M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La procédure accélérée s’applique aux pays d’origine sûrs.
Il existe une liste qui ne reflète pas toujours la réalité – on le sait –, mais une procédure dérogatoire permet à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), en cas de circonstances particulières, d’entourer cette procédure de garanties spécifiques. En l’état, l’étude de chaque dossier à la hauteur requise me semble assurée.
La commission demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, je saisis cette occasion pour évoquer un des amendements que j’avais déposés, qui n’a malheureusement pas échappé au couperet de l’article 40 de la Constitution. Il avait pour objet la protection subsidiaire.
Aux termes de la convention de Genève, seuls sont pris en compte à ce titre les menaces, risques ou sévices qui se sont produits dans le pays d’origine. Or bon nombre de femmes subissent des violences sexuelles sur le parcours de l’asile. Tout le monde connaît, en particulier, l’étude que le PHM (People’s Health Movement) a consacrée à ce sujet. On sait combien le parcours de migration est périlleux pour les femmes. Je pense en particulier au risque de viol.
En l’état actuel du droit, ces personnes ne peuvent pas bénéficier de la protection subsidiaire : le critère de survenance dans le pays d’origine est appliqué de façon stricte.
En vue de l’examen du présent texte à l’Assemblée nationale, pourriez-vous étudier la possibilité d’étendre cette protection aux personnes ayant subi des violences sexuelles sur leur parcours migratoire ?
On pourra évidemment m’objecter la difficulté de s’assurer de la véracité de tels faits.
Il se trouve que chaque demandeur d’asile est soumis, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), à un examen médical à la fois physique, physiologique et psychologique. On pourrait établir dans ce cadre que la personne a bien subi des violences sexuelles et qu’elle doit bénéficier, à ce titre, de la protection subsidiaire.
N’ayant pu soumettre ces dispositions à notre assemblée, je les présente directement au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Rossignol, je m’engage évidemment à examiner cette question, qui ne m’a d’ailleurs pas échappé.
Les femmes et les enfants subissent des violences particulièrement fortes au fil du parcours qui les conduit en Europe. Les pays qu’ils traversent ne respectent pas toujours leurs droits. Les passeurs, voire d’autres migrants, peuvent également se livrer à de telles violences. (Mme Laurence Rossignol le confirme.)
À cet égard – je le souligne, bien qu’une telle question ne relève pas de notre débat –, la convention de Genève mérite sans doute d’être révisée et enrichie. Elle doit prendre en compte ces situations et d’autres encore, comme celle des réfugiés climatiques : à l’heure actuelle, il n’existe pas en droit d’asile climatique.
Sans doute ce travail appellera-t-il, dans quelques années, une réflexion internationale. À mon sens, il serait bon que la France se penche sur ces questions, pourquoi pas par le truchement de ses assemblées parlementaires : elles ont certainement une plus grande liberté de ton que les services de l’État, notamment ceux du ministère de l’intérieur.
Aujourd’hui, il existe 20 millions à 24 millions de réfugiés climatiques dans le monde. Chaque jour, on en dénombre 60 000 de plus. Le mouvement va encore s’accélérer du fait du réchauffement climatique, mais pour l’heure nous ne pouvons pas donner à ces réfugiés l’asile climatique dont tout le monde parle.
La convention de Genève est évidemment remarquable, mais, comme tout texte normatif, elle est parfaitement amendable. Un certain nombre de réalités ont changé depuis son adoption.
Mme Laurence Rossignol. Elle est datée !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez raison : les réfugiés de 1949, qui fuyaient des régimes politiques bien particuliers, ne sont pas ceux d’aujourd’hui.
C’est une question que la commission des affaires étrangères du Sénat pourrait étudier avec profit.
M. le président. L’amendement n° 555 rectifié bis, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Avant l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre IV du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Selon la Cour de cassation elle-même, les zones d’attente sont des fictions juridiques. Elles ont été inventées par un ministre de l’intérieur quelque peu aux abois face à l’immigration clandestine et à l’immigration en général.
J’ai visité la zone d’attente d’Hyères, dans le Var : je l’ai vue de près. Elle ressemble à une colonie de vacances, à cela près que tous les enfants disparaissent en quelques jours…
Ils jouent au foot ou au basket ; on leur achète des chaussures neuves. Ceux que j’ai vus n’étaient pas au bord du gouffre, comme on a voulu me le faire croire. Ils étaient plutôt au bord de l’eau ! Et, le lendemain matin, c’était la grande évasion, Steve McQueen en moins… Tout le monde s’était évaporé !
Ces zones d’attente sont un scandale sécuritaire et migratoire. Les enfants dont il s’agit sont à peine contrôlés quand ils arrivent. Ils ont ruiné le centre de vacances où ils ont séjourné.
Pérenniser ce dispositif, c’est envoyer un signal terrible et tonitruant aux passeurs comme aux taxis de mer des ONG. C’est surtout provoquer un gigantesque appel d’air pour les candidats au départ. Ces derniers sauront, en prenant la mer, qu’ils seront accueillis chez nous, qu’ils pourront se balader où bon leur semble en France et même en Europe, grâce à Schengen. Ces zones d’attente, c’est le Black Friday permanent de l’immigration !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Monsieur Ravier, les zones d’attente sont effectivement des fictions juridiques, mais des fictions empêchant l’entrée sur notre territoire sans vérification des droits. Je ne suis pas donc sûre que leur suppression vous permette d’atteindre votre but.
Quoi qu’il en soit, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 555 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 556 rectifié bis, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Avant l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 3° de l’article L. 531-27 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mots : « quatre-vingt-dix » sont remplacés par le mot : « vingt ».
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Défendu !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 556 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 19
I. – À titre expérimental et pour une durée de quatre ans suivant la promulgation de la présente loi, il est créé, dans au moins dix départements désignés par arrêté du ministre chargé de l’asile, dont au moins un situé en outre-mer, des pôles territoriaux « France asile » permettant :
1° L’enregistrement de la demande d’asile par l’autorité compétente, conformément au chapitre Ier du titre II du livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
2° L’octroi des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile prévues au titre V du même livre V, ainsi que l’évaluation de sa vulnérabilité et de ses besoins particuliers par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, conformément aux articles L. 522-1 à L. 522-5 du même code ;
3° L’introduction de la demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, dans les conditions prévues à l’article L. 531-2 dudit code sans préjudice de l’indépendance de ses agents garantie par l’article L. 121-7 du même code.
Le demandeur d’asile peut compléter sa demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides de tout élément ou pièce utile jusqu’à l’entretien personnel mentionné à l’article L. 531-12 du même code, qui ne peut intervenir avant un délai de vingt et un jours à compter de l’introduction de la demande d’asile ;
4° L’entretien personnel prévu aux articles L. 531-12 à L. 531-21 du même code, lorsque cet entretien est mené dans le cadre d’une mission déconcentrée prévue à l’article L. 121-11 du même code.
Au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation.
II. – Le premier alinéa de l’article L. 521-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Après l’enregistrement de sa demande, l’étranger est informé, dans les meilleurs délais, des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l’entretien personnel prévu à l’article L. 531-12. »
M. le président. L’amendement n° 457, présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Cet article crée des pôles territoriaux « France asile ». Or une telle territorialisation pose un certain nombre de questions, dont celle de l’indépendance de l’Ofpra à l’égard des préfectures.
La mission d’instruction de l’Ofpra impose que ses agents soient séparés des autres acteurs du droit au séjour pour faire la preuve concrète de la réalité de l’indépendance de l’établissement. Or, selon les termes de l’article 19, ils devront travailler dans les mêmes locaux. Cette décentralisation pourrait constituer, à nos yeux, la première étape d’une fusion des services en une agence française de l’asile.
À terme, une telle instance pourrait mettre en cause l’autonomie de l’Ofpra. C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. M. le ministre nous apportera sans doute de plus amples explications au sujet de la nouveauté introduite par cet article, à savoir les pôles territoriaux « France asile ».
Aujourd’hui, les demandeurs d’asile doivent enregistrer leur demande auprès de la préfecture, obtenir des moyens auprès de l’Ofii – la France fournit bel et bien des moyens aux demandeurs d’asile ! – et, enfin, introduire leur demande d’asile auprès de l’Ofpra.
L’Ofii et la préfecture sont désormais réunis dans des guichets uniques de demande d’asile (Guda) et, conformément à la démarche « France asile », l’Ofpra est censé introduire la demande d’asile.
Vous constatez comme moi que nous sommes face à un formidable exemple de la complexité administrative française. (M. Laurent Somon sourit.) Mais la réforme dont il est ici question permet de réduire cette complexité en réunissant les trois acteurs concernés en un même lieu.
Un certain nombre de problèmes se sont fait jour lors de nos auditions, mais la commission s’est montrée favorable à cette expérimentation. L’efficacité du dispositif est probable et nous pourrons ainsi l’évaluer.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, cet important article 19 vise effectivement à gagner du temps dans le traitement de la demande d’asile.
Aujourd’hui, les travaux menés à ce titre par les préfectures sont concentrés dans quelques pôles, dont celui de Fontenay-sous-Bois. Or nous voulons privilégier la logique dite « de l’aller vers » : partout où il y a des Guda, il faut réunir les agents de l’Ofii et ceux des préfectures.
En déployant de nouveaux moyens, la loi du 10 septembre 2018, dite loi Collomb, a déjà permis de réduire les délais de l’Ofpra d’un an à cinq mois. Mais, il faut le reconnaître, un certain nombre de difficultés perdurent et les demandes d’asile continuent d’augmenter. Nous pensons pouvoir gagner encore un mois et faire face à cette augmentation grâce à la déconcentration du traitement des demandes d’asile.
Tout en jugeant cette réforme intéressante, le Conseil d’État a estimé qu’elle était de nature réglementaire. Sur ce point, nous n’avons pas suivi son avis : peut-être est-il d’ailleurs un peu juge et partie quant à l’organisation de l’asile.
À nos yeux, c’est au législateur de se prononcer : doit-on, oui ou non, opter pour cette déconcentration reposant sur les Guda ?
Cet article assure au demandeur d’asile un accès plus rapide, plus efficace, plus humain et plus proche.
Aujourd’hui, le dossier est déposé en préfecture avant de partir en région parisienne. L’effort de déconcentration est évidemment très positif pour le demandeur d’asile. Il est également très positif pour les préfectures, qui se sentiront responsabilisées, comme pour les agents de l’Ofii dans les territoires.
Comme bon nombre d’entre vous, je suis un élu de province : nous savons bien que toutes les décisions ne doivent pas remonter à Paris ou en Île-de-France. Il faut faire confiance à l’intelligence des agents de préfecture dans l’ensemble de notre pays, d’autant que cela permettra de gagner du temps.
J’insiste sur l’importance de cet article : il est gage de simplification et d’accélération du traitement des demandes d’asile. En parallèle, d’autres dispositions peuvent être modifiées, car cet article mérite évidemment d’être travaillé. J’indique ainsi, dès à présent, que le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 641, présenté par la commission.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, avec ces dispositions prétendument simplificatrices, on gagne grosso modo vingt et un jours,…
M. Guy Benarroche. … mais c’est au détriment de la demande d’asile elle-même.
Les agents de l’Ofpra comme les membres des associations nous le certifient tous : il est bon de gagner du temps, à condition toutefois que le demandeur d’asile soit en mesure de préparer convenablement, avec ceux qui l’assistent, le dossier regroupant ce qu’on appelle son chemin de vie, ses éléments de vie. Il doit avoir le temps, non seulement de le construire, mais aussi de le présenter en français, ce qui ne relève pas de l’évidence.
Votre travail de « simplification » aboutit à sacrifier toutes ces exigences, à sacrifier la possibilité de déposer des demandes d’asile de qualité. Ainsi, comme très souvent, en voulant à tout prix gagner du temps, on aboutit à une détérioration de la qualité des décisions rendues par l’Ofpra. (M. Roger Karoutchi manifeste son désaccord.)
Les représentants de l’Ofpra nous l’ont dit eux-mêmes, lors d’une audition organisée par la commission des lois : l’office ne dispose pas aujourd’hui du personnel suffisant pour mener à bien cette déconcentration…
M. Roger Karoutchi. Ça, c’est autre chose !
M. Guy Benarroche. Les effectifs n’ont pas été prévus. Or c’est tout de même un point essentiel si l’expérimentation doit être engagée de manière immédiate.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle des cours criminelles départementales – mais, M. le garde des sceaux n’étant pas là, nous n’aborderons pas ce dossier-là aujourd’hui.
M. le président. Mon cher collègue, il faut conclure.
M. Guy Benarroche. Faute d’un délai initial assez long, les dossiers ne pourront pas être préparés convenablement et, en définitive,…
M. le président. Veuillez conclure !
M. Guy Benarroche. … on risque fort de ne pas gagner de temps du tout.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Pour ma part, je soutiens totalement l’article 19. Cet article répond à une vieille demande de l’Ofii, qui appelle depuis longtemps à déconcentrer et rationaliser les procédures.
M. Roger Karoutchi. Je préfère d’ailleurs parler de rationalisation plutôt que de simplification.
Monsieur Benarroche, que les préfectures travaillent réellement en symbiose avec l’Ofii et l’Ofpra, c’est beaucoup mieux pour tout le monde, y compris pour le demandeur d’asile.
M. Roger Karoutchi. Ce qui est réduit, ce n’est pas le temps prévu pour la constitution du dossier, mais le délai d’instruction et de décision. D’ailleurs, après la décision de l’Ofpra, le demandeur d’asile peut très bien aller devant la CNDA.
Il ne s’agit donc pas de réduire les droits du demandeur d’asile, mais de rationaliser l’action conjointe des préfectures, qui font très bien leur travail, de l’Ofii, qui fait très bien le sien, et de l’Ofpra.
Il faut en effet des moyens supplémentaires ; je vous l’accorde volontiers. Il y a quelques années, nous avons agi en ce sens en augmentant les moyens humains et matériels de l’Ofpra et de la CNDA, précisément pour raccourcir les délais de décision. Il faut continuer à œuvrer en ce sens. Mais tout le monde gagnera à la déconcentration prévue à l’article 19.
Tant que la décision n’est pas prise, le demandeur d’asile est placé dans une situation pour le moins inconfortable. Si sa demande est sincère, il a intérêt à savoir le plus vite possible s’il obtiendra ou non le statut de réfugié.
Cette rationalisation est bonne pour la cohérence de l’étude du dossier, bonne pour le demandeur d’asile « honnête » et bonne pour l’ensemble du pays. Il faut que l’on sache rapidement si le demandeur d’asile a bel et bien droit au statut de réfugié : c’est, in fine, dans l’intérêt de tout le monde.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Bien sûr, ce débat n’est pas d’ordre purement sémantique, mais la distinction entre simplification et rationalisation ne manque pas d’intérêt.
Monsieur Karoutchi, corrigez-moi si je me trompe : quand on veut rationaliser, on définit un objectif et l’on se donne les moyens de l’atteindre. Simplifier ne signifie pas tout à fait la même chose…
Nous défendons cet amendement dans un esprit de responsabilité. Monsieur le ministre, Ian Brossat vous a posé une question et nous attendons encore votre réponse : va-t-on déployer des moyens d’envergure en faveur de l’interprétariat ?
Pour les demandeurs d’asile, qui viennent formuler leur récit en s’appuyant sur un certain nombre de documents, l’appui d’un interprète est indispensable.
M. Pascal Savoldelli. Quant à la réduction des délais, elle constitue un véritable problème : à force de simplifier, on va réduire les possibilités de recours.
Nous le savons tous, les récits des demandeurs d’asile sont très différents les uns des autres. Ces hommes et ces femmes ont parfois subi des traumatismes extrêmement lourds. Certains d’entre eux ont été persécutés, ni plus ni moins : il faut préserver le temps nécessaire pour examiner leur dossier. Or un mois, ce n’est pas trois mois.
Certains migrants ont risqué leur peau en traversant la Méditerranée. De jeunes femmes, des enfants demandent l’asile en France après avoir été violés dans leurs pays. Je ne citerai pas tous les cas de figure, mais la simple évocation de ces traumatismes fait froid dans le dos.
Il faut considérer les demandeurs d’asile comme des individus à part entière, dans un esprit d’humanité…
M. le président. Veuillez conclure !
M. Pascal Savoldelli. … et de responsabilité.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Savoldelli, je comprends tout à fait le sens de votre intervention.
Vous insistez à juste titre sur l’interprétariat. Il n’est pas question d’avoir recours aux Guda déconcentrés si ceux-ci ne sont pas en mesure d’assurer la traduction pour une personne locutrice de telle ou telle langue, que ce soit à Lille, à Marseille, à Rennes ou à Bordeaux ; il y va de l’égal accès au service public. Ce travail d’interprétation peut être mené partout en France : c’est déjà le cas pour les auditions qu’effectuent les policiers et les gendarmes. Il y a évidemment des interprètes qui exercent en province, même pour certaines langues de l’Afghanistan. Mais, si nécessaire – c’est ce que permet le présent texte et c’est ce que précisera son appareil réglementaire –, la traduction de telle ou telle langue rare sera assurée en Île-de-France.
De plus – madame la rapporteure l’a dit in petto –, le délai préalable à l’entretien est inchangé. Je le souligne pour la clarté de nos débats, notamment à l’intention du Conseil constitutionnel.
Vous avez parfaitement raison de souligner la grande diversité des récits…
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certains sont extrêmement violents et il faut parfois du temps pour les construire. Mais ce délai n’est pas contracté. Il n’est pas rationalisé. C’est le temps du back office qui l’est.
On peut qualifier ce gain de temps de simplification ou de rationalisation. Je constate pour ma part, sans ouvrir le dossier de la réforme de l’État, que le travail des agents s’en trouvera simplifié.
Qu’il s’agisse de l’interprétariat ou de l’entretien, nous ne touchons à rien. Sur ces deux points essentiels, l’accès au droit sera inchangé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois même que cet article mériterait de faire l’unanimité dans cet hémicycle : il assure une amélioration du service public, dans une logique d’« aller vers ». C’est tout de même plus simple d’être entendu dans sa région que d’adresser un dossier à Paris. J’observe, au passage, que l’administration sait se réformer.
Je confirme évidemment mon avis défavorable sur cet amendement de suppression. Je comprends les questions posées par les élus du groupe communiste, mais les précisions apportées par Mme la rapporteure et moi-même sont de nature à les rassurer.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, vous prétendez que le back office verra ses délais raccourcis et que le temps de l’entretien sera, lui, préservé. C’est là une pure vue de l’esprit ! La réalité sera tout autre.
Vous supprimez le délai de vingt et un jours entre le dépôt de la demande d’asile en préfecture et la transmission du dossier à l’Ofpra. Or ce délai sert aussi à construire le récit dont M. Savoldelli a parlé.
Que vous le vouliez ou non, entre le moment où le demandeur d’asile remet sa demande et celui où il va présenter son récit, vous enlevez vingt et un jours, alors même qu’un tel délai est indispensable. En tant que tel, le récit des demandeurs d’asile n’est pas facile à construire ; avant de le présenter, il faut également le mettre en mots.
Les fonctionnaires que nous avons auditionnés nous l’ont dit eux-mêmes : pour statuer, ils ont besoin du récit le plus précis possible, le plus proche de la réalité. C’est sur cette base qu’ils pourront se prononcer.
Je le répète, sous couvert de rationalisation, vous supprimez vingt et un jours.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la rapporteur, nous savons bien que ce n’est pas vrai ! Mais passons…
Monsieur Benarroche, je vous précise que 150 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sont prévus pour les Guda au sein du projet de loi de finances pour 2024.
Évidemment, cette réforme ne sera pas menée à effectifs constants dans les préfectures. Nous prévoyons de renforcer les services concernés, notamment dans les grandes régions, là où il y a des Guda.
M. le président. L’amendement n° 641, présenté par Mme M. Jourda et M. Bonnecarrère, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le délai prévu à la première phrase du premier alinéa du même article L. 531-2 ne s’applique pas.
II. – Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
, hormis les cas où l’Office statue dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 531-24, L. 531-26 et L. 531-27 du même code
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mes chers collègues, ces dispositions méritent quelques explications, car – j’en suis bien consciente – les procédures dont il s’agit ne sont pas simples.
Je vous rappelle que le demandeur se présente au Guda de la préfecture et qu’il y fait enregistrer sa demande – on vérifie notamment qu’il n’a pas déposé de demande similaire dans un autre pays, conformément au règlement de Dublin. Il bénéficie des moyens que l’État lui accorde via l’Ofii. Désormais – c’est la nouveauté dont nous débattons –, en même temps et dans les mêmes lieux, il introduira sa demande d’asile auprès d’un agent de l’Ofpra.
Les représentants de l’Ofpra ont beaucoup insisté devant nous sur l’avantage que présente cet article ; cet office – on l’oublie parfois – a également pour rôle d’établir l’état civil des demandeurs d’asile. Or il s’agit d’un travail assez complexe. L’Ofpra accuse d’ailleurs un certain retard en la matière ; il ne s’en cache pas et s’efforce actuellement de réduire ces délais. Monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que plusieurs ETP supplémentaires seraient consacrés à cette mission.
L’intérêt de l’Ofpra, c’est aussi de disposer des informations les plus précises possible le jour de l’entretien, en particulier pour cette tâche d’état civil, qui s’en trouve facilitée et les délais réduits en conséquence.
M. Bonnecarrère et moi-même avons été assez sensibles à cet enjeu : les éléments d’état civil doivent être fournis lors du dépôt de la demande.
Les éléments de l’entretien seront-ils également communiqués ce jour-là ? Bien sûr, un certain nombre de questions seront posées, mais elles ne constitueront pas le récit sur lequel les demandeurs d’asile vont fonder leur demande. Ce récit sera développé par écrit, puis au cours d’un entretien qui aura lieu dans les locaux de l’Ofpra.
Il s’agit là d’un ajout décidé par la commission – nous avons en effet tenu compte d’un certain nombre de remarques formulées lors de nos auditions…