compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour de demain, samedi 24 juillet, le soir, de la suite de l’examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions d’ores et déjà prévoir également d’ajouter la nuit du samedi 24 juillet pour poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Gestion de la crise sanitaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la crise sanitaire (projet n° 796, texte de la commission n° 799, rapport n° 798, avis n° 797).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’engager devant la Haute Assemblée l’examen d’un projet de loi crucial dans le combat que nous menons contre cette pandémie.
Je vous remercie très sincèrement de l’investissement dont vous faites preuve en voulant bien examiner dans des délais aussi contraints un texte d’une telle importance, de manière à nous aider à juguler la reprise épidémique.
La dernière fois que je me suis présenté devant vous, nous nous trouvions dans une tout autre situation sanitaire. Nous étions alors confrontés à un variant alpha, qui nous était venu de Grande-Bretagne, nous connaissions également le variant brésilien, un variant sud-africain et nous étions loin d’imaginer qu’un variant venu d’Inde, appelé delta, allait progressivement, mais très rapidement, se répandre sur toute la planète.
Vous le savez, il est apparu en Europe, en Grande-Bretagne, où il a entraîné une vague épidémique extrêmement intense et rapide, qui a surpris beaucoup d’observateurs. On en a rapidement trouvé quelques traces en France, en Allemagne, en Italie, au Portugal, qui avait été, selon les vagues, plus ou moins épargné et qui a subi une ascension virale assez forte, ou bien en Espagne, lorsque, à la faveur des beaux jours, la Catalogne s’est trouvée elle-même sujette à une reprise épidémique.
On l’a repéré également un peu plus au Nord, aux Pays-Bas, avec, là-bas aussi, une fulgurance dans les contaminations, telle que nous n’en avions jamais connue : une multiplication par huit en une semaine des taux d’incidence à l’échelle du pays.
On l’a identifié également aux États-Unis ainsi qu’en Australie, qui a été obligée de confiner quelques grandes villes.
Bref, ce variant delta présente des caractéristiques très particulières, vous le savez et nous le savons. Il est extrêmement contagieux, entre deux et trois fois plus que le virus initial ; des études publiées cette semaine attestent une charge virale mille fois plus élevée, ce qui est extrêmement important, dans la mesure où la charge virale est un des reflets de la contagiosité.
Ce variant delta nous pousse à nous retrouver, ce soir, parce que la reprise épidémique qu’il provoque est une réalité. Nous sommes dans une quatrième vague, avec plus de 20 000 cas diagnostiqués par jour, dernièrement, sur le territoire national, et des taux d’incidence tels que nous n’en avions jamais connus depuis le début de la pandémie dans certains départements, comme les Pyrénées-Orientales.
C’est une épidémie qui touche les jeunes, avec plusieurs caractéristiques : tout d’abord, ceux-ci ont retrouvé la vie – c’est heureux, c’était attendu ! –, ils fréquentent peut-être un peu plus les milieux festifs, ils ont beaucoup de relations sociales et ils ne sont pas suffisamment vaccinés. L’été dernier, nous avions constaté la même situation, mais dans des proportions bien moindres. Souvenez-vous, l’épidémie était repartie par la jeunesse et avait ensuite touché les catégories les plus âgées, entraînant une deuxième vague.
Ensuite, nous observons une augmentation des hospitalisations dans notre pays. Certes, nous partons d’un taux bas – tant mieux ! –, puisque l’on compte à peu près 900 patients en soins critiques et de réanimation dans nos hôpitaux. Toutefois, l’ascension est réelle, avec un taux qui a augmenté de 72 % sur une semaine. Même si nous partons de bas, cette dynamique hospitalière n’a rien à voir avec les vagues que nous avions connues auparavant.
Nous nous trouvons dans le contexte très particulier d’une épidémie estivale, une rareté dans l’histoire de la virologie, alors que les écoles sont fermées et que les Français sont nombreux à s’être retrouvés en famille. Or, une fois passé le premier brassage, ils sont normalement moins enclins à multiplier les contacts avec les gens.
Nos modélisateurs, les scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Institut Pasteur, travaillent dans ce contexte, en partant des données dont ils disposent, de la contagiosité du variant, de l’observation de ce qui se passe à l’étranger, à commencer par l’Inde où, souvenons-nous, la situation avait été terrible.
Ils tiennent compte de notre système « tester, alerter, protéger », qui a montré son opérationnalité dans les Landes, par exemple, grâce à l’effort considérable fourni par les équipes de traçage de l’assurance maladie et de l’agence régionale de santé (ARS). Cela a permis de freiner l’épidémie, sans empêcher toutefois qu’elle ne reparte très fort dans l’ensemble du territoire.
Ils considèrent également le taux de vaccination. Je ne veux pas dire de bêtise, mais nous ne sommes pas très loin des 40 millions de primo-injections, nous en sommes ce soir à 39 millions et demi environ – 860 000 injections ont été réalisées, pour moitié des primo-injections. Nous avions fixé un objectif à 40 millions de primo-vaccinés à la fin du mois d’août ; nous y serons dès la fin de cette semaine.
Néanmoins, cela laisse encore 12 millions de personnes vaccinables qui ne le sont pas. Surtout, parmi les populations fragiles, âgées et/ou atteintes de maladies chroniques qui les exposent au risque de développer une forme grave de la covid-19 – qu’il s’agisse d’une obésité sévère, du diabète ou d’un cancer –, il reste encore 5 millions de nos compatriotes qui n’ont pas été vaccinés, quelles qu’en soient les raisons : refus ou peur du vaccin, ou bien difficultés d’accès à la vaccination.
Les modélisations prédisent une vague forte. J’avais évoqué cette possibilité devant vous, il y a quelques semaines, et je n’avais pas tort en parlant d’au moins 15 000 à 20 000 cas d’ici à la fin du mois de juillet – nous y sommes ! –, avec la possibilité d’un impact hospitalier qui pourrait être très dur d’ici à la mi-août ou à la fin du mois d’août. Je dis bien « qui pourrait », parce que les modélisations sont toujours au conditionnel et qu’il existe des paramètres que nous ne maîtrisons pas encore complètement en ce qui concerne ce variant delta.
J’observe, comme vous peut-être, que l’on constate, en Angleterre ou en Espagne, depuis vingt-quatre ou quarante-huit heures, un frémissement à la baisse, mais avec des taux de contamination qui restent encore très élevés. Or l’expérience nous a appris que ce n’est pas parce que les chiffres fluctuent sur deux jours que l’épidémie touche à sa fin ; parfois, une fluctuation précède une hausse qui peut être importante. Nous devons donc anticiper la situation face à laquelle nous pourrions nous trouver dans quelques semaines.
Jusqu’ici, nous connaissions deux scénarios.
Le premier est le confinement : nous fermons l’accès à tous les espaces culturels, sportifs, économiques pour tous les Français. C’est la distanciation sociale poussée à son paroxysme, de sorte que les gens ne se contaminent plus. L’épidémie reflue et nous avons vaincu la vague.
La deuxième option, et certains pays ont fait ce choix, est de considérer que, au vu du taux de couverture vaccinale et dans la mesure où la vaccination a été proposée à un grand nombre de Français, aucune mesure de gestion ne saurait être prise : il ne faut surtout pas confiner, quelle que soit la situation, mais attendre de voir si la vaccination produit un effet sanitaire.
Il y a maintenant une troisième voie, que nous ne pouvions pas envisager lors des trois vagues précédentes, celle du passe sanitaire. Je comprends, je le dis tout de suite, que cette mesure puisse heurter certains de nos compatriotes, dans ses fondements pour ainsi dire philosophiques. Je ne les stigmatise pas, je ne les juge pas, je ne les critique pas ; les Français ont le droit de ne pas être d’accord avec une telle mesure.
Pourtant, il faut bien choisir entre ces trois scénarios.
Tout d’abord, que nous disent les scientifiques et qu’est-ce qui fonde la proposition que nous faisons ce soir ? Ils nous disent que si nous fermions l’accès de tous les établissements recevant du public à tous les Français, l’impact sur l’épidémie serait le même que si nous en fermions l’accès aux seules personnes non vaccinées.
En effet, les personnes vaccinées présentent un risque résiduel de contamination faible, un risque de développer une forme grave de la maladie extrêmement faible et ne font donc pas peser de menaces sur les hôpitaux et sur la courbe de mortalité de notre pays.
Telle est la logique. Je sais que je vous ai indiqué, il y a quelques mois, que je n’étais pas favorable à l’extension du passe sanitaire aux bars ou aux restaurants – nous étions d’ailleurs un certain nombre à le dire. Parmi vous, certains seront sans doute amenés à voter cette mesure sans que ce soit de gaîté de cœur. Je n’ai aucun problème à l’admettre, mais parmi ces trois scénarios, les deux premiers me paraissent plus inacceptables que le troisième.
Reconfiner tout le pays, avec toutes les conséquences que cela emporte en matière sociale, économique ou psychique, serait une catastrophe ; laisser filer l’épidémie sans se poser trop de questions et en croisant les doigts ne me semble pas être un choix conforme à la philosophie de notre pays et de notre protection sociale.
M. Pascal Savoldelli. Personne ne défend cela !
M. Olivier Véran, ministre. Je ne dis pas le contraire, je pose les scénarios existants sur la table. Il me semble que vous faites le même raisonnement que moi, même si nous n’aboutissons pas aux mêmes choix. Si vous pouvez proposer une quatrième voie, je serais enchanté de l’entendre. À mon sens, il y en a trois.
M. René-Paul Savary. La vaccination !
M. Olivier Véran, ministre. Dans la voie du passe sanitaire, les personnes vaccinées ne verront pas véritablement leur vie changer ; celles qui ne le sont pas doivent absolument se faire vacciner. Il s’agit que chacun se protège soi-même et protège celles et ceux qui l’entourent, pour freiner l’épidémie ; c’est une responsabilité collective. C’est aussi une manière d’éviter que la mise en place du passe sanitaire ne change la vie de chacun.
Nous n’avons pas attendu la loi pour appliquer ce dispositif partout où nous le pouvions. Un décret l’a étendu, à compter du 21 juillet dernier, à tous les événements relevant de la loi, dès lors que les organisateurs prévoient cinquante places, et que cinquante personnes sont donc susceptibles de se réunir.
Nous souhaitons désormais l’étendre à d’autres établissements, dont la liste correspond à l’ensemble des activités qui ont été fermées pendant les confinements précédents.
Cela inclut donc, vous avez eu ce débat en commission, les centres commerciaux. Les plus grands d’entre eux, ceux de plus de 20 000 mètres carrés, ont fermé pendant les vagues précédentes et nous ne souhaitons pas les fermer de nouveau. Or ce sont des lieux à risque de contamination, il faut donc en faire des sanctuaires protégés du virus. Pour cela, la clé est le passe sanitaire.
Il en va de même des grands transports. Vous le savez, nous avions interdit pendant les précédents confinements les transports interrégionaux sur de longues distances ; aujourd’hui, nous souhaitons conserver la capacité de mobilité de l’ensemble des Français sur tout le territoire national. Cela implique, là aussi, d’utiliser l’outil du passe sanitaire pour faire de ces transports des sanctuaires protégés du virus. Telle est la logique du dispositif.
Nous souhaitons pouvoir l’appliquer le plus tôt possible, de manière à limiter les risques d’explosion de la vague épidémique et à éviter les situations d’urgence qui pourraient nous contraindre à mettre en place des mesures de freinage pouvant aller jusqu’à des fermetures administratives. Vous avez sans doute constaté que, dans certains départements, notamment les Pyrénées-Orientales, ont déjà été décidées des fermetures d’établissements recevant du public, à partir de vingt-trois heures. Nous ne souhaitons pas diffuser ces mesures dans les autres départements touchés, mais en rester à la gestion par le passe sanitaire.
Celui-ci, en outre, a vocation à disparaître le plus tôt possible, et le plus tôt sera le mieux. Pour cela, il existe plusieurs scénarios.
Dans le premier, quand tout le monde sera vacciné, la vérification à l’entrée des établissements n’aura plus de sens. Dès lors que nous aurons atteint cette immunité collective, le passe sanitaire aura perdu son sens et disparaîtra.
La seconde possibilité, c’est que la vague que nous affrontons s’éteigne et que nous atteignions un niveau de contaminations tellement faible que nous puissions relâcher les contraintes et laisser les Français retrouver leur vie de tous les jours.
M. Loïc Hervé. En 2023 !
M. Olivier Véran, ministre. C’est ce que nous avons toujours fait, dès que nous le pouvions. Nous sommes d’ailleurs régulièrement taxés d’avoir pris trop tôt ou trop tard, voire les deux à la fois, la décision de relâcher de telles mesures.
Voilà pour ce qui concerne le passe sanitaire.
En parallèle, nous entendons booster la vaccination le plus possible ; le Président de la République et le Premier ministre ont été très clairs : nous mettons à la disposition d’un maximum de Français des doses de vaccins dans tous les centres ouverts.
Vous pouvez constater que, même si nous sommes à la fin du mois juillet, il y en a beaucoup. Je tire mon chapeau aux collectivités, aux médecins, aux pharmaciens, aux pompiers, à tous les agents qui, bien que nous soyons fin juillet, non seulement maintiennent leur capacité de vaccination, mais parviennent même à l’augmenter. Ainsi, cette semaine, nous allons battre le record du nombre de vaccinations réalisées dans notre pays. Ce nombre augmente également dans les pharmacies d’officine.
Plusieurs millions de Français pourront donc bénéficier d’une première injection. Vous connaissez l’objectif : atteindre 45 à 50 millions de primo-vaccinations dans les prochaines semaines, sur une cible totale de 52 millions de personnes. Si nous pouvions vacciner 48 ou 49 millions, voire 50 millions sur les 52 millions de personnes concernées, nous atteindrions de fait une immunité collective parmi la population vaccinable.
Les plus petits de nos concitoyens, ceux qui ont moins de douze ans, ne peuvent pas être vaccinés, faute d’autorisation de mise sur le marché des vaccins qui leur sont destinés, les études n’étant pas terminées sur ce point.
Il y a donc bien un double enjeu associant le passe sanitaire et la vaccination.
Ensuite, il y a un public, que nous avons applaudi à vingt heures, pour lequel nous avons le plus grand respect et auquel nous sommes redevables, qui se bat dans les hôpitaux et dont les membres sont nombreux à nous demander d’agir. Or ce public n’est pas suffisamment vacciné. Il s’agit, bien sûr, de l’ensemble des professionnels du soin, de la santé et de l’accompagnement dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et à domicile.
Cette population professionnelle très large connaît un taux de couverture vaccinale variable : chez les médecins et les pharmaciens, on atteint plus de 90 % de vaccinations complètes, chez les infirmiers, 70 % et bientôt 75 %, chez les aides-soignants, entre 60 % et 65 %. Ces chiffres sont sans doute un peu plus importants aujourd’hui ; nous les réactualiserons dans quelques jours. Chez les auxiliaires médicaux et parmi le personnel d’entretien des établissements, le taux de couverture est encore un peu plus faible.
Vous constatez donc, comme moi, que certaines catégories de professionnels en contact quotidien avec des personnes fragiles, malades ou très âgées sont moins vaccinées que la population générale. Même si l’on utilise le masque, même si l’on fait très attention parce que l’on ne veut contaminer personne, même si l’on se lave les mains très régulièrement ou que l’on utilise du gel hydroalcoolique, le risque de faire entrer le virus dans un établissement pour personnes âgées ou dans un hôpital est réel.
Or dans ces établissements, même si les personnes présentes sont vaccinées, leur immunité est par définition très fragile, parce qu’elles sont plus âgées, parce qu’elles souffrent de cancers ou d’infections et que la vaccination, même complète, n’a pas chez elles un effet aussi fort que chez vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous devons donc absolument renforcer la couverture vaccinale de ces catégories de personnel. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté, car on l’a fait pour la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite ou l’hépatite B. Un certain nombre de soignants dans cet hémicycle sont forcément vaccinés contre ces maladies ; à défaut, ils n’auraient pas pu porter la blouse ni être au contact de personnes malades.
Le dispositif existe donc dans le droit commun et nous souhaitons l’étendre à la covid-19, avec un objectif fixé au 15 septembre prochain. À cette date, personne ne sera renvoyé, mais des contrôles seront menés pour mobiliser chacun, individuellement. À partir de là, si l’on constate un véritable refus de vaccination de la part de certains soignants, des procédures disciplinaires pourront être engagées.
De telles mesures figurent déjà dans le droit commun pour la vaccination contre l’hépatite B, depuis le gouvernement d’Édith Cresson, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche ; c’est aussi le cas pour le vaccin DTP, mesdames, messieurs les sénateurs de droite, depuis un gouvernement de droite dont le nom du Premier ministre m’échappe, à cette heure tardive. Il ne s’agit donc en rien d’une mesure qui buterait sur un clivage politique, puisque chaque gouvernement, en responsabilité, en son temps, a été amené à prendre cette décision difficile, mais nécessaire.
J’ai réuni les sept ordres professionnels et les huit fédérations d’établissements de santé, qui se sont engagés par écrit, en considérant que la vaccination, lorsque l’on soigne et que l’on prend soin des personnes fragiles, relevait d’une obligation morale, éthique, professionnelle et déontologique, et que l’on pouvait, s’il le fallait, la rendre obligatoire.
Un autre élément fondamental de ce projet de loi est une mesure autour de laquelle nous avons tourné pendant dix-huit mois et qui est revenue plusieurs fois au cours des débats dans l’hémicycle ; vous connaissez ma position sur cette question et je connais celle des uns et des autres, ici. Il s’agit de l’isolement dit « contraint ».
À ce sujet aussi, la situation a évolué : durant la première et la deuxième vague, la peur était importante face à la découverte du virus et l’effet de sidération jouait. Les personnes malades restaient globalement chez elles.
C’est devenu ensuite un petit peu plus difficile. Nous avons mis à la disposition des personnes concernées des mesures d’accompagnement humain, en proposant systématiquement le passage d’un infirmier et en créant des cellules territoriales d’appui à l’isolement pour les assister dans leurs courses, pour garder leurs enfants et pour leur fournir toutes les aides du quotidien. Cet appui concerne également le domaine administratif, puisque certaines de ces cellules ont même été amenées à remplir les déclarations de revenus de personnes âgées qui ne pouvaient pas recevoir la visite de leur famille pour les aider, comme c’était habituellement le cas. Il existe également une possibilité d’hébergement alternatif pour les gens dont les conditions d’isolement ne sont pas réunies.
Hélas, nous constatons que l’acceptation de l’isolement et son respect par les personnes déclarées positives au coronavirus, notamment peu symptomatiques, donc souvent moins âgées et moins sujettes à des formes symptomatiques, a chuté.
Aujourd’hui, des études montrent que, dans certaines régions, le respect de l’isolement par les gens déclarés positifs, donc contagieux, est inférieur à 40 %. C’est un problème, parce que si vous sortez chez vous alors que vous êtes contagieux, l’épidémie ne va pas s’arrêter, c’est une certitude !
C’est pourquoi nous vous proposons une disposition qui va plus loin que ce que nous avons fait jusqu’à présent et qui se rapproche des décisions prises dans d’autres pays : une mesure d’isolement contraint, avec une automaticité de la contrainte.
J’ai pris connaissance des travaux que vous avez menés en commission. Vous appelez de vos vœux une évolution en deux temps : on prescrit un isolement et, en cas de problème, on prononce une contrainte, avec une possibilité d’intervention. Cela, nous pouvons le faire avec vingt, cinquante, voire cinq cents cas par jour dans le pays. Nous le faisons d’ailleurs pour les personnes qui reviennent de l’étranger, sur arrêté préfectoral individuel.
En revanche, lorsque l’on atteint 21 000, 22 000, demain peut-être 30 000 ou 40 000 contaminations par jour, c’est absolument impossible. D’une part, l’assurance maladie ne dispose pas des capacités de contrôle et de mobilisation d’agents pour se rendre chez les personnes concernées, d’autre part, on fait difficilement plus compliqué en matière de mesure technique, même si je comprends parfaitement l’esprit de cette proposition.
Je vous propose d’en revenir au texte de l’Assemblée nationale, lequel prévoit une automaticité de l’isolement contraint. Cette mesure n’a pas pour philosophie d’envoyer un agent de police chez quelqu’un qui a été diagnostiqué positif au coronavirus et à qui l’on demande de s’isoler. L’assurance maladie et l’ARS continueront de l’appeler comme elles le font, une fois, deux fois ; on lui enverra un médecin, au besoin une infirmière, qui pourra venir de la cellule territoriale d’appui, pour l’accompagner dans la procédure d’isolement.
En revanche, quand arrivera le moment où l’on se rendra compte que l’on ne parvient pas à joindre cette personne, qu’elle n’aura pas répondu au contact tracing et que l’on aura envoyé en vain quelqu’un frapper à sa porte, qui n’aura pas pu la forcer à ouvrir, on ne pourra pas garantir ni que cette personne va bien ni, surtout, qu’elle respecte les conditions d’isolement.
Alors, on pourra saisir les forces de sécurité intérieure qui, elles, sont habilitées à se rendre chez les gens, même si ceux-ci ne sont pas d’accord, pour vérifier qu’ils vont bien et, s’ils sont absents, s’interroger sur leur respect de l’isolement.
On rejoint ainsi un dispositif familier : quand vous êtes placé en arrêt maladie avec un certificat d’arrêt de travail, le médecin signe et coche des cases, parmi lesquelles « sortie libre » ou « sortie interdite ». Dans le premier cas, il impose des horaires de sortie qui peuvent donner lieu à des contrôles inopinés. Cela concerne tous les arrêts de travail, mesdames, messieurs les sénateurs : si vous n’êtes pas chez vous quand on vous contrôle, les indemnités journalières sautent.
M. Pascal Savoldelli. On est où, là ?
M. Stéphane Ravier. Cela concerne 30 000 personnes ?
M. Olivier Véran, ministre. C’est le dispositif qui existe aujourd’hui dans le droit commun ! Vous pouvez envisager de le remettre en question dans une future proposition de loi, mais aujourd’hui, c’est ainsi que fonctionnent les arrêts maladie et les arrêts de travail. Ces règles sont issues d’un gouvernement d’union de la gauche ; il ne me semble pas qu’elles soient antisociales.
Telles sont les trois dispositions essentielles de ce texte.
Une question a fait débat en commission : la durée de toutes ces mesures. Reconnaissez-le, nous en débattons systématiquement, nous proposons systématiquement une date, systématiquement, celle-ci est rabotée et systématiquement, nous nous retrouvons avant cette date pour faire passer un nouveau texte.
Je vous ferai donc la même réponse que celle que je vous fais chaque fois, et vous pouvez constater que je ne vous ai jamais menti, puisque me voilà encore devant vous ce soir.
D’une part, chaque fois qu’il sera nécessaire que nous échangions, je viendrai. J’étais au Sénat, madame la présidente de la commission des affaires sociales, il y a deux semaines, à la demande de la commission et je reviendrai autant de fois qu’il le faudra.
D’autre part, s’il n’est plus nécessaire d’utiliser un passe sanitaire parce que nous serons sortis de cette situation avant le 31 décembre prochain, il n’y aura aucune raison pour que nous le conservions. Je vous rappelle encore une fois que nous avons supprimé chaque mesure de contrainte dès que nous avons pu le faire, et l’on nous a reproché, en général, de l’avoir fait trop tôt.
Tout ce que je vous demande, c’est donc de ne pas nous mettre dans une situation qui nous contraindrait à préparer un nouveau projet de loi dans un mois, pour vous le présenter début septembre, en anticipation de la situation du mois d’octobre.
M. Loïc Hervé. On aime bien vous voir !
M. Olivier Véran, ministre. Moi aussi, j’aime bien vous voir, monsieur le sénateur. Je suis d’humeur enjouée parce que je suis devant vous ce soir, même si nous allons nous répartir les rôles avec Brigitte Bourguignon, ma ministre déléguée, pour plusieurs raisons : d’une part, c’est une semaine parlementaire très chargée, jour et nuit ; d’autre part, la campagne vaccinale doit être boostée et il faut aussi gérer la crise sanitaire. Cela va m’occuper un peu.
C’est notamment le cas s’agissant de la situation dans les territoires ultramarins. Les sénateurs d’outre-mer présents auront noté que nous avons déclenché l’état d’urgence sanitaire en Guadeloupe, compte tenu de la situation épidémique qui y règne, et que nous restons extrêmement attentifs à la situation en Martinique, où les taux d’incidence sont très élevés, le taux de vaccination extrêmement faible et la situation hospitalière très tendue, notamment dans cette période estivale. Tout cela nous mobilisera évidemment tout l’été.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les grandes lignes, l’état d’esprit qui est le nôtre, la raison pour laquelle nous vous présentons ce projet de loi et notre manière d’appréhender, plus ou moins positivement, mais toujours de manière constructive, les transformations profondes apportées en commission sénatoriale, dans l’attente de pouvoir en débattre avec vous.
J’oublie un dernier point : vous avez supprimé le recours au passe sanitaire dans les grands centres commerciaux, ceux qui font plus de 20 000 mètres carrés. Il n’y en a pas beaucoup. Nous portons évidemment une attention particulière aux zones de chalandise, en ne bloquant pas l’accès aux biens essentiels dans les territoires.
Je vous le dis encore une fois, ne l’entendez comme une menace, je ne me le permettrais pas : malgré notre capacité à anticiper, si l’épidémie flambe et que nous ne pouvons pas utiliser le passe sanitaire, vous devez vous attendre à ce que nous soyons contraints de fermer ces centres commerciaux.
Nous ne le souhaitons pas, mais moins nous disposons d’outils à mobiliser au cas où cela serait nécessaire, plus nous nous trouverons dans l’urgence, sans autre solution que de laisser filer l’épidémie ou de fermer certaines activités.
Je vous le dis encore : nous ne laisserons jamais filer l’épidémie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)