M. Thierry Cozic. C’est pourtant ce que pensent 75 % des Français !
M. Antoine Armand, ministre. Monsieur le sénateur, les enquêtes d’opinion ne masquent pas la réalité de l’évolution de la dépense publique dans notre pays.
M. Victorin Lurel. Nous n’avons pas la même conception de l’austérité !
M. Antoine Armand, ministre. On ne peut pas tout arrêter à chaque fois que quelqu’un se plaint du fait qu’on réalise telle ou telle économie. D’ailleurs, nous tenons certainement là une partie de l’explication de l’augmentation de nos déficits… Nous ne pourrons jamais réduire les déficits publics et la dette – 3 300 milliards d’euros, je le rappelle – si nous parlons d’austérité, alors que les dépenses augmentent.
Monsieur le sénateur Blanc, vous vous êtes étonné de notre prévision concernant la TICPE, mais cela rejoint ce que je disais à propos des anticipations que nous faisons sur les composantes de la croissance l’année prochaine : si la consommation et l’investissement des entreprises croissent, la consommation énergétique croît également, de même que les recettes de la TICPE.
M. Grégory Blanc. Donc, vous ne respectez pas l’accord de Paris ! CQFD !
M. Antoine Armand, ministre. L’accord de Paris fixe une perspective jusqu’en 2050 et là nous parlons d’une hypothèse de croissance pour 2025 ! Je pense que nous sommes tous suffisamment de bonne foi pour distinguer le respect de l’accord de Paris et l’évolution sur une année des recettes tirées de la TICPE.
Par ailleurs, vous avez dit que la France était inadaptée au changement climatique.
M. Grégory Blanc. Sur le plan fiscal !
M. Antoine Armand, ministre. Vous avez en effet évoqué la fiscalité environnementale, et je vous rejoins sur ce point. Cependant, il n’a échappé à personne dans cet hémicycle qu’il est particulièrement difficile de réformer les dispositifs d’incitation fiscale dans ce domaine. La priorité du Gouvernement est de rétablir nos finances publiques et nous n’allions pas nous lancer, quelques jours après notre entrée en fonction, dans une sorte de chamboule-tout fiscal. Pour autant, Agnès Pannier-Runacher et moi-même ne comptons pas laisser ce dossier en jachère.
En ce qui concerne notre adaptation au changement climatique, je dois vous dire, sans fierté particulière, que nos partenaires européens regardent le plan que nous avons présenté avec intérêt. Nous parlons bien d’un plan d’adaptation et non d’atténuation, et c’est le premier de ce type en Europe. Les événements catastrophiques des derniers jours ont démontré, s’il en était besoin, l’importance de l’adaptation. Nous devrons naturellement trouver des financements et c’est ce que nous faisons, puisque le budget de la transition écologique est en hausse. On ne peut donc pas dire que nous ne nous préparons pas.
Monsieur le sénateur Lurel, vous nous reprochez d’obliger les Français à prendre part à une course de vitesse, et vous semblez estimer que nos efforts pour faire sortir rapidement notre pays de la procédure de déficit excessif dont il fait l’objet risquent de ralentir sa croissance.
Mais là encore, je vais vous faire une confidence : je ne crois pas que beaucoup de nos partenaires pensent qu’un pays comme le nôtre, qui a 3 300 milliards d’euros de dette, 6 % de déficit, un budget en déséquilibre depuis 1974, le niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés de l’Union européenne, le taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde et qui va mettre sept ans au lieu de quatre pour faire revenir son déficit en dessous des 3 % du PIB, aille trop vite !
À partir de 2026, nous serons le seul pays européen dont le déficit sera supérieur à 3 % de son PIB. Je le redis, peu nombreux sont les pays qui se disent que nous allons trop vite… Je crains même que nous n’allions pas assez vite.
Le rythme que nous vous proposons permettra justement de parvenir à un équilibre entre, d’une part, cette nécessité de réduire nos déficits et notre dette et, d’autre part, le risque que vous évoquez d’abîmer la croissance et l’importance de préserver certains budgets comme celui de la transition écologique.
Monsieur le sénateur Laménie, vous avez parlé de sérénité : il est en effet difficile d’être serein avec ce niveau de déficit et de dépenses publiques.
Vous avez aussi parlé d’une revue des dépenses publiques. C’est un marronnier de la politique française : nous disposons d’énormément d’éléments, de rapports et d’analyses en la matière. Je pense par exemple à CAP 2022, un exercice transpartisan qui avait été lancé en 2017. À partir de là, la question est de savoir si nous réussirons à trouver un consensus.
Au fond, je considère qu’il serait préférable de sortir le plus vite possible de la logique du rabot, mais cela implique que nous fassions des choix difficiles. Car je veux le dire très clairement et sans langue de bois : il va être très difficile de faire baisser la dépense publique, ce ne sera ni agréable ni – j’en ai bien peur – très populaire.
Nous devrons faire des choix sur les missions que l’État exerce, en tenant compte de la situation des finances publiques. Est-ce que l’État doit intervenir en toute matière ou doit-il se concentrer sur les missions régaliennes – le soutien aux investissements, l’éducation, la santé, la sécurité, la lutte contre l’immigration illégale… –, dans les domaines où nos compatriotes attendent que nous agissions en priorité ?
Je crois que nous devons regarder comment nos partenaires font et peut-être devrons-nous travailler autrement qu’aujourd’hui sur certains sujets. Si nous ne réduisons pas les dépenses publiques de cette manière, nous serons sans cesse confrontés à la logique du rabot qui est souvent à la fois inefficace et injuste – le président de la commission des finances, les rapporteurs généraux et l’ensemble des sénateurs le savent bien.
Nous devons donc mener une revue des dépenses mission par mission – je serai à l’écoute de toutes les propositions –, et pas seulement de manière globale, en ayant le courage de nous dire que, dans les cinq prochaines années, nous n’aurons plus les moyens de faire telle ou telle chose. Et c’est tout le contraire d’un aveu de faiblesse !
Par exemple, plusieurs sénateurs ont évoqué la question des agences et des opérateurs de l’État. Je suis le premier à dire qu’il est indispensable de bouger en la matière. C’est évidemment une question d’efficacité, parce qu’il arrive que des agences aux doctrines contradictoires soient en concurrence sur un même secteur.
Mais ne croyez pas que la simple fusion de plusieurs agences ou la rationalisation du travail de plusieurs d’entre elles nous fera faire beaucoup d’économies : nous y gagnerons peut-être un peu sur les fonctions support, mais ce ne sera pas massif. Ce qui est déterminant, c’est de décider que l’une des missions qu’elles exercent ne relève plus de la sphère publique et, donc, d’un financement public. Sur un tel sujet, il sera difficile d’éviter des débats douloureux…
Monsieur le sénateur Hugonet, comme vous avez des lettres, vous avez su lire derrière les chiffres…
Vous avez déploré le fait qu’il y ait de l’incertitude et il est vrai que je vous ai présenté une trajectoire, pas un plan garanti. Il ne faut pas oublier que nous devons respecter le principe d’annualité budgétaire.
Plus largement, le monde est confronté, comme mes partenaires et moi-même en avons fait le constat aux récentes assemblées générales de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, à deux incertitudes radicales : le niveau de la croissance mondiale pour les deux ou trois prochaines années ; les chocs à venir.
J’ajoute que les économistes de tout bord s’accordent à dire que la crise de la covid-19 a fait perdre au monde, de manière pérenne, au moins un point de PIB, parce que, même quand on a, comme en France, beaucoup protégé le pays, les structures productives ont été durablement affectées.
Vous avez également mis en avant l’importance de l’indicateur de dépenses primaires nettes : nous considérons que c’est un indicateur très important. Si l’on réfléchit autrement, on ajuste perpétuellement la recette à la dépense, ce qui conduit à des dépenses publiques et à des prélèvements obligatoires extrêmement élevés. Ce phénomène n’est pas en soi problématique, mais il le devient quand on ne réussit pas à pousser la croissance au-delà des 1 % de PIB et que le taux de satisfaction dans les services publics reste faible. Quand on ajoute à cela l’augmentation de la charge de la dette, on aboutit à un réel problème de crédibilité.
Voilà les raisons pour lesquelles le Premier ministre a fixé comme objectif la réduction des déficits et de la dette. De ce point de vue, j’estime que j’ai la chance d’appartenir à un tel gouvernement.
Madame la sénatrice Schillinger, vous avez évoqué la question des inégalités territoriales, celle des déserts médicaux et de l’accès aux services publics.
Il est vrai que les inégalités se sont beaucoup trop accrues ces dernières années – c’est l’élu d’un territoire rural, mais aussi de montagne, qui vous le dit – et qu’en réduisant les dépenses nous avons parfois perdu le lien avec les habitants.
C’est pourquoi nous pouvons nous féliciter que le Premier ministre ait décidé de créer un ministère du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, qu’il ait particulièrement mis l’accent, notamment devant cette assemblée, sur les maisons France Services et les services publics de proximité et qu’il ait approuvé la préservation des enveloppes budgétaires qui leur sont consacrées.
Par ailleurs, je continuerai de soutenir nos efforts, y compris budgétaires, en faveur de la décarbonation de l’industrie – j’imagine que nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de finances. C’est ainsi que nous préparons la compétitivité de demain.
En ce qui concerne l’emploi et les salaires, le projet du Gouvernement est évidemment perfectible, mais la réforme qui s’inspire des travaux d’Antoine Bozio et d’Étienne Wasmer est importante.
Le dispositif actuel d’allégement de cotisations sociales incite de fait les entreprises à ne pas augmenter les salaires, ce qui crée un phénomène de trappe à bas salaires. C’est mauvais de tout point de vue : pour les salariés qui n’arrivent pas à combler les besoins essentiels de leur famille – se loger, se nourrir, se déplacer, etc. –, mais aussi pour la croissance, puisque ce système ne favorise ni l’investissement ni l’amélioration de la qualification des employés.
C’est pourquoi nous devons avancer dès aujourd’hui sur ce sujet, même si nous devons aussi prendre du temps et faire attention à ce que cela ne pèse pas excessivement sur le coût du travail.
Monsieur le sénateur Daubet, je ne vais pas dire que je ne partage pas vos inquiétudes sur les signaux faibles que nous détectons de toute part, que ce soit dans l’agriculture ou dans l’industrie. En fait, si nous n’arrivons pas à trouver des marges budgétaires dans les toutes prochaines années pour soutenir l’innovation et la croissance et pour faire baisser le coût du travail, ces signaux deviendront plus forts…
C’est plus largement un sujet européen sur lequel Michel Barnier m’a demandé de travailler avec les États membres de l’Union et les institutions communautaires. Nos partenaires asiatiques ou américains, qui sont aussi des concurrents, ont depuis longtemps une autre vision des relations commerciales et de la politique industrielle. Nous ne sommes pas dans un monde idéal d’ouverture et de libre-échange non faussé. L’Europe doit sortir de sa naïveté en la matière pour prendre en compte la dimension hostile et agressive des pratiques commerciales internationales.
Je me réjouis d’ailleurs que la Commission européenne, notamment inspirée par la France, ait fixé des droits de douane de 35 % sur les importations de véhicules électriques en provenance de certains pays asiatiques. Ce n’est pas rien ! La Commission a démontré de manière totalement indépendante que ces pays versaient des subventions massives à leur industrie, alors même que nous nous battons en Europe pour que notre parc automobile s’oriente vers l’électrique sans que cela pèse trop lourdement sur notre industrie, en particulier sur les sous-traitants qui ne doivent pas sortir abîmés de cette phase de transition.
Vous le voyez, nous devons travailler sur ces sujets à la fois au niveau national et au niveau européen.
En tout cas, je ne peux qu’aller dans votre sens quand vous évoquez la nécessité des réformes et, comme je le disais, nous présenterons des propositions de fond pour rééquilibrer les choses entre fonction publique et secteur privé, réévaluer les missions exercées par l’État ou améliorer la qualité de la dépense publique.
Madame la sénatrice Blatrix Contat, si nous mentionnons dans ce document des réformes passées, ce n’est pas par glorification de notre action, mais parce qu’elles auront des effets macroéconomiques dans les années à venir sur le taux d’emploi ou les finances publiques – je pense évidemment à la réforme des retraites ou à celle de l’assurance chômage. C’est d’ailleurs pour cela que nous les avons faites !
En outre, il est clair que nos partenaires européens regardent tout cela avec attention et qu’ils sont notamment très vigilants à ce que nous ne remettions pas en cause des réformes qui sont bonnes pour les finances publiques et le taux d’emploi des seniors.
Je ne reviens pas sur la question du rythme – j’en ai parlé –, mais je veux insister sur le fait que nous devons absolument montrer que nous sommes capables de produire un effort important dès l’année prochaine. La crédibilité de la France en Europe est en jeu.
Monsieur le sénateur Le Rudulier, je reprends à mon compte votre inquiétude sur la perte de contrôle de nos finances publiques. Cela doit nous alerter sur un point : au-delà des chiffres eux-mêmes, ce qui est important, c’est la méthode. Je ne veux évidemment pas comparer la France à une entreprise, mais quelle entreprise ayant un tel niveau de déficit et de dette ne regarderait pas de manière très attentive ses dépenses ?
Nous devons donc – je pense bien sûr au Gouvernement, mais aussi à la représentation nationale, aux économistes ou aux experts – regarder en permanence et au plus près l’évolution de nos dépenses publiques pour les garder sous contrôle et être capables de réagir en cours d’année, si le besoin s’en fait sentir. C’est là encore une question de crédibilité.
Vous avez dit que nous devions regarder au-delà de la colline. En tant que montagnard, je parlerai plutôt de la montagne, mais le fait est que nous devons avoir une conscience claire du mur d’investissement qui se dresse devant nous pour la transition écologique.
L’écosystème français de l’innovation est puissant, mais l’honnêteté commande de dire que les États-Unis et certains pays asiatiques vont encore plus vite que nous, en particulier en matière d’intelligence artificielle ou d’énergies décarbonées. Il est donc très important de soutenir ce secteur, comme le font tous les pays innovants dans le monde, par des dispositifs publics offensifs.
Cela nécessite de faire des économies et de supprimer les doublons, ce qui fait le lien avec ce que vous avez dit sur les agences.
Je conclurai en évoquant la question de l’équilibre territorial. Nous disposons, avec les rapports d’Éric Woerth et de Boris Ravignon, des outils nous permettant de remettre à plat les déséquilibres que nous connaissons, en particulier en termes de fiscalité, et de mieux mettre en œuvre le principe de libre administration des collectivités locales. Passons des rapports aux actes !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l’orientation des finances publiques.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 5 novembre 2024 :
À neuf heures trente :
Questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants (texte de la commission n° 97, 2024-2025) ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale (texte de la commission n° 86, 2024-2025) ;
Trois conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part, et de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part (procédure accélérée ; texte de la commission n° 687, 2023-2024) ;
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (procédure accélérée ; texte de la commission n° 722, 2023-2024) ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (texte de la commission n° 602, 2023-2024) ;
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (texte de la commission n° 724, 2023-2024) ;
Proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, présentée par Mme Marie Mercier et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 99, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la délégation aux entreprises.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Mireille Conte Jaubert est proclamée membre de la délégation aux entreprises.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER