Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Mireille Conte Jaubert. … à lire et à écrire, mais aussi à devenir un citoyen libre et éclairé ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean Hingray. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’école de la République vacille. Samuel Paty, Dominique Bernard : deux noms, deux visages, deux drames qui ont brisé notre illusion de sécurité, deux martyrs de la liberté d’enseigner. Ces deux professeurs ont été assassinés non pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils étaient et incarnaient, à savoir l’école républicaine et l’école qui émancipe, qui forge des esprits libres et qui enseigne la liberté de conscience et la primauté de la loi commune sur toute autre. Leur mort n’est pas un fait divers : elle est un cri d’alerte, une déchirure dans notre pacte républicain.
Face à ce signal d’alarme, notre responsabilité est immense. Protéger nos enseignants, garantir la sécurité de nos établissements et réaffirmer haut et fort les principes républicains qui fondent l’école de la Nation sont tout l’objet de cette proposition de loi.
Celle-ci n’est pas une loi de circonstance ; elle s’inscrit dans la continuité d’un travail approfondi, mené par la mission conjointe de contrôle. Il a levé le voile sur une réalité que chacun pressentait sans oser la regarder en face : l’école est sous pression, partout, tout le temps. Des établissements les plus sensibles à nos villages ruraux en passant par nos lycées de centre-ville ou encore par les petites écoles primaires, aucun territoire n’est épargné.
Le constat est implacable. Deux tiers des établissements secondaires ont signalé au moins un incident grave au cours de l’année scolaire 2021-2022. Près de 58 000 enseignants ont déclaré avoir été menacés en 2019-2020. Ce ne sont pas des chiffres abstraits : ce sont des visages, ce sont des femmes et des hommes qui hésitent désormais à exercer leur métier comme ils l’ont appris et comme ils l’aiment.
En effet, à l’heure actuelle, un mot mal interprété, une note jugée injuste ou un cours sur la laïcité peuvent suffire à déclencher la tempête. Il n’y a plus de sanctuaire. Même l’école primaire, longtemps préservée, est désormais touchée. Ce qui relevait de l’exception devient la norme.
Dans ce climat délétère, que ressentent nos enseignants ? De la peur, bien sûr, mais aussi une immense solitude. Ils sont seuls face à des élèves de plus en plus défiants, face à des parents de plus en plus intrusifs et face à une hiérarchie de plus en plus absente et tétanisée. Certains parents attendent tout de l’école, d’autres la contestent pied à pied, remettant en cause le contenu des cours, exigeant la réécriture d’un programme, imposant une vision du monde qui n’a rien à voir avec celle que nous voulons.
Le résultat est que, depuis 2012, les démissions d’enseignants ne cessent d’augmenter. En 2021-2022, elles ont bondi de 36 %. Ce découragement n’est pas un fait divers ; il est une menace existentielle pour notre école et pour la République. J’insiste : la pression constante pousse certains enseignants à abandonner leur vocation en quittant la profession. C’est une crise non seulement de recrutement, mais aussi de confiance, confiance dans la capacité de la République à protéger ceux qui la servent et confiance dans la capacité de l’école à imposer son autorité.
Il y a plus grave encore : l’autocensure. Quelque 56 % des enseignants du secondaire public déclarent s’être autocensurés sur les questions religieuses pour ne pas faire de vagues. En réseaux d’éducation prioritaire (REP), un enseignant sur deux a déjà été confronté à une contestation des valeurs républicaines. En milieu rural, c’est un sur quatre. De tels chiffres nous alertent tous sur ce phénomène inquiétant : des enseignants, par crainte de réactions violentes ou de contestations, choisissent de se censurer et donc de ne plus enseigner certains principes républicains fondamentaux.
La laïcité et la liberté d’expression, des principes qui devraient être des évidences, deviennent des sources de tension et de contestation. Là est le cœur du problème : l’école républicaine ne peut plus être ce lieu où l’on débattait librement autrefois. Elle devient un champ de mines où il faut sans cesse négocier chaque mot et chaque contenu sous la pression de minorités bruyantes qui contestent nos principes fondamentaux.
Face à cette situation, il était de notre responsabilité de proposer une réponse forte, républicaine et législative. Il est plus que nécessaire de rétablir l’autorité de l’institution scolaire et de protéger les enseignants. C’est l’objet de cette proposition de loi du président Lafon, que nous remercions, laquelle nous permet d’apporter des solutions.
Ce texte, fruit des travaux de la mission conjointe de contrôle, se décline en plusieurs mesures structurantes.
Premièrement, l’enseignement moral et civique est recentré sur l’essentiel : les valeurs et principes de la République, la laïcité, la connaissance de nos institutions et les grands enjeux du monde contemporain. Cet enseignement doit être un socle commun, le ciment de notre nation.
Deuxièmement, cette proposition de loi tend à clarifier la loi de 2004 sur les signes religieux en étendant leur interdiction à toutes les activités organisées par l’école. La laïcité s’appliquera partout où la République enseigne.
Troisièmement, cette proposition de loi vise à responsabiliser les parents face aux comportements des enfants perturbant à répétition l’établissement. L’autorité parentale ne s’arrête pas aux portes de l’école.
Quatrièmement, l’obtention de la protection fonctionnelle sera facilitée grâce à son octroi automatique. Aucun enseignant menacé ne doit plus avoir à quémander la protection de la République. L’administration pourra ainsi porter plainte au nom de l’enseignant, avec son accord. Chaque menace, chaque insulte, chaque agression doit donner lieu à une réponse judiciaire, systématiquement.
Cinquièmement, tout chef d’établissement devra être informé lorsqu’un élève est mis en examen ou condamné pour terrorisme. On ne peut protéger l’école sans connaître les menaces qui pèsent sur elle.
Sixièmement, la commission a adopté un amendement de Mme la rapporteure Annick Billon, dont je salue le travail, tendant à conférer, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative, au chef d’établissement, à son adjoint ou au conseiller principal d’éducation (CPE) un droit de fouille : ceux-ci pourront inspecter les sacs et casiers en cas de doute sérieux. La sécurité est la première condition de la liberté.
Parce que la République est une et indivisible, cette loi s’appliquera partout : en métropole, dans les territoires d’outre-mer, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Protéger l’école, c’est protéger la République elle-même. C’est notre responsabilité et notre honneur. Nous devons porter ensemble ce message, avec force et vigueur. Naturellement, avec l’ensemble de mes collègues de l’Union Centriste, je soutiens cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie, était décapité par un terroriste islamique. Le 13 octobre 2023, Dominique Bernard était assassiné par un terroriste islamique parce qu’il était professeur de lettres. Tous les deux ont été les victimes du fanatisme religieux parce qu’ils incarnaient ce qui constitue l’identité de la République : la raison critique héritée des Lumières, la laïcité et la connaissance comme instrument d’émancipation des individus et des sociétés. Ils ont été assassinés au nom d’une idéologie qui considère, à l’inverse, que la religion est la seule source de la vérité.
Dans sa propagande officielle largement diffusée par les réseaux dits sociaux, l’organisation terroriste se faisant appeler « État islamique » avait encouragé le meurtre des enseignants de l’école laïque, considérés comme des ennemis à abattre. Ces terroristes ne se trompaient pas : ils voulaient atteindre notre République dans sa singularité, son exemplarité et son projet universaliste.
Samuel Paty et Dominique Bernard sont deux martyrs de la laïcité et il nous faut aujourd’hui nous incliner de nouveau devant leur mémoire. Leur mort nous rappelle que le grand combat de la République pour la liberté et l’émancipation n’est jamais fini. Il est poursuivi dans tous les établissements scolaires de France par des enseignants qui ont besoin, plus que jamais, d’être soutenus parce qu’ils doutent que leurs missions soient encore totalement comprises, unanimement partagées et solidairement défendues.
Il est regrettable que l’institution éducative n’ait pas recueilli officiellement les écrits de tous les enseignants qui voulaient témoigner, après ces attentats, de leur mal-être, de la perte de sens de leur métier et de leurs doutes sur la mission que leur confie la société.
Les enquêtes menées par des chercheurs, comme celles d’Ismail Ferhat, font apparaître le sentiment de solitude des enseignants, que la commission de la culture du Sénat a plusieurs fois aussi relevé. Ces derniers se sentent seuls et totalement abandonnés face aux revendications religieuses des élèves et de leurs parents, face aux contestations des programmes et de leur méthode pédagogique. Ils souhaitent que leurs formations, quand ils peuvent les suivre, les aident plus efficacement à affronter ces situations nouvelles.
Madame la ministre, il est toujours temps d’ouvrir des cahiers de doléances pour permettre aux enseignants d’exprimer leurs angoisses, mais aussi leurs espoirs !
Dans l’immédiat, la République doit réaffirmer avec force et solennité le soutien qu’elle doit aux enseignants dans l’exercice de leurs missions. À ce titre, l’octroi de la protection fonctionnelle de droit, institué par l’article 4 de cette proposition de loi, est une nécessité. Contrairement à ce qui était avancé par votre prédécesseur, madame la ministre, le taux d’octroi de la protection fonctionnelle a diminué en 2023, même si le nombre de demandes a fortement augmenté. Ainsi, un quart de celles-ci n’ont pas été satisfaites.
Défendre les enseignants de l’école de la République, c’est aussi leur donner les moyens de réaliser pleinement leurs missions, en leur permettant de poursuivre leur formation, en remplaçant les professeurs absents, en favorisant la mixité scolaire et en les préservant des injonctions pédagogiques permanentes.
Pour qu’il n’y ait plus de territoires perdus par la République, il faut qu’il n’y ait plus de territoires abandonnés par la République. Il faut qu’il n’y ait plus de professeurs laissés seuls face à l’incapacité d’assurer pleinement les obligations du service public de l’éducation nationale. (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en octobre 2023, devant notre mission conjointe de contrôle, Mickaëlle Paty déclarait : « Si la mort de mon frère avait servi à quelque chose, Dominique Bernard serait encore là. »
La détérioration du climat scolaire est une réalité qui frappe de nombreux établissements en France. Peu de choses ont été faites pour renforcer la loi jusqu’à présent. Je remercie donc Annick Billon et Laurent Lafon de cette initiative. Nous partageons toutes et tous ici l’objectif de protéger les personnels de l’éducation nationale. Après l’émotion légitime causée par les morts de Samuel Paty et de Dominique Bernard, nous avons dorénavant le recul suffisant pour modifier ce qui doit l’être, dans le respect de nos principes républicains.
Toutefois, certaines mesures de cette proposition de loi portent atteinte à des principes du droit sans que leur efficacité soit démontrée.
Premièrement, l’article 6 permet l’information des chefs d’établissement lorsqu’un élève est visé par une procédure judiciaire pour des faits de terrorisme. Cette disposition porte atteinte, à mon sens, à la présomption d’innocence et au secret de l’instruction, qui sont les deux grands principes de la procédure judiciaire. Pour quel résultat ? Que feront les chefs d’établissement de cette information ? Comment vivront-ils avec cette menace, sans les moyens d’agir ? Faisons confiance à la justice pour prendre les mesures qui s’imposent !
Néanmoins, je comprends la volonté des collègues qui affirment, pour répondre à ces questions, qu’il faut donner aux chefs d’établissement des prérogatives comparables à celles des forces de l’ordre.
Deuxièmement, l’article 6 bis donne au chef d’établissement et au CPE le pouvoir de fouiller les élèves en cas de menace. Cette proposition, qui n’était pas dans la rédaction initiale, me paraît inadaptée : le droit actuel donne déjà la possibilité, en cas de menace terroriste, de fouiller les élèves dans un cadre judiciaire, sous le contrôle du procureur, conformément à l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure. Nous ne remettons pas cette faculté en question.
L’article 6 bis a ainsi pour objet un transfert de responsabilité de la fouille depuis les forces de l’ordre, formées et équipées pour cela, vers des chefs d’établissement, dépourvus de moyens. Lequel parmi eux, avisé d’une menace, prendra le risque de fouiller les individus se présentant à la porte de son établissement pour les désarmer ? Quelles conséquences judiciaires aurait son refus, si cette disposition était inscrite dans la loi ? Je rappelle que trois personnes ont été blessées en tentant de s’opposer à l’assassin de Dominique Bernard avec de simples chaises ! Je crains que cette mesure, en visant à protéger la communauté éducative, ne conduise, au contraire, à l’exposer frontalement.
Troisièmement, la proposition de notre collègue Max Brisson de conférer aux enseignants le statut de dépositaire de l’autorité publique est problématique. Elle introduit une confusion entre les missions de police et d’enseignement. Aussi, nous disons simplement ceci : à la communauté éducative la charge d’enseigner et de mettre en œuvre la vie scolaire, aux forces de l’ordre la charge de garantir l’ordre et la sécurité.
Quatrièmement, le renforcement de la protection fonctionnelle est le cœur de la proposition faite par nos collègues. Pourtant, nos auditions ont montré que le défaut de précision conduira à une dilution des responsabilités.
Nous nous inquiétons aussi des propositions qui auraient pour conséquence d’affaiblir cette protection, comme celle qui vise à la retirer à un agent s’étant rendu responsable d’une faute. Le cas de Samuel Paty – il en a été question lors de l’audition de sa sœur – a montré que, dans la pratique, les soupçons de faute d’un agent demandant protection peuvent avoir pour conséquence qu’il soit attenté à sa vie.
Dès lors, il paraît absolument nécessaire de distinguer la décision de protection et l’existence d’une faute, d’accorder la protection uniquement au regard du danger que court la personne et, une fois celle-ci à l’abri, de prononcer les sanctions adaptées si la faute est avérée.
Nous espérons que nos débats permettront de lever nos inquiétudes sur les points qui viennent d’être évoqués pour que nous votions ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, à l’heure où nous entamons l’examen de cette proposition de loi, je repense aux mots prononcés par Mickaëlle Paty lors de son audition par notre mission conjointe de contrôle : « Perdre l’école, ce n’est pas perdre une bataille ni offrir une prise de guerre à l’adversaire, c’est perdre la guerre. »
Nous avons toutes et tous ici cette impérieuse nécessité à l’esprit. C’est un aiguillon qui doit nous amener à ne pas baisser les bras et à renforcer tous les leviers dont nous pouvons disposer pour mieux protéger notre école de la République face aux attaques dont elle est la cible. Nous le devons à la mémoire de Samuel Paty et de Dominique Bernard, frappés dans leur chair, car enseignants, et à tout notre personnel éducatif, qui exerce parfois la peur au ventre.
L’article 4 de cette proposition de loi, qui vise à faciliter la mise en œuvre de la protection fonctionnelle, répond pleinement à cette exigence. À notre sens, cette mesure est la mesure phare de ce texte. Elle permettra à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale victimes de violences, de menaces ou d’outrages de bénéficier d’une protection accordée de plein droit et sans délai par l’administration. Cette amélioration était indispensable au regard des carences actuelles du dispositif. Je pense notamment à la longueur des délais, en décalage avec l’urgence qui doit prévaloir dans de nombreux cas.
Je regrette le dépôt par le Gouvernement d’un amendement visant à amoindrir la portée de cet article en retirant les « outrages » du champ de ce dispositif de protection. Rappelons un fait qui avait été pointé du doigt lors de notre mission conjointe de contrôle : les infractions commises contre le monde éducatif consistent principalement en des outrages, en des menaces, en des insultes et en des injures.
M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 5, qui permet à l’administration de déposer plainte en lieu et place d’un agent de l’éducation nationale, va également dans le bon sens. Il nous permettra de concrétiser une mesure qui avait été annoncée par le ministre de la transformation et de la fonction publiques en septembre 2023 et qui n’a pas connu depuis lors de traduction législative.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. Je regrette, là aussi, le choix du Gouvernement de plaider aujourd’hui pour une logique moins-disante, lequel propose, par un amendement, de laisser à l’administration seulement la faculté d’apprécier l’opportunité de déposer plainte au nom de son agent. Comme nous le savons, la mécanique implacable du « pas de vagues » n’a pas disparu ! Si le Sénat valide une telle modification, il contribuera à alimenter cette logique.
M. Max Brisson. Exact !
Mme Marie-Pierre Monier. Si nous nous inscrivons dans l’esprit de l’article 1er, qui recentre le contenu de l’enseignement moral et civique sur la formation aux valeurs et aux principes de la République, ainsi que sur le fonctionnement des institutions, nous regrettons que cet élagage conduise à la disparition de certaines notions pourtant essentielles. Nous défendrons ainsi deux amendements visant à les réintroduire.
L’article 2 permet de lever toute ambiguïté concernant le champ d’application de la loi de 2004 visant à prohiber pour les élèves « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », loi à laquelle nous réitérons notre attachement. Si les auditions menées en préparation de l’examen de ce texte ont souligné que, dans la très grande majorité des cas, cette interdiction s’appliquait déjà à l’ensemble des activités organisées par l’institution scolaire, des exemples particuliers ont mis en lumière l’existence d’une zone grise. Il est souhaitable d’y remédier, en premier lieu pour sécuriser les décisions prises par le personnel éducatif dans ce domaine.
L’article 6 a pour objet une information de l’autorité académique et du chef d’établissement en cas de mise en examen ou de condamnation d’un élève pour un crime ou une infraction à caractère terroriste. Nous souhaitons, afin de respecter la présomption d’innocence, en ménager la portée en réservant cette information obligatoire aux seuls cas de condamnation.
L’article 6 bis, inséré lors de l’examen en commission, donne la possibilité au chef d’établissement, à son adjoint ou au conseiller principal d’éducation d’inspecter les sacs et casiers des élèves en cas de menace pour l’ordre et la sécurité de l’établissement. S’il peut paraître opportun, nous demandons toutefois qu’il soit précisé que l’autorisation écrite de l’élève, préalable à la fouille de ses affaires, ou de sa famille, s’il est mineur, soit obligatoire et non facultative.
L’article 3 est celui qui suscite le plus de réserves de la part de mon groupe. Il renforce la « responsabilisation de l’élève et de sa famille en cas de non-respect répété par celui-ci des règles de fonctionnement et de la vie collective de l’établissement ». Nous regrettons sa rédaction floue, qui ôte toute visibilité sur ce qu’impliquera concrètement cette responsabilisation, et craignons son détournement ultérieur à des fins de répression et de stigmatisation des familles.
Pour cette raison, nous avons déposé un amendement visant à préciser ces modalités d’accompagnement et de responsabilisation, selon une approche progressive et graduée privilégiant la prévention et l’accompagnement, qui sont des préalables indispensables si nous souhaitons réellement renouer le lien entre les parents et l’institution scolaire.
Comme vous l’aurez compris, mon groupe soutient l’impératif qui sous-tend ce texte, à savoir la protection des personnels mobilisés au quotidien sur le terrain pour éduquer les citoyens et citoyennes de demain. Néanmoins, certaines de ces dispositions, ainsi que les amendements du Gouvernement, nous interrogent. Aussi, nous réservons à ce stade le sens de notre vote, selon l’évolution du texte en séance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la Première ministre, mes chers collègues, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, perdait la vie dans des circonstances atroces. Trois ans après, Dominique Bernard, professeur de lettres modernes, était assassiné en s’interposant pour défendre ses élèves. Leur point commun est d’avoir voulu protéger la liberté d’enseigner et former leurs élèves à l’esprit critique, qui est la raison d’être de l’éducation nationale.
Pourquoi l’école de la République et ceux qui la servent avec passion, ces fameux « hussards noirs », subissent-ils menaces, pressions, violences et agressions ? C’est pour tenter de comprendre les raisons de la violence endémique au sein des établissements scolaires que les commissions de la culture et des lois ont créé une mission conjointe de contrôle, dont les recommandations sont en partie reprises dans le texte que nous examinons aujourd’hui.
Le constat est sans équivoque : tous les territoires, urbains et ruraux, favorisés ou populaires, tous les niveaux d’éducation, primaire comme secondaire, sont concernés. Les remarques faites à un élève et les appréciations portées sur son travail scolaire ou son comportement peuvent – hélas ! – très vite dégénérer.
Le contenu des enseignements est souvent contesté. De nombreux enseignants en viennent à l’autocensure. Près de 60 % d’entre eux déclarent hésiter à énoncer des connaissances historiques, biologiques ou même philosophiques par crainte d’une réaction inappropriée. Mes chers collègues, devrons-nous un jour cesser les cours d’éducation à la sexualité, renoncer à enseigner l’égalité entre les femmes et les hommes ou tirer un trait sur la laïcité et les valeurs de la République ? Combien d’enseignants ont été abandonnés à eux-mêmes par la communauté éducative à laquelle ils appartenaient et par leur hiérarchie refusant de reconnaître la réalité ? « Pas de vagues », « on ne doit pas stigmatiser les jeunes »…
Ne rien faire serait criminel. N’importe quel collaborateur du service public de l’éducation peut actuellement faire l’objet d’un déferlement de haine sur le fondement de faits non avérés ou, à tout le moins, amplifiés par les réseaux sociaux.
La proposition de loi du président Lafon présente une très grande cohérence d’ensemble, qu’il nous faut saluer. Je tiens également à rendre hommage au travail réalisé par notre rapporteure, Annick Billon.
Tout d’abord, le présent texte recentre l’enseignement moral et civique sur l’essentiel : la connaissance de nos institutions, l’apprentissage des valeurs de la République, au premier rang desquelles figure la laïcité, et la mise en perspective des enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain.
Par ailleurs, la proposition de loi étend l’interdiction des signes religieux distinctifs aux activités organisées par les établissements en dehors du temps scolaire. C’est une question de cohérence : nous restons convaincus que la religion relève de la sphère privée et qu’elle ne doit pas donner lieu à une manifestation publique d’adhésion.
Bien entendu, il n’est pas dans l’intention du législateur de stigmatiser qui que ce soit. Je tiens à le rappeler avec force.
Enfin, la réaffirmation de l’autorité de l’institution doit se traduire par la responsabilisation des enfants, appelés, comme leurs parents, à respecter la communauté éducative et les règles de fonctionnement de l’établissement scolaire. La proposition de loi y pourvoit. Pour ma part, je suis très favorable à la mise en place de travaux d’intérêt général sur le lieu de vie scolaire. Ils contribueraient, sans nul doute, à responsabiliser les élèves perturbateurs.
Concernant le traitement des menaces ou des attaques dont les enseignants sont victimes, il est prévu dans ce texte l’octroi automatique de la protection fonctionnelle. Comme tous les agents publics, les membres de la communauté éducative doivent, en effet, pouvoir bénéficier d’un soutien sans faille dans l’exercice de leurs fonctions, en dehors de toute faute qui pourrait leur être imputée personnellement.
Cette assistance juridique et judiciaire est très importante d’un point de vue psychologique pour l’enseignant concerné. Celui-ci peut se sentir isolé du fait de la liberté pédagogique dont il dispose ou encore d’une absence de réaction de sa hiérarchie directe devant les faits auxquels il est confronté.
En outre, la proposition de loi prévoit la possibilité pour l’administration de porter plainte au nom de l’enseignant avec son accord, ce qui a le mérite de l’exonérer de formalités fastidieuses ou pesantes à un moment où l’on se préoccupe davantage de sa sécurité personnelle et de celle de son entourage.
Il me semble par ailleurs très important que les services académiques et les chefs d’établissement soient tenus informés d’une mise en examen ou d’une condamnation d’un élève dans le cadre d’une affaire à caractère terroriste.
Face au déferlement de haine et de violence dans nos établissements scolaires, le temps est à l’action. Dès lors, l’ensemble du groupe Les Indépendants soutiendra ce texte avec conviction.
Pour autant, nous veillerons à ce que les mesures de cette proposition de loi soient pleinement et efficacement appliquées et qu’un bilan précis en soit tiré. Je vous remercie, madame la Première ministre, de nous avoir dit vous saisir des autres recommandations de la mission de contrôle – elles sont nombreuses –, celles qui relèvent du champ réglementaire.
C’est à cette condition qu’ensemble nous pourrons retrouver des établissements scolaires apaisés, où les élèves peuvent apprendre sereinement et devenir des citoyens éclairés et cultivés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur des travées du groupe UC.)