Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Comme j’aurai souvent à le faire pendant le débat, je souhaite recentrer la discussion sur l’enfant. Nous traitons de la protection de l’enfant ; nous devons donc parler de l’intérêt de l’enfant.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous parlez de l’intérêt du juge,…
Mme Michelle Meunier. … mais le juge pourra toujours agir.
Ces amendements ont l’avantage de bien replacer l’intérêt de l’enfant au centre des débats, en permettant qu’il soit entendu, quel que soit son âge.
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je n’ai pas mis en avant l’intérêt du juge, madame la sénatrice, bien au contraire. J’ai dit qu’il fallait laisser le juge déterminer si l’enfant est discernant ou non. Cela n’a aucun rapport, monsieur de Belenet, avec l’âge de l’enfant ou le fait qu’il ait ou non la parole.
Une définition très claire a été donnée de la notion de discernement : c’est la capacité, pour l’enfant, de comprendre la discussion le concernant et ce qui y est évoqué.
Un enfant peut donc, en fonction de ce qui est évoqué, être discernant ou ne pas l’être ; cela n’est pas attaché seulement à sa personne, cela dépend du contexte et du sujet évoqué.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Ces amendements visent surtout à inciter les juges à recueillir plus souvent la parole de l’enfant, ce qui ne fait pas toujours partie de leur culture.
J’ai évoqué il y a un instant le fait que le juge est fatigué, épuisé et débordé. Entendre des enfants nécessite de faire appel à d’autres professionnels, car la formation des magistrats à l’école de la magistrature n’inclut pas la lecture et la compréhension de tout Dolto. Un travail pluridisciplinaire doit être effectué en amont.
Je comprends ce que vous dites, monsieur le secrétaire d’État, mais, en dernière analyse, les juges ne feront que ce qu’ils voudront, quoi que nous inscrivions dans la loi.
Il s’agit donc ici de dire aux juges qu’il est plus bénéfique pour l’enfant de recueillir sa parole, d’y consacrer le temps nécessaire, plutôt que de s’en tenir aux propos rapportés par les professionnels.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 136, 182 rectifié bis, 224, 296 rectifié et 383.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 225, présenté par Mme Rossignol, M. Sueur, Mmes Meunier et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Le Houerou et Jasmin, M. Jomier, Mmes Poumirol, Harribey et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La mesure prise par le juge en cas d’urgence est caduque à l’expiration d’un délai de trois mois si elle n’est pas suivie de l’évaluation prévue par l’alinéa précédent. » ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement, inspiré d’une recommandation de la CNCDH, vise à prévoir une sanction de caducité si la mesure de placement, lorsqu’elle est prise en urgence et donc sans évaluation préalable, n’est pas suivie des investigations prévues par l’article dans un délai de trois mois.
Si la mesure a été prise dans l’urgence et si l’évaluation n’a pas été effectuée dans les trois mois suivants, il faudra revenir devant le juge. Cet amendement vise à faire en sorte qu’il ne soit pas possible, y compris en situation d’urgence, de s’exonérer d’une évaluation, faute de temps.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Bonne, rapporteur. Le code de procédure civile impose déjà des délais contraignants au juge en matière d’assistance éducative. Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, celui-ci les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d’un délai de quinze jours à compter de la décision.
La décision sur le fond doit intervenir dans un délai de six mois à compter de la décision ordonnant les mesures provisoires.
Puisque l’article 1er impose l’évaluation de l’option chez un tiers avant la décision du juge, sauf en cas d’urgence, cette nouvelle obligation s’inscrira dans les contraintes de délais déjà prévues. Poser une nouvelle contrainte de délai n’est donc pas nécessaire et risque de fragiliser juridiquement les décisions du juge des enfants.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je comprends très bien les motivations des auteurs de cet amendement, que vient d’exposer Mme la sénatrice. Cela étant, le code prévoit déjà un certain nombre de dispositions permettant d’atteindre l’objectif de l’amendement.
Par ailleurs, je l’ai dit, l’Assemblée nationale a renforcé l’accompagnement des décisions de placement chez un tiers de confiance, en prévoyant notamment la mise en œuvre d’une AEMO, par exemple. Cela permettra de garantir un suivi de la décision, même si l’évaluation n’a pas été effectuée, pour cause d’urgence.
L’avis est donc également défavorable.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 54 rectifié sexies est présenté par Mme Billon, M. de Belenet, Mmes Devésa et Dindar, MM. Capo-Canellas, Delcros, Lafon, Hingray, Levi, Détraigne et Le Nay, Mmes Saint-Pé et Vérien et MM. Louault, Longeot et Kern.
L’amendement n° 404 rectifié est présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac, Cabanel, Fialaire, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et M. Roux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées au 1° et au 2° sont informées de leur droit à solliciter auprès du juge qu’il désigne soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’il rencontre, dans les conditions prévues à l’article 375-4 du présent code. » ;
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 54 rectifié sexies.
Mme Annick Billon. Cet amendement vise à préciser que le tiers de confiance ou le membre de la famille est informé par le juge des enfants de la possibilité de solliciter auprès de lui un accompagnement renforcé, tel qu’une action éducative en milieu ouvert.
Un amendement adopté à l’Assemblée nationale permet de garantir cet accompagnement par un référent de l’ASE en l’absence de mesure d’AEMO.
Cependant, la désignation d’un référent de l’ASE n’est pas, en pratique, de nature à permettre un suivi rapproché du mineur confié, contrairement à une mesure d’AEMO.
Faire reposer la mise en place de cette AEMO sur la demande expresse du tiers digne de confiance ou du membre de la famille pourrait constituer un bon compromis et permettre d’augmenter la portée de l’accompagnement offert à ces derniers.
Mme le président. La parole est à M. Éric Gold, pour présenter l’amendement n° 404 rectifié.
M. Éric Gold. Lorsqu’un enfant est confié à un membre de la famille ou à un tiers digne de confiance, l’accueil n’est simple ni pour l’enfant ni pour la personne à qui il est confié. Il est donc primordial d’accompagner cette nouvelle famille.
C’est pourquoi l’Assemblée nationale a proposé que, en l’absence de mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, un référent du service de l’aide sociale à l’enfance accompagne la personne à qui l’enfant est confié. Pour autant, dans les faits, la désignation d’un référent de l’ASE n’est pas de nature à assurer un suivi rapproché du mineur confié, contrairement à une mesure d’AEMO.
Mme le président. L’amendement n° 324 rectifié bis, présenté par MM. Iacovelli, Lévrier, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le membre de la famille ou le tiers digne de confiance est informé de son droit à solliciter auprès du juge qu’il désigne soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’il rencontre, dans les conditions prévues à l’article 375-4 du présent code » ;
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Cet amendement vise à préciser que le tiers digne de confiance ou le membre de la famille est informé de son droit à solliciter auprès du juge un accompagnement renforcé, tel qu’une mesure d’AEMO.
Cette information nous semble essentielle afin que tous les outils existants soient sollicités, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que les personnes visées par l’article 1er puissent être informées de leur droit à désigner soit une personne qualifiée soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elles rencontrent.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Bonne, rapporteur. Il est en effet très important d’informer les familles, le tiers digne de confiance, voire le parent. Les amendements nos 54 rectifié sexies et 404 rectifié visent le tiers digne de confiance et l’autre parent, alors que l’amendement n° 324 rectifié bis ne vise que le tiers digne de confiance.
Ces amendements sont toutefois satisfaits par le droit en vigueur : l’article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles prévoit déjà que toute personne qui bénéficie d’une mesure de l’aide sociale à l’enfance est informée par les services du département de ses droits et obligations et qu’elle peut être accompagnée dans toutes ses démarches, ce qui comprend donc le droit à bénéficier des mesures visées par les amendements.
En outre, l’article 1er du texte prévoit que le tiers à qui l’enfant est confié est accompagné par un référent du service de l’ASE, en l’absence d’AEMO.
Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis serait défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Ces amendements sont en effet satisfaits. Nous avons, nous aussi, échangé avec l’Unicef à ce sujet : des dispositions du code prévoient déjà cette information.
Dans les faits, avant de prendre la décision de confier un enfant à un tiers digne de confiance, le juge des enfants tiendra une audience avec l’ensemble des parties, au cours de laquelle il les informera, conformément à ce qui est prévu dans le code, des différentes possibilités envisagées et des modalités d’accompagnement dont elles peuvent bénéficier.
Ces amendements étant satisfaits, j’en demande le retrait.
Mme le président. Madame Billon, l’amendement n° 54 rectifié sexies est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Non, je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 54 rectifié sexies est retiré.
Monsieur Gold, l’amendement n° 404 rectifié est-il maintenu ?
M. Éric Gold. Non, je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 404 rectifié est retiré.
Monsieur Iacovelli, l’amendement n° 324 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Xavier Iacovelli. Non, je le retire.
Mme le président. L’amendement n° 324 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 543-3 du code de la sécurité sociale, après la dernière occurrence du mot : « code », sont insérés les mots : « , sauf lorsque l’enfant réside au domicile de ses parents ou de l’un de ses parents, ».
Mme le président. L’amendement n° 432, présenté par M. Bonne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le premier alinéa de l’article L. 543-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, l’allocation mentionnée à l’article L. 543-1 du présent code ou l’allocation différentielle mentionnée à l’article L. 543-2 est versée à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant confié au service départemental d’aide sociale à l’enfance en application du 3° de l’article 375-3 du code civil lorsque l’enfant réside au domicile de cette personne. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Bonne, rapporteur. Le présent amendement vise à apporter une clarification rédactionnelle.
L’article 1er bis prévoit que lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, mais qu’il réside au domicile de ses parents, la famille continue de percevoir l’allocation de rentrée scolaire.
La commission a déjà apporté des précisions dans cet article inséré par l’Assemblée nationale afin de s’assurer de l’effectivité de la mesure. La rédaction que tend à proposer le présent amendement sécurise davantage le dispositif et permettra de bien viser les situations de placement avec résidence de l’enfant à domicile.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 16 rectifié bis, présenté par M. Reichardt, Mmes Sollogoub et Joseph, MM. Brisson, Frassa, Bonnus et Calvet, Mmes F. Gerbaud et Schalck, MM. Lefèvre, Kern, Charon, Longeot, Mizzon, Belin et Levi, Mme Drexler, MM. Cadec et Daubresse, Mme Eustache-Brinio, M. Rojouan et Mme de Cidrac, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.° L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou sur décision du juge, à la Caisse des dépôts et consignations qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant » ;
2° Après la deuxième phrase du quatrième alinéa, sont insérées trois phrases ainsi rédigées : « Une part de ces allocations, à l’appréciation du juge, peut être versée sur sa décision à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. À cette date, le pécule est attribué et versé à l’enfant. Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence et à titre exceptionnel. »
II.°Un décret fixe les conditions d’application du présent article.
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, la Caisse des dépôts et consignations a pour mission de recevoir les allocations de rentrée scolaire des enfants confiés aux services de l’ASE. Les sommes sont versées sur un compte de dépôt spécialisé et conservées jusqu’à la majorité ou l’émancipation des enfants.
Le présent amendement tend à prévoir la possibilité, pour le juge, de réserver à l’enfant placé, sur le modèle de ce qui se pratique pour les allocations de rentrée scolaire, tout ou partie des allocations familiales qui sont aujourd’hui versées à l’ASE, sauf décision exceptionnelle du juge.
Ce dispositif a vocation à augmenter les moyens de l’enfant en difficulté sociale, dans la perspective de sa majorité ou de son émancipation.
Rappelons en effet qu’une large part des jeunes sans domicile fixe sont d’anciens enfants confiés à l’ASE, qui ont, la plupart du temps, rompu avec leur famille au sens large. Ce dispositif vise ainsi à enrayer la précarité structurelle des anciens enfants confiés à l’ASE, sur le modèle de la réforme des allocations de rentrée scolaire engagée en 2016.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Bonne, rapporteur. Actuellement, les allocations familiales dues au titre des enfants accueillis par l’ASE sont reversées au département, dans la mesure où celui-ci assume la charge des enfants qu’il accueille. Le juge peut toutefois décider de les maintenir à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer.
Par ailleurs, depuis la loi de 2016, l’allocation de rentrée scolaire due pour ces enfants est consignée à la Caisse des dépôts et consignations et les sommes accumulées sont reversées à l’enfant lorsque celui-ci atteint sa majorité, afin de l’accompagner dans sa prise d’autonomie.
Lors de l’examen en mai 2020 de la proposition de loi visant à apporter un cadre stable d’épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français, de notre ancienne collègue Josiane Costes, la commission a considéré que le droit actuel assurait un équilibre satisfaisant entre versement des allocations au service de l’ASE, avec possibilité de maintien à la famille, et versement de l’allocation de rentrée scolaire à la Caisse des dépôts et consignations pour l’enfant.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. J’ai bien compris ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, mais je vous propose ici un dispositif différent : il s’agirait de verser les allocations familiales sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations, comme c’est d’ores et déjà possible pour l’allocation de rentrée scolaire, afin de venir en aide au jeune confié à l’ASE une fois qu’il sera devenu majeur ou qu’il aura été émancipé.
Il s’agit de réduire le risque pour le jeune concerné de se trouver dans une situation précaire. Je l’ai dit précédemment, une large part des jeunes en situation de précarité sont d’anciens enfants confiés à l’ASE.
Ce dispositif ne modifie absolument pas l’équilibre qui a été trouvé entre versement à l’ASE et versement à la famille participant à l’éducation des enfants. En l’espèce, il s’agit d’une possibilité nouvelle.
En outre, en versant les allocations à la Caisse des dépôts et consignations, on n’en prive pas le département. Si ce dernier en conserve le bénéfice, il le dépensera de toute façon lorsque le jeune concerné atteindra sa majorité ou lorsqu’il sera émancipé et qu’il se trouvera dans la situation que nous connaissons tous : le département devra alors l’aider à sortir de la précarité. Le dispositif que je propose vise précisément à prévenir cette précarité. Il n’est pas question de remettre en cause l’équilibre dont vous me parlez, monsieur le rapporteur.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je suis très touchée par cet amendement et je me réjouis que l’on puisse orienter une partie des sommes versées par les caisses d’allocations familiales afin que l’enfant puisse en disposer à sa majorité.
À leur majorité, nombre d’enfants qui sortent de l’ASE n’ont rien, vraiment rien. Aucun de nos enfants ne se retrouve, à 18, 19 ou 20 ans, seul, sans même de quoi se payer un logement ou un lit.
Je le répète, je me réjouis de cette proposition, dont nous avons longuement débattu lors de la discussion au Sénat de la loi de 2016. C’est une bonne idée et le Sénat est la meilleure assemblée pour la voter.
Aujourd’hui, le juge décide si la famille a besoin de toucher les allocations familiales afin de pouvoir accueillir de nouveau l’enfant. On ne peut pas priver certaines familles de ces revenus, qui leur servent à payer le loyer. Ces sommes sont indispensables pour permettre le retour au foyer de l’enfant. À défaut, les allocations sont versées au département. Le pécule constitué de l’allocation de rentrée scolaire n’est pas suffisant pour affronter la dureté de la vie.
Je n’engage pas mon groupe, car nous n’avons pas discuté de cet amendement, mais, pour ma part, je le voterai, mon cher collègue.
Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Je souscris aux propos de Mme Rossignol. Je n’engagerai pas non plus mon groupe, mais, à titre personnel – c’est déjà pas mal ! –, je voterai cet amendement, car je trouve qu’il va dans le bon sens. Il est inspiré d’une mesure qu’avait proposée Mme Rossignol lorsqu’elle était ministre dans le cadre de la loi de 2016, laquelle prévoyait le versement au jeune sorti de l’ASE du pécule constitué par le versement de l’allocation de rentrée scolaire.
C’est un moyen non pas d’éviter les sorties sèches de l’ASE – il existe un autre dispositif pour cela – mais d’accompagner les enfants à leur majorité en leur permettant de disposer d’un pécule un peu plus important.
Cet amendement va dans le bon sens, d’autant plus si la décision est laissée in fine à l’appréciation du juge.
Mme le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je suis favorable à cet amendement, à la condition que les trois choix restent ouverts et que le versement à la Caisse des dépôts et consignations ne soit pas obligatoire, notamment quand la famille se prépare à accueillir de nouveau l’enfant.
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Bonne, rapporteur. Je suis d’accord pour que l’on puisse verser les allocations familiales à la Caisse des dépôts et consignations afin que l’enfant puisse en disposer à sa majorité, mais laissons le département en décider !
L’argent est versé soit à la famille, afin qu’elle puisse récupérer l’enfant, soit au département, parce que le juge en a décidé ainsi. Dans ce cas, laissons le département libre de verser cet argent, avec l’allocation de rentrée scolaire, à la Caisse des dépôts et consignations. Ne le contraignons pas.
M. André Reichardt. Vous croyez au père Noël ?
Mme Laurence Rossignol. Je sais que c’est bientôt Noël, mais tout de même !
M. Bernard Bonne, rapporteur. Voilà : ce sera Noël !
Il ne nous appartient pas de contraindre le département à verser tout cet argent à la Caisse des dépôts et consignations.
M. André Reichardt. Il le paiera après !
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Tout d’abord, il est vrai qu’il y a un sujet concernant les jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance en France. Sans entrer dans un débat sur les chiffres – j’en ai entendu des différents depuis le début de notre débat –, je rappelle que 25 % des sans domicile fixe nés en France sont passés, à un moment ou un autre, par l’aide sociale à l’enfance.
M. André Reichardt. C’est énorme !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. C’est beaucoup, en effet. Ce taux devrait nous pousser à comprendre les leviers qui sont derrière. Je pense ainsi qu’un grand nombre de ces enfants sont reconnus par les maisons départementales des personnes handicapées, mais il s’agit là d’une observation empirique, qui nécessiterait d’être creusée. Ce sera là l’un des objectifs, je pense, du nouvel Observatoire national de la protection de l’enfance, tel qu’il a été renforcé.
La question de la sortie de l’ASE est un sujet, dont nous débattrons. Le Gouvernement vous proposera un certain nombre de dispositifs afin de mettre un terme aux sorties sèches. Il s’agira de maintenir un lien humain et de prévoir un accompagnement, éducatif ou social, mais aussi un hébergement, pour répondre très directement au problème que vous avez soulevé, ainsi qu’un processus d’insertion professionnelle ou la poursuite d’études. Un pécule sera également versé, dont nous pourrons discuter du montant pour savoir s’il est suffisant ou non. Nous aurons ce débat.
Pour autant, je ne suis pas certain que la disposition que vous proposez réponde totalement à cette problématique, contrairement aux dispositions de l’article 3 bis D, qui paraissent plus efficaces et pertinentes.
Ensuite, les allocations ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant. Dès lors, que faites-vous pour les enfants uniques qui sont confiés à l’aide sociale à l’enfance ? Ces enfants ne pourraient pas bénéficier du dispositif que vous souhaitez mettre en place. Devons-nous créer une inégalité entre enfants confiés ?
Mme Laurence Rossignol. Il n’y a pas de système parfait !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Certes, mais enfin, en tant que législateurs, nous nous posons ensemble des questions concrètes.
Enfin, Mme Poncet Monge l’a évoqué, il arrive que le juge décide de laisser ces allocations à la famille, qui assure en partie la charge de l’enfant dans le cadre du droit de visite ou d’hébergement. Les allocations lui permettent alors de faire face aux dépenses afférentes. Dans un certain nombre de cas, l’objectif doit être le retour de l’enfant dans sa famille, quand c’est possible et conforme à son intérêt.
Par ailleurs, il arrive que certains enfants du cercle familial ne soient pas confiés à l’aide sociale à l’enfance. Veillons donc à ne pas mettre la famille plus en difficulté qu’elle ne l’est en lui retirant des allocations familiales.
M. André Reichardt. Le juge en décidera !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Ce sont des questions pratiques, sur lesquelles je n’ai pas de position dogmatique. Il faut envisager de tels cas de figure afin de ne pas créer de problèmes.
Il me semble donc qu’il convient de laisser la décision à l’appréciation du juge et qu’il nous appartient en revanche de trouver un dispositif robuste permettant de mettre fin aux sorties sèches et au phénomène que vous dénonciez, à savoir la surreprésentation des enfants passés par l’aide sociale en France parmi les sans domicile fixe dans notre pays.
Le système actuel me semble donc être plutôt le bon, ce qui justifie la position du Gouvernement