M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les hasards du calendrier ont voulu que nos débats au Sénat se rapportant à l'agriculture coïncident avec les élections aux chambres d'agriculture.

Dans le strict respect d'un scrutin qui appartient en propre aux agriculteurs et aux salariés agricoles eux-mêmes, et sans faire dire au scrutin autre chose que ce qu'il signifie, on peut noter que la colère continue à s'exprimer dans le monde paysan. Et c'est normal, car, en l'occurrence, le revenu n'est jamais garanti d'avance, en raison de l'incertitude permanente qui plane sur l'avenir des filières et sur la fixation des prix agricoles. Ces derniers ont été anormalement bas depuis deux ans dans presque toutes les filières de production.

Au demeurant, il ne faut pas s'étonner que le fait que des exploitations céréalières de plusieurs centaines d'hectares perçoivent à ce titre beaucoup d'aides à l'hectare du budget de la politique agricole commune accentue la colère de beaucoup de paysans vivant sur des exploitations de moindre superficie que la moyenne nationale. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

La loi d'orientation agricole aurait pu constituer la bonne occasion pour fixer un certain nombre d'objectifs, infléchir un certain nombre d'orientations et se donner ainsi les moyens d'œuvrer dans le sens du développement durable de notre agriculture. Il n'en est rien ; bien au contraire !

Les principales dispositions retenues dans ce texte consistent à considérer que la planche de salut de notre agriculture résiderait dans une recherche de compétitivité à tout prix, permettant une intensification de la productivité en s'affranchissant d'un certain nombre de contraintes réglementaires et même de préconisations scientifiques. Cela a pour effet d'alimenter une dualité entre la société et les agriculteurs.

Certes, les excès de paperasserie et les lourdeurs administratives exaspèrent les agriculteurs, et l'on peut comprendre leur agacement. Il convient donc de lever de telles lourdeurs. Mais cela ne doit en aucun cas servir de prétexte pour en rabattre sur un certain nombre de prescriptions. Sachons toujours nous rappeler que les labellisations et autres appellations d'origine protégée (AOP) obéissent aussi à des normes.

M. Gérard Lahellec. Et celles-ci nous sont bien utiles pour valoriser les productions de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Nous avons également relevé que, pour répondre à ces objectifs d'intensification des productivités, les options retenues tendent à mettre à mal les potentialités que recèdent l'agroécologie, l'agriculture biologique et l'enseignement de ces disciplines.

M. Bruno Sido. Pipeau !

M. Gérard Lahellec. En outre, ces orientations créent un clivage tendant à opposer agriculture et écologie. Certes, l'agriculture de production est une activité humaine indispensable à la survie de l'humanité. Mais, pour continuer à assurer cette mission, il est indispensable de se remettre en question. Le modèle de développement à promouvoir ne peut, par exemple, pas être celui de l'industrialisation de l'engraissement des bovins, comme on le pratique par exemple au Texas, avec des unités de 75 000 têtes auxquelles on fait gagner un kilo par jour !

Et il y a tous les sujets dont le présent projet de loi ne parle pas.

Nos débats ont mis en lumière un accord assez large autour de l'idée que la mondialisation des prix pour les tirer toujours vers le niveau le plus bas est une aberration. Et à défaut de pouvoir remettre en cause d'emblée l'intégration de l'agriculture dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il eût été pertinent de commencer à travailler sur de nouveaux mécanismes de régulation.

Nous convergeons aussi sur le constat des limites des lois pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), qui ne suffisent pas pour assurer un meilleur retour de la valeur ajoutée à la ferme. La mère des lois en matière de commercialisation reste la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

En matière d'installation et de renouvellement des générations, l'accès au foncier et sa gestion représentent une question essentielle. Or cette dimension n'est même pas abordée dans le texte.

Je terminerai en exprimant deux regrets.

Premièrement, la thématique de la pêche n'est que très peu évoquée. Et nous sommes ici de nombreux parlementaires bretons à avoir pointé l'impérieuse nécessité de soutenir cette activité.

M. Max Brisson. Pas seulement bretons !

M. Gérard Lahellec. Les collectivités de Bretagne y sont disposées. Il ne fallait pas nous opposer l'article 40, comme cela a été le cas.

Deuxièmement, la place consacrée à l'élevage est trop faible. Un proverbe breton, dont je vous ferai part en français,…

M. Gérard Lahellec. … dit ceci : « La terre est faite pour être entre les pattes des animaux ! » Nous sommes effectivement des régions d'élevage.

Si la société a perdu un peu confiance dans l'industrie agroalimentaire, nos concitoyens croient encore à la sincérité des éleveurs, qui travaillent au contact de la nature. C'est là aussi un élément de motivation pour façonner nos paysages, nos haies, nos talus, nos bocages.

En bref, les insuffisances rappelées sommairement à l'instant nous conduisent à nous opposer à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, de déplorer le calendrier du travail parlementaire, soudainement accéléré, qui ne permet pas l'examen final de ce texte dans de bonnes conditions. (Mme la présidente de la commission s'exclame.) Cela constitue un véritable passage en force, uniquement destiné à ce que le Président de la République puisse tirer avantage de quelques effets d'annonce au Salon de l'agriculture. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) C'est regrettable !

Pourtant, les attentes sont fortes et le constat est clair : population agricole et biodiversité s'effondrent en même temps. La crise agricole est structurelle, elle révèle les limites d'un modèle insoutenable. C'est votre bilan !

Ce projet de loi aurait dû être le texte d'une refonte de notre modèle vers la transition agroécologique, une transition indispensable pour assurer un accompagnement des agriculteurs face aux défis immenses qu'entraînent le changement climatique, l'effondrement de la biodiversité et la chute sans fin du nombre d'agriculteurs.

Mais ce texte s'emploie à détourner la colère des agriculteurs des véritables responsables. Il aboutira sans nul doute à un échec, car il ne répond pas aux vrais problèmes de la filière.

Il ne répond aucunement à la question centrale des prix, qui devraient être rémunérateurs, alors que dans cette profession on peut travailler soixante-dix heures par semaine pour gagner moins d'un Smic.

Il ne relève ni le défi de l'accès au foncier et de l'accaparement des terres ni celui, pourtant majeur, de l'élevage, qui est fragilisé. Il renvoie ces sujets fondamentaux à de futures lois.

Il ne répond pas non plus à l'aggravation des inégalités entre les mondes agricoles, où il n'y a pas grand-chose de commun entre les grands céréaliers exportateurs, qui captent la majorité des aides publiques de la PAC, et les petites exploitations en polyculture, élevage ou maraîchage, qui nourrissent nos territoires, entretiennent les paysages et se partagent ce qu'il reste des aides.

En refusant de donner un cap vers la transition, en refusant le pluralisme, vous renforcez en vérité l'évolution vers l'agro-industrie et vous nous menez à une impasse.

En effectuant une lecture fallacieuse des données agricoles, en niant les faits scientifiques, vous prenez une lourde responsabilité.

Concernant l'examen du texte en séance publique, nous déplorons l'absence manifeste de volonté de compromis pendant ces six jours de débats. Aucun apport réellement structurant venant de la gauche n'a été adopté. C'est assez rare que les propositions des groupes d'opposition soient aussi peu considérées et nous le regrettons.

Quasiment tous nos amendements ont été rejetés, qu'il s'agisse de mieux réguler le foncier – sujet mis à la trappe par le couperet arbitraire de l'article 45 –, de mieux former les agriculteurs de demain, notamment sur les enjeux de transition agroécologique, d'assurer un vrai soutien à la bio, de garantir au secteur une gouvernance pluraliste et plus démocratique, d'améliorer les revenus ou de relocaliser l'alimentation.

Une seule éclaircie : l'intégration de la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie, adoptée à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

Concernant l'article 1er, votre définition de la souveraineté alimentaire ne se fait que sous le prisme de la compétitivité.

Une souveraineté biaisée qui, en renforçant une volonté exportatrice, ne respecte pas la souveraineté des autres pays.

Une souveraineté en trompe-l'œil, car sous dépendance aux importations, que ce soit pour les engrais – azote, phosphate, potasse –, le soja ou, demain, les technologies.

Toutes les références et tous les objectifs relatifs à l'agroécologie et à la bio ont été supprimés, tant dans les orientations des politiques publiques que dans les objectifs de la formation et de l'enseignement professionnel agricoles.

Ce texte ignore donc les grands défis du XXIe siècle.

L'agriculture doit faire sa mue pour s'inscrire dans la stratégie nationale bas-carbone. Elle émet 19 % des gaz à effet de serre et doit prendre sa part dans les impératifs de réduction. Rien dans ce texte ne traduit cette ambition.

Plutôt que d'agir, vous propagez la défiance envers les agences de l'État, dont l'expertise scientifique et l'indépendance sont fondamentales en ces temps troublés. Je pense bien sûr à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont le rôle et l'expertise sont méprisés dans ce texte.

Inscrire le principe « pas d'interdiction sans solution » pour les pesticides est une attaque délibérée contre la biodiversité et la santé humaine. Ce dispositif ne devrait d'ailleurs pas tenir devant le Conseil constitutionnel.

Concernant l'enseignement, enjeu central pour assurer le renouvellement, le cap n'est pas le bon et les moyens ne sont pas au rendez-vous. Le « Bachelor Agro » que vous souhaitez axer sur les compétences managériales et entrepreneuriales pour formater de futurs agriculteurs à une vision concurrentielle et productiviste est un entonnoir vers l'endettement et l'agrandissement.

La création et la reprise d'activités agricoles sont pourtant de formidables opportunités pour engager la transition du secteur, mais le texte ne fait l'objet d'aucune mesure concrète pour soutenir la dynamique actuelle des installations, d'abord agroécologiques, car en cohérence avec les attentes d'une majorité de futurs agriculteurs.

La priorité aurait dû être d'établir un véritable pluralisme au sein du futur réseau France installations-transmissions et dans la composition des instances associées à sa gouvernance. Mais vous êtes restés sourds à cette nécessité.

Il en est de même pour le diagnostic modulaire, un outil initialement consacré à la transition : vous l'avez dévoyé, puisqu'il est désormais centré sur le modèle économique des exploitations, mettant de côté les aspects sociaux et environnementaux.

Sur l'article 13, nous sommes toujours sidérés par ce qui constitue l'une des pires régressions en matière de droit de l'environnement de ces dernières années. En allant vers une véritable dépénalisation de la destruction d'espèces protégées – qui plus est, la rédaction choisie ne concerne pas seulement le secteur agricole ! –, le texte issu du Sénat est contraire à la directive européenne sur la protection de l'environnement. Les plus hautes instances juridiques censureront vraisemblablement ce dispositif. Comptez sur notre vigilance et notre mobilisation !

À l'article 15, c'est la concertation et le débat qui sont amputés pour mieux industrialiser le monde agricole.

Avec ce texte, nous sommes à contresens de l'Histoire et de l'urgence écologique, mais en phase avec le plan social en cours. C'est pourquoi le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera résolument contre.

Non, les décisions politiques ne peuvent pas être influencées par les voix les plus bruyantes ou les intérêts d'une minorité au mépris du pluralisme et de la démocratie.

Face aux réalités climatiques, sanitaires et environnementales, nous continuerons de défendre l'intérêt général et des réponses structurelles pour la rémunération des paysans et la préservation de notre capacité à produire demain sur des sols vivants. (Bravo ! sur des travées du groupe GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au bout, ou presque, du parcours législatif tumultueux du projet de loi d'orientation agricole. Après de longs mois d'attente, six jours de séance, trente-cinq heures de débats et environ huit cents amendements examinés, quel est le résultat ?

Nous avions reçu de l'Assemblée nationale un projet bavard et imparfait, n'apportant guère de réponses concrètes au malaise agricole. (Mme la ministre fait la moue.)

Si, madame la ministre !

Comme nous pouvions le prévoir, et dans une connivence permanente avec le Gouvernement (M. Laurent Duplomb, rapporteur, s'exclame.), les rapporteurs ont donné une connotation encore plus économique et libérale au projet de loi.

Nous allons donc sortir du Sénat avec une loi-fleuve, floue, dangereuse pour l'environnement et qui met en avant une certaine idée de l'agriculture, dépassée depuis longtemps.

D'ailleurs, ne devrait-on pas parler plutôt de « loi d'orientation pour une agriculture productiviste » ou encore de « loi d'orientation pour une agriculture passéiste » ?

Vous avez, messieurs les rapporteurs, madame la ministre, modelé un texte parfaitement comme vous le souhaitiez à coups de dogmes pro-industrie agroalimentaire et anti-environnement.

Monsieur le rapporteur Laurent Duplomb, vous avez indiqué que ce texte ne serait pas le Grand Soir de l'agriculture. Nous voilà d'accord ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

À travers ce texte, vous perpétuez la trajectoire agro-industrielle de l'agriculture, tournée vers le gigantisme, l'accaparement des terres, le productivisme à tout va.

Nous soutenons deux modèles qui s'opposent frontalement et je ne vois même pas où nos positions pourraient se rapprocher !

M. Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques. Ça, c'est vrai !

M. Jean-Claude Tissot. Finalement, au terme de débats à sens unique, ni la crise sanitaire, ni la crise environnementale, ni la crise économique, ni – surtout ! – la crise du renouvellement des générations ne se voient proposer de réponses à la hauteur. Et au bout du compte, ce seront les paysans qui paieront la note – comme toujours !

Après le moment agricole que nous avons traversé et à quelques jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture, je le confesse, je suis très inquiet.

Je suis inquiet pour l'avenir de notre agriculture de manière générale. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame que l'on écoute l'orateur en silence.) Qui peut croire que le modèle hyperproductiviste, avec la crise perpétuelle dont il est la source, est attractif pour de jeunes actifs agricoles ?

Le modèle consacre un entre-soi d'exploitations gigantesques et intransmissibles. On peut nous accuser de grossir le trait, mais regardez où nous en sommes aujourd'hui. C'est ce modèle, votre modèle, qui nous a conduits ici ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe SER.) Le prolonger, c'est à la fois ne rien résoudre pour aujourd'hui et aggraver la crise pour demain.

À commencer par la question de la transmission. Bien sûr, votre projet de guichet France installations-transmissions n'est pas une mauvaise idée en soi, madame la ministre, mais ce n'est qu'un pansement sur une jambe de bois. Il ne sera pleinement utile que lorsque nous nous engagerons sur la voie d'exploitations à taille humaine.

Je suis aussi inquiet pour les agriculteurs et pour leur santé. Dans la continuité des débats tenus ici ces dernières semaines, le texte revient sur l'interdiction des produits phytosanitaires, en la conditionnant à des « solutions économiquement viables et techniquement efficaces ».

On notera d'abord le flou juridique de ces notions. Surtout, nous sommes en présence d'un cas d'école, car dans le même temps, vous refusez les alternatives !

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Pendant dix ans !

M. Jean-Claude Tissot. Le schéma est le suivant : on interdit seulement si on a des alternatives, mais comme vous ne voulez pas ces alternatives, on autorise !

Encore une fois, sous couvert d'arguments économiques et productivistes, la santé des paysans est reléguée au second plan. C'est particulièrement déplorable.

Il y a quelques jours, une tribune signée par plus de mille cinq cents professionnels de divers horizons nous appelait, en faisant un parallèle avec les pesticides, à ne pas refaire la même erreur que sur l'amiante.

Le sens de l'Histoire n'est pas à l'assouplissement des règles encadrant les pesticides.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Le sens de la gauche, c'est d'interdire à tout va !

M. Jean-Claude Tissot. L'objectif est de se débarrasser des pesticides, certes progressivement, mais définitivement.

Et ce n'est pas seulement la santé des paysans que nous devons protéger. Que direz-vous à vos petits-enfants lorsqu'ils développeront des cancers ou qu'ils apprendront leur infertilité ? Voilà les questions que nous devons nous poser ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Et s'ils crèvent de faim ?

M. Jean-Claude Tissot. Je suis évidemment inquiet pour notre environnement.

La tendance, que l'on observe depuis quelques semaines, visant à simplifier ou alléger le droit de l'environnement, voire à y déroger, est alarmante. Ce texte s'inscrit pleinement dans ce mouvement d'ensemble.

Les offensives contre l'agroécologie relèvent d'une bataille idéologique des rapporteurs : aucune mention du terme dans l'article 1er – pourtant bavard… – et trois mentions seulement dans l'ensemble du texte.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. On a tout enlevé ! (Rires au banc des commissions.)

M. Jean-Claude Tissot. Dans le même ordre d'idées, je déplore la suppression des objectifs de surface agricole utile en agriculture biologique. Il s'agit d'un énième signal terriblement décevant.

Tout au long du texte sont introduits de grands concepts incantatoires qui, au mieux, seront simplement déclaratifs, au pire, constitueront des appuis législatifs pour déroger au respect d'engagements environnementaux.

Les articles 13 et 15 – le premier allège le régime de répression des atteintes à la biodiversité, le second accélère les contentieux contre les mégabassines et les fermes gigantesques – sont les deux exemples les plus marquants de ces reculs environnementaux. Je le dis sans concession : ils sont inacceptables.

Je suis également inquiet, à un niveau plus global, de la tournure des débats. Outre le fait que nous soutenons deux modèles qui s'opposent, je m'interroge sur le passage en force de certaines dispositions controversées.

Le Conseil d'État a par exemple relevé que les notions d'intérêt fondamental de la Nation, d'intérêt général majeur et de non-régression de la souveraineté alimentaire étaient juridiquement floues et donc potentiellement dangereuses. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame de nouveau le silence.)

Il a également indiqué que l'article 15 présentait des risques d'inconstitutionnalité. Sur ce même article, la Défenseure des droits a considéré qu'il restreignait « de manière disproportionnée le droit au recours des opposants ».

Vous avez fait fi de ces avis, messieurs les rapporteurs, comme vous avez fait fi de la science et des avis de l'Anses et de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Le texte visait initialement à assurer le renouvellement des générations et à engager l'agriculture sur le chemin des dix prochaines années.

En réalité, vous avez profité du contexte pour inclure dans ce projet de loi un panel de mesures érigeant l'agriculture productiviste comme seule et unique méthode, ainsi qu'une succession de reculs environnementaux.

De notre côté, à compétitivité et productivité, nous ajoutons revenu agricole juste et respect de l'environnement. Tout cela doit aller de pair ! Le seul modèle viable est celui d'une agriculture raisonnée et à taille humaine, respectueuse des agriculteurs, des consommateurs, de la faune, de la flore et des sols.

Pour cela, nous devons en premier lieu assurer aux agriculteurs un revenu juste et rémunérateur. Nous le répéterons jusqu'à ce que nous soyons entendus : nous souhaitons un revenu agricole digne et garanti !

Assurer un revenu juste passe également par une refonte de la PAC pour mettre fin aux inégalités qu'elle entretient de par son mode de distribution.

La question du foncier doit également être abordée au regard de la spéculation et du phénomène d'accaparement des terres. Nous devons réguler !

Sans de réelles avancées sur ces thématiques, nous ne redonnerons pas envie et espoir aux générations futures de s'investir dans ce beau métier de paysan.

Ces avancées doivent se faire sans renoncer à nos ambitions environnementales et de transition agroécologique. Car il ne faut pas oublier que, sans des sols vivants, nous n'avons pas de production.

M. le président. Il faut penser à conclure. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Et tout à l'heure, alors ?

M. Jean-Claude Tissot. Mettre en place un tel modèle n'est évidemment pas simple, j'en conviens, mais c'est bien la seule direction viable pour notre avenir et celui de nos enfants. (Marques d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Claude Tissot. Nous, sénateurs socialistes, nous ne pouvons pas faire autrement que de voter contre ce texte qui est à des années-lumière de proposer des solutions concrètes aux agriculteurs ! (Bravo ! Remarquable ! sur des travées du groupe SER. – Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Applaudissements sur des travées du groupe CRCE-K. - Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Harribey félicitent l'orateur quand celui-ci regagne sa place.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après des années d'inaction et d'indifférence face aux souffrances du monde agricole, nous nous réjouissons que cela bouge enfin. La version sénatoriale de ce projet de loi apporte des avancées que nous ne pouvons ignorer.

Tout d'abord, nous sommes ravis de voir que sont reprises certaines des propositions que nous portons depuis longtemps (C'est sûr ! sur des travées du groupe SER.), comme la priorité aux agriculteurs français, la protection contre la concurrence déloyale ou la lutte contre la surréglementation et l'inflation normative, ce qui marque, pour la première fois depuis bien trop longtemps, une prise de conscience.

Le Rassemblement national et Marine Le Pen l'ont toujours affirmé : la souveraineté alimentaire doit être une priorité nationale.

Mme Cécile Cukierman. On ne vous a pas attendus !

M. Joshua Hochart. Il était urgent que l'État cesse d'abandonner ceux qui nous nourrissent.

Nos agriculteurs n'en peuvent plus. Ils subissent depuis des décennies des politiques qui les étranglent : fiscalité accablante, normes absurdes, distorsions de concurrence insupportables avec des importations qui ne respectent pas nos standards.

Pendant que nos paysans se battaient pour survivre, l'État les a trop souvent laissés seuls, prisonniers d'un système qui ne les protège pas.

Ce texte apporte enfin une réponse, mais reconnaissons-le : ce n'est qu'un début.

Ce projet de loi contient des mesures positives.

Il amorce une simplification de certaines normes, un allégement partiel des charges et une meilleure prise en compte des contraintes de nos agriculteurs face à la concurrence étrangère.

Il prévoit aussi des dispositifs pour mieux structurer les filières et renforcer notre souveraineté alimentaire.

Ces avancées vont dans le bon sens, mais elles restent trop limitées pour répondre à l'urgence de la situation.

Car la réalité est que ce texte ne s'attaque toujours pas aux racines du problème. Les charges qui pèsent sur nos exploitants restent trop lourdes et les distorsions de concurrence persistent.

Nous aurions voulu voir des mécanismes plus contraignants pour interdire l'importation de produits qui ne respectent pas nos normes.

Nous aurions voulu une refonte plus ambitieuse de la fiscalité agricole afin de garantir un modèle économique viable à long terme.

Nous aurions voulu un cadre plus protecteur pour garantir une juste rémunération aux producteurs.

Mme Cécile Cukierman. Et vos amis de la Coordination rurale ?

M. Joshua Hochart. Sur tous ces points, ce projet reste encore en deçà des attentes.

Nous voterons ce texte, parce qu'il amorce un changement et qu'il serait irresponsable de rejeter ces avancées, aussi partielles soient-elles. Mais nous le faisons avec lucidité : ce vote n'est pas un aboutissement, c'est un point de départ.

Chers collègues de la majorité, vous avez retravaillé ce texte venu de l'Assemblée nationale qui, gangrénée par la gauche et l'extrême gauche (Exclamations amusées sur les travées des groupes CRCE-K et SER.), l'avait largement modifié, voire détruit. Vous l'avez rendu acceptable ; c'est pour cette raison que nous lui apporterons notre soutien.

Mais nous savons d'ores et déjà que nous allons vers la réunion d'une commission mixte paritaire et je veux m'adresser aux membres de cette commission : assumez vos responsabilités, faites en sorte que le texte issu de la CMP soit acceptable pour nos agriculteurs afin qu'ils se sentent enfin écoutés et que leur quotidien s'améliore réellement !

Nous serons là pour rappeler au Gouvernement ses engagements,…

M. Joshua Hochart. … pour veiller à ce que cette première avancée soit non pas un simple effet d'annonce, mais le début d'un véritable renouveau pour notre agriculture.

La France ne peut pas être forte et souveraine sans ses paysans. Nous ne laisserons pas leur détresse être à nouveau ignorée ! (MM. Christopher Szczurek, Stéphane Ravier et Alain Duffourg ainsi que Mme Vivette Lopez applaudissent.)

M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l'article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture.

Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l'y laisser jusqu'au vote.

Si vous disposez d'une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s'affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 218
Contre 107

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP.)

La parole est à Mme la ministre.