Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, sur l'article.

M. Simon Uzenat. L'article 3 est le cœur du dispositif de cette proposition de loi. Ce qui est frappant, c'est que ce sont en premier lieu les médecins qui sont évoqués, et non les besoins de santé de nos concitoyennes et de nos concitoyens, lesquels attendent désespérément de pouvoir être suivis sur leur territoire.

Nous avons là un désaccord de fond, comme nous en avons discuté au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Bruno Rojouan. Ainsi, sur les travées de la droite de cet hémicycle, on considère que, parce qu'il y a une pénurie, on ne peut réguler. De notre côté, nous affirmons que, justement, c'est parce qu'il y a une pénurie qu'il faut réguler. Bien des exemples, au fil de l'histoire, montrent que, pour limiter les déséquilibres entre les territoires, cette démarche est indispensable.

Sur les deux mesures phares proposées, en particulier celle des cabinets secondaires – je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit sur le renvoi au décret et les incertitudes qui en découlent –, la réalité est claire. Pour prendre l'exemple de la région Bretagne, à côté des zones rouges, on ne retrouve pas de zones relativement mieux dotées. Certaines sont simplement moins mal dotées que les zones rouges… Comment, dans ces conditions, mettre en œuvre la mesure ?

Au-delà, même s'ils ne sont pas les seuls concernés, ce sont principalement les territoires ruraux qui souffrent des pertes de chance et d'espérance de vie. Or le message que nous leur adressons, aujourd'hui, c'est qu'ils bénéficieront, au mieux, d'un cabinet secondaire. Cela n'est évidemment pas satisfaisant.

S'agissant des médecins généralistes, là encore un pas est fait, mais il ne s'agit en réalité que d'un demi-pas, c'est-à-dire d'une mesure de régulation assortie de dérogations. Nous considérons que ce qui est possible pour les médecins spécialistes devrait aussi être proposé pour les généralistes. Encore une fois, les besoins de santé sont aujourd'hui indiscutables dans l'ensemble de nos territoires. En outre, de nombreuses professions de santé sont déjà régulées, et elles le seront de plus en plus.

Une réticence s'exprime. L'un de nos collègues disait précédemment que l'on tournait autour du pot de la régulation : entrons dans le vif du sujet, mes chers collègues !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, sur l'article.

M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, essayons de trouver comment articuler la position du Gouvernement avec ce qui est proposé à l'article 3.

En effet, je rappelle la proposition phare du pacte, telle qu'elle a été, aujourd'hui même, mise en perspective par le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et par le directeur de l'agence régionale de santé (ARS) auprès de toutes les parties prenantes : cette solidarité, volontaire dans un premier temps, a vocation à devenir obligatoire, pour aider les territoires les plus prioritaires identifiés par les ARS, en lien avec les préfets et les élus.

Si cette solidarité a bien vocation à devenir obligatoire, nous verrons si le Gouvernement clarifie sa position au travers de votre avis sur les amendements portant sur l'article 3. Sans cela, vous remettriez immédiatement en question la parole mise en perspective par le préfet et par le directeur de l'ARS lors des réunions qui sont actuellement organisées.

En outre, le pacte a bien pour objet de s'adresser à tous les médecins, et de dégager un engagement équilibré pour que chacun y prenne sa part. Il y a donc là une position fort différente de celle qui sera exposée lors de l'examen de l'article 3.

Voilà pourquoi j'écouterai avec beaucoup d'attention l'avis du Gouvernement, monsieur le ministre. En effet, si vous allez dans le sens de cet article, vous entrerez immédiatement en contradiction avec ce qui est en train d'être mis en œuvre au travers du pacte, tel qu'il se dessine dans le cadre des réunions régionales.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l'article.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Avec l'article 3, nous abordons un sujet très important. Enfin, un premier pas !

Notre collègue Maurey évoquait la loi Touraine. Pour ma part, j'ai également le souvenir de la discussion, quelques années auparavant, de la loi HPST, dont le rapporteur était le député de l'Yonne Jean-Marie Rolland. J'en avais alors parlé avec lui : différentes organisations étudiantes et professionnelles avaient menacé de descendre dans la rue si des mesures coercitives étaient mises en œuvre.

Ainsi, le présent article marque une rupture, puisque celui-ci tend à insérer dans le code de la santé publique, pour la première fois, un chapitre intitulé « Conditions d'installation dans les zones les mieux dotées ». Il y a donc bien des conditions : il est très important que ce terme figure, noir sur blanc, dans le code.

Nous sommes tous bien conscients, sur ces travées, qu'il n'y a pas une réponse unique à même de satisfaire aux besoins croissants en matière d'accès aux soins. Au contraire, c'est une palette de solutions qu'il convient de mobiliser : nous avons évoqué les stages et les maisons de santé, nous aborderons les centres de santé, etc. L'article 3, qui comprend la disposition permettant de conditionner l'exercice dans une zone surdense à une manifestation de solidarité en zone sous-dense, vient enrichir cette palette. De ce point de vue, il est bienvenu.

Trop d'occasions ont été manquées par le passé pour ne pas faire ce premier pas. Peut-être en faudra-t-il d'autres par la suite, mais faisons-le maintenant : je m'en réjouis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l'article.

Mme Élisabeth Doineau. Contrairement à certains, je pense que nous ne pouvons pas distribuer ce que nous n'avons pas. La pénurie est une véritable difficulté, mais la régulation n'est pas la réponse.

On oppose le cas des autres professionnels de santé qui font l'objet d'une régulation. Mais ne manquons-nous pas d'infirmières dans nos territoires ? De sages-femmes ? De pharmaciens ? En effet, aujourd'hui, aller chercher ses médicaments peut parfois poser de réelles difficultés.

On me dit que les professeurs de collège sont eux aussi soumis à des obligations au cours de leurs premières années d'exercice. Certes, mais il ne se passe pas une matinée sans que je lise, dans le journal, qu'un collège manque de professeurs ou de membres de l'équipe éducative.

Nous voyons donc bien que la régulation ne répond pas à cette problématique. Je crois davantage au travail dans les territoires. Au-delà du mien, les exemples abondent où les professionnels de santé et l'ensemble des élus locaux, des forces vives, des parties prenantes et des usagers ont retroussé leurs manches pour construire une solution satisfaisante en matière d'offre de santé. Bien évidemment, cela est difficile, parce qu'il faut y passer du temps.

J'entends que les incitations n'auraient pas servi à recréer un tissu d'offre de soins. Mais, mes chers collègues, vous avez tous bénéficié, dans vos territoires, de moyens considérables pour construire des maisons de santé pluriprofessionnelles et des pôles de santé, ou pour recruter des assistants médicaux et des infirmières en pratique avancée. Il ne faut pas oublier ce point important !

Le rapport de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre que, s'agissant de ces dispositifs, c'est du 50-50 : parfois, on fait usage de la régulation, en voyant le verre à moitié plein, quand ailleurs ce n'est pas un succès. D'ailleurs, certains pays reviennent sur cette régulation, car elle ne répond pas à leurs besoins infraterritoriaux.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je souhaitais évoquer la coordination entre l'article 3 et l'article additionnel après l'article 3 qui pourrait être inséré par l'amendement du Gouvernement.

À l'origine, notre proposition de loi n'intégrait pas la mesure du Gouvernement relative aux deux journées de solidarité. Le texte que nous avons défendu, à la fois devant le groupe Les Républicains et la commission, s'inscrivait dans une logique partant d'une évaluation des zones surdenses, car nous voyons bien les dysfonctionnements existants. Telle est la raison d'être de l'observatoire, lequel permettra de disposer de chiffres tangibles permettant de déterminer les zones prioritaires et moins prioritaires. Il s'agit ainsi de réviser la palette des évaluations, selon des critères à même de refléter la réalité.

Une fois ce travail réalisé, à partir des territoires surdenses ou mieux dotés, la question est d'irriguer les territoires voisins qui ont des besoins, d'où la conditionnalité – un terme qui me convient bien.

Pour les généralistes, il s'agit de passer du temps dans un cabinet secondaire, parce que la définition juridique d'un tel cabinet existe déjà, et parce que des structures les abritent, avec l'implication des collectivités.

Pour les spécialistes, le raisonnement est le même : nous nous appuyons sur une appellation connue, celle des consultations avancées, dès lors que les conditions d'exercice sont réunies, d'où l'avis de l'ARS.

Nous parlons bien de territoires mieux définis et de zones mieux dotées. Dans ces dernières, si un généraliste ou un spécialiste souhaite s'installer, il doit observer une conditionnalité fondée sur l'irrigation des territoires de proximité dont la situation est insatisfaisante. Tel est le dispositif que nous proposons.

S'y ajoute la mesure du Gouvernement, dont nous avons largement discuté, avec cette notion de solidarité et une annonce rapide concernant les zones rouges, sur lesquelles nous nous sommes nous-mêmes posé beaucoup de questions.

Étant moi aussi élu de Nouvelle-Aquitaine, monsieur Gillé, j'ai pu m'entretenir de ce sujet avec le directeur de l'ARS. Or les directeurs d'ARS répondent à une commande rapide et bienvenue de définir des zones d'intervention d'urgence, selon des critères que le ministre connaît bien. Ils y travaillent en y associant les présidents de département, les parlementaires et l'ensemble des autres acteurs concernés, afin de confirmer cette cartographie.

Nous avons, dès lors, eu le souci de la cohérence. Ainsi, nous examinerons un amendement tendant à définir une période au cours de laquelle cet outil urgent d'évaluation est mis en œuvre, afin de répondre à la demande du Gouvernement. Mais, très vite, nous nous appuierons sur l'outil, que nous proposons, d'analyse spécifique des besoins, de sorte qu'une coordination soit opérée entre les deux dispositifs.

Ainsi, ces derniers se cumulent : action à partir des zones denses et mesure, portée par le Gouvernement, de solidarité. Telle est notre approche, afin de trouver un équilibre dans un texte sur lequel l'initiative du Gouvernement ne s'était pas portée à l'origine.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. J'irai dans le même sens que le président Mouiller : les deux mesures sont complémentaires.

On ne peut qu'encourager la solidarité collective. J'en ai parlé, notamment à l'occasion de l'examen, à l'Assemblée nationale, de la proposition de loi du député Guillaume Garot visant à lutter contre les déserts médicaux. Je ne puis que souscrire aux propos de Mme Doineau : face à une pénurie, ce n'est pas la régulation ou la coercition qui augmentera le nombre de médecins. En revanche, la solidarité collective est une réponse.

Ainsi, lorsque j'élaborais le planning du service de cardiologie, avec les gardes à prévoir, la priorité était d'assurer la continuité des soins 365 jours sur 365. La communauté peut s'organiser de différentes manières : par exemple, les jeunes peuvent effectuer plus de gardes que les autres. Mais l'important reste la disponibilité de l'offre de soins.

Comment comprendre, donc, cette obligation collective ? Une maison médicale regroupant plusieurs professionnels de santé qui avoisine un territoire sans offre de soins doit s'organiser de sorte à y assurer, par exemple, deux jours de soins par mois et par praticien.

Dans le cadre de la proposition de loi de M. Mouiller, il n'y a ni coercition ni régulation à l'installation. Simplement, un certain nombre de zones seront qualifiées de surdenses. Toutefois, leur nombre sera très limité. Je ne citerai pas de ville ou de territoire pour ne stigmatiser personne, mais dans ces zones les installations ne seront pas interdites. En revanche, il s'exercera une forme de solidarité. Ainsi, l'installation dans ces quelque 10 % du territoire suffisamment dotés s'assortira d'une obligation d'ouvrir un cabinet secondaire. (M. Hervé Gillé proteste.)

Il s'agit de deux temporalités différentes, monsieur Gillé. Nous parlons, dans un premier temps, du maillage immédiat des cartes, entre les nécessités de l'aménagement du territoire, porté par le préfet, et de l'offre de soins, assurée par les ARS. L'idée est d'assurer une mise en œuvre rapide du dispositif, dès le mois de septembre, sous réserve que les élus locaux jouent le jeu, notamment les maires et les présidents d'intercommunalité, pour trouver les locaux nécessaires, voire armer le cabinet d'un secrétariat médical et d'assistants médicaux.

La seconde proposition, comme Philippe Mouiller l'a bien rappelé, est de redéfinir les zonages en fonction des indicateurs, afin de déterminer les territoires suffisamment dotés. Encore une fois, il ne s'agit pas d'interdire l'installation. Il n'y a ni coercition ni régulation, car nous faisons face à un vrai problème de pénurie. D'ailleurs, la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par la territorialisation et la formation, que le Sénat examinera prochainement, tend à supprimer le numerus apertus, à définir les besoins en fonction du territoire, à rapatrier les étudiants français partis à l'étranger et à favoriser les passerelles.

Ainsi, nous agirons sur les deux tableaux : former plus et mieux – nous ferons des propositions en juin – et, en attendant, instaurer un principe de solidarité collective applicable dès le mois de septembre, afin d'assurer des vacations « perméables », sans qu'il soit besoin d'aller à 400 kilomètres à la ronde. Il s'agit d'agir en bonne intelligence.

Depuis dix ans, je demande à tous les médecins que j'ai recrutés dans mon pôle de passer quatre jours au centre hospitalier universitaire (CHU) et une journée dans un centre hospitalier dit périphérique. Désormais, tous pratiquent l'activité multisites, qui est entrée dans les mœurs.

J'y insiste, les mesures sont donc complémentaires. Après trente ans de politique publique sans gestion de l'offre de soins, il est anormal que nos jeunes – je sais qu'ils nous écoutent – paient le prix fort en perdant leur liberté d'installation et en subissant un changement des règles du jeu alors qu'ils sont en passe de finir leurs études.

Il s'agit de trouver un équilibre entre l'offre de soins et le fait de ne pas décourager des générations entières qui veulent s'engager dans la santé.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais lever la séance.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

6

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mardi 13 mai 2025 :

À quatorze heures trente, le soir et la nuit :

Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (procédure accélérée ; texte de la commission n° 563, 2024-2025) ;

Suite de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 577, 2024-2025).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 13 mai 2025, à zéro heure quarante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER