PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Souveraineté alimentaire et agricole
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture (projet n° 639 [2023-2024], texte de la commission n° 251, rapport n° 250, avis nos 184 et 187).
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l'insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d'un orateur par groupe, l'orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l'ensemble
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de ce projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, les agriculteurs n'attendent – hélas ! – plus grand-chose aujourd'hui. Il s'articulait pourtant autour de plusieurs enjeux cruciaux pour l'avenir de notre agriculture. Je pense évidemment à la souveraineté agricole et alimentaire ou aux notions d'intérêt général majeur, d'intérêt fondamental de la Nation ou encore de compétitivité. Y figurent aussi les enjeux liés à l'adaptation climatique et environnementale et aux politiques à mettre en œuvre pour une formation toujours plus adaptée et pour faciliter le plus possible les transmissions et la pérennité des exploitations. Je pense enfin à l'urgence d'alléger les contraintes et autres surtranspositions qui pèsent toujours plus au quotidien sur le secteur agricole.
Hélas ! force est de reconnaître qu'au milieu de ces priorités, de nombreuses mesures pourtant essentielles n'ont pas été portées, par manque de courage. Aussi les agriculteurs n'attendent-ils plus rien aujourd'hui de ce texte qui a perdu toute ambition. Ce qu'on nous promettait comme devant être une grande loi d'orientation a été réduit comme peau de chagrin dans des périmètres mal définis, par ceux-là mêmes qui avaient invité l'année dernière les Soulèvements de la Terre au Salon international de l'agriculture.
Madame la ministre, vous n'êtes pas responsable de la situation : vous avez fait le job, dans la continuité des travaux parlementaires qui ont débuté il y a presque un an.
Parmi les notions qui me paraissaient essentielles figurent les principes d'intérêt général et d'intérêt fondamental de la Nation, qui permettent de rétablir l'équilibre dans la hiérarchie des normes, afin de cesser d'opposer agriculture et environnement et d'éviter que les dispositions environnementales ne soient utilisées uniquement à des fins de blocage de tout projet.
Il est temps, en effet, de retrouver du pragmatisme dans notre pays. Comme la Charte de l'environnement primera toujours, il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur une prétendue volonté des vilains législateurs, des vilains sénateurs, de faire de la régression environnementale un but.
Je me suis battu pour que prévale la notion d'intérêt général majeur, pour que l'on ait le courage de définir des notions essentielles qui portent trop souvent à confusion et qui ont toute leur place dans la loi, comme la souveraineté agricole, la sécurité alimentaire ou encore la sécurité sanitaire alimentaire.
J'ai échoué. Nous n'avons pas pu nous résoudre, au sein de mon groupe parlementaire, à voter des dispositifs qui complexifient tout, notamment sur la haie. C'est un symptôme de notre incapacité à gérer les irritants des agriculteurs. Je ne vais pas revenir sur les débats que nous avons eus en séance, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que la commission mixte paritaire a du pain sur la planche. Un exemple, madame la ministre : transformer des milliers de kilomètres de bords de rivière en haies, ce n'est pas acceptable.
On nous a imposé de légiférer sur des sujets accessoires comme la haie, le chien et même la laine. Cela peut sembler judicieux à certains, qui vivent bien loin de nos campagnes. Mais les agriculteurs ont suffisamment d'expérience et de bon sens, tout de même, pour gérer ces domaines avec pragmatisme.
Ce projet de loi ne sera qu'une étape. De toute façon, le coup était déjà parti, alors soyons positifs ! J'aime à rêver, madame la ministre, qu'il s'agit d'un nouveau départ pour l'agriculture, d'un changement d'air pour une ambition de souveraineté et de protection de l'environnement.
Oui, un nouveau départ, face à une volonté clairement décroissante, poussée par de pseudo-attentes inventées de toutes pièces par ceux qui attaquent la France.
Je l'ai déjà dit lors de la discussion générale sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, déposée par MM. Duplomb et Menonville – je les en remercie – : l'agriculture porte aussi l'espoir d'un changement de méthode plus large qui sera valable pour l'énergie, pour l'industrie et pour nos PME. Si nous échouons à rectifier des trajectoires au mieux trop ambitieuses, au pire mensongères, pour l'agriculture, rien ne bougera jamais non plus dans les autres secteurs.
Cette période que nous vivons, avec la loi du plus fort qu'on tente de nous imposer en France et en Europe, devrait pourtant nous réveiller tous. Il est urgent d'inscrire la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. À mes collègues députés qui nous écoutent, je souhaite dire que l'ambition, ce n'est pas la régression environnementale : l'ambition, c'est un équilibre retrouvé ; l'ambition, c'est notre souveraineté ; l'ambition, c'est – et nous le prouvons au Sénat – le courage. La régression, ce sont les marchands de peur ; la régression, c'est la décroissance ; la régression, c'est de ne pas croire en la science.
Votons et faisons en sorte, ce soir, que la CMP soit conclusive. Nous prouverons ainsi que les seuls à aimer la France, ce sont ceux qui ont du courage. (Murmures désapprobateurs sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Pour conclure, je souhaite vous remercier sincèrement, madame la ministre, de votre investissement sur ce projet de loi, dont vous n'êtes pas l'auteure. Merci de votre écoute, de votre ténacité, et de votre art de ramener du bon sens. Je sais que la période est difficile, face à une administration qui a bien compris que les ministres ont une durée de vie très limitée ! Continuons, accélérons les réformes, retrouvons notre souveraineté sur tous les sujets ! Tel est l'enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville, rapporteur, applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Jules Romains, originaire de Saint-Julien-Chapteuil, en Haute-Loire, écrivait ceci en 2019 (Rires.)…
M. Roger Karoutchi. Mémoires d'outre-tombe ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. … en 1919 !
« Je suis né de petites gens
« Gagnant peu pour beaucoup de peine.
« Mes aïeux ont tiré de terre
« Plus de blé qu'ils n'ont eu de pain. »
Ces quelques mots en disent long sur l'histoire des paysans et sur les difficultés rencontrées pendant des siècles pour se nourrir.
Nos sociétés modernes ont peu à peu oublié le lien indissociable entre produire sa nourriture, se nourrir et vivre dignement. Les agriculteurs des temps modernes auraient-ils tellement réussi que la peur de manquer ait totalement disparu ?
Cette peur a parcouru les siècles, pourtant, de famines en disettes, de jacqueries en révolutions. La France a connu plus de périodes troublées par ce manque que de périodes de stabilité alimentaire, comme celle que nous vivons.
Faut-il rappeler que, dans les années 1870, après la défaite de Sedan et la Commune, les Parisiens ont été contraints de manger les éléphants du zoo de Vincennes ? Faut-il rappeler que les tickets de rationnement ne sont vieux que de quatre-vingts ans ? Faut-il encore rappeler que Rome, à la fin de l'empire, stockait sept années de consommation !
Certes, la nature humaine est ainsi faite que l'on oublie vite, et même que l'on arrive à se persuader que cela n'est plus possible. Comme si ce que nous avons « gagné », nous l'avions « gagné » pour toujours ! Nous n'aurions plus besoin d'avoir peur, plus besoin de nous poser des questions sur notre capacité à produire notre alimentation. Nous pourrions même nous dire que nous ne risquons plus rien et que l'on pourrait se passer de produire. Comme dans la fable de La Fontaine, finalement, nous pourrions chanter comme la cigale, en nous moquant éperdument de la fourmi.
Depuis quelques années, sous la pression d'une idéologie de la décroissance, on en viendrait même à condamner l'acte de production agricole, en le stigmatisant comme une atteinte à l'environnement et en faisant des paysans des assassins de la nature.
Après des siècles d'asservissement aux seigneurs par les corvées, la taille, le cens ou encore le champart,…
M. Bruno Sido. Et la gabelle !
M. Laurent Duplomb. … après avoir été la chair à canon de multiples guerres, en 1914-1918 on fit, comme avait dit Gambetta, chausser les sabots de la République aux paysans en leur donnant le droit d'être propriétaires, et en couvrant ensuite les monuments aux morts de nos villages des listes interminables de leurs noms…
Nous aurions pu naïvement penser qu'après avoir modelé à la sueur de leur front les paysages d'une France aux multiples visages que nous admirons tous les jours lors de nos déplacements, les agriculteurs avaient gagné la confiance, leur liberté… Nous aurions pu naïvement penser que la transmission de multiples savoirs de génération en génération leur donnait enfin la légitimité.
Eh bien non ! Chassez le naturel, il revient au galop ! Contraindre, empêcher, entraver sont les nouveaux maux de nos paysans, qui subissent normes, règles, surtranspositions. Tant de paradoxes, de mesures parfois contradictoires, d'injonctions leur font perdre la tête ! Ils ont l'impression que l'on marche sur la tête, tant le bon sens paysan est attaqué.
Comment leur dire qu'ils ne peuvent plus avoir les moyens de produire, car on les leur interdit, et que, dans le même temps, on laisse entrer des produits importés de pays voisins utilisant, eux, ces moyens interdits ?
Comment ne pas les blesser au plus profond d'eux-mêmes quand on leur dit qu'ils sont productivistes et que l'agriculture française est industrielle ? Ils vivent tout autre chose sur leurs exploitations familiales, dont les modes de production sont aux antipodes de ceux des produits que nous laissons entrer par nos accords de libre-échange : les exploitations françaises comptent en moyenne soixante vaches, quand la viande que nous laissons entrer du Canada est produite dans des feedlots de 30 000 bovins. Qui peut raisonnablement comprendre cela ?
Votre projet de loi d'orientation, madame la ministre, permet de poser un nouveau regard, d'offrir une nouvelle perspective, je l'espère. Il fixe un nouveau cap à l'agriculture française. Après avoir trop voulu concentrer les politiques publiques sur la montée en gamme, par dogmatisme, et comme un enfant gâté qui oublierait le passé et qui arriverait à se convaincre de ses propres forfaitures, nous allons enfin ériger la souveraineté alimentaire en intérêt fondamental de la Nation et veiller à ce qu'elle ne régresse plus.
Oui, la souveraineté alimentaire est le seul moyen de nourrir son peuple sans avoir à recourir massivement aux importations – et en prenant bien soin de nourrir toutes les bouches, tant de ceux qui ont les moyens que de ceux, les plus pauvres, qui sont obligés d'arbitrer entre leurs achats.
En 2018, la durée moyenne pendant laquelle les Français ne consommaient que des produits importés était d'un jour ; aujourd'hui, elle est de trois jours. Il est grand temps de réagir et de reprendre notre destin en main.
Il nous faut stopper ce délire décroissant, cette folie normative, ces oppositions stériles qui nous mènent sur le chemin du déclin ! (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) La balance commerciale française, vins et spiritueux compris, a encore chuté de 1,6 milliard d'euros cette année. Il ne restera bientôt plus rien de cet excédent. Ce fleuron de l'économie française exporte non seulement une simple denrée alimentaire, mais aussi une histoire de paysans, un savoir-faire mondialement reconnu, un terroir et le labeur de tous ceux qui cultivent et élèvent avec une passion sans pareille.
Ces mauvais résultats nous obligent. Nous ne pouvons plus regarder passivement décliner la France agricole, car c'est notre histoire que nous injurions ; c'est notre patrimoine que nous dilapidons ; c'est notre survie que nous condamnons en laissant notre agriculture s'amenuiser, avec le risque de la voir disparaître. (Mme Nicole Bonnefoy s'exclame.)
Cet après-midi, je veux avoir une pensée toute particulière pour les producteurs de noisettes, de kiwis, de cerises, de pommes, de poires, de bananes, d'endives, de betteraves, de pommes de terre, mais aussi pour les éleveurs de porcs et de volailles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.) Et la liste n'est pas exhaustive, tant le problème est grand !
Alors – c'est vrai –, pour reprendre la rhétorique de certains, changeons de modèle ! Oui, mais changeons de modèle de pensée ! Rappelez-vous la phrase de Jean-Jacques Rousseau : « L'agriculture est le premier métier de l'homme : c'est le plus honnête, le plus utile et, par conséquent, le plus noble qu'il puisse exercer. » (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi aura traversé toutes les saisons.
Présenté au printemps dernier en Conseil des ministres, il a ensuite subi la sécheresse législative de l'été 2024, avant d'être laissé en jachère pendant un automne très instable. Ce parcours exceptionnellement long est sur le point de s'achever, à la fin d'un hiver particulièrement fertile pour les sujets agricoles dans notre hémicycle.
Après six journées de débats passionnants, intenses, mais, dans l'ensemble, respectueux des convictions de chacune et de chacun, le temps est venu de se prononcer sur ce texte très attendu.
Afin de ne pas faire durer le suspense, je vous indique que le groupe RDPI votera sans hésitation en faveur de ce projet de loi, pour trois raisons notamment.
D'abord, ce texte apporte des solutions adaptées aux défis du renouvellement des générations.
Ensuite, il érige la souveraineté alimentaire au rang d'intérêt fondamental de la Nation.
Enfin, nos débats ont permis d'introduire des mesures essentielles à nos yeux, notamment en matière de haie.
D'abord, je considère que ce texte est utile pour le renouvellement des générations en agriculture, problématique à laquelle il apporte des solutions concrètes.
Je pense ainsi à la mise en place du contrat territorial de consolidation ou de création de formation, qui permettra d'augmenter le nombre de jeunes formés par la voie initiale scolaire dans les établissements de l'enseignement agricole technique.
J'ai également en tête l'article 5 du projet de loi, qui prévoit la création du « Bachelor Agro », un diplôme qui sera reconnu bac+3.
De plus, la mise en place du réseau France installations-transmissions, ou France services agriculture, est prometteuse et sera – j'en suis sûr – un des éléments essentiels de ce texte, que les agriculteurs apprécieront au moment d'acquérir ou de céder leur exploitation.
Grâce à ce nouveau guichet départemental unique, l'État doit offrir un nouveau service public accessible de qualité avec l'appui des chambres d'agriculture.
N'oublions pas le dispositif d'aide au passage de relais créé au Sénat : une aide transitoire de 1 100 euros par mois pendant une durée maximale de cinq ans avec prise en charge des cotisations sociales maladie et retraite de l'exploitant et des membres de sa famille qui participent aux travaux.
Pour renouveler les générations, nous devons également donner un coup de pouce financier aux retraités de demain.
Avec cet engagement, ce nouveau réseau, le « Bachelor Agro » et le contrat territorial, nous semons des graines qui germeront rapidement dans l'intérêt du renouvellement des générations.
Ensuite, nous voterons aussi en faveur de ce texte, parce qu'il protège bien plus qu'auparavant la notion de souveraineté alimentaire.
Des premiers accords de libre-échange aux négociations avec le Mercosur, en passant par la pandémie de covid-19, nous avons toutes et tous constaté l'importance de la notion de souveraineté, qui plus est lorsqu'il s'agit de nourrir la France.
Mais force est de le constater, face aux enjeux de transition liés à l'environnement, le monde agricole a parfois le sentiment d'être relégué au second plan, alors que, dans le même temps, nous voulons que l'agriculture soit une fierté française.
Il est donc nécessaire d'encadrer juridiquement le sujet, non pas pour placer l'agriculture au-dessus de l'environnement, mais pour mieux équilibrer la balance.
Nous atteignons, je pense, une forme d'équilibre, puisque nos débats ont penché en faveur d'une souveraineté alimentaire érigée au rang d'intérêt fondamental de la Nation, avec un principe de non-régression.
Enfin, nous voterons ce projet de loi, parce que nos débats en séance ont permis d'introduire des mesures essentielles.
Je veux bien évidemment aborder l'évolution du cadre juridique applicable à la haie. Nous avons, je crois, retenu une définition équilibrée. J'ajoute que l'adoption de mon amendement permettra d'exclure de ce qui relève d'une destruction de haies la chaussée de toute voie cadastrée sous l'appellation « chemin rural ».
En l'absence d'une telle précision, la rédaction de l'article 14 risque de constituer un obstacle majeur à la réouverture des chemins ruraux, en imposant, d'une part, le respect d'une procédure qui, à la base, n'est pas prévue pour ce cas et, d'autre part, la compensation du linéaire détruit par les communes, ce qui sera très difficile.
L'article 14 bis A, qui permet d'insérer la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie – ce texte de notre collègue Daniel Salmon a été voté, je le rappelle, à l'unanimité par notre assemblée –, a été ajouté dans le texte à la suite de l'adoption d'un amendement que j'avais déposé. J'espère qu'il sera préservé lors de la commission mixte paritaire.
Telles sont les principales raisons qui poussent notre groupe à se prononcer en faveur de l'adoption de ce projet de loi.
Nous savons d'avance que ce texte seul ne réglera pas l'ensemble des problèmes rencontrés par nos agriculteurs. Néanmoins, il permettra de poser des fondations solides au sursaut patriote agricole que je souhaite pour notre pays et sera complété, je l'espère, par d'autres textes pour en combler les angles morts. Je fais ici référence au revenu des agriculteurs ou au sujet du foncier.
Mes chers collègues, vous le savez, dans quatre jours, le Salon international de l'agriculture sera lancé. Si l'adoption définitive du texte avant ce lancement reste incertaine, ce qui, en revanche, est sûr et certain, c'est que j'agirai autant que possible pour que la commission mixte paritaire puisse être conclusive.
Saisissons dès cet après-midi l'occasion de retisser ensemble le lien de confiance avec celles et ceux qui font de l'agriculture une fierté française et faisons en sorte que ce texte soit adopté le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après de multiples retards, la grande loi agricole promise au mois d'avril 2022 par Emmanuel Macron, lors de sa campagne présidentielle, est enfin sur le point de voir le jour.
Néanmoins, l'adjectif « grande » est de trop : entre les intentions de départ et le texte présenté aujourd'hui, le contexte et son contenu ont radicalement changé.
Pourtant, nous partons du même constat : le déclin de la puissance agricole française. L'enjeu derrière cela, c'est la sauvegarde de notre souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs.
Si l'intention initiale – moderniser notre modèle de production pour regagner en compétitivité – demeure, la nette atténuation de l'ambition écologique invite à la plus grande vigilance.
Force est de le constater, à coup de « pragmatisme » et d'ambition en matière de compétitivité, le texte qui nous est présenté aujourd'hui s'est éloigné d'un de ses objectifs initiaux : rebâtir la souveraineté alimentaire de la France en répondant notamment au défi du changement climatique.
L'agriculture est pourtant l'un des secteurs d'activité les plus sensibles à l'évolution du climat et les plus dépendants du fonctionnement des écosystèmes.
L'objectif d'une agriculture économiquement et écologiquement viable, rémunératrice, diversifiée, durable et répartie sur l'ensemble du territoire doit prédominer et servir de mise en garde contre la stérilité de l'opposition entre agriculture et environnement.
Or je n'ai pu que constater et déplorer au cours des débats la crispation de certains lorsqu'il était question de transition vers une agroécologie et d'adaptation au changement climatique.
Au-delà de ces constats, plusieurs interrogations me viennent à l'esprit. J'espère qu'elles trouveront une réponse équilibrée dans la commission mixte paritaire.
D'abord, le diagnostic de viabilité économique et de vivabilité des projets agricoles, désormais beaucoup plus économique qu'environnementale, avec ses six modules mobilisables indépendamment les uns des autres, n'est plus obligatoire. Certes, ces derniers seraient gratuits en cas de mobilisation lors de périodes clés d'un projet agricole, c'est-à-dire en début ou en fin de parcours. Néanmoins, leur réalisation sur la base du volontariat, mettant par conséquent fin à l'obligation de leur réalisation, me pose question. La logique incitative visée par le texte peut ne pas être suffisante ; elle nous plonge dans une certaine opacité. Seul un engagement contraint permettrait de répondre aux conditions d'installation viables dans le temps, notamment du point de vue de la performance agronomique des sols de l'exploitation.
Je le rappelle, en soixante ans, nos sols ont perdu 80 % de leur matière organique et entre 70 % et 90 % de leur population bactérienne et fongique. Leur tassement s'est irrémédiablement accentué.
Installer des jeunes sur des sols qui ne fonctionnent pas dans un système figé et de plus en plus intégré dans la chaîne de distribution est une erreur. Et le faire en connaissance de cause est, à mon avis, irresponsable.
Je regrette le rejet en séance publique de l'attribution d'une septième mission à l'enseignement agricole. Il était envisagé d'intégrer au programme de la formation initiale et continue agricole des modules sur les tâches administratives auxquelles les agriculteurs feront face dans leur carrière. Je le rappelle, 20 % à 25 % du temps de travail d'un agriculteur est consacré à des tâches administratives. Certains lycées agricoles de mon département ont relevé un tel manque. Cet enjeu doit être désormais une nécessité de la formation agricole. Or l'État ne joue pas encore pleinement son rôle et se doit de mettre en œuvre une vraie politique publique en matière d'accompagnement et de sensibilisation aux réalités du métier d'agriculteur.
Celles-ci sont encore trop floues pour les principaux concernés, et elles le sont encore plus aux yeux de nos concitoyens.
Faire de notre agriculture une grande cause nationale n'est pas une incantation. Ou bien estimez-vous que la santé mentale des jeunes aussi relève du superfétatoire ?
Recréer un lien entre l'urbain et le rural, le citoyen et l'agriculteur, le travailleur de la terre et le jardinier du dimanche, pour sensibiliser chacun sur les atouts de notre agriculture, au-delà de nous nourrir et de maintenir nos paysages, est une nécessité, ne serait-ce que pour susciter de nouvelles vocations.
À ce titre, si ce texte cherche à apporter plusieurs réponses au défi du renouvellement des générations, que ce soit en fixant des objectifs ambitieux en matière de hausse du nombre d'élèves de l'enseignement agricole, notamment par une meilleure visibilité et attractivité de ses filières, ou en renforçant la pertinence de la lisibilité du parcours d'installation et de transmission des exploitations agricoles par la mise en place d'un guichet unique, une absence se fait remarquer : celle de l'accès au foncier agricole.
Aucune disposition concrète ne permet de libérer du foncier agricole utile, afin de faciliter la politique d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations.
Madame la ministre, vous vous êtes engagée pendant le débat sur un projet de loi. Mais ne pensez-vous pas qu'un travail en amont serait nécessaire ? Je pense par exemple à une mission sur le foncier agricole.
Pourtant, ce projet de loi s'attache à dessiner un cap clair pour l'agriculture française, fondé sur une triple ambition : consacrer le principe de souveraineté alimentaire, créer des conditions d'installation viables dans le temps et passer de réflexes de suradministration et de sanctions à une dynamique d'information et d'incitations.
La dépénalisation de certaines atteintes environnementales en l'absence de négligence grave ou d'intentionnalité m'interroge aussi, même si je reconnais une volonté de simplification.
J'attends de la commission mixte paritaire qu'elle retienne un dispositif plus proportionné et consensuel, qui combinerait respect du principe de non-régression environnementale et allégement du poids des normes qui pèsent sur les agriculteurs.
L'équilibre consistant à faire coïncider les objectifs de souveraineté, de simplification normative et de compétitivité où l'enjeu climatique et la préservation de la biodiversité seraient centraux ne me semble pas respecté dans ce texte, et ce malgré vos efforts, dont je vous remercie, madame la ministre.
En dépit des quelques motifs de satisfaction, faisons attention à ne pas cumuler les retards en matière de transition vers une agroécologie, alors que la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances, en plus d'avoir été de nouveau amputée de 200 millions d'euros en commission mixte paritaire, nous a déjà prouvé que la planification écologique était la variable d'ajustement.
C'est désormais à la commission mixte paritaire – vous l'avez compris, nous y tenons beaucoup – de trouver un équilibre satisfaisant pour avancer vers un modèle d'agriculture protecteur de l'environnement et plus résilient en attendant d'être plus rémunérateur.
Dans leur diversité, une majorité de membres de mon groupe s'abstiendront en attendant les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous votons aujourd'hui un projet de loi important, aboutissement de plusieurs mois de discussions pour l'avenir de notre agriculture.
Ce texte s'inscrit dans un contexte où les attentes des agriculteurs sont plus que pressantes, à quelques jours du Salon de l'agriculture, qui débutera à la fin de cette semaine. Il est essentiel de se rappeler que, derrière chaque chiffre et chaque mesure dont nous avons débattu dans cet hémicycle, il y a des femmes et des hommes qui consacrent leur vie à nourrir notre pays. Ces travailleurs de la terre sont autant d'individualités avec leurs aspirations, leurs frustrations et leurs espoirs.
Un des slogans les plus entendus en 2024 a, à lui seul, illustré le profond malaise des agriculteurs : « On marche sur la tête. » Ce cri de désespoir, accompagné d'une opération de retournement de panneaux de communes, a perduré cet hiver sur fond de négociations commerciales avec le Mercosur.
Ce slogan suffit à résumer et à dénoncer les injonctions contradictoires adressées à l'agriculture. Les agriculteurs expriment ainsi une quête unanime de reconnaissance, qui se traduit sur le terrain des politiques publiques par une demande de cohérence. Car de telles contradictions sont insupportables pour eux.
Il leur est souvent demandé de respecter des normes strictes. Mais une telle exigence se heurte à une paradoxale tolérance appliquée aux produits importés. Comment demander à nos agriculteurs de produire de manière exemplaire tout en laissant d'autres producteurs étrangers les concurrencer dans des conditions moins contraignantes ? Nous donnons les moyens à d'autres de produire, mais non pas à nos propres agriculteurs, et ce sans garantir une homogénéisation des normes de production à l'intérieur du marché unique ou au sein des accords commerciaux.
Les agriculteurs souffrent ainsi d'une suradministration toujours plus importante et passent en moyenne neuf heures par semaine à effectuer des tâches administratives. Par ailleurs, ils aspirent à une concurrence « à armes égales ». Face à un marché mondial ouvert, ils demandent une harmonisation des normes entre les États européens et une « exception agricole européenne » vis-à-vis des pays tiers qui ne respectent pas nos standards afin de rester compétitifs.
À leur niveau, les réglementations françaises aggravent parfois ces inégalités de concurrence. Ainsi, 37 % des agriculteurs évoquent un « abandon » et un « système à bout ». Cela témoigne du désespoir face à un échelon national qui semble se retourner contre eux au lieu de les soutenir.
Ce texte ne doit rien au hasard. Il s'inscrit dans un contexte particulier : celui d'une agriculture en difficulté, dont les maux ont été identifiés bien en un amont par les nombreux travaux menés par le Sénat ces dernières années. En effet, dès 2022, la commission des affaires économiques alertait sur le décrochage de la ferme France. Cette situation, pourtant déjà préoccupante, s'est alors aggravée. En témoigne la diminution de l'excédent commercial agroalimentaire de la France, qui est passé de 12 milliards d'euros à 4,9 milliards d'euros entre 2011 et 2024.
Ce qui manque particulièrement dans ce texte, c'est un véritable volet économique adapté aux enjeux de compétitivité du secteur. Bien que l'aspect environnemental soit primordial, il ne faut pas oublier que le développement durable de l'agriculture repose sur un triptyque équilibré entre l'humain, l'économique et l'environnement. C'est là la différence des visions qui se sont confrontées dans cet hémicycle. Or, aujourd'hui, ce texte semble accorder une place prépondérante au pilier environnemental en négligeant les autres aspects. (Mme Raymonde Poncet Monge ironise.)
Si l'agriculture durable doit intégrer des normes écologiques, elle doit également offrir aux agriculteurs les moyens de vivre dignement de leur métier, avec des revenus stables et des perspectives économiques claires pour les générations futures.
Néanmoins, ce projet de loi, mes chers collègues, n'est pas sans avancées. Il contient plusieurs éléments qui vont dans la bonne direction pour soutenir les agriculteurs.
Je retiens notamment une philosophie d'expérimentation intéressante, avec, par exemple, l'article 10 bis, qui instaure un droit à l'essai et permet aux agriculteurs d'expérimenter de nouvelles pratiques sans crainte des sanctions en cas d'échec.
Je pense également à l'article 13 bis, qui introduit un droit à l'erreur permettant de prendre en compte les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de nouvelles normes sans pénaliser les agriculteurs de bonne foi cherchant simplement à s'y conformer.
Faisons confiance à nos agriculteurs et laissons-les innover dans leurs pratiques !
Par ailleurs, ce texte contient également des mesures de bon sens, ce bon sens auquel nous n'avions de cesse de nous référer pendant nos débats.
Je pense par exemple à l'article 10 bis A, facilitant les interactions entre Vivea et le compte personnel de formation (CPF), permettant aux agriculteurs d'accéder plus facilement à des formations adaptées à leurs besoins, notamment dans leurs projets d'installation.
Je pense également à l'article 3 ter, favorisant les collaborations entre centres d'apprentissage et centres de formation continue, ou à l'article 11, qui soutient la création de groupements d'employeurs. Ces mesures pragmatiques permettent d'alléger les charges administratives des exploitations et d'en améliorer la gestion des ressources humaines.
Enfin, les articles 1er, 2 et 8 encouragent l'installation des femmes dans l'agriculture. Loin d'être anecdotiques, ce sont de réelles avancées pour féminiser notre agriculture quand on sait que les agricultrices sont 100 000 aujourd'hui contre un million à la fin des années 1960.
Pour autant, à la suite de l'examen sénatorial du projet de loi, on constate un effet de rattrapage. En effet, ce texte gouvernemental est utilisé comme véhicule législatif balai pour y intégrer diverses propositions de loi, qu'il s'agisse d'eau et d'assainissement, de gestion de haies, de santé des sols, etc.
Ce n'est pas une pratique nouvelle, mais cela reflète le fait que, dans un contexte politique incertain, un gouvernement légifère a minima par propositions de loi et que des parlementaires cherchent à tordre le bras de l'article 45 pour faire avancer au plus vite leurs initiatives législatives. Cela a pour conséquences d'alourdir les textes et de rendre leurs lignes directrices moins lisibles, donc moins intelligibles.
Cependant, certains points de ce texte nécessitent des ajustements.
D'une part, ce projet de loi est censé donner une impulsion pour l'installation et la transmission des exploitations agricoles pour les dix prochaines années. Or l'on voit déjà poindre des débats complémentaires sur le foncier et les revenus agricoles. Ces débats sont pourtant au fondement de l'équilibre des agriculteurs et de leurs exploitations.
D'autre part, l'examen s'est parfois concentré sur des points sémantiques ou très indirectement liés à la souveraineté alimentaire, qu'il s'agisse de l'article 10, relatif au nom du futur guichet unique, ou de l'article 14, à propos du cadre législatif portant sur les haies. Cela interroge à la fois sur les irritants parfois absurdes, mais également sur l'inflation normative.
Mes chers collègues, malgré des points d'amélioration, ce projet de loi représente un pas en avant pour l'agriculture française. Il permet de lever des obstacles bien identifiés et d'offrir de nouvelles marges de manœuvre aux agriculteurs, afin que ces derniers puissent rivaliser sur un pied d'égalité avec leurs voisins européens et mondiaux. La version sénatoriale de cette loi repose sur de nombreux travaux législatifs de notre chambre et s'inscrit en complémentarité avec les propositions de loi de nos collègues Franck Menonville et Laurent Duplomb. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST. – M. Yannick Jadot fait signe que le temps de parole de l'orateur est écoulé.)
Le groupe Union Centrise votera donc pour ce texte et souhaite que la commission mixte paritaire puisse être conclusive. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)