M. Guy Benarroche. Les explications techniques sur l’utilité ou l’inutilité de cette mesure par rapport au droit existant ont été très bien développées par le rapporteur. Une comparution immédiate pourrait-elle dissuader un certain nombre de personnes de commettre de tels actes ? Ni étude d’impact, ni avis du Conseil d’État, ni le moindre chiffre ne permettent de l’affirmer. Aucun élément tangible n’autorise à le penser, en réalité !
Nous parvenons donc à une unique conclusion. Comme MM. le garde des sceaux et le rapporteur l’indiquaient, un seuil de 15 ans pour la comparution immédiate représente, par rapport à 16 ans, un risque supplémentaire d’inconstitutionnalité. Mes chers collègues sénateurs des Républicains, est-ce l’objectif que vous visez ? Autrement dit, vous voudriez adopter sciemment, comme vous l’avez déjà fait pour d’autres textes, une loi inconstitutionnelle, qui plus est inutile, n’apportant aucune plus-value, non évaluée et d’application complexe. Le juge constitutionnel censurera tout ou partie de cet article et de la proposition de loi. Elle vous permettra de hurler au prétendu gouvernement des juges !
Adopter au Parlement, alors que le législateur est censé ne pas agir ainsi, un certain nombre de mesures dont vous doutez très fortement de l’inconstitutionnalité, contre l’avis d’un rapporteur provenant de votre propre parti et avec les réserves émises par un ministre – je sais M. le garde des sceaux suffisamment fin pour « émettre des réserves », au lieu de s’exprimer de manière plus directe, et renvoyer à la commission mixte paritaire, car nous avons voté des textes de cette manière – est une façon de mettre directement en cause le Conseil constitutionnel,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. … et donc de mettre, une fois encore, le pied à l’étrier à Marine Le Pen et à l’extrême droite pour leur permettre d’accéder au pouvoir. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. « Depuis quelques années, les crimes de sang ont augmenté dans d’invraisemblables proportions. […] – presque tous [sont le fait de] jeunes gens de quinze à vingt ans – qui terrorisent la capitale. Et, en face de cette armée encouragée au mal par la faiblesse des lois répressives et l’indulgence inouïe des tribunaux, que voyons-nous ? […]
« Maintes causes ont aidé au pullulement de cette redoutable [délinquance] : […] la suppression quasi radicale de l’apprentissage qui jette à la rue les gamins de 13 à 20 ans alors qu’ils devraient [travailler], […] l’insuffisance des moyens de répression qui semblent s’affaiblir au fur et à mesure que grandit l’audace des [délinquants] et surtout ce fâcheux esprit de sensiblerie humanitaire.
« J’ai montré […] avec quelle indulgence les parquets en usent vis-à-vis des rôdeurs. On les relâche aussitôt arrêtés ou bien on les condamne à des peines minimes alors que, le plus souvent, ils auraient mérité pour le moins les travaux forcés. On abuse et on mésuse des lois de pardon et de sursis, de la libération conditionnelle, de la réduction des peines. Et, quand on ne peut faire autrement que [de condamner] et d’envoyer les délinquants en prison, c’est dans des prisons confortables qu’on les loge, dans des prisons où ils trouvent bon gîte et bon repas, de l’air pur, des livres pour se distraire et si peu de travail à faire que ce n’est pas la peine d’en parler. »
Ce texte provient du Petit journal illustré du 20 octobre 1907. Nous entendons ce soir les mêmes fantasmes à l’égard de la jeunesse. Nous ne faisons pas la loi : nous votons un tract politique ! En effet, il a été démontré à plusieurs reprises que cette loi ne traduisait qu’une incompréhension totale du sujet et que l’arsenal législatif actuel était suffisant. J’y insiste, vous ajoutez un tract politique à de la propagande ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol. Très bien !
M. Antoine Lefèvre. Tout en nuances…
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. J’alerte à mon tour sur notre manière de légiférer quelque peu désinvolte. Ce n’est pas la première fois que nous votons n’importe quoi en nous remettant à la commission mixte paritaire et en estimant que si cette dernière ne fait pas son travail le Conseil constitutionnel fera le sien. Cette étrange façon de faire ne fait pas honneur à notre assemblée.
Par ailleurs, permettez-moi de relever une contradiction. Étant sénateur depuis un peu plus d’un an, je me souviens que nous avons débattu, il y a quelques mois, d’une proposition de loi émanant du groupe Les Républicains sur les enfants qui veulent avoir recours aux bloqueurs de puberté – vous vous en souvenez certainement, mes chers collègues. Vous expliquiez alors que les mineurs ne savaient pas ce qu’ils faisaient et qu’il fallait faire confiance à leurs parents. Par conséquent, il s’agissait bien de considérer les mineurs comme des mineurs !
Mme Laurence Harribey. C’est vrai !
M. Ian Brossat. À présent que nous parlons de mineurs qui commettent des actes de délinquance, il faut brusquement les traiter comme des adultes. Cela me paraît contradictoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 48 rectifié septies.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 239 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 221 |
Contre | 119 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 4 est rétabli dans cette rédaction et l’amendement n° 10 rectifié n’a plus d’objet.
Après l’article 4
Mme la présidente. L’amendement n° 36 rectifié quater, présenté par Mme Josende, MM. Naturel, Panunzi et Milon, Mme Lavarde, MM. Burgoa, Frassa et Belin, Mmes V. Boyer, Lopez, Gosselin, Estrosi Sassone, Aeschlimann, Muller-Bronn, Lassarade, Garnier, Dumont et Belrhiti, M. Sido, Mmes Gruny et Micouleau, MM. Lefèvre, C. Vial et Saury, Mmes P. Martin et Bellurot, MM. Rojouan, P. Vidal, Somon, Paccaud et Sol, Mmes Schalck, M. Mercier, Imbert et Valente Le Hir, MM. Delia, Sautarel, Le Rudulier et Daubresse, Mme Ciuntu, MM. Reynaud, Anglars, Husson, Rapin et Klinger et Mme Berthet, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au quatrième alinéa de l’article L. 423-4 du code de la justice pénale des mineurs, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois », et le mot : « trois » est remplacé par le mot : « un ».
La parole est à Mme Lauriane Josende.
Mme Lauriane Josende. Le principe de césure du procès pénal pour les mineurs a pour effet de retarder la survenue d’une sanction et peut, en tant que tel, créer chez les plus jeunes un sentiment d’impunité, comme nous l’avons évoqué lors de la discussion générale.
Actuellement, l’article L. 423-4 du code de la justice pénale des mineurs permet de déroger à cette césure et de recourir à une audience unique. Le bilan statistique du code de la justice pénale des mineurs en 2023 indique que 89 % d’audiences uniques menées sur l’initiative du parquet ont donné lieu au prononcé d’une peine, contre 39 % pour les audiences de prononcé de la sanction en cas de césure. Toutefois, force est de constater que cette faculté est étroitement encadrée et peu utilisée par les parquets.
L’amendement vise à faciliter le recours à la procédure d’audience unique en abaissant le quantum de peine d’emprisonnement encourue à compter duquel un mineur peut être jugé sans césure sur l’initiative du parquet : trois ans pour les 13-16 ans et un an pour les mineurs de plus de 16 ans.
Mes chers collègues, en votant cet amendement, vous contribuerez grandement au renforcement de notre arsenal juridique en améliorant la qualité de notre réponse pénale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.
Mme Laurence Harribey. Je ne comprends pas bien le raisonnement. Raccourcir la césure revient à bafouer le sens même du code de la justice pénale des mineurs, c’est-à-dire la distinction entre audience de culpabilité et audience de sanction.
Il me semble que Gabriel Attal a utilisé la formule : « Tu casses, tu répares. » Réparer équivaut non pas à être sanctionné immédiatement, mais à s’inscrire dans un processus éducatif pendant une période de probation. C’est en ce sens que la période de césure est utilisée : elle vise à prendre conscience de sa propre culpabilité et à faire en sorte que celle-ci se traduise par une réparation.
Si vous raccourcissez la période de césure, autant aller directement vers l’audience unique ! Très sincèrement, je le redis, je ne comprends pas le raisonnement qui sous-tend l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Ma chère collègue, je tiens à vous expliquer le sens de mon avis favorable.
Deux hypothèses peuvent être envisagées.
Premier cas, le cours normal de la procédure : le jeune est présenté devant le juge, il est déclaré coupable, la césure a lieu.
Second cas de figure : la procédure de l’audience unique. Je l’ai expliqué précédemment, je suis opposé à la comparution immédiate justement parce qu’il existe une possibilité de procéder différemment. Si j’ai bien compris, l’amendement de Mme Josende s’applique à ce cas.
J’y insiste, l’amendement tend à s’appliquer non pas au processus culpabilité-césure-évaluation du mineur, mais à celui de l’audience unique, dont la logique est de raccourcir les délais.
J’estime que la comparution immédiate est inutile ; je soutiens donc l’amendement de Mme Josende visant à renforcer l’audience unique, qui constitue, à mon sens, une meilleure réponse et assure la garantie des droits.
Mon avis favorable n’a donc rien à voir avec le reste du système qui a été institué.
Mme Laurence Harribey. D’accord.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Je pense avoir traduit, madame Josende, votre pensée.
Mme Lauriane Josende. Tout à fait !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.
Mes chers collègues, nous avons examiné 20 amendements ; il en reste 31.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 26 mars 2025 :
À quinze heures :
Question d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur le thème « Faciliter l’accès aux services publics : restaurer le lien de confiance entre les administrations et les administrés » ;
Désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème « 10 ans après la loi NOTRe et la loi Maptam, quel bilan pour l’intercommunalité ? » ;
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents (texte de la commission n° 464, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 26 mars 2025, à zéro heure trente.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER