compte rendu intégral
Présidence de M. Georges Patient
vice-président
Secrétaires :
M. Loïc Hervé,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 28 janvier 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, lors du scrutin n° 60 de la séance du 28 janvier 2021, MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bonnecarrère, Vincent Delahaye, Loïc Hervé, Jean Hingray, Pierre-Antoine Levi et Jean-Marie Mizzon ont voté contre, Mme Jocelyne Guidez ainsi que MM. Philippe Folliot et Jacques Le Nay se sont abstenus, alors que tous souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Bioéthique
Discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique (projet n° 686 rectifié [2019-2020], texte de la commission spéciale n° 281 rectifié, rapport n° 280).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens en préambule à vous communiquer le regret sincère du ministre des solidarités et de la santé. Retenu à l’Assemblée nationale, il ne peut assister à ce nouvel examen du projet de loi relatif à la bioéthique.
M. André Reichardt. Ce n’est pas le moment !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je sais que, comme chacun d’entre nous, il ne peut se résoudre à ce que les circonstances actuelles, que nous connaissons et qui nous mobilisent tous, empêchent ou retardent cet examen.
Il y a l’urgence du quotidien, évidemment liée à l’épidémie de coronavirus, mais il y a aussi des sujets qui doivent continuer à avancer, des questions fondamentales qu’il ne faut pas esquiver, des projets qui, parce qu’ils redéfinissent notre rapport, non seulement au possible, mais aussi au faisable, au souhaitable, nécessitent toute notre attention. Le projet de loi de bioéthique est de ceux-là.
Bien avant le choc auquel nous faisons face, le Parlement s’était emparé des enjeux immenses qui jalonnent ce texte – un texte décidément bien à part. Je sais que, pour certains d’entre vous, comme pour d’autres qui, dans la société civile, suivent nos débats, la procédure parlementaire fait parfois paraître le temps long. Mais, s’agissant de ce projet de loi, c’est évidemment loin d’être du temps perdu ! Bien courageux celui qui dirait regretter les semaines, les mois consacrés à cet objet et à ces sujets hors normes.
Au-delà des clivages, des oppositions, bien sûr légitimes et utiles en démocratie, le projet de loi relatif à la bioéthique mobilise des convictions intimes sur des questions dépassant les appartenances militantes. Que cela soit d’ailleurs, pour moi, l’occasion de saluer la très grande qualité des échanges ayant eu lieu, jusqu’à présent, en commission et dans cet hémicycle. Nous avons tous constaté et partagé de l’intérêt, des interrogations sincères, des doutes légitimes… Au pays de Descartes, voilà bien des outils indispensables pour aboutir à un texte mesuré, capable de dessiner les équilibres dont notre société a besoin.
Comme secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, comme citoyen, peut-être aussi comme père de famille, j’accorde depuis sa genèse à ce texte une attention toute particulière, tant les enjeux autour de l’intérêt des enfants, de la reconnaissance de la diversité et de l’égalité des modèles familiaux y sont prégnants.
Certains des nombreux sujets que nous allons à nouveau évoquer ont récemment été abordés dans d’autres textes. Je citerai à cet égard le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que vous avez débattu et adopté à l’automne dernier, ou encore la proposition de loi portée par la députée Monique Limon et visant à réformer l’adoption, que vous aurez l’occasion d’examiner prochainement.
Ces initiatives, ces approfondissements montrent bien à quel point ce texte sur la bioéthique est attendu. Le travail que vous avez vous-mêmes fourni au travers de vos amendements, mesdames, messieurs les sénateurs, le rappelle également.
Les divergences de vues sont connues, mais elles n’empêcheront pas le débat d’avoir lieu. C’est ce que nous devons, bien évidemment, à nos concitoyens : leurs attentes – comment ne pas les mesurer ? – sont immenses et c’est notre responsabilité collective que de leur apporter des réponses fortes. À la fragilité des situations, nous devons répondre par la robustesse du droit. Aux difficultés de certaines expériences vécues, nous devons répondre par la compréhension, par la bienveillance, mais surtout par le cadre rassurant de la loi.
Obtenir l’unanimité sur un texte si fondamental est probablement un vœu pieux, et les divergences la règle. Il ne faut pas nous en inquiéter et croire que cela empêchera d’aboutir à un équilibre.
Bien au contraire, conservons l’état d’esprit qui nous a animés jusqu’à maintenant. Cet état d’esprit a conduit le Gouvernement à laisser systématiquement le temps, à chaque chambre, à chaque parlementaire, de débattre et modifier le texte. À chaque étape, il a pris en compte ces modifications : certaines posent des questions techniques, d’autres des questions plus politiques.
Dans le cadre de cette seconde lecture, le Gouvernement a souhaité déposer des amendements sur les éléments que nous considérons comme des marqueurs, des limites à ne pas franchir, à nos yeux, pour garantir l’équilibre de ce projet de loi. Nous aurons, avec le garde des sceaux, avec la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation l’occasion d’y revenir aussi longuement que nécessaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’équilibre, l’équilibre, et encore l’équilibre : c’est l’horizon que dessine ce texte ! Il n’y a pas, d’un côté, les partisans de principes intangibles et, de l’autre, les promoteurs d’avancées sociales incontrôlées. Chacun examine ce texte avec sa sensibilité, avec son histoire personnelle et, surtout, avec l’idée qu’il se fait de l’intérêt général. Il n’en faut pas plus pour que le projet de loi relatif à la bioéthique soit à la hauteur de ses promesses ; il n’en faut pas moins non plus !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous présenter, aux côtés de mes collègues Adrien Taquet et Frédérique Vidal, et pour une seconde lecture, ce projet de loi relatif à la bioéthique.
Le Sénat avait déjà eu l’occasion d’en discuter, voilà tout juste un an, en première lecture. Je sais que les échanges avaient été d’une grande qualité et qu’ils sont, à ce titre, une voie à suivre pour les prochains jours.
Je voudrais tout d’abord rappeler que le texte dont nous allons débattre n’a pas pour objet de réformer le droit de la filiation…
M. André Reichardt. Tout de même !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce sont les conséquences des choix faits en matière de bioéthique qui nous amènent à traiter de la filiation.
L’article 4, en particulier, tire précisément les conséquences, sur le plan de la filiation, de l’ouverture de nouveaux droits reconnus aux femmes, qu’elles vivent ou non en couple : celui de recourir à l’assistance médicale à la procréation (AMP) et d’être reconnues mères de l’enfant dès sa naissance.
C’est là un progrès considérable dans le long cheminement vers l’égalité des droits que de permettre à des familles d’être reconnues pleinement par la loi. Elles l’attendaient depuis longtemps.
D’ailleurs, ce même article 4 consacre, par un nouvel article 6-2 du code civil, l’égalité complète de tous les enfants, indépendamment, bien sûr, de leur mode de conception.
Je sais que certains d’entre vous sont plus réservés sur la question car ils craignent que cette loi ne vienne affaiblir un modèle plus traditionnel de la famille, auquel ils sont attachés et qu’ils pensent menacé. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je veux leur dire que je respecte leurs convictions, qu’elles soient morales, éthiques ou religieuses.
Mais je veux leur dire aussi, simplement, que la loi n’est pas à l’origine des évolutions de la société et de la famille.
Aussi, l’article 4 du projet de loi n’ouvre pas la porte à de nouvelles pratiques. Au contraire, il donne des droits et apporte de la sécurité juridique, tant aux mères qu’aux enfants, à des familles qui existent et grandissent déjà bel et bien.
En effet, il s’agit de protéger les mères, à commencer par celle qui n’a pas accouché de l’enfant, mais aussi celle qui a accouché de l’enfant et qui, demain, pourra compter sur sa compagne, en cas de séparation, pour assumer l’éducation et l’entretien de ce dernier ; il s’agit surtout de protéger l’enfant contre le risque qu’une séparation ne le prive définitivement de l’une des mères l’ayant élevé.
À cette fin, l’Assemblée nationale a voté un dispositif simple et efficace : au moment de consentir à la démarche de procréation médicalement assistée (PMA), les deux femmes feront devant notaire une reconnaissance conjointe qui consacrera leur projet parental commun.
Le lien de filiation restera établi du fait de l’accouchement, pour la mère qui porte l’enfant.
À l’égard de l’autre mère, il s’établira par la présentation à l’officier de l’état civil de la reconnaissance conjointe, lors de la déclaration de naissance de l’enfant. Ce dispositif est aussi proche que possible de celui qui s’applique aux couples formés d’un homme et d’une femme, sans être une discrimination : l’égalité des droits est assurée et les démarches à accomplir n’imposent pas plus de formalités que celles qui sont requises pour un couple formé d’un homme et d’une femme.
Je me réjouis donc que votre commission spéciale ait maintenu ce dispositif, et qu’elle n’ait pas retenu le mécanisme de l’adoption pour la seconde mère. Même si, à la lecture de certains amendements déposés et de l’avis de la commission, j’imagine que la discussion sur ce sujet n’est pas tout à fait close.
J’en viens maintenant à l’article 4 bis du projet de loi. Il existe, certes, un lien entre la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui (GPA), puisque l’une et l’autre supposent l’utilisation de techniques d’assistance médicale à la procréation. Néanmoins, comme vous le savez, la GPA est interdite en France depuis 1994.
On ne peut toutefois nier que, pour contourner cette interdiction, certains enfants sont conçus par GPA à l’étranger.
MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido. Eh oui !
M. Bruno Sido. Ils existent !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … n’ont enfreint aucune règle. Pourquoi n’auraient-ils pas, eux aussi, le droit de bénéficier d’un cadre juridique sécurisant ?
M. Bruno Sido. Ce n’est pas faux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La Cour européenne des droits de l’homme nous impose d’ailleurs de permettre l’établissement du lien de filiation entre l’enfant et ses parents d’intention, dès lors que ce lien s’est concrétisé.
Depuis un revirement de jurisprudence de décembre 2019, la Cour de cassation admet toutefois que les actes de naissance des enfants conçus par GPA à l’étranger soient transcrits sans aucun contrôle, ni de l’intérêt de l’enfant ni des conditions dans lesquelles la mère porteuse a renoncé à ses droits. Certains avancent que, dans certains pays, cela se passe très bien, mais que, dans d’autres, les conditions de la GPA sont nettement plus discutables.
Je refuse d’entrer dans ce débat : l’interdit de la GPA reste une ligne rouge pour le Gouvernement, qui souhaite revenir à l’état de la jurisprudence antérieur à ce revirement de 2019. Ni plus ni moins.
M. André Reichardt. Je suis d’accord !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Votre commission a adopté une rédaction visant cet objectif, qui impose de passer par l’adoption pour établir le lien de filiation à l’égard du parent d’intention. Toutefois, la formulation retenue ne permet pas d’établir le lien de filiation quand l’adoption est impossible. Cette rédaction risque de mettre la France en difficulté au regard de ses engagements internationaux.
C’est pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement afin de revenir à l’article 4 bis tel qu’il a été voté à l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Cette rédaction permet, elle aussi, un retour à l’ancienne jurisprudence, équilibrée, de la Cour de cassation, tout en étant conforme à la jurisprudence européenne. Elle présente en outre l’avantage d’avoir une portée plus large que la gestation pour autrui : elle permet de s’opposer aux transcriptions d’actes d’état civil qui seraient contraires aux règles françaises pour d’autres raisons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez compris, ce dont nous allons discuter est la traduction d’un travail commun de longue haleine, qui doit pouvoir illustrer notre capacité à avancer ensemble sur ces sujets complexes et, ainsi, à offrir à tous les enfants des droits identiques, en donnant également à leurs parents les mêmes droits, mais aussi – j’insiste sur ce point –, les mêmes devoirs. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous sommes à nouveau réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi relatif à la bioéthique.
Ce rendez-vous périodique du droit, de la science et de la société, si propre à la France, est à mes yeux l’un des temps forts de notre vie démocratique. Dans un moment où tout s’accélère – le rythme des découvertes, la diffusion des innovations technologiques, les mutations de notre société –, il nous permet de reprendre notre souffle et de regarder si ce que nous pouvons est en accord avec ce que nous voulons.
Lorsque nous avons présenté pour la première fois ce texte à la Haute Assemblée, voilà un peu plus d’un an, nous étions à l’aube d’une crise sanitaire majeure.
Par-delà les épreuves et les pertes qu’elle nous inflige, cette épidémie a beaucoup à nous apprendre, en particulier sur les relations entre la science, la société et le politique. Au cours des dix derniers mois, les avis des scientifiques, les attentes des citoyens et les choix des décideurs n’ont pas toujours coïncidé ; de multiples conflits éthiques ont surgi à leurs frontières, entre libertés individuelles et santé publique, entre protection des plus vulnérables et émancipation de la jeunesse, entre péril sanitaire et risque économique, entre maux du corps et maux de l’esprit. Autant de dilemmes complexes, qu’il a fallu trancher dans l’urgence, et qui ont révélé en creux la nécessité d’un dialogue plus continu, plus éclairé, plus ouvert entre décideurs, citoyens et chercheurs.
Nous avons aujourd’hui l’occasion, au travers de la révision de la loi de bioéthique, de tirer les premières leçons de cette crise, preuve, s’il en est, de la nécessité de pouvoir faire avancer ce débat dans les prochains jours au Sénat.
Ce texte, j’insiste également sur ce point, est résolument tourné vers nos chercheurs, dont je veux saluer ici l’extraordinaire mobilisation au cours des derniers mois. Le titre IV, en particulier, dont nous aurons l’occasion de débattre dans les prochains jours, porte des engagements forts envers la communauté scientifique.
En votant, au mois de novembre, la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, vous avez permis un réarmement financier sans précédent de notre recherche. Vous avez permis un renforcement des dispositions relatives à l’intégrité scientifique comme à la liberté académique dans les laboratoires et les universités.
Avec la loi de bioéthique, vous garantissez à nos chercheurs les meilleures conditions d’exercice de cette recherche. Une recherche libre, responsable et innovante, mais définie et encadrée par une loi exigeante. Une recherche libre de défricher des terrains vierges, de produire des connaissances et des solutions nouvelles. Une recherche dotée du cadre juridique lui permettant de repousser une fois encore la frontière des connaissances, au service du plus grand nombre. Une recherche responsable devant les citoyens des démarches qu’elle aura conduites, des routes qu’elle aura empruntées, dans le respect du cadre que la Nation lui aura fixé.
Nous savons combien ce chemin est étroit, combien la limite est ténue entre le risque de sacrifier nos valeurs les plus fondamentales à une quête effrénée de connaissances et celui de priver des malades de thérapies innovantes au profit de craintes infondées, de préjugés tenaces ou de connaissances périmées. Il s’agit non pas de signer un chèque en blanc, comme un saut dans l’inconnu, mais, en responsabilité, de faire confiance à nos chercheurs, à leur intégrité, à leur souci de l’intérêt général, et ce dans le cadre d’obligations et d’interdits clairement explicités.
C’est bien à cet équilibre délicat que nous sommes parvenus au sein de ce texte, à force de dialogue, d’écoute et de concertation avec nos chercheurs. Il est proposé de modifier la cartographie de quatre domaines de recherche majeurs, pour ajuster leurs frontières à l’état des connaissances, à l’avancée des techniques et à l’évolution de notre échelle de valeurs.
Commençons par celui de la recherche sur l’embryon.
Les lignes rouges qui fondent notre cadre national en la matière sont réaffirmées : la création d’embryons à des fins de recherche reste interdite, ce qui signifie que seuls les embryons issus de démarches d’AMP et ne faisant plus l’objet d’un projet parental peuvent être utilisés dans le cadre de travaux scientifiques.
Le clonage et la modification génétique d’embryons voués à être réimplantés demeurent prohibés, ce qui coupe court à toute tentative de thérapie génique de l’embryon et à toute transmission à la descendance d’un patrimoine génétiquement modifié.
Par ailleurs, au regard de l’avancée des techniques, il est devenu nécessaire de poser de nouvelles limites : le texte propose ainsi de fixer la durée d’observation des embryons faisant l’objet de recherche à quatorze jours, soit avant le début de l’organogénèse.
La recherche sur l’embryon est porteuse d’immenses espoirs : en nous donnant accès à la compréhension des mécanismes de développement et de différenciation cellulaire, elle ouvre la voie au traitement de pathologies responsables de grandes souffrances, physiques et psychiques, comme l’infertilité ou le cancer.
Pour aller plus loin dans l’analyse de ces processus, nos chercheurs ont besoin de mieux appréhender le rôle des gènes. C’est la raison pour laquelle le texte ménage de nouvelles ouvertures à ces travaux. Il est notamment proposé d’autoriser l’utilisation, sur ces embryons surnuméraires, des technologies d’édition du génome récemment mises en lumière par le prix Nobel décerné à Emmanuelle Charpentier.
J’espère vous convaincre durant nos échanges que les promesses en germe dans ces recherches ne peuvent être sacrifiées pour protéger l’intégrité d’embryons qui, je le rappelle, sont destinés à être détruits. Trop de cancers pédiatriques résistent aujourd’hui à toute tentative de traitement, faute d’une compréhension fine des dysfonctionnements de la différenciation cellulaire. Trop d’avancées scientifiques majeures pour les prochaines décennies, notamment dans le domaine de la santé, peuvent nous être rendues impossibles en France sans une adaptation de notre droit de la bioéthique.
Tout aussi prometteuse est la recherche sur les cellules souches pluripotentes.
Chacun se représente la révolution scientifique qui a conduit à la découverte de ces cellules voilà une dizaine d’années. Dans l’esprit d’équilibre qui le caractérise, le texte tend, là aussi, à créer de nouvelles ouvertures et poser de nouvelles limites.
D’une part, il est envisagé de distinguer le régime de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines du régime de la recherche sur l’embryon, dans la mesure où les travaux conduits aujourd’hui dans les laboratoires français reposent majoritairement sur des lignées dérivées voilà plus de vingt ans et ne nécessitent donc pas d’intervention sur un embryon.
D’autre part, le texte prend acte de l’innovation que représente la création des cellules souches pluripotentes induites, cellules différenciées ramenées à un stade de pluripotence. Sans pouvoir prétendre remplacer les cellules souches, elles ont la capacité de se transformer en une grande diversité de cellules du corps humain, notamment en gamètes, ce qui nous amène à vous proposer d’encadrer davantage les travaux dont elles font l’objet.
Le troisième terrain d’expérimentation dont s’empare le texte est celui des chimères.
Nous ne pouvons ignorer combien le débat sur ce sujet est captif de représentations et de mythes, traversant toute notre culture et hantant nos imaginaires. Si ces mythes ont toute leur place dans la littérature et les beaux-arts, nous ne pouvons en revanche pas les laisser s’inviter dans une discussion sur la bioéthique.
Permettez-moi donc d’en revenir aux faits, rien qu’aux faits.
Dans le champ de la recherche, le mot « chimère » recouvre des réalités très différentes, qui ne soulèvent pas les mêmes questionnements éthiques. Le projet de loi propose donc de sortir de ce flou, en interdisant explicitement la création d’embryons chimériques résultant de l’adjonction de cellules animales dans l’embryon humain. Cette clarification permet de fermer sans ambiguïté une voie, tout en ménageant la possibilité d’une autre approche, consistant à ajouter, dans un embryon animal, des cellules souches humaines, embryonnaires ou induites.
Ces modèles animaux sont d’une grande pertinence pour améliorer le potentiel thérapeutique des cellules pluripotentes. Je regrette donc que la commission revienne sur cette ouverture si prometteuse pour les chercheurs et les patients, alors même, je le rappelle, que la création de ces chimères ne permet en aucun cas de franchir la barrière des espèces. Il s’agit, non pas de mélanger des matériels génétiques, mais bien d’injecter des cellules humaines dans un embryon animal. Il s’agit, non pas de créer des animaux dotés de facultés humaines ou des organes humains adaptés à la greffe, mais bien d’observer, in vivo, les mécanismes de différenciation cellulaire que l’on ne peut étudier dans l’embryon humain au-delà de quatorze jours, comme le prévoit ce projet de loi.
Ce qui sera en jeu dans les prochains jours au sein de cet hémicycle sera la recherche du meilleur équilibre possible entre le respect dû au caractère particulier de l’embryon humain et le besoin d’améliorer nos connaissances, au service des patients. Or les modèles animaux sont parfois les seuls à pouvoir apporter des réponses.
Pour terminer, je voudrais évoquer la contribution des citoyens à l’avancée des connaissances.
C’est un enjeu majeur, tant pour les sciences participatives que pour la médecine du futur. Je songe notamment à la réutilisation des échantillons issus du soin à des fins de recherche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à bien des égards la révision des lois de bioéthique est un travail d’équilibriste, qui balance entre les libertés individuelles et le bien commun, le court et le long termes, le respect d’un corps jamais réductible à une chose et l’exercice d’une volonté de connaître qui participe, elle aussi, de notre dignité. C’est un travail d’arpenteur, traçant les lignes de démarcation entre ouverture et dérive, audace et témérité, progrès et emballement.
Je ne doute pas que le même esprit, qui a déjà animé nos débats passés, animera nos échanges à venir. C’est à cette condition que nous pourrons inscrire dans notre droit un texte à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne dispose que de quelques minutes pour vous présenter l’état de ce projet de loi de bioéthique après la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, s’agissant, évidemment, des articles que j’ai rapportés, c’est-à-dire les articles relatifs à l’assistance médicale à la procréation et à ses conséquences.
Ces quelques minutes sont trop brèves, comme vous vous en doutez… J’aborderai donc ces sujets au fil du débat, de l’examen des articles et des amendements, en vous indiquant la position de la commission et, parfois aussi, ma propre position.
Je dois dire néanmoins que, pour ce qui concerne ces articles, la deuxième lecture à l’Assemblée nationale est assez décevante. Le travail que nous avons réalisé au Sénat n’a effectivement pas été repris, ou alors dans des proportions infimes.
Je ne prétends pas que le travail que nous effectuons au Sénat soit meilleur que le travail produit à l’Assemblée nationale.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il l’est !
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de comparaison possible !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mais une loi de bioéthique est une loi « de société », et je prétends que les opinions exprimées au Sénat ont autant de valeur que celles qui le sont à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. André Reichardt. C’est vrai !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les États généraux de la bioéthique, qui ont précédé l’établissement de ce projet de loi, ont démontré que les fractures étaient grandes dans la société et les opinions diverses sur tous ces sujets. L’avis du Comité consultatif national d’éthique, présidé par le professeur Delfraissy, indique aussi expressément que les positions divergeaient au sein même de cet organe et qu’il n’y avait pas unanimité sur ces sujets.
Aussi me semble-t-il important que l’intégralité de ces opinions soient reprises dans ce texte « de société », sauf à vouloir conserver les fractures au sein de la société.
Je suis navrée que nos collègues députés n’en aient pas tenu compte en seconde lecture. Je dois le dire, madame, messieurs les ministres, malgré les propos que vous avez tenus, ce fut bien souvent avec l’aval du Gouvernement.
Cela étant, mes chers collègues, nous devrons prendre des décisions, même si, malheureusement, elles ne sont guère prises en compte, sur de nombreux sujets délicats : l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules ; la filiation qui en découlera – ce n’est pas un mince sujet ; la levée de l’anonymat du donneur de gamètes pour les enfants issus du don. D’autres thèmes se sont invités dans le débat à l’occasion du dépôt des amendements, comme le transfert d’embryons post mortem, dont nous avions déjà longuement débattu.
Ces sujets, je crois que nous pouvons les résumer en une seule proposition : quelle idée de l’homme nous faisons-nous ?