compte rendu intégral

Présidence de M. Dominique Théophile

vice-président

Secrétaires :

M. François Bonhomme,

Mme Catherine Conconne.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, du président de la Chambre des Lords du Royaume-Uni, Lord McFall. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent et applaudissent longuement.)

Il est accompagné par la toute nouvelle présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Royaume-Uni, notre collègue Cécile Cukierman. (Applaudissements.)

Le président du Sénat a pu échanger ce matin avec Lord McFall, en présence de Loïc Hervé, vice-président du Sénat, Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et, bien entendu, Cécile Cukierman.

Dans un contexte international où les tensions et la gravité nous obligent à repenser ou conforter nos alliances, nous sommes heureux de réaffirmer ensemble, aujourd’hui, l’amitié franco-britannique, qui a marqué l’histoire. Nous l’avons célébrée l’année dernière, à l’occasion des 120 ans de l’Entente cordiale et du 80e anniversaire du débarquement à Ver-sur-Mer.

Nous le savons, le Royaume-Uni est un allié ainsi qu’un partenaire majeur, notamment en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité. Nous devons relever ensemble les nouveaux défis qui se présentent à nous dans ces domaines.

Ce lien qui nous unit se nourrit des échanges entre nos deux chambres. Le groupe d’amitié accueille régulièrement des délégations de parlementaires britanniques. Et comment ne pas se remémorer en cet instant la venue au Sénat, le 21 septembre 2023, lors de sa visite d’État, de Sa Majesté le Roi Charles III, et son discours historique dans cet hémicycle ?

Par leur capacité à réinventer leur rôle, nos deux chambres ont montré, et continuent de prouver, l’apport indispensable que représente le bicamérisme dans nos démocraties respectives.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à Lord McFall la plus cordiale bienvenue au Sénat de la République française. (Vifs applaudissements.)

3

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

accueil de scientifiques états-uniens

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, une nouvelle inquisition sévit aux États-Unis. Ses victimes en sont les scientifiques, la connaissance et la rationalité. Des chercheurs sont licenciés, des mots interdits et des disciplines proscrites. Non seulement les idées sont bannies, mais la méthode scientifique est aussi répudiée. Ces nouveaux Torquemada condamnent les conditions de production du savoir, le statut de la vérité et, finalement, la raison critique héritée des Lumières.

Cette croisade obscurantiste ne touche pas uniquement les États-Unis et ne prendra pas fin avec le mandat de Donald Trump. Elle participe d’une révolution antihumaniste qui a ses thuriféraires en Europe et en France. En s’attaquant à la science, elle souhaite aussi abolir les principes éthiques et rationnels qui fondent notre démocratie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs milliers de scientifiques ont déjà été licenciés par l’administration américaine et près de 300 000 autres sont menacés. La France doit tout mettre en œuvre pour accueillir ceux qui nous demandent aujourd’hui l’hospitalité. Plusieurs universités ont déjà offert à ces scientifiques les moyens de poursuivre leurs recherches. Les efforts doivent être intensifiés et coordonnés en France et en Europe.

Il nous faut venir en aide aux chercheurs, mais aussi sauver leurs données scientifiques. Elles sont le patrimoine commun de l’humanité et risquent de disparaître, avec les bases qui les hébergent, dans un gigantesque autodafé numérique.

Monsieur le ministre, la République française, qui considère avec Monge et Condorcet qu’un savoir rationnel et scientifique, autonome du pouvoir politique, est une des conditions de la démocratie, doit tout mettre en œuvre pour soutenir ces scientifiques victimes de la persécution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDSE, RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche, chargé de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Ouzoulias, la situation est effectivement très préoccupante aux États-Unis. Il y a lieu d’être inquiet quand on regarde la situation des National Institutes of Health (NIH), de la National Science Foundation (NSF), de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et de la Nasa : des pans entiers de la recherche, notamment médicale, aux États-Unis sont directement menacés ou voient leurs budgets sabrés, notamment pour ce qui concerne le suivi des épidémies et des zoonoses ou l’observation de la terre et du climat.

La situation est doublement dramatique : d’une part, on constate que le nombre de chercheurs, qui sont parmi les plus performants au monde, reflue et que des programmes internationaux sont menacés ou supprimés ; par ailleurs, des bases de données utilisées par la communauté scientifique internationale ne sont plus accessibles ou interdisent certains mots clés de recherche, ce qui pose des difficultés majeures.

Vous l’avez dit, en France, et partout en Europe, des universités ouvrent dès aujourd’hui des postes pour accueillir des chercheurs américains et nous soutiendrons évidemment cet effort avec un certain nombre de mesures spécifiques.

Au-delà, il faut aussi mobiliser la Commission européenne et toutes les institutions de l’Union pour développer l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de recherche, en reconsidérant l’ensemble des partenariats et la manière dont nous travaillons aujourd’hui avec nos grands partenaires, partout dans le monde.

Nous devrons également nous efforcer de disposer de bases de données autonomes, afin de permettre à l’ensemble des chercheurs de mener leurs travaux de manière libre et autonome, dans le respect de la liberté académique, laquelle est absolument fondamentale pour l’avancée des connaissances. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

agression du rabbin d’orléans

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, qui est chargé des cultes.

Le 22 mars dernier, le grand rabbin d’Orléans, Arié Engelberg, a été agressé en pleine rue devant son fils de 9 ans. Son seul tort : être de confession juive.

Cette agression survient à l’approche des fêtes de Pessah, plongeant la communauté juive dans une inquiétude légitime quant à sa sécurité. Ces actes s’inscrivent dans le cadre d’une montée alarmante de l’antisémitisme en France, avec 1 570 actes recensés en 2024, représentant 62 % des crimes de haine religieuse dans notre pays.

Plus préoccupant encore, comme nous l’avions déjà noté avec Bernard Fialaire dans notre rapport d’information sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, on constate la banalisation d’un antisémitisme d’atmosphère, nourri par certains discours politiques irresponsables.

Je pense notamment aux déclarations de membres de La France insoumise depuis les attentats du 7 octobre 2023. Malgré leurs nombreux dérapages, ils poursuivent leur travail de sape et de distillation de cet antisémitisme d’atmosphère purement insupportable. En témoigne l’organisation de cette prétendue marche contre le racisme de samedi dernier, transformée en marche pour l’antisémitisme. Quelle honte !

Attaquer quelqu’un en raison de sa religion, réelle ou supposée, est déjà odieux, mais s’en prendre à un homme de foi, c’est attaquer un symbole. Ce sont les valeurs mêmes de la République qui sont atteintes. Ce qui est en jeu, c’est la liberté fondamentale de pratiquer sa religion en toute sécurité sur le sol français.

Face à cette situation profondément alarmante, nous ne pouvons rester silencieux. La sécurité de nos concitoyens de confession juive doit être une priorité absolue, particulièrement à l’approche des fêtes religieuses.

Madame la ministre, je connais votre engagement dans la lutte contre ce fléau qu’est l’antisémitisme. Pourriez-vous nous indiquer les mesures spécifiques que vous entendez mettre en œuvre pour garantir la sécurité des lieux de culte à l’approche des fêtes religieuses ? Quels moyens supplémentaires prévoyez-vous pour combattre cet antisémitisme qui gangrène notre société ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains et SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le sénateur Pierre-Antoine Levi, l’événement qui a eu lieu à Orléans a choqué tous les Français, et heureusement, dirai-je. C’est un homme de foi qui a été attaqué ; c’est aussi un père qui a été agressé lâchement devant son propre fils de 9 ans.

L’auteur des faits est très jeune, et c’est peut-être ce qui devrait nous frapper le plus : aujourd’hui, les victimes sont de plus en plus jeunes, mais les auteurs d’actes antisémites le sont aussi.

Nous devons apporter une réponse collective pour lutter contre ce que vous appelez l’antisémitisme d’atmosphère. Comme s’il y avait un antisémitisme qui pouvait être acceptable, convenable pour la société ; comme si l’on pouvait reprendre l’iconographie des années 1930 pour en faire des affiches appelant à la mobilisation ; comme si l’on pouvait manifester pour des causes qui devraient nous rassembler, à savoir la lutte contre le racisme, mais en véhiculant d’autres formes de haine, en marchant main dans la main avec une personne fichée S pour des faits extrêmement graves ou avec quelqu’un qui a été condamné pour avoir attenté à la vie d’un rabbin, par exemple. C’est cela l’antisémitisme d’atmosphère qui prolifère dans notre pays.

Face à ce risque, nous ne devons pas tomber dans le piège de l’indifférence. Le Sénat a agi avec cette mission d’information que vous avez menée avec Bernard Fialaire, que je salue, laquelle a abouti au vote d’une proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, qui sera également examinée par l’Assemblée nationale.

À cette occasion, le Gouvernement souhaite d’ailleurs y intégrer les recommandations des Assises de lutte contre l’antisémitisme, que j’ai relancées, de manière à agir sur deux plans : l’éducation, avec la formation des enseignants sur la transmission de la mémoire en luttant dès le plus jeune âge contre la désinformation et la complotisme, terreau de l’antisémitisme ; la sanction, avec la bonne caractérisation de l’antisémitisme.

Je sais qu’ici, au Sénat, vous êtes toutes et tous rassemblés dans ce combat universel, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

protection des écosystèmes marins

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’heure est à l’urgence pour l’océan. Notre meilleur allié contre le dérèglement climatique subit une pression extrême : surpêche, pollution, acidification, plastique, effondrement de la biodiversité.

Ce week-end, le Président de la République organise le sommet SOS Océan, en amont de la conférence des Nations unies sur l’océan à Nice, au mois de juin. Alors que nous avons le deuxième domaine maritime le plus important du monde, la responsabilité de la France est grande.

Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux et clairs : 30 % d’aires marines protégées, 10 % en protection stricte. Pourtant, la réalité est tout autre : seulement 1,6 % des aires marines sont aujourd’hui réellement protégées. Pour le reste, tout est permis.

Madame la ministre, au-delà des grands discours, il est temps d’agir.

Notre priorité doit être de proposer un objectif clair de 10 % de protection stricte et d’en finir avec l’écran de fumée de la protection forte « à la française », qui ne répond à aucun des standards internationaux. L’interdiction de toute activité extractive dans ces zones permettra des bénéfices écologiques, mais également économiques et sociaux pour les pêcheurs artisans et pour nos littoraux.

Votre responsabilité est également d’engager une transition claire et durable de la pêche au chalut de fond, avec, pour horizon, une fin de ces pratiques destructrices dans les 30 % d’aires marines protégées.

Nous ne pouvons pas donner des leçons au monde entier alors que nous ne sommes pas à la hauteur chez nous, dans nos propres eaux territoriales.

Que comptez-vous faire pour sortir de ce positionnement flou ? Quelle est votre vision pour la protection des écosystèmes marins ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice Mathilde Ollivier, bien sûr, la protection des écosystèmes marins est une des priorités de ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui est actuellement à Berlin pour le Dialogue de Petersberg préparatoire à la COP30 de Belém.

Un poumon bleu : voilà ce que représentent nos écosystèmes marins. Il s’agit bel et bien, comme vous l’avez rappelé, d’un trésor de biodiversité pour les scientifiques et pour notre équilibre, mais aussi d’un élément essentiel de notre souveraineté alimentaire. À ce titre, nous devons les préserver. C’est l’objectif des aires marines protégées, dont les règles contraignantes permettent de limiter l’impact de l’activité humaine.

Vous pointez en particulier dans votre question l’impact du chalutage de fond. Je veux vous rappeler, madame la sénatrice, que cette pratique est interdite depuis 2016 dans l’ensemble des zones à plus de 800 mètres de profondeur. Des concertations sont en cours pour étudier avec l’ensemble des acteurs si cette interdiction doit être élargie ou non. C’est le sens des analyses « risque pêche » qui sont conduites sur toutes les façades maritimes de l’Hexagone, notre objectif étant de nous appuyer sur des données scientifiques et la réalité du terrain.

C’est aussi le travail que Mme la ministre mènera, d’ici à la conférence des Nations unies sur l’océan de Nice, pour mieux protéger l’ensemble de nos écosystèmes.

Notre boussole, c’est la science. Nous travaillons également sur une approche zone par zone pour déterminer comment diminuer la pression globale et les pressions zone par zone et pour faire en sorte que certaines zones bénéficient d’une forte protection, afin d’aller au-delà du taux de 1,6 % que vous avez mentionné.

Néanmoins, je vous rappelle que le chalutage assure aujourd’hui 40 % des volumes de nos criées et que la suppression pure et simple de cette technique de pêche conduirait à la disparition de nos criées en aval de la filière, voire de notre pêche artisanale.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Or notre souveraineté alimentaire est une absolue nécessité. Madame la sénatrice, 80 % de notre consommation de produits de la mer est importée depuis des pays où les normes environnementales et la protection de la biodiversité sont bien moins vertueuses que celles que nous avons dans notre pays.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Pour protéger notre environnement, nous devons bien sûr agir en France, mais notre combat, c’est aussi de combattre la pêche illégale en dehors des frontières de notre pays. Tel sera l’objectif de la conférence des Nations unies sur l’océan. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)

M. Max Brisson. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. Madame la ministre, mes chers collègues, installer des affiches sur les océans partout dans le Sénat ne suffira pas ! Défendre une vision au cas par cas, c’est non pas porter une vision, mais avouer les incohérences de votre position. Dire d’une zone dont on détruit les fonds marins que c’est une aire marine protégée est une absurdité.

Nous devons légiférer, et je déposerai moi-même une proposition de loi en ce sens. Le Sénat ne pourra esquiver la réalité scientifique : l’océan ne peut plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

rixe mortelle à yerres

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Ma question s’adresse à Monsieur le Premier ministre.

Voilà quarante-huit heures, à Yerres, en Essonne, département que j’ai l’honneur de représenter dans cet hémicycle avec quatre autres de mes collègues, une fois encore, une fois de trop, un adolescent de 17 ans a perdu la vie après avoir été poignardé dans un contexte de rixe entre quartiers.

Ce gigantesque gâchis nous plonge tous dans l’effroi et nos pensées vont bien évidemment aux familles et aux proches dévastés par ce drame. Aujourd’hui, 90 % des rixes ont lieu en région parisienne et, comme le précisait Mme la préfète de l’Essonne, Frédérique Camilleri, un quart des rixes recensées en France ont lieu dans ce département.

Pourtant, sur le terrain, l’ensemble des acteurs travaillent d’arrache-pied pour tenter d’éradiquer ce qui est devenu un véritable fléau. Élus, services de l’État, polices nationale et municipale, gendarmerie, éducateurs, chercheurs, associations : tout le monde travaille dans la même direction.

Cependant, l’ultraviolence juvénile n’est pas le fruit du hasard. Partout, l’autorité est régulièrement bafouée. L’anomie s’est installée et le profil des jeunes impliqués dans les rixes est principalement marqué par l’échec scolaire dès l’école primaire.

En raison de l’instabilité politique, nous voyons se succéder sur ces bancs un nombre impressionnant de ministres, dont je ne remets bien évidemment pas en cause la volonté. Pour autant, rien ne change vraiment.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous livrer votre analyse de cet échec collectif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Hugonet, je tiens d’abord à faire part à la Haute Assemblée de ma profonde tristesse à la suite des événements qui se sont déroulés à Yerres voilà quelques jours, plus exactement il y a 48 heures.

Effectivement, les violences en bande ont augmenté dans notre pays et le département de l’Essonne compte à lui seul 25 % des événements de cette nature.

Je ne reviendrai pas sur les circonstances du drame en détail, mais je veux vous indiquer que les policiers ont interpellé six individus issus des deux quartiers impliqués, dont bien évidemment l’auteur présumé. Tous étaient défavorablement connus de nos services.

En 2024, 338 rixes ont été recensées. À ce phénomène s’ajoute celui des armes blanches, dont on parle malheureusement trop aujourd’hui, et qui sont présentes dans trois quarts des situations. Celles-ci circulent aux abords des établissements scolaires, et même à l’intérieur, ce qui présente des risques très graves que chacun imagine bien. Cinq personnes sont décédées en 2024, contre deux l’année précédente.

Je veux vous indiquer que, dès hier, la préfète de votre département a réuni les élus locaux et les maires, en présence du procureur de la République, afin de renforcer la prévention. La CRS 8 a également été déployée à Yerres dès hier soir.

Au-delà de ce constat sur les faits, l’enjeu est de mieux prévenir. Aussi, des actions vont être conduites, conjointement avec l’éducation nationale, dans et aux abords des établissements scolaires. J’étais la semaine dernière à Cernay, près de Mulhouse, où le maire a engagé une démarche de cette nature qui est tout à fait remarquable.

Nous devons ensuite plus fortement sanctionner. Votre Haute Assemblée débat actuellement de la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents de M. Gabriel Attal, qui vise à apporter des réponses plus fortes face à la délinquance des mineurs.

Enfin, nous avons engagé voilà quelques jours, à peine une semaine, la révision de la stratégie nationale de prévention de la délinquance, qui sera l’occasion de reprendre un certain nombre d’orientations, en particulier sur la responsabilité parentale. Telle est, monsieur le sénateur, la réponse que le Gouvernement peut vous apporter.

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vous être fait le porte-voix de M. le Premier ministre. (Sourires.)

Bien sûr, nous allons légiférer, encore faut-il que le Conseil constitutionnel ne détricote pas ce que nous allons voter collectivement ici… (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joshua Hochart applaudit également. – Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Plusieurs sénateurs du groupe SER. C’est une honte !

M. Jean-Raymond Hugonet. Parallèlement, et de façon très claire et pragmatique, puisque le mot est à la mode, n’est-il pas possible de prendre des circulaires et d’adresser des instructions aux parquets sur le port de couteaux ? Cela nous semble absolument nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

situation en turquie

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, « celui qui gagne Istanbul gagne la Turquie » : ces mots prononcés par le président Erdogan voilà quelques années résonnent particulièrement aujourd’hui devant la dernière dérive autoritaire de celui qui a été maire d’Istanbul, avant que son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement), ne perde la ville en 2019. Quand on perd Istanbul, perd-on la Turquie ?

L’arrestation mercredi dernier puis l’incarcération arbitraire de son principal rival, le très populaire maire d’Istanbul depuis 2019, investi par son parti, le CHP (Parti républicain du peuple), comme candidat à la prochaine élection présidentielle, est un point de bascule dans l’affaiblissement de la démocratie en Turquie, un pays qui – je le rappelle – est membre de l’Otan, du Conseil de l’Europe et candidat officiel à l’adhésion à l’Union européenne.

Fort du rôle croissant acquis par son pays dans l’équilibre sécuritaire régional, le président Erdogan est pourtant confronté à une double pression interne : une usure du pouvoir et une montée en puissance de son opposition, qui détient les principales villes de Turquie.

Les dérives totalitaires du pouvoir en place conduisent à la révolte des Turcs, qui descendent par dizaines de milliers dans les rues, témoignant d’une mobilisation citoyenne en faveur de la démocratie et de l’État de droit.

Ce soulèvement fait écho à la situation d’autres pays d’Europe centrale et orientale, comme la Hongrie, la Serbie, la Géorgie et la Slovaquie. La résistance des peuples témoigne du réveil profond des démocrates, qui crient haut et fort que l’autoritarisme et le nationalisme conduisent non pas à la prospérité, mais à la remise en cause des droits et des libertés de tous.

Monsieur le ministre, quelles actions concrètes envisagent de prendre la France et l’Union européenne pour soutenir le peuple turc dans la défense de ses droits ? Envisagez-vous d’engager un dialogue constructif tant sur les questions internes que sur les relations bilatérales, souvent complexes entre nos deux pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Grégory Blanc, Jean-Marc Vayssouze-Faure et Ian Brossat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice Nicole Duranton, dès le 19 mars, vous le savez, la France a exprimé sa vive préoccupation après l’arrestation, puis l’incarcération du maire de la métropole d’Istanbul, M. Imamoglu, et d’une centaine d’autres personnalités, dont deux maires de district de cette ville.

Les manifestations qui ont suivi dans toute la Turquie démontrent bien la gravité de la situation. Disons-le clairement, le respect des droits de l’opposition, de la liberté de manifester et de la liberté d’expression est une des pierres angulaires de l’État de droit. Comme nous l’avons rappelé, en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie a souscrit de façon libre à ces engagements en matière de protection de l’État de droit et le respect de ces engagements aura naturellement une incidence sur la suite de notre relation bilatérale, mais également sur ses relations avec l’Union européenne.

J’ajoute que nous avons fait passer des consignes de prudence à nos ressortissants sur place et que nous continuons à suivre la situation avec attention.

Bien évidemment, dans le contexte du sommet de la coalition des volontaires, qui aura lieu demain à Paris, nous travaillons avec tous les soutiens de l’Ukraine, y compris la Turquie, à trouver les conditions d’une paix durable et juste et des garanties de sécurité pérennes pour l’Ukraine. (M. François Patriat applaudit.)

impact de la guerre commerciale américaine sur la filière viticole