compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Ouzoulias
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Di Folco,
Mme Patricia Schillinger.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Loi de finances pour 2025
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie, des différentes missions.
Seconde partie (suite)
Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales
Action extérieure de l’État
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».
La parole est à Mme le rapporteur spécial.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Rémi Féraud et moi-même avons l’honneur de vous présenter nos observations sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État », qui regroupe une partie substantielle du budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).
Cette année, soixante-huit amendements ont été déposés. Certains d’entre eux ayant été retirés avant le début de la séance, il en reste soixante-quatre, preuve de l’intérêt que la Haute Assemblée porte au rayonnement de la France et à votre ministère.
Je profite de ce moment pour saluer nos agents du corps diplomatique, nos ambassadeurs, nos consuls et l’ensemble du réseau diplomatique. Je veux leur rendre un hommage appuyé.
Je commencerai par formuler quelques remarques concernant l’équilibre général de la mission. Cette dernière ne représente que la moitié des crédits alloués au ministère, l’autre moitié relevant du programme 209 de la mission « Aide publique au développement ».
C’est en gardant cet équilibre à l’esprit que l’on peut comprendre l’évolution des crédits de la mission pour 2025. Si les crédits consacrés à l’aide publique au développement (APD), gérés par le ministère, reculent de plus d’un tiers cette année, le volume de la mission demeure en contrepartie relativement élevé, avec 3,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et crédits de paiement (CP).
Si le montant des crédits de la mission est en baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, il est stable par rapport à l’exécution anticipée de l’exercice passé. Après une hausse de crédits sur trois années consécutives, cette stabilisation ne découle d’aucune mesure d’économie structurelle.
Trois facteurs principaux contribuent à la constance des crédits : une baisse des contributions obligatoires découlant du recul de la part de la France dans le revenu national brut (RNB) mondial, une évaluation plus réaliste des dépenses immobilières et un coup de rabot de faible ampleur sur l’ensemble des lignes de crédit.
La commission des finances a un rôle à jouer, monsieur le ministre, celui d’examiner les comptes. Or les chiffres sont têtus. Dans un contexte de dégradation de nos comptes publics, il est important que votre ministère fasse aussi des efforts.
L’exécution des exercices précédents s’est caractérisée par une sous-consommation de certaines enveloppes budgétaires pluriannuelles, notamment en matière d’immobilier et de travaux de sécurisation des emprises.
De plus, les dépenses d’intervention, en particulier pour la coopération culturelle, ont fortement progressé ces dernières années, sans que la doctrine d’engagement soit vraiment clarifiée.
En vue d’assurer la participation du ministère à l’effort de redressement des comptes publics, j’ai déposé un amendement visant à réduire de 50 millions d’euros les crédits de la mission pour 2025 qui a été adopté par la commission des finances.
L’an dernier, le Sénat avait rejeté mon amendement tendant à réduire les crédits de 30 millions d’euros, tout cela pour que le Gouvernement prenne par la suite un décret d’annulation d’un montant de 174 millions d’euros. Il vaut mieux que les coups de rabot budgétaires soient décidés en toute transparence au Parlement, monsieur le ministre, plutôt qu’au travers d’un décret d’annulation quelques semaines après l’adoption de la loi de finances.
Hier soir, le Gouvernement a déposé tardivement un amendement par lequel il propose une nouvelle baisse de 25,5 millions d’euros. La commission des finances a émis ce matin un avis défavorable à son adoption.
Abordons maintenant en détail les crédits du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde ». Ce dernier pèse 2,7 milliards d’euros et constitue ainsi le programme support de la mission. Il regroupe désormais l’ensemble des dépenses de titre 2 du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, auparavant réparties en différents programmes. Cette nouveauté de l’exercice 2025 doit être saluée.
Une telle évolution devrait assurer une plus grande lisibilité des dépenses de personnel, dans un contexte de progression des effectifs. Pour la troisième année consécutive, le schéma d’emplois de la mission augmente, grâce à la création de soixante-quinze nouveaux équivalents temps plein (ETP). Comme l’an dernier, je regrette que cet accroissement des effectifs ne soit pas accompagné d’une programmation plus précise de la répartition des emplois.
L’exercice 2025 devrait être marqué par une baisse d’environ 9 % des contributions internationales inscrites dans le programme 105. Cela ne résulte en rien de la volonté du ministère, mais découle de la diminution de la quote-part de la France dans le barème des Nations unies et de l’extinction de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
Au sein de cette enveloppe de moindre volume, les dépenses de protocole et de communication se maintiennent à un niveau élevé. Les moyens du protocole devront supporter le coût de l’organisation de la conférence des Nations unies sur l’océan, soit 24 millions d’euros. À cet égard, nous devrons sans doute nous attendre à quelques dérapages par rapport au programme initial.
Concernant la ligne budgétaire consacrée à la communication, nous avons formulé plusieurs observations. Au-delà des flyers et de la communication institutionnelle, il faut privilégier les termes de « communication stratégique » comme soutien à notre diplomatie d’influence et à la lutte contre les ingérences. L’intitulé de cette ligne doit en effet être précisé, car le libellé « communication, influence » ne me semble pas refléter la réalité du programme – je vois Olivier Cadic hocher la tête, ce que je prends comme un signe d’encouragement ! (Sourires.)
Par ailleurs, je vous félicite, monsieur le ministre, pour le travail accompli concernant les ambassadeurs climatiques ; c’est un sujet sur lequel nous nous étions longuement penchés. Ce dossier me semble désormais clos, même si la question des envoyés spéciaux reste à régler.
En outre, il faudrait procéder à l’évaluation budgétaire de la mise en extinction du corps diplomatique, car nous ne disposons toujours pas de chiffres.
Mes chers collègues, sous réserve de l’adoption de l’amendement de la commission des finances et forts des éclairages que Rémi Féraud va vous apporter, je vous invite à adopter les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vient de l’indiquer Nathalie Goulet, le budget de la mission « Action extérieure de l’État » s’inscrit en légère baisse par rapport à la loi de finances initiale pour 2024.
Je commencerai par présenter successivement les programmes 151 et 185 et évoquerai dans un second temps, par souci de lisibilité, les dépenses concourant à l’enseignement français à l’étranger.
Le programme 151 regroupe les moyens consacrés au réseau consulaire et aux Français de l’étranger. Le présent projet de loi de finances prévoit de les renforcer à deux égards.
Il s’agit d’abord de financer à hauteur de 3 millions d’euros les surcoûts des grands programmes de modernisation de l’administration consulaire. La plateforme d’appel France Consulaire en est un bon exemple : son déploiement hors de l’Europe se poursuit et le centre d’appel devrait être déplacé prochainement de la Courneuve à Nantes, par souci à la fois d’économies et d’attractivité pour les personnels.
Le vote par internet, utilisé pour les élections consulaires et législatives, a donné satisfaction lors des dernières échéances électorales. Cet outil sera peut-être amené à resservir en 2025, en cas de dissolution de l’Assemblée nationale. L’administration consulaire a indiqué y être prête.
Cette progression des crédits vise ensuite à assurer le bon fonctionnement de l’instruction des demandes de visa, grâce à 2 millions d’euros supplémentaires en 2025. La gestion de cette instruction a donné lieu, depuis la fin de la crise sanitaire, à une crise des visas caractérisée par un engorgement des services et un allongement des délais de traitement. La mise en œuvre des recommandations d’amélioration des procédures d’instruction est toujours en cours.
Par ailleurs, les dépenses liées aux contentieux des refus de visa doivent nous alerter. Si ce contentieux relève formellement du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, son suivi est assuré par le ministère de l’intérieur et ses coûts sont partagés entre les deux ministères.
Toutefois, en raison de transferts tardifs d’informations par le ministère de l’intérieur, le Quai d’Orsay se trouve en difficulté pour régler certains frais liés à ce contentieux. Il nous semble donc opportun de transférer la gestion de ces compétences au seul ministère de l’intérieur.
Cette question continuera de figurer à l’ordre du jour de nos travaux : au printemps prochain, Nathalie Goulet et moi-même mènerons, au nom de la commission des finances, un contrôle budgétaire sur la délivrance des visas.
J’en viens au programme 185, qui correspond aux crédits de la diplomatie culturelle et d’influence. Sur ce point, je note une stabilisation en trompe-l’œil des crédits de l’attractivité universitaire et scientifique, ce qui compromet les ambitions affichées en ce domaine.
La stabilité de l’enveloppe consacrée aux bourses, à hauteur de 70 millions d’euros, équivaut en réalité à une réduction du nombre de nouvelles bourses par rapport à l’année passée. Or les étudiants étrangers seront des ambassadeurs indispensables de notre pays à l’avenir. Nous ne devrions pas négliger cette politique d’influence, même s’il faut bien évidemment en assurer la qualité et contrôler les éventuelles fraudes.
Parlons enfin des crédits concourant à l’enseignement français à l’étranger. Ils relèvent à la fois du programme 151 et du programme 185. Les bourses scolaires, comprises dans le programme 151, reculent de 5,5 %, pour atteindre 111,5 millions d’euros. Directement versées aux établissements, elles permettent aux familles françaises modestes d’accéder à l’enseignement français à l’étranger.
Je rappelle à cet égard que la soulte de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) a été totalement liquidée en 2023. De même, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l’AEFE est réduite de 3,1 %.
Cette diminution des moyens laisse en suspens la réforme du mode de financement. Faute de pouvoir s’endetter, l’AEFE rencontrera à terme des difficultés pour financer ses dépenses immobilières, estimées à 175 millions d’euros sur la période 2025-2028.
La baisse de son budget fragilise la capacité du réseau d’enseignement français à l’étranger à réaliser sa double vocation : assurer un service public d’enseignement pour les familles françaises et servir d’outil d’influence pour notre pays.
À cet égard, l’objectif du doublement du nombre d’élèves scolarisés dans les établissements français à l’étranger d’ici à 2030 semble très largement inatteignable, même si le nombre d’élèves augmente légèrement chaque année.
En définitive, je regrette que les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » n’aient pas été complètement préservés, au même titre que les autres missions du domaine régalien, dont les affaires étrangères font pleinement partie.
Le maintien des crédits à un niveau élevé devrait permettre de consolider les effectifs du ministère et de prévenir la dégradation de notre outil diplomatique, après des années de restrictions budgétaires.
Les objectifs assignés au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en particulier le maintien d’un service public de qualité à nos compatriotes de l’étranger, imposent de conserver des moyens budgétaires adaptés, à défaut de respecter les objectifs très ambitieux fixés par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), que nous avons approuvés, mes chers collègues.
En conclusion, je tiens à mentionner l’amendement du Gouvernement, qui nous est parvenu hier soir. Sur la méthode, je ne peux que déplorer la multiplication des amendements de rabot de dernière minute, qui nuisent à la bonne information du Parlement. Sur le fond, la réduction supplémentaire de la dotation des moyens de l’enseignement français à l’étranger et des bourses envoie un mauvais signal à nos compatriotes établis hors de France. Dans ces conditions, je me félicite que la commission des finances ait émis un avis défavorable ce matin.
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances, je vous invite à adopter les crédits de la mission, même si je n’y suis pas favorable à titre personnel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme 105 affiche environ 2,7 milliards d’euros de crédits pour 2025. Il est ainsi en baisse par rapport à la loi de finances votée l’an dernier. Toutefois, puisque la dégradation du contexte financier impose de faire des efforts dans l’exécution du budget, les crédits sont en réalité quasiment stabilisés.
En 2025, comme en 2024, cet effort est en très grande partie rendu possible par la diminution des contributions internationales de la France : grâce à ses modalités de calcul, notre contribution aux Nations unies est assise sur une richesse nationale dont le poids relatif dans le monde diminue et la Facilité européenne pour la paix (FEP), utilisée à l’intention de l’Ukraine, est moins sollicitée.
Ainsi, le schéma d’emplois du ministère peut rester positif, même s’il est deux fois moins ambitieux que celui de l’an dernier. Au lieu de créer 150 postes en 2025, puis 200 par an en 2026 et en 2027, la trajectoire est revue à la baisse : seuls 75 postes seront créés l’an prochain, et 100 postes par an jusqu’en 2027.
Sur quatre ans, le nombre total d’effectifs sera ramené de 700 à 425 ETP. Pour rappel, le ministère avait déjà perdu 3 000 ETP entre 2007 et 2021.
Par ailleurs, l’agenda de transformation se poursuit. Près de 80 % des 356 recommandations issues des États généraux de la diplomatie ont été mises en œuvre. L’Académie diplomatique et consulaire a vu le jour et des moyens ont été dégagés pour améliorer le quotidien des agents.
Il reste peu de marges de manœuvre pour certaines autres fonctions essentielles du ministère.
La direction de la communication et de la presse tâchera de poursuivre sa montée en puissance en 2025, grâce aux effectifs recrutés en 2024, mais ses crédits sont réduits de 1 million d’euros en raison du non-renouvellement de mesures qui n’étaient que transitoires l’an passé.
Le budget de la sécurité des emprises diplomatiques à l’étranger diminue en autorisations d’engagement, mais augmente en crédits de paiement. Ce budget était en forte hausse en 2023 et en 2024, compte tenu du niveau d’insécurité dans lequel se trouvaient nos ambassades. Ce budget permettra de renouveler certains équipements, mais le lancement de nouveaux chantiers sera ralenti.
Les crédits de coopération de sécurité et de défense diminuent de 10 % environ, ce qui impose de revoir certaines priorités et de repenser l’usage des bases militaires que l’armée française s’apprête à quitter sur le continent africain.
Je veux rappeler que, dans la mesure où la fermeture des bases implique la fin des opérations extérieures, la France ne disposera plus de sa capacité d’influer sur certains conflits, notamment en Afrique.
Les dépenses consacrées au protocole sont les plus dynamiques. Après avoir doublé en 2024, elles augmentent encore de 60 %, pour atteindre près de 30 millions d’euros. Cette enveloppe financera notamment le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, organisé en février 2025, et la conférence des Nations unies sur l’océan, qui se déroulera à Nice en juin prochain.
Cette dépense peut sembler élevée, mais elle participe du rayonnement de la diplomatie d’influence de notre pays, alors que l’année passée a été particulièrement riche en événements internationaux.
D’une manière générale, la trajectoire de réarmement de notre diplomatie ralentit. Le contexte budgétaire l’impose malheureusement, alors que le contexte international est encore plus tendu : je pense notamment à l’Ukraine, à l’Arménie et à Israël.
Je veux d’ailleurs dire le soulagement et l’émotion que j’ai ressentis en apprenant le retour des premiers otages israéliens, même s’ils sont échangés contre les pires assassins. Espérons qu’il s’agisse d’un premier pas vers une paix durable et urgente. Je pense aussi à nos trois compatriotes enfermés dans des geôles iraniennes.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme 105.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aurions dû examiner le budget de la mission « Action extérieure de l’État » le 5 décembre dernier. Toutefois, le gouvernement Barnier ayant été renversé par l’adoption d’une motion de censure, aucun budget n’a encore été voté pour la France. Quel signal envoyé au monde entier !
De surcroît, la censure a eu pour conséquence d’éteindre pendant plusieurs semaines la voix du Gouvernement, réduit à expédier les affaires courantes. Ce temps suspendu s’est révélé précieux pour d’autres. Pour ne prendre qu’un exemple, la présidente de la Commission européenne s’est empressée de signer l’accord commercial entre l’Union et le Mercosur, alors que ledit accord ne respecte pas les conditions émises par la France en matière de clauses miroirs. Voilà pour le bilan du jeu de quilles !
Deux mois et demi plus tard, alors que nous reprenons les débats budgétaires, le monde a largement changé, vite et fort. Une nouvelle donne se dessine.
Au Moyen-Orient, on remarque l’affaiblissement d’un certain nombre de proxys iraniens, du régime syrien des el-Assad au Hezbollah libanais. En outre, un accord de cessez-le-feu a été conclu entre Israël et le Hamas, ranimant un tout petit peu l’espoir pour ces deux sociétés traumatisées.
Aux États-Unis, le président élu Donald Trump a pris ses fonctions hier. La partition qu’il s’apprête à jouer aura des répercussions partout dans le monde et risque d’aggraver les divisions européennes.
Ces derniers événements s’ajoutent à d’autres évolutions structurelles qui doivent nous conduire à renforcer et à adapter notre outil diplomatique. Partout dans le monde, la force à l’état brut est de retour. Certains dirigeants expriment clairement leur désir d’expansion territoriale et de prédation de ressources matérielles et immatérielles. Ils entendent dessiner de nouvelles frontières, dans le domaine cyber ou spatial, par exemple.
N’oublions pas cette crue réalité économique et démographique du monde : les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – constituent la moitié de la population mondiale et 40 % de la richesse produite, en plus de promouvoir une vision alternative de l’ordre mondial.
Des repères s’effacent, d’autres émergent. La France n’est plus dans sa zone de confiance, comme les Européens d’ailleurs. Plus que jamais, la diplomatie française doit être offensive : il y va de sa victoire ou de sa défaite. Encore faut-il avoir le mental, « l’envie d’avoir envie », comme dirait un grand auteur. Bref, il faut vouloir rester dans le match.
Il n’y a aucune raison de céder à l’abattement ou à la fatalité. La France a bien des atouts à faire valoir dans le monde qui vient. Son réseau diplomatique est à l’écoute du monde entier et parle toutes les langues. Je me réjouis des créations de postes qui se poursuivent et de l’abandon d’une fiscalisation de l’indemnité de résidence à l’étranger (IRE), qui aurait fragilisé les ressources humaines du ministère.
J’insiste, la France a une posture singulière, elle parle à tout le monde. Notre langue est un formidable vecteur, grâce à la francophonie et à la diaspora. Les Français établis à l’étranger nous permettent de construire des ponts avec le monde entier. Quant à la société civile, elle est bien organisée. En témoigne le formidable succès du forum de Paris pour la paix.
Enfin, n’oublions pas nos outre-mer, dont l’insertion dans leurs espaces géographiques est essentielle.
Il ne reste plus qu’à rendre opérationnels tous ces éléments de succès en nous dotant des moyens d’agir. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption des crédits du programme 105. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme 185 retrace les crédits destinés au financement de la politique d’influence de la France. Essentiels au rayonnement de notre pays à l’international, ils seront pourtant réduits de 45 millions d’euros en 2025.
Cette diminution affectera particulièrement les moyens consacrés à la coopération du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Les échanges d’expertise, essentiels pour mobiliser des acteurs internationaux autour des priorités de la France, verront ainsi leurs crédits diminuer de 3 millions d’euros.
Concernant la diplomatie culturelle, le montant de la subvention pour charges de service public allouée à l’Institut français de Paris sera réduit de 1,7 million l’an prochain. Pour y faire face, l’opérateur a engagé une revue de ses programmes, touchant à plusieurs actions : crédits de soutien au cinéma, résidences artistiques et partenariats européens.
Dans ce contexte de restriction budgétaire, il est important de noter que les instituts français seront globalement préservés, leur dotation de fonctionnement étant maintenue à 46 millions d’euros. C’est une décision cruciale, compte tenu de la situation fragile dans laquelle se trouvent certains d’entre eux.
En matière de soutien à la francophonie, force est de constater que l’ambition affichée par le Président de la République dans son discours de Villers-Cotterêts peine à se matérialiser sur le plan budgétaire. Ainsi, les dotations destinées à la promotion de la langue française diminueront de 1,4 million d’euros. De même, la subvention accordée aux alliances françaises baissera de 45 %, passant de 7,5 millions à 4 millions d’euros.
La loi de finances pour 2024 avait marqué un rebond notable des crédits du programme 185, tandis que le projet de loi de finances pour 2025 traduit, à ce stade, un retour au niveau des crédits de 2023.
Les services et opérateurs du ministère nous ont dit être en mesure de faire face à la diminution de leurs moyens, telle que le prévoit la copie initiale du Gouvernement. Néanmoins, il y a un plancher en-deçà duquel l’action de la France à l’international en matière de diplomatie culturelle et d’influence serait sérieusement affaiblie.
Aussi, sous le bénéfice de ces observations, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits du programme 185, pourvu qu’ils ne soient pas modifiés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Didier Marie, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son discours prononcé à l’occasion de la clôture des États généraux de la diplomatie, en mars 2023, le Président de la République appelait à un réarmement complet de notre diplomatie. Un an et demi plus tard, force est de constater que les moyens ne suivent pas.
Après deux années de hausse significative, la subvention pour charges de service public versée à l’AEFE connaîtra une diminution sensible de 14 millions d’euros en 2025.
Les documents budgétaires nous expliquent que cette contraction résultera de la fin du dispositif de soutien au réseau libanais et de la réévaluation à la baisse des coûts de la réforme des personnels détachés. Cette diminution, que l’on présente comme indolore pour l’opérateur, appelle trois observations.
Tout d’abord, la fin du dispositif de soutien aux établissements libanais intervient alors que le pays traverse une crise majeure. Un tel désengagement pose donc question.
Ensuite, le coût de la réforme des personnels détachés est certes plus faible que celui qui était initialement prévu, mais l’État n’en couvre que la moitié. Le reste à charge, soit 9 millions d’euros en 2025, sera assumé par l’AEFE.
Enfin, l’augmentation du taux de contribution aux pensions civiles se traduira par une charge estimée, elle aussi, à 9 millions d’euros.
Les moyens alloués à l’AEFE connaîtront bel et bien une baisse significative. Ainsi, cinquante postes ne seront pas pourvus à la rentrée prochaine ; ils s’ajouteront aux quinze suppressions de postes déjà actées. J’ajoute que la question du financement des investissements immobiliers des établissements en gestion directe n’est toujours pas résolue.
Sans augmentation des moyens de l’AEFE, l’objectif de doublement du nombre d’élèves dans le réseau d’ici à 2030, que le Gouvernement continue de soutenir, est totalement irréaliste.
J’en viens à l’accueil des étudiants internationaux. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit de maintenir le montant des bourses de mobilité à 70 millions d’euros. C’est une bonne nouvelle. Pour autant, nous sommes loin de l’objectif de doublement des bourses d’ici à 2027, qui aurait nécessité une croissance de l’enveloppe de 8 millions d’euros par an.
La France est donc à la croisée des chemins. Soit elle choisit de rester parmi les premières destinations mondiales, auquel cas elle s’efforce de s’en donner les moyens, soit elle accepte d’être reléguée en seconde division et de réduire son budget au minimum vital.
Lors de nos auditions, nous avons pu mesurer l’engagement exemplaire des agents du ministère et de ses opérateurs. Grâce à eux, les conséquences de la baisse du budget prévue en 2025 devraient pouvoir être contenues.
Cette diminution devrait s’accentuer dans les années à venir, voire dès 2025. En témoignent l’amendement de la commission et celui qui a été déposé par le Gouvernement in extremis, hier soir – drôle de méthode. Une chose est sûre, le rayonnement de la France à l’international en souffrirait.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des affaires étrangères est favorable à l’adoption des crédits du programme 185, sous réserve qu’ils ne soient pas modifiés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)