M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le risque zéro en matière de récidive n’existe pas. Pour autant, cela n’interdit pas de s’interroger régulièrement sur le suivi d’anciens détenus, en particulier lorsqu’ils ont été condamnés pour des infractions particulièrement lourdes.

La question est délicate, tant elle est empreinte d’émotion, le sujet émergeant le plus souvent comme une réaction à un fait d’actualité. Il nous faut malgré tout la poser, au gré des expériences qui nous éclairent parfois sur nos imprécisions. Le changement de nom de Francis Évrard, condamné huit fois pour viol sur mineur, est précisément de cette nature.

Aussi, je veux saluer l’initiative de notre collègue Marie Mercier.

La première mesure proposée est la correction de la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite Vignal. Je n’étais pas encore sénatrice lorsque le texte a été examiné, mais je me suis replongée dans les débats et j’ai pu constater que vous aviez déjà alerté sur le caractère incertain des conséquences juridiques et pratiques d’une telle innovation. De ce point de vue, chère collègue, votre démarche est tout à fait convaincante.

Le dispositif est complété par deux autres articles : l’article 2 actualise et étend la liste des infractions susceptibles d’entraîner l’inscription au Fijais ; l’article 3 facilite la consultation du fichier par les opérateurs de transport public de personnes.

Ce texte était donc initialement composé de trois articles à la portée clairement dessinée, à savoir assurer un meilleur suivi, au sein de notre société, de personnes ayant des antécédents judiciaires d’une particulière gravité. Cet objectif est fort louable.

Toutefois, nous discutons aujourd’hui du texte issu des travaux de la commission.

Sur de nombreux aspects, le dispositif initial a été enrichi, grâce aux travaux de Mme la rapporteure, dont je salue l’implication.

Ainsi, l’article 1er A prévoit l’information obligatoire de l’autorité académique et du chef d’établissement en cas de mise en examen ou de condamnation pour une infraction terroriste des personnes scolarisées ou ayant vocation à l’être dans l’établissement.

Ce dispositif, que nous approuvons, même si nous préférerions le restreindre aux seules condamnations, nous semble s’inscrire dans la continuité de ce qu’a initialement proposé l’auteur de cette proposition de loi.

L’article 1er a également été peaufiné. Je pense aux précisions relatives aux modalités d’exercice par l’officier d’état civil de sa compétence de saisine du procureur de la République.

L’article additionnel inséré après l’article 3 prévoit une prolongation de la durée de la rétention administrative pouvant aller jusqu’à 180, voire 210 jours pour les étrangers condamnés à une interdiction du territoire après avoir commis une infraction sexuelle ou violente grave. Cette possible prolongation existe déjà pour les actes de terrorisme. Il s’agit d’une mesure d’exception, justifiée par l’extrême gravité des actes en question.

Faut-il élargir cette singularité aux infractions sexuelles ou violentes graves ? Est-ce opportun de sortir du droit commun ? Vous ouvrez là un débat important, que nous ne faisons en réalité qu’effleurer, en le tranchant bien trop rapidement. La principale difficulté posée par ce nouvel article tient moins au fond, dont nous pouvons discuter, qu’à l’opportunité de l’introduire dans ce texte.

Je ne préjuge pas le vote de mon groupe sur un tel dispositif. Vous le savez presque mieux que moi qui viens de l’intégrer, mes chers collègues, le groupe du RDSE est attaché à la liberté de vote de ses membres. Ce dont je suis en revanche certaine, c’est que le RDSE est particulièrement sensible à l’exigence de qualité du débat et du travail parlementaire. Aussi nous inquiétons-nous de cette forme de dispersion, qui plus est au regard de la gravité du sujet. Un tel débat doit être abordé au bon moment.

Ce moment arrive bientôt. Un nouveau texte sur les questions migratoires, le séjour des étrangers et le droit d’asile a été annoncé par le ministre de l’intérieur pour le début de l’année 2025. Il nous faut juste patienter quelques mois… Concentrons-nous aujourd’hui sur le suivi des personnes ayant des antécédents judiciaires graves.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la majorité des membres du RDSE s’abstiendrait sur cette proposition de loi si son article 4 était adopté, et ce malgré sa position plutôt favorable sur les autres dispositions du texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons répond à un impensé dans une réforme que je trouve par ailleurs bonne : la simplification de la procédure du changement de nom. Plus de 10 000 demandes sont déposées chaque mois, que ce soit sous la forme simplifiée ou non : c’est bien que cette mesure répond à un véritable besoin.

Pourtant, lors de l’examen de la loi relative au choix du nom issu de la filiation, sur laquelle la procédure accélérée avait été engagée, certaines voix s’étaient déjà élevées pour alerter sur l’occasion que représentait une telle simplification pour des individus condamnés, par exemple pour pédocriminalité. Ainsi, une personne inscrite au Fijais qui a changé de nom peut se soustraire à son interdiction de travailler dans une école, puisque son état civil est vierge.

D’autres cas sinistres, qui ont été rappelés, ont conduit Marie Mercier à proposer que les entreprises de transport collectif puissent s’assurer qu’elles n’embauchent pas des prédateurs pour conduire des mineurs ou des majeurs vulnérables.

J’ai proposé en outre des amendements au travail indispensable de notre collègue, pour que soient prises en compte deux réalités : d’une part, les pédocriminels sont là où il y a des enfants, notamment dans le monde associatif ; d’autre part, la pédocriminalité ne connaît pas de frontières.

Il faut rappeler aux dirigeants d’associations que, lors d’une embauche, ils peuvent demander un extrait de casier judiciaire où apparaîtrait une interdiction de travailler en contact avec des mineurs. Notre collègue Guy Benarroche souhaite garantir que les mêmes précautions puissent être prises par les associations cultuelles, ce qui me paraît de bon sens ; cette demande est peut-être d’ailleurs déjà couverte par mon amendement.

Par ailleurs, les personnes condamnées pour pédocriminalité devraient être contraintes de signaler tout séjour à l’étranger.

Enfin, la violation d’une interdiction d’être en contact avec des mineurs prononcée en France, si elle est commise à l’étranger, doit pouvoir être sanctionnée en France.

Tel est l’objet des deux amendements portant article additionnel après l’article 4 que j’ai déposés. Je sais gré à Mme la rapporteure de son soutien.

Pourquoi ces amendements ?

Mes chers collègues, permettez-moi de vous parler ce soir du parcours qui est le mien depuis que j’ai été élue sénatrice il y a un an et que je suis devenue à cette occasion membre de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Les femmes et les enfants à la rue, les tortures dans le monde de la pornographie, les violences intrafamiliales, qui existent également parmi nos communautés françaises à l’étranger, donc dans l’isolement le plus total, la traite des femmes et des enfants, l’excision, la prostitution de mineurs de l’aide sociale à l’enfance sont autant de sujets qui ont provoqué une prise de conscience, comme une gifle, sur l’ampleur de la pédocriminalité.

Ces réalités, je ne les ai pas tant choisies qu’elles me sont tombées dessus, chacune à leur manière, au fil des travaux de la délégation. Elles m’ont profondément marquée. Comment exprimer ce que cela fait, à peine élue sénatrice, d’être mise en face des réalités les plus violentes et les plus abjectes du quotidien ?

Le juge Édouard Durand a essayé de lever un tabou social : 160 000 enfants sont sexuellement violentés chaque année, majoritairement par des hommes, il faut bien le dire. Mise face à ces réalités, je découvre leur ampleur et la complexité propre à la construction de toute réponse adaptée.

Depuis que je suis montée à la tribune devant vous, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un enfant a été victime de viol ou d’agression sexuelle en France. Avant que je n’en descende, un deuxième enfant aura été violé ou agressé sexuellement.

Face à l’insoutenable, je voudrais partager la beauté de l’engagement et la fierté de celles et ceux qui se battent, chacun à leur échelle, contre ces injustices radicales. Ce sont majoritairement des femmes, il faut bien le dire. Face à un l’indicible, elles luttent contre le découragement et surmontent l’impact que ce travail magnifique et hideux a sur elles.

Il y a évidemment tous ces acteurs de terrain, mais il y a aussi des sénatrices. À cet égard, je tiens une nouvelle fois à saluer le travail de longue haleine de l’autrice de cette proposition de loi, Marie Mercier. Permettez-moi également de remercier la rapporteure de ce texte, la présidente de la commission des lois Muriel Jourda.

Un jour d’avril, alors que j’étais en Andorre pour inciter les Français qui y sont établis à s’inscrire sur les listes électorales dans la perspective des élections européennes, j’ai entendu à la radio un entretien de Véronique Béchu, commandante de police, chef du pôle stratégie de l’Office mineurs (Ofmin), venue présenter son livre Derrière lécran. Elle y expliquait le travail de cette brigade et la nécessité pour tous de se rendre compte de l’ampleur de la cyberpédocriminalité. J’ai acheté un exemplaire de son livre, puis dix autres, pour les faire lire autour de moi.

On y apprend que la pandémie a fait exploser la cyberpédocriminalité de 6 000 %. Le confinement a réuni pédocriminels et enfants en ligne, sur les réseaux et, plus récemment, dans le métavers. La semaine dernière, le procès d’un homme s’est ouvert à Paris : il aurait commandité le viol et la torture de centaines d’enfants philippins en ligne et les aurait regardés en direct de chez lui.

On y apprend que les pédocriminels évoluent avec les législations. Leur adaptation commande une égale réactivité de la réponse pénale.

On y apprend des mots obscurs, recouvrant des pratiques hallucinantes : grooming, live streaming, sextorsion.

On y apprend que les filles et les garçons sont tout autant victimes, et même les bébés. Les garçons sont plus exposés aux violences sexuelles plus jeunes et les sévices sont alors plus graves.

On y apprend que les moyens déployés sont tout à fait insuffisants. Grâce à la création de l’Office mineurs à la fin de l’année 2023, l’effectif consacré à la lutte contre la pédocriminalité en France a été porté de 18 à 35. L’Office mineurs devrait comprendre 85 agents en 2025, s’il n’en est pas décidé autrement dans le projet de loi de finances, et ce pour 870 enquêtes par jour.

On y apprend que des gens passent leurs journées à regarder chaque détail de vidéos atroces pour essayer de venir en aide à une victime ou réussir à poursuivre un criminel.

On y apprend que 40 % des hommes qui échangent des images ou des vidéos pédopornographiques passent à l’acte.

On y apprend que la loi française s’étend dans le monde entier, lorsqu’il s’agit de punir les crimes commis par des Français ou des personnes habitant en France. Heureusement, car certains pays ne réprouvent pas les relations sexuelles avec les mineurs.

On y apprend que, en matière de délits, la compétence française est conditionnée à une réciprocité d’incrimination. Ainsi, un professeur condamné en France pour pédocriminalité avec interdiction d’approcher des mineurs doit, tous les six mois, parce qu’il est inscrit au Fijais, certifier son adresse en France. Cela ne l’empêche pas entre-temps de se rendre dans un pays étranger qui n’interdit pas les relations sexuelles avec les mineurs. Il s’est engagé dans une association de cyclisme et, les veilles de compétition, accueille des enfants chez lui ! Grâce à la coopération policière, les autorités françaises l’apprennent et lancent une procédure pour violation de son interdiction d’approcher des mineurs. Celle-ci n’a pu aboutir, car la pédocriminalité n’est pas une infraction dans ce pays…

Nous devons mettre à jour notre arsenal face à une pédocriminalité itinérante et en ligne qui explose. Ce texte nous en donne l’occasion.

J’ai voté en commission l’amendement du rapporteur tendant à insérer l’article 4, rebaptisé Philippine par Dominique Vérien, présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes. Je le trouvais tout à fait adapté. Un débat a eu lieu sur la pertinence du véhicule législatif, le groupe Union Centriste préférant qu’il figure dans un autre texte. Cela ne m’empêche pas de soutenir vigoureusement la disposition qu’il contient.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, car on juge une société à la façon dont elle protège les plus vulnérables. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre du renforcement des moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes.

Le groupe CRCE-K ne peut que pleinement partager cet objectif. Protéger les habitants de notre pays, en particulier les plus vulnérables, c’est-à-dire les enfants, est une priorité. Éviter la récidive s’inscrit tout à fait dans cet objectif.

Reste que, pour mieux lutter contre ces phénomènes, il nous faut bien les comprendre.

En matière de terrorisme, si l’on se penche sur les chiffres, le taux de récidive se situe entre 5 % et 8 %. Pour les infractions sexuelles, d’après l’Insee, le taux de récidive s’élève à 5 % pour les crimes et à 7 % pour les délits. Ces chiffres masquent toutefois une autre réalité : moins de 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte. Ainsi, sur 1,45 million de personnes ayant déclaré avoir subi des violences sexuelles, seules 83 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées !

Ce constat souligne une vérité glaçante : trois femmes sur quatre victimes de viol ou de tentatives de viol ont été agressées par une personne de leur entourage et connaissent déjà le nom, le prénom et le visage de leur agresseur.

Les chiffres concernant les violences faites aux enfants sont tout aussi alarmants. Selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, la Ciivise, 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles. Nous sommes donc confrontés à un phénomène de société majeur, face auquel les réponses actuelles sont loin d’être suffisantes.

Face à cette situation, nous devons allouer des moyens financiers suffisants pour rendre nos législations efficaces. Soyons-y bien attentifs lors du vote du budget qui interviendra bientôt.

Enfin, dans cette proposition de loi, la recherche de l’équilibre est essentielle. L’objectif est non d’instituer une double peine, mais bien de protéger les personnes les plus vulnérables. Restons réalistes et évitons la démagogie : seul un équilibre subtil permettra de rendre ce texte efficace. Certains ajouts en commission semblent s’écarter de cet équilibre. Les amendements que nous avons déposés tendent à y revenir.

Nous vous proposerons ainsi de supprimer l’article 4, qui modifie le régime de la rétention administrative : il étend aux personnes condamnées pour des infractions sexuelles de toute nature la durée de rétention à 180 jours, voire 210 jours. Introduit en commission, cet article n’a aucun lien, même indirect, avec la proposition de loi initiale. Il anticipe sur des débats que nous aurons sans doute lors d’un futur texte sur l’immigration.

Il nous faut légiférer avec mesure et sérieux. Nous ne pouvons pas le faire au détour d’une disposition qui ne présente pas de lien avec la proposition de loi. Pour rappel, le but de la rétention est d’assurer l’exécution des mesures d’éloignement du territoire. La majorité des personnes en centre de rétention n’ont jamais été condamnées pénalement. La durée moyenne de rétention en 2023 était de 28,5 jours.

Cette mesure, qui s’éloigne nettement de l’objectif initial de cette proposition de loi, entraînerait de nombreux effets néfastes. Elle augmenterait le taux d’occupation des centres de rétention sans apporter les moyens humains et financiers nécessaires à leur bon fonctionnement. La conséquence serait la détérioration des conditions de rétention, mais aussi des conditions de travail des employés.

De plus, cette mesure serait extrêmement onéreuse. Pour rappel, la Cour des comptes estime le coût de la rétention administrative à 600 euros par jour et par personne retenue.

L’allongement de cette durée se heurte aussi à l’évidence. Elle n’augmenterait nullement la probabilité de retour au pays d’origine des personnes retenues, notamment en raison de l’absence de laissez-passer consulaires. Sans ces documents, la durée de rétention ne changera rien puisque ces personnes ne pourront pas être éloignées.

Évitons donc la démagogie, mes chers collègues, soyons sérieux et cohérents. C’est l’objet de notre amendement de suppression, le Gouvernement ayant d’ailleurs déposé le même.

Nous déterminerons notre vote final en fonction des modifications qui seront apportées à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Marie Mercier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et UC.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre de l’essai de Michel Foucault, Surveiller et punir, est devenu un gimmick. Faute d’avoir été pris pour un avertissement, cet ouvrage, souvent mal compris, a donné lieu à des dérives potentiellement dangereuses pour l’équilibre de notre société. C’est à l’aune de ce livre que j’ai examiné la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise.

Nous nous retrouvons en effet pour discuter d’un sujet à la fois précis et sérieux. Comme nous le rappelons souvent, une proposition de loi n’est pas soumise à une analyse du Conseil d’État. Ce serait pourtant très utile lorsqu’elle touche à la protection des droits et des libertés.

Ce texte s’éloigne parfois de son sujet pour s’étendre, au-delà des personnes condamnées, à celles qui sont mises en cause. Ce véhicule législatif comporte des mesures diverses, dont le point commun semble être de prévoir une réponse spécifique, dans certains cas, à des faits divers, certes dramatiques.

Il n’y a pas de texte sans contexte, nous le savons. Nous, sénateurs citoyens, sommes régulièrement touchés par des drames qui secouent notre quotidien et l’opinion publique. Cela ne doit pas nous empêcher de demeurer attachés à la qualité du travail d’écriture de la loi. Nous avons toujours dénoncé la manie consistant, après chaque fait divers, à annoncer une nouvelle loi, alors même que l’encre de celles qui ont été votées précédemment n’est pas encore sèche.

Le punitif seul n’est jamais la solution. Depuis Cesare Beccaria, les théories sur les peines l’ont régulièrement rappelé. Personnalisation de la peine, accompagnement de la réhabilitation pour prévenir la récidive : l’humain, même fautif, même coupable, est au cœur du projet pénal.

La question de la récidive et de sa prévention est un axe essentiel de l’appréhension de la chose pénale : si la prison doit protéger la société et punir le délinquant ou le criminel, elle est aussi un lieu de préparation à la réinsertion. C’est ainsi que nous la concevons tous, en tout cas je l’espère.

Notre groupe, comme souvent, estime que l’application des mesures existantes constituerait déjà une amélioration sensible. Prenons ainsi la prise en charge en prison. Les auteurs d’infractions à caractère sexuel représentent 10 % de la population détenue. Ils sont orientés vers vingt-deux établissements pénitentiaires fléchés et pris en charge par les services médico-psychologiques régionaux et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, dans le cadre de programmes de prévention de la récidive. Dans les faits cependant, seuls cinq établissements sur les vingt-deux fléchés ont mis en place de tels programmes !

L’abandon, incompréhensible, de l’étude des mécanismes de la récidive, particulièrement dans le cadre des violences sexuelles, et l’impossibilité qui en résulte de mettre en place des protocoles de prévention devrait avant toute chose nous interpeller.

Peut-être pourrions-nous ainsi éviter ce texte supplémentaire, devenu un ensemble de mesures disparates – c’est normal – et non exhaustives, quelquefois éloignées de son titre et de l’intention annoncée, et louable, d’assurer le suivi des personnes condamnées.

Je reste persuadé que le prochain fait divers qui n’aura pas été prévu par ce texte donnera lieu au même mécanisme : indignation, posture de sévérité répressive, sans analyse globale ni proposition de mesures de prévention.

Je parle de posture, car c’est bien de cela qu’il s’agit, comme en atteste selon moi l’ajout en commission de l’article 1er A. Ce dernier prévoit, lorsqu’une personne scolarisée est condamnée ou simplement mise en cause pour une infraction terroriste, l’information obligatoire des responsables académiques et du chef de son établissement.

Cet article suscite des interrogations sur le positionnement de notre société face à une personne mise en examen, sur le secret de l’instruction, sur la présomption d’innocence, à laquelle nous restons profondément attachés, mais aussi sur l’autonomie du juge, qui nous paraît primordiale.

Que l’information des responsables académiques ou du personnel de l’établissement dès la mise en cause puisse, de fait, être une obligation à la demande du ministère public nous laisse perplexes.

Vous connaissez nos craintes quant à l’instrumentalisation du qualificatif « terroriste », souvent brandi comme une muleta devant l’opinion publique contre des militants écologistes, rarement condamnés. Nous alertons depuis des années sur l’adoption de dispositifs législatifs qui, placés entre de mauvaises mains, entraîneraient une dérive sans nom, ou plutôt une dérive dont on perçoit bien le nom, et même le son : le bruit de bottes !

Ce texte contient des dispositions très variées. Certaines sont très positives, car elles permettent de protéger les mineurs face au risque de récidive de personnes déjà mises en cause ou condamnées pour des actes pédocriminels. C’est le cas de l’article 3. Nous soutiendrons et voterons ces mesures. Certains de nos amendements visent même à les renforcer.

D’autres dispositions sont attentatoires aux droits et aux libertés de personnes n’ayant commis aucune infraction. Je pense au contrôle systématique des antécédents judiciaires de l’ensemble des personnes souhaitant changer de nom ou de prénom à l’état civil.

Si l’article 4, qui étend la durée maximale de séjour dans les centres de rétention administrative, était supprimé, notre groupe ne s’opposerait pas à ce texte, malgré ses réserves sur les articles 1er A et 1er. Ces derniers nous entraînent à la dérive, sans boussole, vers un recul des libertés réelles et protégées. Si ces articles étaient adoptés en l’état, notre groupe s’abstiendrait. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier Marie Mercier, qui travaille non pas seule, mais inlassablement, et de manière obstinée, sur la question des violences sexuelles. Elle a permis, avec d’autres, comme Laurence Rossignol ou Annick Billon, que je salue, de faire avancer ce combat.

Cette proposition de loi montre que nous nous préoccupons désormais de lutter contre les violences sexuelles tout comme nous considérons qu’il faut lutter contre les violences terroristes. C’est assez nouveau pour être relevé.

Ce texte place au premier plan la défense des enfants, évidemment. En ce sens, vouloir modifier, rectifier, améliorer la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite loi Vignal, est parfaitement bienvenu. On peut toutefois regretter qu’aucune évaluation n’ait été faite de la mise en œuvre de cette nouvelle disposition législative, dont les failles sont illustrées dans l’exposé des motifs de la proposition de loi par un cas particulier, lequel résonne forcément à nos oreilles.

Le texte prévoit donc l’alignement du traitement des auteurs de violences sexuelles sur celui des auteurs de violences terroristes, et donc l’usage des fichiers existants, le Fijais et le Fijait, que notre rapporteure Muriel Jourda a présentés tout à l’heure. Dans l’un d’eux sont fichées 111 000 personnes.

Guy Benarroche a eu raison de souligner, comme Mme la ministre l’a fait aussi, que ces fichiers comportent aussi les noms de personnes mises en examen. Or, comme je l’ai dit en commission des lois – et je souhaite vraiment que mes collègues sénateurs en prennent conscience –, ces fichiers ne sont jamais « nettoyés ». Certes, le parquet a normalement l’obligation de veiller à ce que toute personne mise hors de cause dans une procédure n’y figure plus, mais il ne le fait pas.

Il y a quelques années, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’était penchée sur le fonctionnement du système de traitement des infractions constatées (Stic), qui concernait pas moins de 38 millions de personnes. Elle avait alors constaté que 40 % des informations qui y étaient contenues étaient inopportunes.

L’extension de la possibilité de consulter ces fichiers doit donc être envisagée avec une prudence absolue. Or ce n’est pas véritablement ce qui est fait dans cette proposition de loi, qui prévoit de permettre aux entreprises de transport public et aux plateformes de baby-sitting d’être destinataires des informations contenues dans ces fichiers. C’est sans limites.

Au départ, il n’était question que d’encadrer le changement de nom ou de prénom. Je ne sais pas exactement d’ailleurs pourquoi le changement de prénom a été introduit dans le texte, sauf à considérer que le fait pour certains de nos concitoyens de vouloir changer de prénom parce qu’ils changent de genre pourrait occasionner un trouble à l’ordre public. Si c’est cela le sens de cette démarche, nous devrions nous interroger sérieusement.

Se pose ensuite la question des catégories de personnes autorisées à accéder à ces fichiers. En théorie, c’est le cas d’un certain nombre d’agents ; en réalité, un très grand nombre de personnes les consultent. C’est une difficulté pour certaines personnes, je pense aux personnes mises en examen. Pour notre part, nous souhaiterions que la mention des condamnations soit limitée.

Cette proposition de loi est ensuite devenue le véhicule d’une disposition que nous avons tenté en vain de combattre en commission. Le texte prévoit d’étendre à 180 jours, voire à 210 jours, la durée maximale de rétention des étrangers condamnés pour des crimes ou des délits sexuels ainsi qu’à une interdiction du territoire français par la juridiction de jugement.

À l’évidence, cette disposition n’a rien à faire dans ce texte et l’article 45 de la Constitution, que le Sénat a parfois appliqué avec une désinvolture lui ayant ensuite valu une censure massive du Conseil constitutionnel, pourrait être invoqué à cet égard. Nos arguments n’ayant pas convaincu, attardons-nous donc sur le fond quelques instants.

Permettez-vous de vous rappeler que lorsque Charles Pasqua était ministre de l’intérieur – et je doute que quiconque ici le considère comme un gauchiste irresponsable –, …