M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’orientation des finances publiques et du plan budgétaire et structurel à moyen terme de notre pays.

Ce plan est crucial pour poser les bases d’une gestion des finances publiques durable dans un contexte incertain. Les crises récentes ont mis à rude épreuve ces finances, et il est impératif que nous reprenions le contrôle de la situation budgétaire.

À ce stade, je tiens à souligner que le groupe RDPI souscrit pleinement à l’objectif de redressement des comptes publics. La croissance de la dette publique, qui atteindra bientôt 114,7 % du PIB, est préoccupante. L’aggravation des déficits compromet notre souveraineté économique et notre crédibilité internationale.

Le plan qui nous est présenté prévoit de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici à 2029. Il nous faudra impérativement nous y tenir. Étaler l’effort jusqu’en 2029 est une décision pragmatique, qui permet de lisser les ajustements, sans étouffer la croissance économique ni fragiliser les services publics essentiels.

Nous avons tous conscience que pour réaliser les 60 milliards d’économies prévues, nous devrons faire preuve de détermination et de méthode.

Cela dit, cette trajectoire doit impérativement être accompagnée de mesures destinées à garantir que l’effort ne se fasse pas au détriment des plus vulnérables.

Mme Patricia Schillinger. Nous devons absolument éviter d’affaiblir les services publics dans les territoires ruraux, ainsi que dans les territoires ultramarins, où la fracture territoriale est déjà trop marquée. (M. Victorin Lurel acquiesce.)

Nos concitoyens, où qu’ils se trouvent, doivent continuer à bénéficier d’un accès aux soins, à l’éducation et à la sécurité. Dans de nombreux territoires, la question des déserts médicaux est devenue un problème majeur, et le département dont je suis élue, le Haut-Rhin, ne fait pas exception.

Il est donc crucial que la réduction des dépenses n’aggrave pas ces inégalités.

Le Sénat est la maison des territoires. Aussi, je me dois d’aborder la question des collectivités locales, qui seront appelées, elles aussi, à prendre leur part dans l’effort de réduction des dépenses ; en responsabilité, elles l’assumeront.

Toutefois, si la réduction du déficit public exige une mobilisation collective, à laquelle les collectivités locales ne sauraient se soustraire, il nous appartient de veiller à ce que l’effort reste supportable. Il est essentiel que les départements, qui sont au cœur des solidarités, les régions, dans leur rôle de soutien majeur à la vie économique, et bien sûr, les communes, piliers du maintien de la cohésion sociale, puissent conserver une capacité d’action suffisante pour continuer à conforter le dynamisme de nos territoires et à répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens.

Le Sénat prendra garde à ce que l’effort demandé n’entame pas la qualité des services publics de proximité ni la vitalité de nos territoires.

Je souhaite également insister sur la nécessité d’approfondir l’évaluation continue des politiques publiques, car trop d’angles morts nuisent encore à l’efficacité des dépenses.

La revue annuelle des dépenses est cruciale pour identifier des économies structurelles et améliorer la qualité des services rendus.

Le succès du PSMT repose sur notre capacité à mieux dépenser, et pas seulement à moins dépenser.

Dans ce contexte budgétaire contraint, il est néanmoins primordial de continuer à investir dans des secteurs stratégiques pour l’avenir. Deux axes doivent rester au cœur de notre stratégie : la transition écologique et la réindustrialisation.

Le plan prévoit des investissements massifs pour accélérer la décarbonation de notre économie. Cet engagement est indispensable, non seulement pour répondre à l’urgence climatique, mais aussi pour renforcer la compétitivité de nos entreprises dans une économie de plus en plus axée sur le développement durable. La France doit se positionner en leader européen de l’économie verte, ce qui suppose un soutien sans faille aux énergies renouvelables, à la rénovation énergétique, ainsi qu’à la décarbonation de l’industrie.

La réindustrialisation, quant à elle, est essentielle. Elle permettra de recréer des emplois durables dans nos territoires. Notre pays pourra ainsi retrouver sa capacité productive et son autonomie industrielle.

L’emploi reste une priorité absolue, au cœur de la relance. Les réformes récentes ont abouti à des résultats encourageants : le taux de chômage, par exemple, est historiquement bas.

Toutefois, pour maintenir cet élan, nous devons renforcer l’accompagnement vers l’emploi des jeunes et des personnes éloignées du marché du travail.

Si la transformation de Pôle emploi en France Travail représente une avancée notable, la réforme de l’assurance chômage demeure une priorité. Il revient désormais aux partenaires sociaux de parvenir à un nouvel accord, qui tienne compte à la fois de l’impératif de réaliser des économies et des besoins d’un marché du travail en pleine transformation.

En matière de retour à l’emploi, je rappelle que plus d’un million de travailleurs demeurent encore sous le seuil de pauvreté. Si le travail reste une protection contre la pauvreté, il est également important qu’il soit rémunérateur. Aussi, il ne faut pas relâcher nos efforts pour que celui-ci paie et pour que l’emploi soit synonyme de sécurité économique et de reconnaissance.

Enfin, je tiens à rappeler que les efforts demandés doivent être équitables. Le plan prévoit ainsi une contribution temporaire des grandes entreprises et des ménages les plus aisés. Cela va dans le bon sens. Il est impératif que ceux qui bénéficient le plus de la croissance économique participent de manière proportionnée à l’effort collectif. Il y va de la justice sociale et de la cohésion de notre société.

Le chemin qui nous attend est semé d’embûches, monsieur le ministre. Je suis toutefois convaincue que nous pouvons atteindre nos objectifs. Pour cela, il nous faudra faire preuve de détermination, mais aussi, à plus long terme et au-delà des simples ajustements comptables, de courage politique. Nous devrons oser nous poser la question difficile d’une réforme structurelle et profonde de l’État.

Le plan que nous examinons aujourd’hui constitue un premier pas vers un nécessaire redressement budgétaire. Il nous faut, cependant, rester vigilants et maintenir un équilibre fragile entre les exigences de sérieux budgétaire et de réalisation des investissements indispensables pour l’avenir de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec toute l’incrédulité et la prudence qui siéent aux exercices de planification. Les prévisions sont certes nécessaires, mais on sait bien qu’elles ne se réalisent que rarement…

Néanmoins, la première qualité que l’on doit reconnaître à votre scénario, monsieur le ministre, c’est certainement son réalisme, a fortiori si on le compare à la trajectoire que nous promettait le précédent gouvernement.

Un objectif de déficit de 3 % du PIB en 2029, un effort budgétaire d’ampleur, la maîtrise de la dépense publique, le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale : tout cela semble raisonnable et rassurant.

Malgré tout, j’identifie deux faiblesses sur lesquelles je veux attirer votre attention.

La première concerne les perspectives macroéconomiques, et notamment la croissance, qui devrait atteindre, selon vos hypothèses, environ 1,2 % dans les années à venir. La lucidité commande d’avoir à l’esprit les signaux d’alerte qui émanent des remontées de terrain.

Les indicateurs économiques de l’Insee dans le département dont je suis élu, le Lot, par exemple, sont encourageants. Mais il serait imprudent d’ignorer les indices qui laissent augurer un risque de retournement de la situation.

Je pense d’abord à la profonde dégradation des bilans économiques des exploitations agricoles, qui menace directement l’économie rurale.

De même, des tensions de recrutement pèsent sur l’industrie et l’artisanat et conduisent à un repli volontaire des carnets de commandes. Ces difficultés à recruter freinent terriblement l’activité économique.

La consommation des ménages souffre, aux dires des commerçants, de fragilités que ne montrent pas les chiffres. Là se situe peut-être le facteur le plus inquiétant : la défiance dans laquelle baignent notre économie et notre société. La France traverse une triple crise de confiance : démocratique, économique et fiscale.

Ces constats suggèrent que la trajectoire proposée relève, au fond, d’un pari sur l’avenir plutôt que d’un plan garanti.

La seconde faiblesse de ce scénario porte sur les réformes destinées à consolider ces perspectives. La croissance ne se décrète pas. Nous devons dépasser l’arithmétique budgétaire et impulser une stratégie courageuse et ambitieuse.

Un choc d’investissement public serait, à mes yeux, un levier pertinent pour relancer l’économie et répondre aux défis de demain. Les investissements publics ont un effet multiplicateur avéré : ils stimulent l’activité économique bien au-delà des montants engagés.

Les collectivités territoriales, en tant que premiers investisseurs publics, jouent un rôle central dans cette dynamique. Pourquoi ne pas nous saisir complètement de cet outil ?

M. Victorin Lurel. Elles sont matraquées !

M. Raphaël Daubet. Toujours dans le département du Lot, cette année, l’enveloppe de subventions dont disposait Mme la préfète n’a malheureusement permis de soutenir que la moitié des projets prêts à être engagés par les communes. Cela signifie que la moitié des projets de construction d’écoles, de crèches, de logements, de maisons de santé est tombée à l’eau.

La maîtrise de la dépense publique ne devrait pas porter sur les dotations d’investissement. Au contraire, nous devons donner plus de marges de manœuvre financières et réglementaires à l’échelon local.

Un autre levier à notre disposition consiste à faire de la recherche et de l’innovation la colonne vertébrale de notre croissance économique. À l’échelle européenne, la France se classe douzième en la matière. Cela doit nous interpeller.

Enfin, dernier levier, il faut redynamiser le secteur du logement, notamment social. Les effets attendus seraient nombreux sur l’activité économique, le pouvoir d’achat et la mobilité des travailleurs.

Monsieur le ministre, nous partageons votre volonté de redresser nos finances publiques, mais ne confondons pas rigueur et renoncement. L’histoire nous enseigne que les nations qui sortent grandies des crises sont celles qui ont su concilier responsabilité budgétaire et audace dans l’investissement.

La France a besoin d’un nouveau souffle, d’une vision qui dépasse les simples équilibres comptables. Les projets sont là, les besoins sont criants, les élus locaux sont prêts. Ne laissons pas la prudence d’aujourd’hui hypothéquer notre capacité à construire demain !

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons ce soir du plan budgétaire et structurel à moyen terme qui doit être transmis à la Commission européenne avant le 31 octobre. Ce plan sera analysé à l’aune de la soutenabilité de la dette et sera ensuite soumis à l’approbation du Conseil de l’Union européenne en décembre.

Notre débat s’inscrit dans un contexte particulier.

D’une part, la France fait l’objet d’une procédure pour déficit excessif depuis le mois de juillet dernier ; son déficit public s’élèvera sans doute, rappelons-le, à plus de 6,1 % du PIB cette année.

D’autre part, dès le mois de janvier 2025, les nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance nous imposeront de réduire notre dette de 1 point de PIB par an, tant que celle-ci sera supérieure à 90 % du PIB, comme c’est le cas actuellement en France, et de ramener notre déficit sous le seuil des 3 %, sans compter la marge de résilience de 1,5 point de PIB.

Dans ce contexte, la France a opté pour un plan d’ajustement allongé de quatre ans à sept ans. Celui-ci doit être accompagné d’un plan de réformes et d’investissements destiné à soutenir la croissance et les priorités de l’Union européenne.

Nous saluons cette demande de prolongation, tant l’effort demandé est important. Ce PSMT vise à ajuster le précédent programme de stabilité : il reporte à 2029 le retour à un déficit sous la barre des 3 %, ce qui est absolument nécessaire pour que la trajectoire soit soutenable.

Le plan prévoit ainsi un ajustement structurel primaire d’ampleur, de l’ordre de 0,78 point de PIB potentiel chaque année, ce qui représente un montant de 23 milliards d’euros par an – un tel objectif n’a jamais été atteint.

En contrepartie du délai supplémentaire de trois ans que le Gouvernement sollicite, la Commission européenne attend de nouvelles réformes. Or, monsieur le ministre, vous nous soumettez ici un catalogue de mesures qui ont en grande partie déjà été prises, avec les brillants résultats que l’on connaît…

Comment comptez-vous expliquer à la Commission européenne que cette politique passée, qui nous a conduits droit dans le mur, est précisément celle qui nous sortira du marasme ?

Le Haut Conseil des finances publiques a du reste reconnu, dans l’avis qu’il a rendu, qu’il n’était pas en mesure d’évaluer le réalisme de cette trajectoire en l’absence d’éléments concrets.

En réalité, le cœur du débat réside, me semble-t-il, dans le rythme du redressement. À quel tempo devons-nous avancer ?

Les économistes s’accordent sur un point : il est préférable de lisser l’effort plutôt que d’imposer un choc dès la première année. Un ajustement brutal de 60 milliards d’euros en 2025 risquerait de provoquer une récession, qui impliquerait, elle-même, des coupes encore plus drastiques.

L’OFCE estime qu’un tel ajustement réduirait la croissance de 0,8 point de PIB. Même le Fonds monétaire international (FMI) vous met en garde contre le risque de tuer la croissance en sacrifiant les investissements d’avenir.

Monsieur le ministre, sans réévaluation de votre calendrier, vous exposez notre pays à de graves difficultés ; ce sont notamment les investissements d’avenir qui seront sacrifiés sur l’autel de ces ajustements précipités.

L’urgence n’est pas seulement budgétaire, elle est aussi écologique. Souvenons-nous que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz estimaient dans leur rapport qu’il faudrait dépenser 34 milliards d’euros de plus chaque année pour réussir la transition écologique. Nous en sommes très loin !

S’il existe une dette irréversible, c’est bien la dette écologique, et chaque investissement repoussé dans ce domaine, chaque engagement reporté, nous rapproche du point de non-retour.

En conclusion, monsieur le ministre, la Commission européenne aura bien du mal à croire en votre stratégie, tant en ce qui concerne la temporalité de l’effort que les réformes proposées, qui ne font que récapituler des mesures déjà prises par les gouvernements successifs ou figurant dans les précédents projets de loi de finances.

Ce plan témoigne de la grande légèreté du Gouvernement face aux enjeux financiers et économiques considérables auxquels nous sommes confrontés. Il est donc impératif de revoir le ciblage et la trajectoire des efforts pour ne pas hypothéquer notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général applaudit également.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de la trajectoire des finances publiques de la France n’a jamais été aussi important, dans le contexte de dégradation budgétaire que nous connaissons tous.

Les Français se posent beaucoup de questions. Ils se demandent notamment comment nous en sommes arrivés là. Monsieur le ministre, comment peut-on accepter collectivement que le Premier ministre ait découvert au mois de septembre dernier, peu après sa nomination, une situation budgétaire bien plus dégradée que ce qu’avait annoncé…

M. Victorin Lurel. Dissimulé !

M. Stéphane Le Rudulier. … votre prédécesseur ?

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté le Gouvernement : je salue à cet égard le travail remarquable du rapporteur général de notre commission des finances qui, depuis plusieurs mois, s’en inquiète.

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter de bonnes paroles. Il s’agit de savoir quelles mesures structurelles, parce qu’il s’agit bien de cela, nous pourrions mettre en œuvre dans les prochains mois et les prochaines années, pour tenir une trajectoire vertueuse et revenir sous la fameuse barre des 3 % de déficit en 2029, afin que les instances européennes nous accordent un délai supplémentaire.

Ayons le courage de regarder la réalité en face. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres, non pas pour remuer le couteau dans la plaie, mais pour montrer que nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques depuis de nombreuses années.

Le déficit devrait s’établir autour de 6,1 % du PIB cette année, quand les prévisions tablaient sur un déficit de 4 %…

Notre dette publique s’élève à 3 228 milliards d’euros, ce qui représente 112 % du PIB, alors qu’elle n’était, en des temps qui ne sont pas si lointains, que de 14,5 % sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Elle a augmenté de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, et elle frôlera la barre des 115 % du PIB l’an prochain.

M. Victorin Lurel. Sarkozy avait fait 600 milliards d’euros de dette !

M. Stéphane Le Rudulier. La charge de la dette explose : elle a atteint le niveau record de 54 milliards d’euros en 2024, et elle continuera d’augmenter pour s’établir à 72 milliards d’euros en 2027. Le pire, c’est qu’en 2026, les crédits dédiés au paiement de la charge de la dette, c’est-à-dire des intérêts, constitueront le premier poste de dépenses de l’État…

Nous sommes donc confrontés à une véritable crise budgétaire. Face à cette situation dramatique, nous devons sortir des guerres idéologiques et partisanes – c’est le rôle du Sénat. Cherchons, au-delà de la colline, des solutions pérennes. J’ai, très modestement, quelques pistes à vous soumettre.

Au-delà des annonces conjoncturelles, dont on débattra lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, il convient de réaliser des réformes structurelles.

Nous pourrions nous inspirer de la renaissance française de 1958, aux débuts de la Ve République, à l’époque où de Gaulle résumait la situation financière de la France d’une phrase : « En somme, l’alternative, c’est le miracle ou la faillite. » Voilà qui restitue bien, me semble-t-il, l’ambiance que l’on connaît aujourd’hui. Le « miracle » fut alors possible grâce à une thérapie de choc reposant sur la baisse massive des dépenses publiques. Inspirons-nous de ce modèle.

Cet après-midi, mes collègues du groupe Les Républicains ont formulé un certain nombre de propositions. Nous avons notamment parlé des agences de l’État – on en recense près de 1 200 –, qui ne coûtent pas moins de 80 milliards d’euros à notre pays. Il est sans doute possible de réaliser des économies en procédant à des fusions et en en rationalisant le fonctionnement.

La relance passera également par le lancement d’un nouvel acte de la décentralisation, une nouvelle étape intelligente, reposant sur la responsabilité des élus et des collectivités territoriales. De ce point de vue, une réforme de la fiscalité locale s’impose ; celle que le Président de la République avait annoncée en 2017, à l’occasion du congrès des maires, au moment où il a supprimé la taxe d’habitation, n’a jamais vu le jour. Elle est pourtant nécessaire.

Pour conclure, je mentionnerai d’un mot un enjeu essentiel, celui de la simplification et du poids des normes : ces dernières doivent redevenir opérationnelles et claires.

En tout état de cause, monsieur le ministre, nous sommes parvenus au carrefour de notre destin national !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Antoine Armand, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m’efforcer de répondre de la manière la plus précise possible à l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés, même si la variété des interventions rend l’exercice difficile.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez repris le mot « colossal » pour qualifier notre dette. Cela me donne l’occasion de compléter mon propos introductif : j’ai dit tout à l’heure que celle-ci s’élevait à 3 300 milliards d’euros, alors que j’aurais dû en parler en évoquant son ratio par rapport au PIB. En effet, ce qui importe, c’est notre capacité à produire de la richesse pour rembourser cette dette.

Je tiens dès à présent à faire une différence claire entre un budget d’effort ou de rigueur – choisissez le terme qui vous paraît le plus adéquat – et un budget d’austérité. C’est factuel : un budget dont les dépenses augmentent au total de 0,4 % en volume, c’est-à-dire hors inflation, autrement dit un budget qui repose sur une dépense publique stabilisée, ne peut pas être présenté comme un budget d’austérité.

En tant que ministre de l’économie et des finances d’un pays endetté à hauteur de 3 300 milliards d’euros, je regrette que nous n’arrivions pas à faire baisser les dépenses publiques dès l’année prochaine, car nous avons réellement besoin de réduire rapidement notre endettement.

J’espère que le débat parlementaire permettra de nous engager sur cette voie, mais le fait est qu’on ne peut pas parler d’un budget d’austérité – je le redis – quand les dépenses de la sphère sociale augmentent de 2,7 %, quand aucun des principaux postes budgétaires de l’État ne baisse et quand les crédits consacrés à la transition écologique ou aux armées augmentent, tant en valeur qu’en volume. En parlant d’austérité, on transforme le sens des mots !

Comme l’a souligné le rapporteur général de la commission des finances et comme certains l’ont d’ailleurs déploré, l’effort que nous voulons produire l’année prochaine est supérieur à celui que nous demande la Commission européenne. C’est pour nous un enjeu de crédibilité, parce que nos déficits filent.

Si nous vous proposons une trajectoire difficile – certains en ont parlé avec malice –, avec un effort marqué dès l’année prochaine et non reporté à plus tard, et que nous allons plus loin que les demandes de la Commission européenne, c’est pour être en mesure d’investir dans les armées, dans la transition écologique, dans la sécurité, dans l’éducation, plutôt que de simplement rembourser la dette. Il faut que l’écart de taux avec l’Allemagne diminue.

À la suite du rapporteur général, je précise que, même si nous réussissons à faire repasser notre déficit sous les 3 % en 2029, le sujet de la dette ne sera aucunement clos. Les règles européennes prévoient effectivement que la dette doit continuer à baisser. Voyez nos voisins allemands : alors que leur taux d’endettement est presque deux fois inférieur au nôtre, les débats politiques se focalisent sur la suite de la trajectoire de désendettement.

Monsieur le président de la commission des finances, je ne reviens pas sur le « point d’histoire » que vous avez mentionné à la fin de votre intervention : on ne peut que partager votre propos, les chiffres le démontrent.

Comme vous, je regrette les délais d’élaboration et de transmission de ce PSMT : j’en prends naturellement ma part, mais cela est aussi dû au contexte politique.

Je voudrais revenir sur deux points que vous avez évoqués.

Tout d’abord, ce plan ne reprend pas l’intégralité du programme gouvernemental de réformes porté par le Premier ministre, tout simplement parce que les membres du Gouvernement sont en train de construire leur feuille de route. Le cadrage global a été annoncé lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre et ces orientations seront précisées dans les prochaines semaines.

De ce fait – je réponds ainsi à certaines des préoccupations que vous avez exprimées –, tout n’est pas documenté dans ce plan. Il serait d’ailleurs prétentieux de le prétendre tant l’effort à fournir dans les prochaines années est important.

Ensuite, malgré nos désaccords, je crois que nous pouvons quand même partir des mêmes constats. On peut naturellement débattre des prévisions de croissance pour l’année prochaine, mais il me semble qu’on peut s’accorder sur le fait que la plupart des prévisionnistes n’anticipent pas de récession.

En revanche, il est vrai que l’on peut avoir une approche différente sur l’effet récessif des décisions que nous vous proposons. Mon ministère et certains prévisionnistes ont des avis divergents sur ce point.

En effet, nous estimons, en premier lieu, que les dynamiques internes de la croissance seront différentes l’année prochaine : cette année, la croissance était plutôt portée par les exportations ; nous pensons qu’en 2025 la consommation et l’investissement des entreprises joueront un rôle plus important. Cette analyse explique aussi notre position sur la partie recettes du budget. Nous pensons donc, contrairement à certains analystes qui estiment que l’épargne continuera de croître, que la croissance sera davantage tirée par la consommation.

En second lieu, les efforts que nous proposons en termes de prélèvements obligatoires sont ciblés sur des catégories qui, du fait de leur situation économique, sont les moins sujettes à cet effet récessif : les personnes qui gagnent plus de 250 000 euros par an pour un célibataire, plus de 500 000 euros pour un couple ; les grandes entreprises qui sont bénéficiaires et dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros, soit environ quatre cents groupes.

Pour autant, et je le dis avec beaucoup d’humilité, je suis tout à fait d’accord pour remplacer tout ou partie de l’effort ainsi demandé par une diminution des dépenses. En effet, je ne crois pas que la solution soit d’augmenter les impôts dans un pays qui a déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Nous ne sommes pas la première puissance mondiale et nous ne sommes donc pas en situation de donner des leçons à toute la planète !

Madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, je partage l’idée selon laquelle le PSMT évoque insuffisamment la sphère sociale, même si, en particulier à la page 86, le document donne un certain nombre d’indications. Ce plan structurel souffre peut-être d’un léger manque de concertation interministérielle. J’espère que nous pourrons faire mieux dans les années à venir.

Comme vous, je pense qu’il faut regarder en face la question de la dette sociale. Certains régimes de sécurité sociale sont à l’équilibre et même, parfois, excédentaires. Ainsi, dans beaucoup de branches, les cotisations suffisent à financer les prestations, ce qui est au fondement de notre modèle d’inspiration bismarckienne. Il nous faut préserver ces régimes qui fonctionnent, même si nous devons avoir un agenda global de réduction de la dépense sociale.

Monsieur le sénateur Delahaye, vous avez évoqué la réforme des retraites et je suis certain que cette question continuera de nous occuper…

La vérité commande de dire que nous ne sommes pas au bout du sujet en ce qui concerne les régimes publics. On ne peut pas prétendre vouloir faire baisser durablement la dépense publique si l’on ne s’intéresse pas à un enjeu qui représente chaque année des dizaines de milliards d’euros. N’y voyez aucune stigmatisation ou logique d’austérité, mais nous consacrons presque 40 % de notre budget au remboursement de la charge de la dette et au paiement des pensions des anciens fonctionnaires, alors même que nous sommes nombreux à penser qu’il devrait être davantage tourné vers l’investissement. On ne peut donc pas s’arrêter là et affirmer qu’il n’y a rien à faire. Je sais que le Sénat a conduit des travaux à ce sujet et je me propose d’en parler très prochainement avec les parlementaires concernés.

Je ne vais pas revenir trop longuement ce soir sur la question du nucléaire, mais je veux simplement préciser qu’il faut faire la différence entre les investissements dans le nouveau nucléaire, qui doivent faire l’objet de schémas de financement spécifiques en lien avec l’État et la Commission européenne, et la maintenance du parc existant, qui doit être financée par l’opérateur EDF sur ses fonds propres. Ne nous y trompons pas, l’État sera bien là pour accompagner un effort d’investissement particulier réalisé à sa demande.

Monsieur le sénateur Savoldelli, on peut débattre sur la nature de la réindustrialisation, mais on ne peut pas dire que notre pays ne s’est pas réindustrialisé. Certes, la part de l’industrie dans le PIB n’a pas progressé, mais c’est parce que l’activité des autres secteurs a progressé plus vite que l’activité industrielle. D’ailleurs, le nombre d’emplois a progressé en net dans l’industrie.

Cela ne signifie pas que tout va bien. Beaucoup de dossiers nous préoccupent à différents endroits du territoire, mais il n’y a aucun sectarisme à reconnaître que, depuis 2016, notre pays crée des emplois industriels, ce qui n’était plus arrivé depuis les années 1990. Il ne s’agit pas d’en tirer une gloire particulière, mais c’est un réel progrès.

Il est vrai aussi – cela a été dit à plusieurs reprises – que les évolutions ne sont pas les mêmes dans toute l’industrie : les études économiques montrent que certains secteurs vont progresser quand d’autres vont décliner. On ne peut pas, d’un côté, appeler à la transition écologique et numérique et, de l’autre, s’étonner que certaines industries perdent des emplois. Quand une usine a des difficultés ou ferme, il faut d’abord regarder le dossier sous ce prisme.

Vous avez mentionné le rapport de Mario Draghi ; on pourrait aussi parler des rapports d’Enrico Letta ou de Christian Noyer, dont je partage assez largement les conclusions.

Mais je dois vous avouer une chose : quand, lors des réunions du conseil Compétitivité, je prends la parole pour défendre la nécessité de financer des investissements, privés et publics, à l’échelle communautaire, j’ai de bonnes raisons de penser que certains de mes homologues s’interrogent à ce moment-là sur le niveau de la dette publique française… Si nous voulons être crédibles dans ce type de débat, nous devons avoir des finances publiques comparables à celles de nos partenaires. Quand on est le troisième pays le plus endetté de l’Union européenne, il est délicat d’appeler à ce que celle-ci prenne le relais en termes d’investissements. Nous devons faire notre part du chemin !

Enfin, vous avez parlé de la « violence » de l’ajustement structurel : comment pouvez-vous parler d’austérité ou de violence, alors que la dépense publique augmente ? (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Je le redis, la dépense sociale augmentera de 2,7 % en 2025 ! Si vous pensez qu’il s’agit d’austérité, cela signifie que nous n’avons pas le même référentiel.