M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l’immigration et de la circulation des personnes.
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Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Nomination de membres français dans certaines institutions européennes
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, présentée par M. Jean-François Rapin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 218, texte de la commission n° 358, rapport n° 357, avis n° 375).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons étudier ce soir la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes.
Je voudrais tout d’abord adresser mes remerciements à nos rapporteurs, Agnès Canayer pour la commission des lois et Pascal Allizard, qui est représenté ce soir par Hugues Saury, pour la commission des affaires étrangères, ainsi qu’à la présidente de la commission des lois, avec qui nous avons beaucoup échangé.
Je remercie également Philippe Bas : nous avons travaillé ensemble sur cette question avant sa nomination au Conseil constitutionnel.
Je remercie les présidents de groupe Mathieu Darnaud et Hervé Marseille, ainsi que les 112 collègues – tous groupes confondus, ce que je salue particulièrement – qui ont cosigné cette proposition de loi, dont une majorité des membres de la commission des affaires européennes.
Je remercie enfin le président Larcher, ainsi que la conférence des présidents : j’ai été agréablement surpris par la rapidité avec laquelle il a été procédé à l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi déposée en décembre dernier.
Ce texte vient de loin, monsieur le ministre ; vous le savez, car nous nous côtoyons, depuis que vous êtes au Gouvernement, dans le cadre de nos fonctions respectives.
Il provient du combat que je mène depuis que je suis président de la commission des affaires européennes du Sénat pour que les parlements nationaux puissent consolider leur influence dans le jeu institutionnel européen.
Il est aussi issu du travail que j’ai conduit sur ce sujet durant la présidence française de l’Union européenne avec mes collègues des chambres des autres États membres ; la majeure partie des propositions que nous avions faites dans ce cadre ont été endossées par la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) lors de sa dernière réunion.
Il est issu également de mes échanges avec mes homologues des autres États membres de l’Union européenne et s’inspire de leur expérience en la matière. En effet – cela sera rappelé, je n’en doute pas, au cours de cette soirée –, dix parlements nationaux participent au processus de désignation du commissaire européen de leur pays, certains au travers de leur commission des affaires européennes, d’autres au travers de commissions spéciales. Neuf parlements participent au processus de désignation du candidat à la Cour des comptes européenne et onze au processus de nomination des candidats au Tribunal et à la Cour de justice de l’Union européenne.
J’ajoute que le groupe de travail sénatorial sur la réforme des institutions présidé par Gérard Larcher avait également, parmi les propositions formulées dans son rapport de mai 2024 pour redynamiser la démocratie, appelé à davantage associer le Parlement à la désignation des membres français des juridictions européennes. Ainsi avait-il proposé que soit au minimum organisée une audition des candidats présentés par la France aux postes de juge à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par les commissions spécialisées des deux assemblées parlementaires.
Le texte initial de cette proposition de loi prévoit, dans son article 1er, une audition obligatoire par la commission des affaires européennes de chaque assemblée du Parlement, ouverte à l’ensemble des membres des commissions permanentes, du candidat national pressenti au poste de commissaire européen. Il est prévu que cette audition soit publique, sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale, ce qui est bien normal.
Aux termes de la proposition de loi, l’audition doit se tenir au moins huit jours après que le nom du candidat dont la nomination est envisagée a été rendu public, afin de laisser aux parlementaires un temps suffisant pour préparer l’audition. À l’issue de l’audition serait organisé un vote consultatif, auquel prendraient part les parlementaires ayant assisté à l’audition, visant à émettre un avis simple sur la désignation du candidat pressenti.
Je proposerai que nous amendions chacun des trois articles du texte afin de les clarifier et de modifier quelque peu les procédures qu’ils prévoient, tenant compte, ce faisant, du travail que j’ai mené avec les différentes commissions après le dépôt de la proposition de loi. Je m’étais en effet engagé auprès des commissions à déposer des amendements visant à concrétiser ce travail en reformatant la rédaction proposée conformément à ce qu’elles souhaitaient.
L’article 2, dans son état initial, précisait les modalités d’organisation d’une audition obligatoire du candidat national pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne. Le dispositif prévoit que le candidat sera entendu par la commission des affaires européennes de chaque assemblée dans le cadre d’une audition ouverte aux membres de la commission des finances. Il est précisé, comme dans l’article 1er, que l’audition est publique, qu’elle doit se tenir au moins huit jours après que le nom du candidat pressenti a été rendu public et qu’un vote non contraignant est organisé. J’amenderai cet article dans le même esprit déjà indiqué précédemment.
L’article 3 a trait, selon les mêmes conditions, à ceci près que c’est la commission des lois et non la commission des finances, cette fois, qui est concernée, à l’audition obligatoire des candidats aux fonctions de juge et d’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne et de juge du Tribunal de l’Union européenne. Je l’amenderai de la même façon pour clarifier la procédure applicable.
Je veux souligner qu’une telle démarche n’interfère en rien avec les négociations sur les portefeuilles des commissaires européens et que le dispositif proposé n’est en rien contraire aux dispositions des traités européens.
Voilà pour l’état des lieux.
Sur un plan plus politique, j’entends déjà les récriminations, celles du Gouvernement, en particulier, quant au fait que ces nominations relèvent du domaine réservé.
Peut-on considérer aujourd’hui, monsieur le ministre, que les affaires européennes n’ont pas évolué depuis l’écriture des textes européens et de notre Constitution ? N’y a-t-il pas, à ce jour, une intrication forte entre le domaine réservé du Président de la République, les orientations du Gouvernement et la parole du Parlement national sur les institutions européennes ?
Vous qui étiez déjà ministre chargé des affaires européennes sous le gouvernement Barnier, vous étiez, et j’avais trouvé cela significatif, le seul ministre à avoir deux fois votre photo sur l’organigramme du Gouvernement : une fois au titre de votre rattachement au Quai d’Orsay et une fois sous l’autorité directe du Premier ministre. N’était-ce pas significatif de ce pouvoir partagé ?
Et, malgré la séparation des pouvoirs, pourquoi le Parlement n’aurait-il pas son mot à dire en matière de nomination dans les instances européennes ?
J’entends aussi, par ailleurs, les procès en inconstitutionnalité. Croyez-vous que le président de la commission des affaires européennes, seule commission constitutionnelle, voudrait trahir ou détourner la Constitution ? Non ! Mon souci est purement celui de l’ouverture de notre démocratie : par ce biais, je souhaite seulement faire avancer et, peut-être, dynamiser nos institutions.
On a inventé, en sus de la démocratie représentative, la démocratie participative. Quant à moi, je suis pour la démocratie tout court. Ce texte, monsieur le ministre, en est un exemple. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Agnès Canayer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le président Jean-François Rapin, dont nous débattons ce soir, vise à assurer un rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement pour ce qui est de la nomination à certaines fonctions européennes ; c’est à une anomalie démocratique qu’il est ainsi répondu.
Le texte part d’un constat simple : en France, et à la différence de ce qui se passe dans d’autres États membres de l’Union européenne, la désignation des candidats à certaines fonctions éminentes au sein des institutions européennes échappe totalement au regard du Parlement.
Si la séparation des pouvoirs est un principe cardinal de nos institutions, elle ne saurait exclure une collaboration entre le Parlement et l’exécutif, a fortiori dès lors que l’objectif est celui d’une plus grande transparence démocratique.
Au regard de la place croissante qu’occupe le droit de l’Union européenne dans notre ordre juridique, au regard aussi des conséquences qu’emportent certaines décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Commission européenne, l’absence d’association du Parlement à la désignation des candidats est regrettable.
Le feuilleton de la désignation du nouveau commissaire européen, l’été dernier, a démontré les limites du silence de notre droit positif, qui laisse aux « autorités nationales » toute liberté pour choisir le candidat français. La désignation de Thierry Breton au mois de juillet, puis son remplacement dans la précipitation par Stéphane Séjourné en septembre, sans aucune concertation et par simple communiqué de presse, ont pu légitimement susciter certaines interrogations.
Cette proposition de loi agit comme un révélateur de l’opacité des conditions de cette désignation et de l’absence du Parlement français dans le processus. Cette anomalie avait d’ailleurs déjà été révélée par les travaux du Sénat.
La proposition de loi prévoit donc de soumettre à une audition préalable les candidats pressentis pour occuper les fonctions de commissaire européen – c’est l’article 1er –, de membre de la Cour des comptes européenne – c’est l’article 2 – et de juge ou d’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne ou de juge du Tribunal de l’Union européenne. En effet, si les fonctions visées sont exercées au sein des institutions de l’Union européenne, le choix des candidats est une question purement nationale. Les traités européens laissent en effet libre choix aux États membres de déterminer comment les candidats sont proposés et surtout par qui.
Pour ce qui est de savoir quelle est l’autorité compétente, l’usage récent semble réserver au Président de la République le soin d’annoncer par courrier le choix des autorités françaises, et le rôle du Premier ministre n’est absolument pas clair.
La compétence exclusive du Président de la République, comme l’a dit le président Rapin, ne trouve aucun fondement évident dans la Constitution ; je pense notamment à son article 13, qui ne mentionne que le pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l’État français.
Par ailleurs, une telle compétence exclusive ne peut être rattachée à un quelconque « domaine réservé » du Président de la République. En l’espèce, je fais mienne l’interprétation qui est celle de Philippe Bas, désormais membre du Conseil constitutionnel. En effet, la participation de la France à l’Union européenne et l’exercice en commun des politiques publiques relèvent avant tout de la conduite de la politique de la Nation, que l’article 20 de la Constitution confie au Premier ministre, responsable devant le Parlement.
Afin de garantir l’unité de la voix de la France, il est donc opportun d’affirmer clairement la compétence conjointe du Président de la République et du Premier ministre, doté d’un pouvoir de proposition, pour ce qui est de procéder à ces désignations – tel est l’objet des amendements du président Rapin.
Concernant la procédure, si l’esprit de la proposition de loi est tout à fait conforme à l’objectif de son auteur, certaines dispositions paraissent un peu baroques.
Le texte prévoit en effet que les auditions se font devant la commission des affaires européennes de chaque assemblée et sont ouvertes, pour le candidat pressenti au poste de commissaire européen, à l’ensemble des membres des commissions permanentes ; pour le candidat pressenti au poste de membre de la Cour des comptes européenne, aux membres des commissions des finances ; pour les candidats à la fonction de juge ou d’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne ou de juge du Tribunal de l’Union européenne, aux membres des commissions des lois.
À l’issue de ces auditions, seuls les parlementaires présents à l’audition peuvent voter et émettre ainsi un avis simple, qui ne lie pas l’auteur de la proposition de désignation.
Cette proposition de loi suscite donc quelques réserves. J’espère que les amendements qui ont été déposés visant à clarifier la procédure et les rôles respectifs des commissions permanentes et de la commission des affaires européennes seront adoptés.
Ainsi, il serait préférable, et conforme aux attributions respectives de l’ensemble de ces commissions, que le vote appartienne à la commission permanente compétente, qui se prononcerait après avoir été préalablement éclairée par un avis de la commission des affaires européennes.
Enfin, cette proposition de loi appelle une remarque de fond s’agissant de sa conformité à la Constitution, point que le Gouvernement ne manquera pas de soulever.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière peut apparaître extrêmement stricte à la première lecture puisqu’elle conclut que la séparation des pouvoirs s’oppose à subordonner le pouvoir de nomination du Président de la République ou du Premier ministre à une simple audition par le Parlement, sauf si une disposition constitutionnelle le prévoit.
En l’espèce, la désignation des candidats, qui participe de la politique européenne de la France, est non pas une nomination à proprement parler, mais une simple proposition de nomination.
En effet, les nominations sont prononcées par les instances européennes, non par les autorités françaises, qui n’ont qu’un simple pouvoir de proposition. En outre, l’avis qui serait rendu par les commissions permanentes ne serait qu’un avis simple, le Président de la République resterait totalement libre de son choix.
Ainsi, si le risque constitutionnel existe, il ne doit pas faire obstacle à l’adoption de ce texte, dont l’objectif démocratique n’est pas contestable.
Je souhaite enfin écarter deux objections soulevées à l’encontre de ce texte.
En premier lieu, je ne pense pas que la consultation préalable du Parlement risquerait de compromettre les chances de nomination du commissaire européen ou encore de fragiliser la posture de la France dans les négociations sur l’étendue de son portefeuille.
L’actualité montre d’ailleurs que le fait du prince ne garantit pas l’influence de notre pays, particulièrement si le candidat est perçu comme étant celui du Président de la République et non celui de la France. Au contraire, l’avis favorable des commissions compétentes ne pourrait que renforcer la position de la France et celle du candidat.
En outre, la consultation du Parlement conduirait également l’exécutif à être particulièrement vigilant sur la qualité et l’expérience des candidats qu’il envisagerait de désigner.
En second lieu, la consultation du Parlement sur la nomination des juges ne porterait atteinte ni à leur indépendance ni à leur impartialité, sachant que leurs décisions ont parfois des conséquences directes sur l’exercice du pouvoir législatif et sur l’action publique, comme en témoignent les décisions de la CJUE relatives au temps de travail des militaires ou à la conservation des données personnelles.
Le Parlement a donc toute sa place. Ces auditions permettraient notamment de connaître la vision des candidats et de vérifier leur aptitude à réfléchir à l’articulation des systèmes juridiques européens et nationaux. L’association du Parlement à ces désignations est non seulement légitime, mais elle constitue une véritable nécessité démocratique.
Mes chers collègues, il ne nous est pas donné tous les jours de défendre les droits et le rôle du Parlement. Ce texte nous en offre l’occasion et il nous appartient de la saisir. C’est pourquoi la commission des lois a émis un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi, modifiée par les amendements présentés par Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai ce soir la voix du rapporteur pour avis Pascal Allizard, pour qui la proposition de loi du président Jean-François Rapin soulève des questions d’un vif intérêt juridique et d’une grande importance politique.
Ses trois articles prévoient de faire précéder d’une audition parlementaire le choix des candidats français destinés à siéger à la Commission, à la Cour des comptes européenne et dans les institutions judiciaires européennes.
Mieux partager le pouvoir de nomination pour rééquilibrer les institutions a été un objectif partagé dès avant la réforme de 2008. Plus récemment, Philippe Bonnecarrère, dans son rapport sur la judiciarisation de la vie publique en 2022, puis le groupe de travail présidé par le président Larcher dans le sien en 2024 ont proposé un tel mécanisme pour les membres français de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans ce contexte, nul ne comprendrait qu’une fonction aussi importante que celle de commissaire européen reste l’objet de tractations de couloir au sommet de l’État.
Le secrétariat général du Gouvernement (SGG) estime toutefois que la jurisprudence du Conseil constitutionnel fait obstacle à cette initiative. Le principe de la séparation des pouvoirs empêche en effet, selon le juge, que le pouvoir de nomination par une autorité administrative soit subordonné à une audition parlementaire.
L’application de cette jurisprudence au choix du commissaire européen n’est cependant pas évidente. D’abord, quelle est, au juste, la procédure en cause ?
Nos textes n’en disent rien et la doctrine à peine davantage. La dernière thèse de droit public, disponible en ligne, consacrée au pouvoir de nomination du Président de la République par exemple n’en parle pas. Ses neuf cents pages ne prouvent donc rien, mais elles jettent le doute sur la prétention du secrétariat général du Gouvernement à trancher la question, en particulier dans les quelques paragraphes qui nous ont été transmis. Selon ce dernier, la désignation des candidats aux institutions européennes est « assimilable à une nomination », dont la compétence de principe est conférée par la Constitution à l’exécutif seul.
Notre commission des affaires étrangères n’est certes pas compétente au fond en matière constitutionnelle, mais elle l’est sur les questions européennes. Cela tombe bien, car c’est dans le traité sur l’Union européenne que se trouve la base juridique pertinente. Son article 17 prévoit que le Conseil propose un collège de commissaires à l’approbation du Parlement européen sur la base des « suggestions faites par les États membres », avant nomination par le Conseil européen.
Si « suggestion » valait nomination, la candidature de Mme Sylvie Goulard, par exemple, n’aurait pas été rejetée par le Parlement européen en 2019. Le terme de « suggestion » est même si peu précis que la présidente réélue von der Leyen s’est crue autorisée, cet été, à exiger de l’Irlande et de la Bulgarie qu’elles proposent chacune une liste d’au moins deux candidats, dont un homme et une femme.
La décision des États emporte donc trop peu d’effets prévisibles pour qu’on puisse la qualifier d’acte de nomination au sens du droit administratif français. Mais l’emploi que le candidat est appelé à occuper n’entre pas non plus facilement dans nos cases juridiques habituelles.
Le Président de la République a un pouvoir général de nomination « aux emplois civils et militaires de l’État » et le Premier ministre un pouvoir subsidiaire de nomination « aux emplois civils et militaires », car c’est lui qui « dirige l’action du Gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la Nation ».
Le traité précise cependant que la Commission européenne « promeut l’intérêt général de l’Union », qu’elle exerce « ses responsabilités en pleine indépendance » et que ses membres ne sollicitent ni n’acceptent « d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ». Dès lors, comment rattacher la désignation de ses membres au pouvoir que l’exécutif exerce pour le bon fonctionnement de l’État ?
Disons les choses autrement : le pouvoir de nomination, depuis l’âge classique, est l’une des plus importantes marques de souveraineté. L’exécutif en dispose, car, juridiquement, il dirige l’administration et, politiquement, il exerce une magistrature d’influence.
Néanmoins, le commissaire européen incarne par hypothèse la délégation de souveraineté. Juridiquement et politiquement, il surplombe les États membres, contraint et concurrence leur activité législative et rivalise d’influence avec eux. Voilà d’ailleurs des décennies que la science politique décrit sa transformation progressive en véritable responsable politique au fur et à mesure que l’Union accumule les compétences.
C’est pourquoi ranger à toute force le choix du commissaire dans les cases de l’article 13 de la Constitution pour conforter la prérogative présidentielle a quelque chose d’un peu paradoxal. Le refus opposé au Parlement de jeter ne serait-ce qu’un regard sur ce choix est difficilement justifiable.
La commission des affaires étrangères est donc reconnaissante au président Rapin de son initiative et de l’attention qu’il a prêtée à ses remarques au cours des travaux préparatoires. Ses amendements visent à clarifier la procédure et le format des auditions, mais aussi à expliciter le rôle des commissions compétentes pour les affaires étrangères dans l’audition du futur commissaire. Ils nous satisfont donc pleinement.
Sous réserve de leur adoption, notre commission a émis un avis favorable sur l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de l’échange que nous allons avoir ce soir sur les principales nominations au sein des institutions européennes. C’est une question fondamentale pour l’influence de la France à l’échelon européen.
Cette séance traduit, une fois de plus, l’importance qu’accorde votre chambre aux affaires européennes, ce dont je me réjouis, à la fois en tant que ministre délégué à l’Europe, mais aussi en tant qu’ancien député attaché à la diplomatie parlementaire.
Je remercie le président Rapin d’avoir pris l’initiative, par cette proposition de loi, de cet échange. Je salue également le travail de la commission qu’il préside, au service de notre politique européenne. Notre action s’en nourrit quotidiennement, ce dont je me félicite.
Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas en mesure d’apporter son soutien à cette proposition de loi.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. Dommage !
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. En premier lieu, ce texte méconnaît la séparation des pouvoirs consacrée par notre Constitution.
En effet, comme l’a très justement rappelé Mme Canayer dans son rapport pour la commission des lois, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions du 13 décembre 2012 et du 13 août 2015, « juge qu’en dehors de la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, le principe de la séparation des pouvoirs fait obstacle à ce que le pouvoir de nomination du Président de la République ou du Premier ministre soit subordonné même à la simple audition par le Parlement de la personne dont la nomination est envisagée ».
Lorsque la France propose des candidats au sein de la Commission européenne, de la Cour de justice de Luxembourg ou de la Cour des comptes européenne, ces propositions sont assimilées, sans ambiguïté, à des nominations au sens et pour l’application de notre Constitution.
Le fait que les désignations dont il s’agit ici relèvent de la conduite des relations internationales conforte encore le risque d’inconstitutionnalité du dispositif au regard des prérogatives de l’exécutif dans ce domaine. Les propositions d’amendements soumises depuis n’écartent aucunement cette difficulté.
La jurisprudence est donc sans équivoque et devrait résonner en vous qui, en tant que parlementaires, êtes les défenseurs des institutions et du droit. À lui seul, le constat relatif au risque d’inconstitutionnalité du texte suffit à exclure le soutien du Gouvernement.
Au-delà de ces remarques sur la lettre du droit, que le président Rapin avait anticipées (M. le président de la commission des affaires européennes sourit.), c’est l’esprit des institutions de la Ve République qui est en quelque sorte malmené par cette proposition de loi.
Dans cet esprit, l’exécutif, tout particulièrement le Président de la République, dispose en effet d’importantes prérogatives dans la conduite de la politique étrangère de la Nation, qualifiée, par Jacques Chaban-Delmas le premier, de « domaine réservé ». C’est en sens que le général de Gaulle affirmait lors du discours de Bayeux en 1946, dans le cadre de sa réflexion sur l’avenir de nos institutions, au lendemain de la libération de la France : « Il faut que l’autorité cesse d’être diluée et que le pouvoir exécutif puisse agir sans entrave dans son domaine propre. »
Tous les présidents, quelle que soit leur appartenance politique, ont depuis maintenu la spécificité de ce domaine réservé. Le renouvellement institutionnel de la Commission européenne, l’une des négociations les plus stratégiques à l’échelon européen, relève indubitablement de la conduite de la politique étrangère et européenne de la Nation. En soumettant le pouvoir d’action du Président de la République à une audition parlementaire, cette proposition va à l’encontre de la philosophie qui a présidé jusqu’alors au fonctionnement de nos institutions.
Surtout, il s’agit là non pas d’une simple considération de principe, mais bien d’une nécessité pour préserver notre intérêt national. Vous le savez, la nomination des nouveaux membres de la Commission est l’aboutissement d’une longue et difficile négociation. Celle-ci porte non seulement sur le nom du commissaire français, mais également sur son portefeuille. Ces deux éléments, qui ne sont pas dépourvus de liens, peuvent évoluer jusqu’à la toute fin de la négociation.
Pour mettre toutes les chances de notre côté et permettre à la France de bénéficier du portefeuille le plus favorable possible, il convient donc de préserver pleinement les marges de manœuvre du Président de la République. Or la procédure formelle qui est proposée ici contraindrait l’exécutif et priverait de souplesse le Président de la République. Ce domaine réservé est bien une force pour notre pays et une garantie d’agilité dans la prise de décision. Beaucoup de nos voisins le voient comme un atout de notre politique étrangère, eux à qui il manque un tel outil.
Par ailleurs, en projetant nos débats internes dans l’arène européenne et en exposant cette nomination au risque d’instrumentalisation politique, nous prendrions le risque d’affaiblir la voix de la France et de fragiliser le commissaire français. En effet, un candidat mis en cause ou désavoué par le Parlement national, quelles qu’en soient les raisons, risquerait de fragiliser notre posture dans ces négociations, où il importe d’afficher un front uni – ce qui, là encore, a souvent été l’une de nos forces, au-delà des débats politiques qui peuvent agiter la France.
Des exemples récents dans certains pays de l’Union européenne ont montré que l’instrumentalisation politique interne pouvait affaiblir le pays lors de la négociation du portefeuille.
Le risque de politisation des nominations de juges à la CJUE et de magistrats à la Cour des comptes européenne par le biais d’une audition parlementaire n’est pas non plus négligeable. Une politisation pourrait d’ailleurs constituer une entorse au principe d’indépendance et d’impartialité des candidats, comme certains d’entre vous l’ont bien noté. Le Gouvernement s’oppose donc également aux articles de la proposition de loi se rattachant à ces nominations. Avec cette proposition, c’est la voix de la France que nous prendrions le risque d’affaiblir.
Vous avez mentionné le rattachement des parlements nationaux aux débats européens. À l’inverse, je me permets de rappeler ici que le choix du commissaire européen est lui-même approuvé par le Parlement européen et que notre commissaire actuel, qui est vice-président exécutif de la Commission, a été élu avec les voix du parti populaire européen (PPE), des socialistes, de Renew, des Verts et des conservateurs européens ! À cet égard, la démocratie européenne s’exerce bien au travers du Parlement élu.
Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, le risque d’inconstitutionnalité de l’intervention du Parlement dans les nominations, ainsi que son caractère inopportun, à notre sens, au regard des enjeux évoqués, ne signifie aucunement que celui-ci n’ait aucun rôle à jouer. Je rejoins en cela les propos des précédents intervenants. Au contraire – et je m’exprime ici en tant qu’ancien député –, l’association du Parlement à la politique européenne de la Nation – la diplomatie parlementaire – est essentielle.
Je rappelle cependant que la plupart des démocraties parlementaires européennes, et non des moindres, à l’instar de l’Allemagne, des Pays-Bas ou des pays nordiques, ne connaissent pas une telle procédure. Cela n’empêche pas leurs parlements d’être étroitement associés à la politique européenne de la nation, au travers de leurs commissions, des résolutions ou des débats régulièrement organisés sur la politique étrangère.
Aujourd’hui même, deux débats ont eu lieu dans cet hémicycle sur des sujets de politique étrangère, le premier sur l’Ukraine, le second, auquel j’ai eu l’honneur d’assister, sur la relation bilatérale avec l’Algérie et sur notre politique migratoire.
Je mesure bien évidemment toute l’importance de ces échanges lorsque je me rends ici au Sénat, mais également à l’Assemblée nationale, avant et après chaque Conseil européen, pour vous rendre compte des positions que la France porte auprès des institutions européennes.
Je sais également à quel point votre chambre se saisit pleinement, par l’organisation de débats, des principales questions de l’actualité européenne. Nous avons ainsi déjà eu l’occasion de débattre de l’influence de la France en Europe.
Ces débats contribuent activement à faire vivre les enjeux européens dans cette assemblée et à rendre, je l’espère, plus lisible pour nos concitoyens l’action européenne de la France.
La réforme constitutionnelle de 2008 a également apporté son lot de progrès. Je pense à l’extension de la portée de l’article 88-4 de notre Constitution, qui conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets de réglementations européennes. Nous le savons, ce dispositif est perfectible, car il se heurte souvent au rythme législatif de Bruxelles. Toutefois, il vous revient d’en exploiter toutes les possibilités. Vous pouvez compter sur l’appui du Gouvernement en ce sens.
Vous aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, jouez d’ailleurs directement un rôle majeur au travers des instances interparlementaires européennes, notamment la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui, j’en suis convaincu, est une enceinte extrêmement importante et dans laquelle vous êtes particulièrement mobilisés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi traduit une volonté sincère de renforcer l’implication du Parlement dans les affaires européennes. Cependant, selon notre interprétation, ce texte ne contribuerait pas au renforcement de notre influence à Bruxelles. Il remettrait directement en question la marge de manœuvre du Président de la République dans une négociation déterminante pour notre pays. En outre, il présente un risque d’inconstitutionnalité.
J’entends votre message, et je répète la disponibilité du Gouvernement pour échanger régulièrement sur les priorités européennes. Au-delà du débat que nous aurons ce soir, je me tiens à votre disposition pour vous rendre des comptes et écouter vos propositions. C’est dans le respect de nos institutions et dans la complémentarité de nos actions que nous pourrons assurer la place de la France en Europe.