Mme le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la ministre, je serai aujourd’hui le porte-voix des élus de la montagne, dont certains ont déjà pris la parole aujourd’hui dans cet hémicycle.
Nous avons collecté les témoignages d’un certain nombre d’élus de la montagne, de tous les massifs, que nous vous avons remis.
Loin de justifier leur opposition au transfert obligatoire par le seul désir de conserver à l’échelon communal une compétence supplémentaire, les élus locaux avancent des arguments de fond. Ainsi, ils insistent sur l’importance de conserver une gestion de proximité des réseaux d’eau et d’assainissement dans les territoires où l’habitat est dispersé et où la densité de population au kilomètre carré est faible.
Au quotidien, l’entretien des réseaux est assuré par les agents techniques, mais aussi, souvent, par des élus bénévoles, comme cela a été dit. Élus et techniciens ont acquis une connaissance des réseaux et une réactivité qui permettent d’assurer un service de qualité à un faible coût pour les usagers.
Le transfert de la compétence à l’intercommunalité suscite des interrogations sur la capacité des agents de la communauté de communes à assurer les travaux de surveillance et d’entretien, ainsi que la gestion des pannes, sachant qu’il faut souvent plus d’une heure en temps normal pour se rendre au siège de la communauté de communes et que les déplacements sont très difficiles, parfois impossibles, en hiver. Les usagers devront également se déplacer pour tous les litiges ou toutes les questions.
À long terme, la perte d’expertise des techniciens et des élus communaux et l’absence de transmission de cette expertise conduiront à dégrader encore plus le service aux usagers.
Il ressort par ailleurs de l’ensemble des études préalables et des témoignages recueillis une augmentation des prix de l’eau, liée notamment à l’harmonisation des prix à l’échelon intercommunal et au surcoût en équipements et en masse salariale qu’entraîne une gestion intercommunale. Les conséquences financières du transfert de la compétence ne sont pas négligeables. Ces études concluent à une forte augmentation des prix de l’eau difficilement supportable, surtout en période d’inflation, pour les ménages à faible revenu et pour les agriculteurs montagnards, très dépendants de l’eau et déjà économiquement fragilisés.
Les élus de montagne s’inquiètent aussi de la gouvernance dans la gestion des compétences eau et assainissement dans les intercommunalités où les communes de montagne ne sont pas majoritaires et où les spécificités de leurs problématiques ne sont pas prises en compte ni même parfois comprises.
Madame la ministre, vous avez évoqué les travaux nécessaires.
Mme le président. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Frédérique Espagnac. Je rappelle que les subventions ont été asséchées par les agences de l’eau, lesquelles sont malheureusement elles-mêmes ponctionnées par l’État.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je remarque que les bonnes lois portent en principe le nom de ceux qui les ont inspirées ou portées. Je pense à la loi Malraux, à la loi Barnier ou encore à la loi Chevènement. Quand les lois n’ont pas de nom, c’est un peu plus compliqué. Ainsi, la loi NOTRe n’a ni père ni mère, même si Mme Lebranchu l’a défendue ici. (Sourires.)
Les membres de notre groupe, dont Jacques Mézard était alors le président, ont combattu cette loi. Ils ont voté contre ou se sont abstenus. Ils poursuivent aujourd’hui ce combat avec la proposition de loi de Jean-Yves Roux qui vise à modifier la loi NOTRe, sur laquelle d’aucuns ont fondé beaucoup d’espoir. Or il est assez décevant de voir le résultat !
Sur la compétence eau, je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. Avec cette proposition de loi, nous essayons modestement de rebrancher ce que Mme Lebranchu a débranché ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains, ainsi que sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je vais tout à fait dans le sens de cette proposition de loi : laissons les maires faire ce qu’ils souhaitent. L’intercommunalité peut parfois être un bon projet, mais laissons les communes décider entre elles si elles veulent gérer seules ou dans le cadre d’un syndicat ou d’une intercommunalité. Écoutons les élus, ne décidons pas à leur place. Comme cela a été dit, ils connaissent souvent très bien les réseaux et leurs ressources en eau, qu’ils savent gérer.
Écoutons les élus qui veulent modifier la loi NOTRe ; ils sont très nombreux dans nos territoires ruraux.
Je voterai bien évidemment cette proposition de loi.
Mme le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Union Centriste et, l’autre, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 255 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 259 |
Contre | 70 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC, Les Républicains et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
8
Fraudes en matière artistique
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues (proposition n° 177, texte de la commission n° 403, rapport n° 402).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Fialaire, auteur de la proposition de loi et rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, faux Poussin, faux Cranach, faux Miro, faux Picasso, faux Chagall, fausses antiquités, faux meubles Boulle ou faux sièges XVIIIe : les dernières années ont été marquées par la révélation de nombreuses affaires de faux.
Si le phénomène des fraudes artistiques n’est pas nouveau, il semble aujourd’hui en pleine expansion. La hausse de la demande, l’explosion des prix sur le marché de l’art et l’essor de la vente d’art en ligne contribuent sans doute très largement à doper et à faciliter ce type d’escroqueries.
Aucune forme d’art n’est épargnée et la nature des fraudes se diversifie. Loin de se réduire à la fabrication de fausses œuvres d’art, ces fraudes prennent aussi la forme de faux certificats attestant d’une fausse authenticité, mais aussi, de plus en plus, d’une fausse provenance.
L’office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), que nous avons reçu en audition, n’a pas caché l’intérêt croissant des organisations criminelles à l’échelon mondial pour cette forme de trafic. Il est donc important que nous disposions d’outils efficaces pour prévenir et réprimer ce type d’infractions.
Le problème, c’est que le seul texte de nature législative dont nous disposons en France pour réprimer spécifiquement les fraudes artistiques est un texte daté, d’application limitée et aux effets peu dissuasifs. Il s’agit de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, plus connue sous le nom de loi Bardoux.
Son champ d’application ne correspond plus à la diversité des œuvres d’art que l’on trouve aujourd’hui sur le marché et, par conséquent, à la diversité des faux. Il concerne uniquement les catégories d’œuvres d’art en vogue à la Belle Époque – peinture, sculpture, dessin, gravure, musique – et laisse de côté les faux manuscrits, fausses photographies, faux meubles ou faux objets de design, ainsi que les œuvres d’art numériques, qui soulèvent de nombreuses difficultés en matière de respect des droits de la propriété intellectuelle.
Au sein de ces catégories déjà très limitées, la loi Bardoux ne vise que les faux qui correspondent à des œuvres authentiques qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. Elle n’est donc pas applicable aux faux qui concernent des œuvres anciennes, en dépit du nombre important d’affaires en la matière.
Enfin, le texte en vigueur ne s’intéresse qu’aux faux revêtus d’une signature apocryphe. Il exclut donc tous les faux sans signature, à l’instar des faux « à la manière de », ainsi que tous les faux sans auteur identifié, dont relèvent pourtant l’essentiel des arts premiers, des antiquités, de l’art médiéval, de l’art islamique, des arts asiatiques ou des arts appliqués.
À cela s’ajoute le fait que les peines prévues par la loi Bardoux ne sont pas assez sévères pour être dissuasives. Elles sont de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Il n’est en outre pas possible de les alourdir, quelle que soit la circonstance dans laquelle l’infraction est commise.
Il y a bien un autre texte spécifique aux fraudes artistiques : le décret Marcus, datant de 1981, qui vise à réprimer les tromperies sur l’authenticité d’une œuvre d’art et d’un objet de collection. Néanmoins, ce texte ne s’applique qu’aux transactions : il permet de sanctionner les seuls vendeurs contrevenants d’une amende d’un montant maximal de 1 500 euros.
Il est vrai que plusieurs infractions de droit commun peuvent être utilisées pour poursuivre les auteurs de fraudes artistiques. Je pense en particulier aux délits de contrefaçon, d’escroquerie, de tromperie ou de faux et usage de faux, qui sont beaucoup plus lourdement sanctionnés. Mais, comme aucun de ces délits n’est propre au marché de l’art, leur champ d’application n’est pas parfaitement adapté pour assurer la répression des fraudes artistiques dans leur globalité.
La caractérisation des faits se révèle complexe pour certaines natures de faux ou dans certaines circonstances, notamment lorsque le faux n’a pas fait l’objet d’une quelconque transaction.
C’est pour combler les insuffisances du cadre juridique en vigueur que j’ai déposé, en décembre dernier, avec mes collègues du groupe RDSE, la proposition de loi dont nous débattons ce soir portant réforme de la loi Bardoux.
Nous nous sommes appuyés sur les différentes réflexions conduites sur le sujet au cours des dernières années. La Cour de cassation a notamment consacré un colloque à ce sujet en 2017 et l’Institut Art et Droit, une association de réflexion réunissant juristes et acteurs du monde de l’art, a mis en place un groupe de travail à compter de 2018. Le résultat de ses travaux a été présenté lors d’un colloque en mars 2022 et a inspiré notre proposition de loi.
Notre texte propose la création d’une nouvelle infraction pénale dans le code du patrimoine, destinée à remplacer celle qui est prévue par la loi Bardoux. Afin de mieux appréhender la diversité des phénomènes de fraudes artistiques, nous avons décidé de faire porter la matérialité de l’infraction non plus sur le nom ou la personnalité de l’artiste, comme le prévoit la loi Bardoux, mais sur les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes, quelle que soit la catégorie dont elles relèvent et que l’auteur de l’œuvre authentique soit ou non identifié ou identifiable.
C’est la raison pour laquelle le texte, tel qu’il a été déposé, prévoit de sanctionner la réalisation, la présentation, la diffusion ou la transmission, à titre gratuit ou onéreux, de tout bien artistique ou objet de collection qui serait, par quelque moyen que ce soit, affecté d’une altération de la vérité sur l’identité de son créateur, sa provenance, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle, et ce sous réserve qu’elle ait été faite en pleine connaissance de cause.
Afin d’améliorer la prévention et la répression des fraudes artistiques, nous avons veillé à durcir suffisamment l’échelle des peines. À titre principal, nous avons proposé d’aligner celles-ci sur celles qui sont applicables en matière d’escroquerie, de recel ou de blanchiment, soit cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
Nous avons proposé qu’elles puissent être alourdies à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque le délit est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices ou lorsqu’il est commis de manière habituelle. Nous avons prévu enfin qu’elles passent à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende lorsque les faits sont commis en bande organisée.
À titre de peine complémentaire, notre texte autorise la confiscation du bien ou de l’objet saisi ou sa remise au plaignant. Elle rend également possible cette confiscation ou cette remise en cas de relaxe ou de non-lieu, lorsqu’il est établi, à l’issue de la procédure judiciaire, que le bien ou l’objet saisi est affecté d’une altération de la vérité. Ces dispositions ne changent pas le droit existant.
Comme la création de cette nouvelle infraction rend obsolètes les dispositions de la loi Bardoux, l’article 2 l’abroge et opère les coordinations afférentes dans le code général de la propriété des personnes publiques, seul texte de valeur législative au sein duquel cette loi est mentionnée.
Maintenant que je vous ai exposé les raisons qui nous ont amenés à déposer cette proposition de loi, permettez-moi de vous présenter la position de la commission de la culture sur ce texte.
La proposition de loi lui paraît répondre à une véritable attente, exprimée aussi bien par les artistes ou leurs ayants droit, que par les professionnels du marché de l’art, les praticiens du droit et les services enquêteurs. Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, n’avait-il pas lui-même appelé, en 2017, à repenser intégralement le délit même de fraude artistique ?
Ces fraudes ne portent pas seulement atteinte à des intérêts privés, ceux des acquéreurs lésés, ceux des artistes dont les droits sont bafoués, elles érodent également la confiance dans le marché de l’art et les institutions patrimoniales et constituent, finalement, une menace pour la création.
La commission est donc convaincue qu’une réforme de la loi Bardoux est indispensable afin d’améliorer la protection des acquéreurs et le respect des droits des artistes, de restaurer la crédibilité du marché de l’art et d’accroître la transparence et la fiabilité dans ce secteur.
Le fait que la proposition de loi prévoie de réprimer les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes plutôt que de chercher à réparer le seul préjudice subi par les acquéreurs ou les auteurs des œuvres authentiques, comme dans la loi Bardoux, présente à ses yeux un double avantage.
D’une part, elle permet de ne plus conditionner l’infraction ni à la nécessaire identification d’un artiste ni à celle d’une transaction ou d’un cadre contractuel ; d’autre part, elle revêt un caractère hautement symbolique en ce qu’elle est une manière d’affirmer que les œuvres d’art ne sont pas assimilables à de simples marchandises, mais qu’elles constituent, au contraire, un bien commun à tous.
La création d’une infraction spécifique aux différents types de fraudes artistiques envoie un signal fort aux auteurs de ces fraudes sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions.
La proposition de loi permet de corriger les principales lacunes de la loi Bardoux.
Elle élargit le périmètre de l’infraction aux falsifications affectant l’ensemble des œuvres d’art, quel que soit leur support, sans la restreindre à certaines catégories d’œuvres particulières ni distinguer entre les œuvres selon qu’elles sont encore ou non couvertes par les droits patrimoniaux de l’auteur authentique.
Elle étend l’infraction aux falsifications relatives à la datation, l’état ou la provenance d’une œuvre d’art, sans la limiter aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.
Elle alourdit considérablement le régime des peines et rend possible leur aggravation dans certaines circonstances, tout en restant dans une échelle comparable à ce qui est prévu en matière d’escroquerie, de recel ou de blanchiment. Ce niveau apparaît cohérent compte tenu de l’implication croissante des réseaux criminels en matière de trafic d’œuvres d’art.
La commission a aussi souhaité clarifier la rédaction de certains aspects de la proposition de loi pour garantir son caractère pleinement opérationnel.
Les auditions ont en effet mis en évidence un certain nombre d’ambiguïtés de la rédaction initiale, incompatibles avec l’exigence de précision imposée par la matière pénale ou susceptibles de nuire à la qualification des faits.
Je pense ainsi à l’emploi de la notion de « bien artistique », jugé trop risqué dans la mesure où aucun code ni texte ne la définit ni ne l’utilise. Je pense aussi à la notion d’« altération de la vérité » employée dans le cadre du délit de faux et usage de faux, qui pourrait se révéler inopérante en matière artistique tant la vérité est souvent difficile à établir en ce domaine, comme en témoignent les fréquentes querelles entre experts.
Notre objectif n’est ni d’empêcher à l’avenir les experts d’émettre une opinion ni d’entraver la liberté de création des artistes en rendant impossible la pratique de la copie, du plagiat, de la parodie ou du détournement d’œuvre d’art dès lors qu’il n’y a pas d’intention de tromper autrui en faisant passer l’œuvre ainsi créée pour ce qu’elle n’est pas.
La commission a décidé de recentrer l’infraction sur les différents types de comportements frauduleux destinés à tromper autrui sur et autour de l’œuvre d’art.
La définition de l’infraction a été totalement revue et distingue désormais quatre hypothèses.
La première hypothèse est celle de la réalisation ou de la modification d’une œuvre d’art ou d’un objet de collection dans l’intention de tromper autrui sur l’identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition. Cette définition reprend les éléments rendus obligatoires par le décret Marcus sur les certificats d’authenticité délivrés par les vendeurs à l’occasion des transactions. Elle permet de sanctionner l’auteur ou le commanditaire du faux proprement dit.
La deuxième hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission, à titre gratuit ou onéreux, d’un faux en toute connaissance de son caractère trompeur et sans rétablir la vérité à son sujet. Elle vise à sanctionner le receleur.
La troisième hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d’une œuvre ou d’un objet authentique en mentant sur l’identité de son auteur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition dans l’intention de tromper autrui. Elle vise à sanctionner l’escroquerie sur l’authenticité de l’œuvre, même en l’absence de remise de fonds.
La dernière hypothèse est celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d’une œuvre ou d’un objet en lui inventant une fausse provenance. Elle vise à sanctionner l’escroquerie sur la provenance de l’œuvre ou de l’objet, peu importe que celui-ci soit authentique ou faux.
La commission s’est également attachée à clarifier la rédaction des dispositions destinées à permettre au juge de mettre hors circuit les œuvres et objets qui seraient reconnus comme des faux.
Les auditions ont révélé à quel point cette mise hors circuit constitue une question complexe. À la fois, il est à n’en pas douter essentiel que les faux artistiques soient détruits ou retirés par quelque moyen que ce soit pour éviter qu’ils ne reviennent tôt ou tard sur le marché, mais, en même temps, force est de reconnaître que la question du faux n’est pas totalement binaire : comment être certain qu’une œuvre constitue un faux, en dehors des faux grossiers, par exemple ceux qui ont manifestement été réalisés après la mort de l’artiste qui en serait prétendument l’auteur ? Peut-on considérer qu’une œuvre d’atelier signée de la main du maître est un faux ?
Est-il possible de porter atteinte au droit de propriété, garanti par la Constitution, en confisquant une œuvre lorsque celle-ci appartient à un propriétaire de bonne foi ? C’est cette question qui a conduit en 2021 la Cour de cassation, dans une affaire dite Chagall, à confirmer la décision de la cour d’appel qui avait ordonné l’apposition de la mention « Reproduction » sur une œuvre contrefaisante avant sa restitution à un propriétaire, plutôt que de demander sa destruction. Cette décision suscite l’incompréhension des représentants des artistes au regard des atteintes aux droits privatifs de l’auteur. Elle illustre bien toute la difficulté de cette question.
La commission a donc souhaité mettre à la disposition du juge un panel d’outils pour écarter définitivement les faux des circuits commerciaux : la confiscation de l’œuvre ou de l’objet, sa destruction ou sa remise à l’artiste victime de la fraude ou à ses ayants droit.
Sur ma proposition, la commission a choisi de ne pas faire mention du marquage, de peur que le juge ne retienne systématiquement cette option qui, pour être moins attentatoire au droit de propriété, n’apporte aucune garantie réelle d’un retrait définitif de l’œuvre ou de l’objet du marché.
Pour autant, la commission n’a pas souhaité imposer au juge le retrait systématique des œuvres du marché. Il ne s’agit que d’options à sa disposition. La rédaction retenue lui laisse la possibilité, en fonction des circonstances d’espèce, d’ordonner l’une ou l’autre de ces solutions, ou de n’en rien faire, parce que toutes les œuvres ou objets litigieux ne sont pas nécessairement des faux intégraux. Certains peuvent revenir sur le marché dès lors que leurs véritables caractéristiques sont rétablies.
Pour compléter ce dispositif, la commission a décidé de mettre en place un registre des fraudes artistiques, sur lequel auraient vocation à être inscrits tous les faux reconnus comme tels qui ne seraient pas détruits. Ce registre est très largement inspiré du Thésaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique (Treima) développé par Interpol afin de recenser les œuvres d’art volées. Le caractère mondial du marché de l’art nécessiterait qu’une telle base soit, à terme, gérée à l’échelon international. Nous comptons sur le Gouvernement pour en convaincre nos partenaires.
Pour finir, la commission a très largement complété le dispositif de la proposition de loi en matière de sanctions. Elle a prévu les peines applicables en cas de commission des faits par une personne morale. Elle a élargi le champ des circonstances aggravantes, pour répondre à l’émotion suscitée par plusieurs affaires récentes, comme celle des faux meubles de Versailles, qui a d’autant plus choqué l’opinion que son auteur était un professionnel extrêmement reconnu et qu’il a fait du tort à l’une de nos plus prestigieuses institutions patrimoniales.
Il nous a donc semblé justifié d’alourdir également les peines applicables lorsque les faits portent préjudice à un établissement public relevant de l’État ou d’une collectivité territoriale ou lorsqu’ils sont commis par des professionnels du marché de l’art.
Enfin, par cohérence avec l’introduction de cette seconde circonstance aggravante, nous avons également autorisé le juge à prononcer, à titre de peine complémentaire, une interdiction d’exercice à titre temporaire ou définitif de l’activité professionnelle dans le cadre de laquelle, ou à l’occasion de laquelle, l’infraction a été commise. Il s’agit d’une peine complémentaire fréquemment prévue pour ce type de délits : on la retrouve, par exemple, en matière de tromperie.
L’ensemble des améliorations apportées par la commission au texte initial avait pour but de garantir une meilleure répression des fraudes artistiques, dans le souci évident d’en améliorer aussi la prévention.
Nous espérons que la suite de la discussion parlementaire permettra encore d’enrichir ce texte.
Nous attendons beaucoup des conclusions de la mission sur les faux artistiques conduite par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui devraient être rendues en juillet prochain. Nous avons largement échangé avec le président du Conseil supérieur, ainsi qu’avec les responsables de cette mission.
Nous savons qu’une partie de leur réflexion porte sur les différentes procédures judiciaires qui pourraient être mises en place pour lutter contre la prolifération des faux sur le marché. Ils envisagent notamment d’ouvrir une voie d’action civile, complémentaire à l’action pénale que nous proposons. Cela existe en matière de contrefaçon. Je pense, par exemple, à la procédure jugée très efficace de saisie-contrefaçon. Ils voudraient également proposer des solutions afin de mieux encadrer l’activité des plateformes en ligne.
Nous considérons que ces pistes pourraient donner un intérêt supplémentaire à la présente proposition de loi, en offrant des possibilités complémentaires d’action à l’encontre des faux. Le besoin de moyens d’actions judiciaires rapides pour intervenir contre les pratiques frauduleuses de certaines galeries éphémères ou de plateformes en ligne se fait de plus en plus sentir.
Au-delà de la réforme de la loi Bardoux, il nous paraît indispensable de mieux sensibiliser les services de la police et de la justice aux spécificités des infractions qui peuvent être commises dans le domaine de l’art et de renforcer les moyens mis à la disposition de ces services pour que la lutte contre les fraudes artistiques gagne en efficacité.
J’espère, madame la ministre, que le Gouvernement en tiendra compte et prendra les mesures appropriées une fois cette réforme adoptée. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier l’ensemble du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour et de féliciter le rapporteur pour son travail précis et solide.
Cette proposition de loi permet d’aborder un défi majeur pour l’ensemble du secteur du marché de l’art : la lutte contre les faux artistiques.
Qu’est-ce qu’un faux artistique ? Vous l’avez dit, au sens large, il s’agit d’un objet destiné à passer pour autre chose que ce qu’il est réellement. Le but est de tromper l’acheteur en faisant passer cet objet pour une œuvre authentique.
Si ces fraudes ne constituent pas un phénomène nouveau, on constate ces dernières années une multiplication sans précédent des transactions illicites et l’apparition de nouvelles formes de falsifications d’œuvres d’art, notamment liées au développement des plateformes en ligne.
Je souhaite saluer le travail mené par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, compétent pour diligenter les enquêtes, y compris les plus complexes, et celui de la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), qui contribue pleinement à la réflexion et à la sensibilisation sur ce sujet si important.
Les faux artistiques constituent en effet un véritable fléau, qui porte atteinte aux intérêts des professionnels du marché de l’art, mais aussi et surtout à ceux des acheteurs, des auteurs et de leurs ayants droit.
La lutte contre les faux artistiques trouve son fondement juridique dans la loi du 9 février 1895, dite loi Bardoux, du nom du sénateur qui en fut le principal artisan. Si plusieurs autres infractions de droit commun, comme la contrefaçon, l’escroquerie, le faux et usage de faux, permettent également de sanctionner les coupables de telles fraudes, ce texte apparaît aujourd’hui daté, car il présente des lacunes et n’est plus adapté au marché actuel de l’art.
Ces lacunes sont de plusieurs ordres. La liste des œuvres falsifiables est réduite aux seules œuvres de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure et de musique. Elle ne permet pas d’appréhender la diversité des œuvres d’art d’aujourd’hui. Je pense à la photographie, aux arts appliqués, mais également à l’ensemble des nouvelles formes d’art numérique, dont les frontières ne cessent d’être repoussées, comme le montre le développement NFT (Non Fungible Tokens) ou « jetons non fongibles ».
Autre lacune, l’incrimination de fraude artistique est limitée aux seules œuvres « non tombées dans le domaine public », alors même que les œuvres anciennes suscitent une part très importante des affaires de faux. Enfin, les sanctions prévues par la loi Bardoux – deux ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende – peuvent sembler peu dissuasives.
Je partage donc l’avis du rapporteur : oui, la loi Bardoux mérite d’être actualisée.
Le ministère de la culture en est pleinement conscient et le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), placé sous l’égide de mon ministère, s’est emparé de ce sujet l’an dernier, confiant à MM. Tristan Azzi et Pierre Sirinelli, deux éminents spécialistes, une mission visant à évaluer l’opportunité d’une évolution du cadre juridique actuel pour mieux définir le faux en art, faciliter sa détection et renforcer sa répression. Les résultats de cette mission seront connus définitivement en juillet prochain.
Le présent texte propose plusieurs évolutions de la loi pour répondre à cette forte attente d’actualisation et la rendre plus opérationnelle.
Il prévoit notamment l’élargissement du périmètre de l’infraction aux falsifications affectant l’ensemble des biens artistiques et objets de collection, afin de protéger l’ensemble des supports ; l’alourdissement des peines, afin de les aligner sur celles applicables en matière d’escroquerie ; ou encore l’extension de l’infraction aux falsifications relatives à la datation, l’état ou la provenance d’une œuvre d’art, pour ne pas la limiter plus aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.
Plusieurs évolutions ont été apportées lors de l’examen du texte en commission la semaine dernière, afin de prendre en compte les échanges et remarques formulées au cours des auditions.
Ces dispositions vont dans le bon sens. Nous sommes pleinement convaincus de la nécessité de faire évoluer cette loi pour renforcer la lutte contre la fraude en matière artistique.
Nous en sommes ici à la première étape, avec cet examen en première lecture. Il est important, comme l’a indiqué le rapporteur, d’ajuster le texte et de l’enrichir au cours des prochaines étapes de la navette parlementaire, afin de prendre en compte les conclusions, très attendues, de la mission sur les faux artistiques lancée par le CSPLA.
Soyez en tout cas assurés de la disponibilité de mes équipes et de tous les services concernés du ministère de la culture pour travailler avec vous sur ce sujet dans les prochaines semaines.
Avant de conclure, je souhaite profiter de cette occasion pour revenir sur les inquiétudes exprimées ces derniers jours par un certain nombre d’acteurs du marché de l’art français, et par de nombreux artistes, à propos de l’impact d’une directive européenne sur la fiscalité des œuvres d’art en France. Je sais que c’est un sujet que vous suivez au sein de votre commission et je souhaitais vous apporter quelques éléments d’information.
Aujourd’hui, on ne le sait pas assez, le marché de l’art fonctionne avec deux dispositifs de TVA dérogatoires : un taux réduit, de 5,5 %, à l’achat d’œuvres et, à la revente, un taux de 20 % ne s’appliquant qu’à la marge faite par le marchand.
La directive européenne d’avril 2022 interdit de cumuler deux dispositifs dérogatoires différents. Dès lors, quelles sont les possibilités ?
Si nous voulons maintenir un taux de TVA sur la seule marge à la revente, il faut rétablir à 20 % le taux à l’achat, ce qui rognerait les marges des galeristes. Si nous maintenons à 5,5 % le taux à l’achat, nous ne pouvons plus appliquer la TVA sur la seule marge à la revente. Les œuvres risqueraient donc de se renchérir en France.
Mais la France peut décider que les œuvres d’art relèvent du taux réduit de bout en bout. Le taux de 5,5 % s’appliquerait alors à l’achat et à la revente – sur le prix global. Cela maintient un système quasiment équivalent à l’actuel, puisqu’appliquer un taux de 5,5 % sur le prix total revient à peu près au même que d’appliquer un taux de 20 % sur la marge.
Des expertises et simulations sont encore nécessaires pour avancer vers cette possibilité. C’est pourquoi, avec Gabriel Attal, nous venons de lancer une concertation avec les professionnels du secteur, pour qu’une décision soit prise avant l’été. L’objectif est d’aboutir à une disposition qui sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2024, afin qu’elle soit examinée par le Parlement cet automne, ce qui permettra d’achever, d’ici à la fin de l’année 2023, la transposition de cette directive.
Soyez en tous cas assurés que la ministre de la culture que je suis, comme l’ensemble du Gouvernement, suit très attentivement ce dossier et demeure très attachée à la compétitivité et au dynamisme du marché de l’art français, qui représente 50 % du marché de l’art de l’Union européenne !
Vu le nombre de galeries internationales qui s’installent à Paris, le dynamisme de nos musées, le succès des foires et la vitalité de la scène de l’art contemporain de notre pays, la France est véritablement aujourd’hui au centre du marché européen. Elle doit le rester. Elle peut le rester. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)