous laisse dire à votre collègue de la culture, qui, je le sais, y est particulièrement attentif, que la création du Centre national de la musique est une avancée importante pour la vitalité culturelle, et pas uniquement musicale, de notre pays. Nous lui sommes reconnaissants d’avoir ainsi porté, avec tant d’autres, ce projet, de l’avoir mené à la baguette, d’abord comme député puis aujourd’hui comme ministre.
Il reste cependant encore du chemin à parcourir pour que cette structure soit pleinement efficiente. C’est pourquoi nous n’irons pas plus vite que la musique : la mise en place effective du CNM dans les mois qui viendront fera l’objet de toute notre vigilance. Nous avancerons pas à pas avec les musiciens et les acteurs qui composeront le CNM. Nous suivrons attentivement sa mise en œuvre.
Le groupe Union Centriste soutiendra donc les conclusions de la commission mixte paritaire pour la création du Centre national de la musique. Vive la musique et vive sa maison commune ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « enfin ! », serais-je tentée de dire… Après une décennie à esquisser les ébauches d’une maison commune de la musique, ses fondations sortent finalement de terre. Il reste des questionnements substantiels à régler, en particulier son financement et sa gouvernance, mais nous aurons l’occasion d’en débattre prochainement.
En attendant, réjouissons-nous que tous les acteurs de la filière, dans leur entière diversité, puissent échanger, partager leurs analyses et réfléchir collectivement aux mutations constantes qui traversent le secteur au sein d’un même forum. Au regard des changements qui bouleversent le monde de la musique, établir un espace de dialogue commun était devenu impérieux.
Dès lors, le Sénat a pleinement œuvré à ce projet. D’ailleurs, presque la totalité des apports validés en première lecture ont été confirmés au cours de la commission mixte paritaire. Je voudrais remercier notre rapporteur, qui, dans un esprit constructif, a effectué un important travail et a permis de dégager une unanimité autour de cette proposition de loi.
Ainsi, le texte a été enrichi à de multiples endroits. Je ne ferai pas une liste à la Prévert, mais j’aimerais néanmoins insister sur plusieurs points.
En premier lieu, dans la continuité de la loi NOTRe et de la loi LCAP, la mention des droits culturels et le renvoi à la convention de l’ONU me paraissent fondamentaux. Outre l’accent mis sur la promotion de la diversité culturelle, il s’agit aussi de reconnaître le rôle émancipateur de la musique par la pratique et la participation de toutes et tous à la sphère musicale.
En deuxième lieu, il était inconcevable que l’artiste soit complètement invisible dans cette proposition de loi. Au travers du « soutien à l’écriture, à la composition et à l’interprétation », qui figure désormais à l’alinéa 4 de l’article 1er, nous revenons aux sources de la création et marquons notre profond attachement aux auteurs, compositeurs et interprètes sans qui nulle création musicale ne serait possible.
Vous savez que, à titre personnel, j’aurais aimé aller plus loin, en proposant une expérimentation, via un fonds de soutien. J’espère que cela se fera plus tard.
Enfin, le numérique impactant massivement le secteur musical, la prise en compte des usages et de la valeur de la donnée est essentielle. À cet égard, la mission de l’observatoire de l’économie sera décisive, car elle favorisera l’innovation et l’adaptation permanente des acteurs aux mutations socio-économiques, mais aussi aux comportements des usagers.
Maintenant que le CNM devient réalité, plusieurs paramètres me semblent cardinaux afin de garantir sa réussite.
Tout d’abord, sa représentativité, à tous niveaux, doit être assurée. Je pense singulièrement au conseil professionnel, « instance réunissant des représentants des organisations directement concernées par l’action du Centre national de la musique », en vertu de l’article 2. Cette représentativité doit également intégrer des critères de nature et de taille des structures, incluant des entités publiques comme privées, certaines de taille modeste, d’autres constituant un réseau plus important. En somme, elle doit témoigner de la diversité du secteur. En parallèle, la représentativité fait écho à la pluralité des esthétiques, soulignée par la très belle expression d’« égale dignité des répertoires » qui composeront nécessairement le futur CNM.
Par ailleurs, comme je l’ai spécifié précédemment, je crois que les missions du CNM doivent dépasser les attributions originelles du CNV, sous peine de manquer le changement d’envergure que nous prônons collectivement. Par-delà la fonction de soutien financier au secteur musical, des préoccupations « d’intérêt général » devraient l’animer – d’ailleurs, cette conception se reflète dans ses missions.
Sans aucunement se substituer à l’action menée par le ministère de la culture, le CNM n’en demeure pas moins une enceinte où l’État sera majoritaire et garant de cette mission de service public. Par conséquent, nous attendons de l’État qu’il joue un rôle actif, qu’il soit force de propositions à destination de la filière, mais aussi très mobilisateur sur les dossiers épineux du moment et stratège sur les grands enjeux.
Finalement, le CNM sera ce que les acteurs du secteur décideront d’en faire. Ces derniers se l’approprieront, établiront leurs priorités, feront émerger des problématiques nouvelles et renforceront probablement son action sur certaines questions majeures. Je pense au soutien à la diversité musicale, à l’émergence de nouveaux artistes, au partage de la valeur, à la mise en œuvre du pass culture, à l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore à la formation professionnelle.
En outre, la place et le positionnement du CNM seront déterminés par les coopérations qu’il entendra mener avec ses différents partenaires. Je souhaite que celles-ci, ouvertes par l’alinéa 15 de l’article 1er, qui dispose qu’il « associe les collectivités territoriales et leurs groupements à l’exercice de ses missions », soient le plus larges possible. La possibilité de conclure des contrats et de nouer des partenariats avec les collectivités est un formidable levier pour conférer un ancrage territorial au CNM.
Au final, la concrétisation du CNM arrive à point nommé. Nombreux sont les chantiers qui l’attendent. J’en citerai quelques-uns, et d’abord le soutien public à la production et à la création musicales, à travers la pérennisation et la montée en charge des crédits d’impôt production phonographique et spectacle vivant. M. le ministre de la culture devra s’assurer que, contrairement à l’année dernière, il n’y ait pas de tentative de rabotage sur ces deux crédits d’impôt, dont l’impact social et économique est extrêmement positif, car ils participent de la vitalité et de la structuration de notre paysage musical.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Sylvie Robert. Une autre réflexion qui me tient à cœur porte sur le statut de l’artiste-auteur, en lien avec la mission confiée à Bruno Racine et en complément de celle-ci. Aujourd’hui, le paradoxe entre la reconnaissance témoignée par la société à l’égard de l’artiste-auteur et la paupérisation croissante de ce dernier est à la fois saisissant et insupportable. Si nous plaçons la culture au cœur de notre projet sociétal et éducatif, nous ne pouvons tolérer cet état de fait. Je pense que le CNM devra apporter sa contribution au sujet.
Pour finir, j’évoquerai un problème vital – M. le rapporteur l’a déjà abordé –, qui me tient à cœur : le phénomène de concentration dans le secteur musical. Si nous en percevons nettement les contours, si nous en pressentons l’emprise, nous avons encore besoin de l’objectiver. Nous avons besoin de comprendre ses origines et ses ramifications. Il convient d’imaginer les instruments d’une éventuelle régulation par la puissance publique, à laquelle pourraient prendre part les acteurs de la filière, afin d’éviter tout abus de position dominante et en vue de contrecarrer les effets pervers qui se font déjà sentir en termes de diversité musicale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au fond, ce qui est implicitement en jeu, c’est une forme d’identité culturelle revendiquée par la France dans le monde, une « marque de fabrique », dans la droite ligne de notre exception culturelle, si je puis m’exprimer ainsi. Je ne doute pas que le CNM sera de cette bataille, porteur, pour paraphraser le titre d’un célèbre roman de Romain Gary, de sa propre « promesse de l’aube ». (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)