Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Pas du tout !
M. Philippe Bonnecarrère. Pas d’attaques ad hominem !
M. Xavier Iacovelli. Notre rapporteur s’est efforcé d’éclaircir certains points. Permettez-moi toutefois de dire que je ne vois dans ce travail qu’une simple modification de titre, qui masque en réalité une tentative de rétablir les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle des mineurs en France.
Arrêtez de stigmatiser ceux qui n’entrent pas dans le champ de vos critères de moralité !
Les organisations internationales de santé, telles que l’Organisation mondiale de la santé, ont mis en garde contre l’interdiction généralisée des traitements et recommandent d’adopter une approche individualisée, assortie d’un accompagnement pour les jeunes en questionnement de genre.
Je tiens à saluer avec force la position de la ministre Aurore Bergé, qui s’est prononcée contre ce texte discriminant. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Suivons ces recommandations et veillons à ce que nos lois ne reflètent que les meilleures pratiques médicales et éthiques dans notre pays. Je vous rappelle, mes chers collègues, que c’est cette responsabilité qui nous incombe.
L’adoption de cette proposition de loi constituerait une première dans notre République : cela signifierait que le législateur peut déterminer ou interdire des prescriptions médicales.
Non, il n’appartient pas au législateur de déterminer les prescriptions médicales !
Non, les sénateurs n’ont pas à anticiper des décisions de la Haute Autorité de santé !
Non, nous ne soutiendrons pas une démarche qui n’est qu’un prétexte pour donner crédit aux positions les plus radicales, les plus injustes et les plus réactionnaires de notre assemblée.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera contre ce texte, même dans sa version amendée en commission sur l’initiative du rapporteur. Au-delà de l’aspect idéologique, cette proposition de loi n’est fondée sur aucune donnée médicale avérée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas sûre d’avoir autant de certitudes que les orateurs que j’entends depuis deux heures…
En revanche, j’observe la société dans laquelle je vis. Je constate que les jeunes sont de plus en plus nombreux à se déclarer non binaires, à contester l’assignation de genre qui est liée à leur sexe de naissance. Je dis certes « de plus en plus », mais je tiens à préciser que les ordres de grandeur restent très modestes : nous ne sommes pas face à une vague de jeunes qui transitionnent.
Je constate aussi l’empathie, la bienveillance, la solidarité des autres jeunes à l’égard de ceux qui souffrent d’incongruence de genre.
M. Philippe Tabarot. Nous sommes les méchants…
Mme Laurence Rossignol. S’agit-il d’un phénomène idéologique, de propagande ? Je ne le crois pas.
En revanche, il est incontestable qu’il existe un phénomène générationnel non pas dans la volonté de réaliser une transition de genre, mais dans le rapport que chaque jeune entretient avec ceux qui s’interrogent à cet égard.
La jeunesse n’est globalement pas en bonne santé mentale dans notre pays – mais ce n’est pas mieux ailleurs – ni à l’aise avec le monde tel qu’il est aujourd’hui. Est-il dès lors pertinent d’examiner des mesures d’interdiction dans un domaine qui les touche et les émeut ? N’avons-nous vraiment rien trouvé de mieux ? Nous nous tromperions et commettrions une faute majeure à l’égard de la jeunesse.
Certains orateurs ont déjà évoqué à cette tribune l’absence de données scientifiques. Il faut reconnaître que celles-ci, quand elles existent, ne font jamais l’objet d’un consensus et sont toujours soupçonnées d’être manipulées au profit des uns ou des autres.
J’ai donc décidé de faire un petit pas de côté vis-à-vis des données scientifiques pour aller consulter ce fameux rapport du groupe Les Républicains. En dépit de l’ambiguïté qui a prévalu lors de sa parution, il ne s’agit pas d’un rapport sénatorial. Ce document n’engage donc que ledit groupe… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est bien que le pays le sache et que vous l’assumiez, mes chers collègues. Il est bon aussi que tout le monde sache que nous ne sommes pas partie prenante dans cette affaire.
Ce rapport part d’un fait, l’augmentation du nombre de demandes de transition, mais sans vraiment s’intéresser au fond.
L’augmentation manifeste des jeunes filles voulant transitionner devrait pourtant nous conduire à nous interroger. On peut comprendre que des jeunes filles, qui ont vu leur mère se battre pour l’égalité des droits contre les violences sexistes et sexuelles, (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) qui observent que la condition des femmes n’est vraiment pas une condition enviable et que la puberté les expose à ces violences, se demandent si le genre féminin est vraiment le meilleur pour vivre heureux, épanoui et dans l’égalité. (Mêmes mouvements.)
Mme Pascale Gruny. C’est scandaleux !
Mme Laurence Rossignol. Mes chers collègues, si ce que je viens de dire vous pose problème, sans doute devriez-vous réfléchir davantage à ce qui se passe aujourd’hui !
Surtout, ce rapport contient certaines affirmations.
Vous écrivez ainsi que les services de santé seraient complices en étant « transaffirmatifs ». Que signifie ce néologisme ? Tout simplement que ces services aideraient les mineurs à réaliser leur transition plutôt que de les en dissuader !
Mes chers collègues, la transition ne s’encourage pas, mais ne se combat pas non plus : elle est de l’ordre du fait. Cela me rappelle l’époque où l’on parlait des gens qui avaient choisi d’être homosexuels ; or l’homosexualité ne se choisit pas, elle se constate.
J’ai cherché les termes « intérêt de l’enfant » dans le rapport, mais je ne les ai pas trouvés. Il est question d’autorité parentale, mais jamais de l’intérêt de l’enfant ; or c’est bien lui qui devrait nous guider.
Ce texte procède d’une approche très idéologique, très civilisationnelle.
L’idée sous-jacente est que des fondamentaux de notre société – fondée sur la différence des sexes – qui étaient menacés hier par les homosexuels ou les lesbiennes, le seraient aujourd’hui par les trans et les non binaires.
En somme, ce rapport est le chapitre II du grand remplacement. Ses auteurs voient dans le phénomène dont nous discutons un nouveau grand remplacement, qui conduira à la décadence de l’Occident… Certains en parlent déjà très bien : il suffit d’écouter Vladimir Poutine évoquer nos civilisations et vous entendrez quelqu’un qui a fait des homosexuels et de la transidentité sa cible politique principale.
Enfin, j’ai été très étonnée de constater que toute une partie du rapport n’a rien à voir avec la santé : purement politique, elle concerne l’école. Vous proposez de revenir sur la circulaire Blanquer, qui aménage, à l’école, l’espace des enfants en questionnement de genre et permet, avec l’autorisation des parents, qu’ils changent de prénom. Si vous voulez lutter contre les transitions, soyez très ouverts sur la non-binarité : vous pourriez dire que c’est un moment de la vie des enfants, et ainsi les aider.
Au nom du principe de la neutralité de l’école, vous proposez de revenir sur cette circulaire ; or ce principe a un autre objet : interdire aux enseignants de manifester leurs convictions politiques ou religieuses ou de chercher à connaître celles des élèves.
Pour vous, la transition de genre est une opinion, une conviction politique et non un état personnel. Vous commettez là une grave erreur et vous révélez la dimension politique de votre propos. Le rapporteur l’a bien compris, puisqu’il a essayé de réintroduire une forme de décision médicale pour justifier cette interdiction générale.
Interdire les traitements à tous les enfants n’est pas raisonnable. Les enfants ne sont pas des clones. Il existe autant de parcours qu’il existe d’enfants : pour certains, ces traitements sont importants ; pour d’autres, ils sont peut-être inadaptés ou prématurés. Dans tous les cas, cela relève d’une décision médicale et d’une prise en charge pluridisciplinaire par des soignants formés et expérimentés.
Nous sommes donc d’accord pour que la prescription des hormones et la prise en charge des enfants relèvent de centres de référence spécialisés, à l’instar des dispositions de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique pour ce qui concerne les enfants intersexes. L’accompagnement psychologique de l’enfant et de ses parents ne peut être effectué, pas davantage que la prescription d’hormones, par un médecin de ville seul.
Cela étant dit, il n’y a pas besoin d’une loi pour faire tout cela.
Nous présenterons plusieurs amendements, car même si le rapporteur a fait des efforts pour rendre le texte plus acceptable, certaines mesures ne le sont pas. Je pense notamment au délai de carence de deux ans entre la première consultation et la prescription des bloqueurs de puberté. Qui sommes-nous pour décider d’un tel délai ? Pour chaque enfant, une équipe disciplinaire dira ce qu’il faut faire.
Vous proposez également d’interdire la prescription d’hormones croisées avant l’âge de 18 ans. Là encore, le législateur se substituerait à la décision médicale. Ce n’est pas la bonne méthode.
Nous défendrons des amendements visant à rendre à la décision médicale ce qui est de son ressort et à éviter les mesures de prohibition qui, comme vous le savez parfaitement, ne feraient que favoriser la contrebande et le trafic de médicaments – ce qui ne serait pas prescrit se trouverait assurément sur internet ou à l’étranger…
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à la prise en charge des mineurs en centres pluridisciplinaires spécialisés. C’est aux équipes de soignants desdits centres de prendre les décisions propres à chaque enfant, dans son meilleur intérêt.
Notre groupe est également d’accord pour que la chirurgie ne soit pas accessible aux mineurs.
Monsieur le ministre, j’aurais pu vous épargner ces neuf minutes en reprenant votre intervention mot pour mot. Nous voterons contre ce texte et nous vous demandons, monsieur le ministre, d’être cohérent et d’aller au bout de votre logique en vous engageant à organiser cette nouvelle offre de soins, en respectant le calendrier prévu par la HAS et en émettant un avis défavorable sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI. – Mme Silvana Silvani applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un travail assez long, minutieux et fouillé du groupe Les Républicains sur une situation connue depuis des dizaines d’années, à la fois du monde juridique et du monde médical.
Nous parlions alors de transsexualité, c’est-à-dire de l’état d’une personne née dans un sexe établi, homme ou femme, se ressentant profondément et de manière durable comme appartenant au sexe opposé.
Bien que le phénomène soit assez peu quantifiable aujourd’hui, nous constatons une recrudescence de ce type de situations chez les mineurs. À cet égard, le ministère de l’éducation nationale a jugé utile de prendre une circulaire…
M. Xavier Iacovelli. Pour protéger les enfants !
Mme Muriel Jourda. … pour donner des directives à ses personnels face à ces situations qui se reproduisent dans le milieu scolaire.
De cette recrudescence est issue cette proposition de loi, qui prévoit, d’une part, que l’on ne fasse rien d’irréversible pendant la minorité – ni hormones croisées ni interventions chirurgicales – et, d’autre part, que la prescription de bloqueurs de puberté relève d’une équipe pluridisciplinaire, qui aura pris cette décision au bout d’un délai déterminé, au regard de la situation particulière de l’enfant et dans la mesure où son discernement serait suffisant.
De nombreuses oppositions se sont exprimées, présentant des arguments plus ou moins élégants et d’une bonne foi plus ou moins relative. L’un d’entre eux, que Mme Vogel a invoqué à l’appui de sa motion, m’a particulièrement marquée : celui du droit à l’autodétermination de l’enfant, c’est-à-dire la liberté qu’aurait l’enfant de décider de son sexe.
Mes chers collègues, pardonnez-moi d’être aussi abrupte – même si les propos abrupts n’ont pas manqué dans ce débat et que d’autres s’ajouteront encore, à n’en pas douter, à l’encontre des auteurs de ce texte –, mais avons-nous perdu tout bon sens ?
Vous rappelez-vous ce qu’est un enfant ? (M. Xavier Iacovelli proteste.) Si vous interrogez un enfant de 10 ans ou 12 ans, il vous répondra qu’il ne veut pas aller à l’école, qu’il veut rester toute la journée dans sa chambre à regarder des vidéos sur TikTok et à jouer à la PlayStation en mangeant des frites et du ketchup. (M. Xavier Iacovelli se récrie. – Exclamations sur les travées du groupe SER.) Et nous le laisserions décider de son sexe ?
Avez-vous oublié ce qu’est un adolescent ? Un adolescent, c’est un enfant un peu plus grand, qui se coupe de toutes les règles posées par ses parents, qui ne se reconnaît que dans ses semblables et qui est, avec eux, soumis à toutes les modes et à toutes les influences.
Pour ce qui concerne ses rapports avec le sexe opposé, ou avec ceux qui sont du même sexe, c’est-à-dire la définition de sa sexualité, il oscille entre angoisses, interrogations, vantardises, moqueries… C’est cela un adolescent.
C’est à ces êtres en construction, à ces adultes en devenir que vous demanderiez de prendre des décisions qui affecteront leur vie affective, leur vie sexuelle, leur capacité à avoir des enfants et leur santé, tout simplement ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Très bien !
Mme Muriel Jourda. Cela ne me semble pas raisonnable.
Notre rôle de législateur, non plus que notre rôle d’adulte, n’est pas de définir l’intérêt général à l’aune de nos propres expériences.
Notre rôle d’adulte, c’est d’entendre les enfants et de les accompagner, notamment dans leurs difficultés. Se sentir appartenir au sexe opposé à celui de sa naissance ne doit assurément pas être facile à vivre. Toutefois, entendre ces enfants ne signifie pas prendre leurs propos comme autant d’injonctions auxquelles il faudrait obéir.
Notre rôle, surtout, est de protéger les enfants, y compris contre eux-mêmes, quand ils n’ont pas la capacité de comprendre les conséquences de ce qu’ils désirent ou de ce qu’ils indiquent désirer.
Il me semble que cette proposition loi répond exactement à ce rôle, qui est celui du législateur et de l’adulte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mineurs trans n’existent pas, n’en déplaise aux adeptes de la transmania et à leurs porte-étendards, de Mme Vogel à M. Brossat.
En tout cas, ils n’existaient pas avant que le progressisme le plus fanatique n’abatte toutes les limites anthropologiques – la famille, la biologie, les repères. C’est votre idéologie libertaire d’adulte qui a construit un labyrinthe de souffrances pour les enfants.
Ces idées leur ont été bombardées par une propagande LGBTQIA++++… Toujours plus de délires venus d’outre-Atlantique, (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) entretenus comme une mode par les influenceurs, les réseaux sociaux et leurs algorithmes, le monde de la culture et les médias en continu.
En 2020, je me souviens d’une séquence télévisuelle dans laquelle un petit garçon de 8 ans seulement se sentait fille et était présenté comme une bête de foire dans une émission à forte audience. Ce mode de procédé infâme ressemble à de l’exploitation, non à de l’éducation.
Les pédopsychiatres sont pourtant unanimes : à cet âge, on agit principalement pour plaire à ses parents. Votre individualisme exacerbé et dévoyé combine paradoxalement l’enfant roi, à qui l’on passe tous les caprices, à l’enfant proie, à la merci des délires idéologiques et des grandes personnes.
Ce n’est pas pour rien que la loi française n’accepte pas le changement de sexe d’un enfant à l’état civil. Il existe une réalité biologique et sexuée des personnes et aucun parent n’a le droit d’y contrevenir pour son enfant.
Les enfants concernés par ces questionnements ne possèdent pas toutes les données pour prendre des décisions irréversibles pour leur corps : la loi doit donc protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.
Mes chers collègues, s’il existe un principe de précaution pour l’écologie environnementale, il doit exister un principe d’hyper-précaution pour l’écologie humaine.
Les pays nordiques, pourtant très progressistes sur ces sujets, font aujourd’hui machine arrière. L’Angleterre a mis fin aux bloqueurs de puberté depuis le 1er avril de cette année. Il n’y a pas eu d’alternance politique en Angleterre : simplement, de nombreuses études scientifiques et médicales démontrent que ces bloqueurs de puberté, initialement prévus à petite dose pour les enfants à la puberté précoce, sont détournés de leur vocation et posent de graves problèmes pour le développement du squelette et du cerveau. (Mme Émilienne Poumirol s’exclame.)
M. Ian Brossat. N’importe quoi !
M. Stéphane Ravier. Physiologiquement, il ne s’agit en rien d’une pause anodine. Tirons donc les enseignements des calamiteux retours d’expérience de nos voisins face à un empressement à intervenir médicalement sur le corps des enfants. Se donne-t-on le temps d’évaluer tout ce qui se passe dans leur tête ?
Notre assemblée, qui a renforcé la protection des mineurs victimes de violences sexuelles en 2021, ne saurait faire fi, dans le même temps, de la vulnérabilité de ces enfants dans leur capacité de discernement au moment de choisir l’ablation irréversible de leurs organes sexuels, ce qui n’est rien d’autre qu’une mutilation, l’injection d’hormones du sexe opposé ou le blocage de leur puberté.
C’est pourquoi notre opposition à ces trois traitements pour les enfants mineurs devrait être unanime ; la mienne est en tout cas sans équivoque. (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K. – Mmes Laurence Muller-Bronn et Sylviane Noël applaudissent.)
M. Xavier Iacovelli. Eh bien voilà !
M. Ian Brossat. On a les soutiens qu’on mérite…
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, protéger les mineurs, l’ensemble de notre jeunesse, c’est notre volonté à tous. Il s’agit d’une préoccupation majeure de toute société, dont l’avenir est conditionné au bien-être de ses enfants.
Nous avons bien conscience que la transidentité, notamment chez les mineurs, est un sujet qui occupe de plus en plus de place dans la société, mais aussi au sein de la communauté médicale, et sur lequel il est nécessaire de prendre le temps de mener une réflexion sérieuse et approfondie.
Comme moi, chers collègues, vous avez certainement reçu de nombreux mails pour défendre ou condamner le principe de cette proposition de loi. Sa nature relève prioritairement du domaine médical, mais aussi de la conscience personnelle, au-delà des clivages politiques.
Ce texte est issu du rapport du groupe Les Républicains sur la transidentification des mineurs. Globalement, les arguments avancés ne correspondent pas toujours aux chiffres indiqués, qui concernent essentiellement les majeurs ou d’autres pays.
Il est donc extrêmement difficile de se prononcer sur un texte dont tous les aspects ne sont pas appréhendés avec précision et exhaustivité.
Il nous semble totalement déraisonnable de légiférer sur un sujet aussi important en se fondant seulement sur un rapport interne d’un groupe parlementaire. La Haute Autorité de santé travaille en ce moment même à l’élaboration d’un rapport complet sur la question de la prise en charge des personnes transgenres. Légiférer en amont des conclusions de ce rapport, et donc prendre une décision politique avant un avis scientifique, ne nous semble pas opportun.
Généralement, plus on politise les sujets de santé, moins ils sont bien gérés, et plus on les médicalise, meilleurs sont les résultats.
Il convient également de souligner que la proposition de loi traite et de la transidentité et de la pédopsychiatrie ; or ces deux sujets ne doivent pas être confondus dans un même texte.
Enfin, nous nous interrogeons sur le moment choisi pour cet examen. Nous refusons que ce sujet d’importance soit traité de cette façon, alors que les personnes concernées sont exposées, dans de très nombreux cas, à une grande souffrance.
Selon leur conscience, et pour toutes ces raisons, à la quasi-unanimité, les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires ont décidé de ne pas prendre part au vote.
M. Guillaume Gontard. Vous auriez pu votre contre !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. Je la salue, parce que je reconnais que le sujet est difficile et qu’il faut un certain courage pour l’aborder.
Permettez-moi aussi de saluer le sénateur Alain Milon, dont l’expertise et les connaissances m’ont beaucoup apporté et dont le travail en tant que rapporteur aura permis d’aboutir à un consensus plus large.
Il ne s’agit pas d’un petit texte et ceux qui le prennent à la légère se trompent. Il s’agit au fond de la question de l’émancipation des individus : les mineurs, enfants et adolescents, peuvent-ils échapper au déterminisme, à la fatalité, au destin ? C’est bien cette grande question de l’émancipation qui se pose à nous, élus de la République. Comme le disait si bien Cioran, ce que nous nommons émancipation n’est autre que le libre choix d’une âme entre différentes limitations.
Les auditions menées par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio témoignent de la nécessité, voire de l’urgence à légiférer. Les scientifiques et les philosophes, nous éclairant de leur savoir et de leur lumière, nous ont rappelé que la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ne pouvait être l’apanage de l’idéologie et de la morale.
Le législateur doit faire son entrée. La rationalité de la loi doit définir un socle, une référence acceptée par tous, c’est-à-dire définie démocratiquement en assemblée et non selon l’appréciation intime d’un psychologue ou d’un endocrinologue en cabinet.
Comment répondre aux besoins d’émancipation des individus ? Comment garantir leur liberté et le droit à la poursuite du bonheur, comme le rappelle la Déclaration d’indépendance des États-Unis ? Que répondre à la demande de certains mineurs qui s’adressent à nous, témoignant de leur mal-être, de leur traumatisme, du fait qu’ils se sentent engoncés dans un corps et dans un genre dont ils estiment ou dont on leur dit qu’il n’est pas le leur ? Pourquoi venir briser un triptyque paraissant assez légitime – la volonté d’un jeune, l’accord des tuteurs et la validation d’un professionnel ? Enfin, que répondre aux postulats des tenants de la transidentité affirmant que, pour des raisons sociales, psychologiques et corporelles, il y a urgence à agir au plus vite quand s’exprime le besoin d’un changement et qu’il faut répondre favorablement à cette volonté ? En fait, pourquoi attendre la majorité ?
Car oui, mes chers collègues, la grande controverse de ce texte tient non pas à la question du genre ou de l’accompagnement, mais à celle du temps. Que penser du temps de l’enfance et de l’adolescence, qui mène à l’âge adulte ?
L’attente n’a pas la même valeur chez l’enfant, chez l’adulte et chez la personne âgée. S’il est bien un moment dans la vie où le temps ne semble pas n’être que du sable qui s’écoule entre nos mains et qui nous use, c’est l’enfance, ce moment où chacun de nos pas fait sens, ce temps de la construction de l’être, de l’apprentissage et des doutes.
Trop souvent, nous voulons faire accroire que le temps nous contraint au déterminisme, qu’il rend les choses irréversibles et qu’il agit sur nous comme une contrainte. Nous croyons au contraire que « donner du temps au temps », comme disait un certain Président de la République, n’est pas une chose vaine, parce que la pensée évolue autant, voire davantage que le corps. Et seul le temps permet à la pensée, la vraie, celle qui est renforcée par l’âge adulte, de dominer le corps. Or si le corps domine et que la pensée évolue, les mutations sont irréversibles. C’est cela que nous voulons éviter par cette proposition de loi. Le temps chez le mineur, plus qu’à n’importe quel autre moment de la vie, fait son œuvre.
Cette proposition de loi fait de la patience la seule forme de prudence convenable. Elle demande du temps, parce que le temps est à l’enfance la meilleure arme contre le déterminisme. C’est en cela que je la soutiendrai, tout comme certains membres du groupe Union Centriste.
Ce texte permet aussi d’agir, dès maintenant, grâce à la prise en charge des personnes mineures présentant une dysphorie de genre.
Il met en place une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie et instaure une concertation pluridisciplinaire entre les experts et les médecins au sujet des bloqueurs de puberté.
Le journal Marianne nous rappelle que les réunions pluridisciplinaires sont en théorie une bonne chose. « Mais en l’état actuel, les endocrinologues sont, pour beaucoup, frileux à suivre les mineurs, et les psychologues, pour certains, refusent tout traitement avant 18 ans. Les réunir ne réglera donc probablement pas tout le problème de la qualité de la prise en charge et de l’accompagnement. » Toutefois, ces réunions auront le mérite d’exister et peut-être d’éclairer davantage le législateur sur les évolutions à apporter.
Remercions la commission et notre rapporteur d’avoir su faire évoluer le texte.
Permettez-moi, dans les quelques minutes qui me restent, de m’adresser à cet enfant qui m’écoute peut-être, parce que je rappelle que c’est lui qui est au cœur du sujet : ce n’est qu’en grandissant que tu seras persuadé et que tu mesureras la valeur de tes choix.
Je te le dis, un jour tu seras l’adulte que tu veux être. Mais ce jour-là, tu te rappelleras que les sénateurs, dans leur sagesse, t’auront empêché de t’en vouloir, d’en vouloir à ton enfance et aux adultes qui t’entouraient. (Murmures sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) La sénatrice que je suis veut que tu trouves en toi non pas seulement la fille ou le garçon, mais le citoyen ou la citoyenne qui est en toi, (Mme Mélanie Vogel s’exclame. – Mme Émilienne Poumirol et M. Yan Chantrel ironisent.) c’est-à-dire l’être qui triomphe par sa rationalité et par un raisonnement construit et qui accepte de voir en lui autre chose que son identité. (Mme Mélanie Vogel proteste.)
Tu comprendras que nous avons voulu t’isoler des adultes, qui trop souvent suivent la mode et ont peur de s’opposer au rouleau compresseur du progrès, (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) pour te donner autant de chances à toi qu’aux enfants qui suivront. Les voies sont contradictoires, mais le doute doit profiter à l’insouciance de l’enfance. Et comme nous le faisons dans de multiples domaines, la frontière entre la majorité et la minorité doit être sacrée.