Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Alexandra Borchio Fontimp.
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Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres d'État, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat, ainsi que sur notre site internet.
J'appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
rodéos urbains
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cyril Pellevat. Le week-end dernier, lors d'un rodéo urbain à Évian-les-Bains, Niccolo Scardi, sapeur-pompier volontaire, a été délibérément pris pour cible par un chauffard défavorablement connu des services de police. Après avoir été héliporté en urgence absolue, il a été hospitalisé ; son état de santé s'est heureusement amélioré au cours des derniers jours.
Plus tard, dans la commune de Saint-Cergues, deux sapeurs-pompiers volontaires ont été agressés alors qu'ils intervenaient à l'occasion d'un accident de la route. Je veux leur adresser, ainsi qu'à l'ensemble des sapeurs-pompiers de Haute-Savoie et de France et à leur famille, l'expression de tout notre soutien. Leur courage et leur engagement au service de nos concitoyens méritent respect et reconnaissance.
L'attaque d'Évian-les-Bains, filmée et largement diffusée, a choqué. Elle révèle une réalité inquiétante : aujourd'hui, les rodéos urbains ne sont plus des provocations ; ce sont des actes violents dirigés contre ceux qui incarnent l'ordre républicain.
L'auteur, délinquant multirécidiviste auquel son permis avait été retiré, est aujourd'hui visé par une enquête pour tentative d'homicide volontaire.
La loi du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique a posé un premier cadre, mais force est de constater qu'elle ne suffit plus. Les dispositifs actuels ne permettent ni une réponse pénale suffisamment dissuasive ni une prévention efficace. Les élus, les forces de sécurité, les secours et les habitants attendent une réponse claire, ferme, mais aussi structurée.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous étiez avec François-Noël Buffet à nos côtés, à Évian, la semaine dernière ; votre présence et vos annonces ont été vivement appréciées, mais, face à la gravité de la situation, êtes-vous prêt à porter une initiative législative d'ampleur pour encadrer et sanctionner plus fermement ces pratiques ?
Mes collègues Sylviane Noël et Pauline Martin compléteront cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Sylvie Vermeillet et M. Olivier Cadic applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, à mon tour, saluer le corps des sapeurs-pompiers, qui est très éprouvé. J'ai une pensée particulière pour le chef Niccolo Scardi, qui lutte encore entre la vie et la mort, pour sa famille – son épouse et son fils de 7 ans –, ses amis et ses parents. Nous avons tous été très choqués par cet événement, et François-Noël Buffet et moi-même nous sommes rendus, dès le week-end dernier, à son chevet et au centre de secours, où nous nous sommes retrouvés, monsieur le sénateur.
Cette tentative de meurtre était véritablement choquante ; je l'ai qualifiée d'abjecte. Toutes les tentatives de meurtre le sont, bien évidemment, mais celle-ci l'est particulièrement, et cela pour trois raisons.
Tout d'abord, vous l'avez indiqué dans votre question, il y a eu de la part de ce chauffard une volonté délibérée de tuer, et il s'en est fallu de très peu que les sapeurs-pompiers accompagnant le chef Niccolo connussent le même sort.
Elle est abjecte, ensuite, parce que nous parlons là d'un récidiviste, d'une personne défavorablement connue des forces de sécurité, qui, bien qu'elle ait été privée de son permis de conduire, était au volant d'une voiture, dans le cadre d'un rodéo, puis de dérapages qui troublaient le voisinage.
Enfin, et surtout, elle est abjecte, parce qu'il y a, d'un côté, ce voyou, qui cherche à tuer, et de l'autre un sapeur-pompier volontaire, dont l'objectif, la mission, est précisément de sauver des vies humaines, y compris au péril de la sienne propre.
Voilà ce qui rend cette tentative de meurtre particulièrement abjecte. Quelles réponses apporter ? Je l'ai dit, il y a tout d'abord une réponse de long terme : mettre fin à cette société laxiste, qui a engendré ce que j'ai appelé une « fabrique de barbares », parce qu'il faut bien nommer les choses et regarder la réalité en face.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre d'État.
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. Cela impliquera de reconstruire des cadres et des hiérarchies, ainsi que de restaurer le respect. Il faudra aussi durcir la réponse pénale, comme vous l'avez dit. Nous sommes prêts à le faire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de nouveau, monsieur le ministre d'État, de votre présence à nos côtés samedi dernier. Je vous remercie également de votre réponse à ma question.
Je comprends que des efforts sont déjà engagés, mais, face à la multiplication des rodéos urbains et des agressions des forces de l'ordre et des pompiers, nous avons besoin d'une réponse ferme. Nos concitoyens l'attendent, et nous serons à vos côtés pour la construire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
réseaux d'éducation prioritaire rep et rep+
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe du RDSE. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Ma question s'adresse à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale.
Mardi dernier, un jeune garçon de 14 ans s'est donné la mort, dans l'Hérault, le département dont je suis l'élu. Cela a suscité bien évidemment une sincère tristesse, et nous exprimons à sa famille et à ses proches toute notre solidarité.
Il serait indécent de corréler ce geste à la situation du collège La Dullague, de Béziers, où il était scolarisé ; telle n'est pas mon intention. Toutefois, ce drame met une fois en lumière cet établissement, qui réclame depuis des années d'être classé en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+), une demande d'ailleurs soutenue par le rectorat. Ce collège se situe dans le quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) d'Iranget Grangette, qui, avec un taux de pauvreté de 71 %, est le cinquième quartier le plus pauvre de France.
Plus généralement se pose la question du gel national depuis 2019 du classement du réseau d'éducation prioritaire : six années ont passé sans aucune actualisation de ce classement, alors que, en vertu de la circulaire du 4 juin 2014, cette actualisation doit avoir lieu tous les quatre ans et il faut prioriser les REP dans les QPV !
Depuis 2019, donc, plus rien, en dehors des promesses renouvelées de ministre en ministre… Enfin, pas tout à fait rien : les auteurs d'un rapport de la Cour des comptes, publié voilà quelques jours, expliquent que les REP coûtent cher et préconisent de repenser l'éducation prioritaire.
Eh oui, l'éducation a un coût ! Mais faire de la politique, c'est établir des priorités en fonction des enjeux. Penser, repenser, faire, défaire et refaire, tout cela peut durer longtemps, mais les résultats des REP et REP+ ont fait la preuve de l'intérêt de ces dispositifs.
Madame la ministre d'État, quand privilégierez-vous les enjeux humains et l'éducation, plutôt que les budgets ? Quand réactualiserez-vous le classement des REP ? Plusieurs lois censées nous donner confiance ont vu le jour depuis 2017, mais la confiance ne se décrète pas. Elle se mérite par des actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Cabanel, je souhaite avoir à mon tour une pensée pour le jeune Is'Hak, pour sa famille, ses proches et toute la communauté éducative du collège de La Dullague, profondément choquée par ce drame.
Ma conviction est que, pour prévenir de tels drames, nous devons prendre à bras-le-corps la question de la santé mentale de nos jeunes. Or, je puis vous l'assurer, mon collègue Yannick Neuder et moi-même sommes pleinement mobilisés sur ce sujet, qui est au cœur des assises de la santé scolaire, que je clorai cet après-midi.
Vous évoquez plus particulièrement la question de l'éducation prioritaire. Comme vous, je suis convaincue que l'école doit offrir les mêmes chances de réussite partout et à tous.
La politique de l'éducation prioritaire a précisément pour objet de corriger l'effet des inégalités sociales et territoriales sur la scolarité des enfants. Cet objectif justifie l'effort significatif consenti à cette fin en faveur de mon ministère, puisqu'un montant de 2,7 milliards d'euros est consacré à cette politique cette année, ce qui représente une hausse de 70 % par rapport à 2017.
Cette augmentation s'explique notamment par le dédoublement des classes de grande section de maternelle, de cours préparatoire (CP) et de première année de cours élémentaire (CE1) que nous avons mise en œuvre.
Toutefois, vous l'avez rappelé, la carte actuelle date de 2014 et mériterait donc d'être actualisée. C'est un chantier complexe, mais nécessaire. Nous devons réinterroger notre modèle, pour le rendre à la fois plus efficace et mieux ciblé. C'est le sens du rapport de la Cour des comptes que vous avez mentionné. C'est également du travail que je vais demander au cours des prochains jours sur cette question à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche.
Aussi, monsieur le sénateur, soyez assuré que l'éducation prioritaire est une priorité de mon action, et qu'elle le restera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Je vous remercie, madame la ministre d'État, mais vous n'avez pas répondu à ma question.
Je vous demandais quand vous réviseriez ce classement, notamment pour ce qui concerne cet établissement, qui a, hélas ! fait parler de lui dans l'actualité. Voilà un bon moment qu'il demande à être intégré à la catégorie REP+. Vous savez pertinemment, vous l'avez souligné, que ce dispositif a des résultats probants.
J'espère donc que cette carte sera révisée rapidement, pour la rentrée de septembre prochain, afin que les promesses de vos prédécesseurs ou de vous-même soient tenues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.)
annonces du président de la république
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le Premier ministre, auriez-vous la gentillesse de partager avec nous ce que vous avez retenu de l'intervention du Président de la République d'hier soir (Sourires.) et ce que vous en déduisez pour la conduite de l'action du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER., ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Rossignol, conformément à la Constitution, le Président de la République agit dans ce que l'on appelle son domaine réservé, les questions internationales ou de défense.
Ainsi, il a pris des initiatives s'agissant de nos relations avec les États-Unis ou avec la Russie, il s'est efforcé de réunir une coalition des volontaires pour obtenir la paix en Ukraine et il conduit l'action de la France à propos du drame de Gaza. Il devait donc évidemment, comme il le fait à échéances régulières, rendre des comptes aux Français.
Cela dit, lors de son intervention d'hier, il a également entendu articuler cette action avec la politique intérieure conduite par le Gouvernement. En effet, il n'est pas de grande puissance qui n'ait des finances saines, une économie durable et une jeunesse éduquée. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains. – Des sénateurs du groupe SER miment les mouvements d'un rameur.)
Mme Agnès Evren. Il n'a pas l'air très convaincu !
M. Victorin Lurel. Sa tâche est complexe !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. De même, il n'est pas de politique intérieure efficace qui ne s'appuie sur un message puissant et sur les valeurs de la République, celles qui ont fondé notre pays. (Bravo ! et applaudissements ironiques sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Fabien Gay. Déjà une minute d'écoulée !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. Si je puis percevoir dans vos yeux quelque ironie, que je relie à votre opposition au Président de la République, je reste persuadé, en ma qualité de ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, que nous pouvons partager un certain nombre des orientations données hier soir,…
Mme Cécile Cukierman. Lesquelles ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué. … que celles-ci concernent la sécurité des Français, l'éducation, la protection de nos enfants face aux écrans ou encore l'organisation territoriale de notre pays.
Mme Cécile Cukierman. Il n'a rien dit !
M. Patrick Mignola, ministre délégué. En tout état de cause, que l'on appartienne à l'opposition ou à l'alliance majoritaire qui participe au Gouvernement, force est de le reconnaître, ce qui est ressorti de cette émission hier soir, c'est que le Président de la République a une vision pour notre pays (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Laurent Duplomb. Laquelle ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué. … que l'on peut partager ou non, mais qu'il a aussi des valeurs que, j'en suis sûr, nous partageons tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Je vais vous aider, monsieur le ministre, en complétant votre propos à partir de ce que, comme beaucoup de Français, j'ai entendu.
Tout d'abord, à propos d'ArcelorMittal, le Président de la République a déclaré qu'il ne voulait pas bloquer les entreprises qui souhaitent « ajuster les choses ». Or les « choses », cela s'appelle des salariés, c'est-à-dire des gens qui n'ont que leur travail pour faire vivre leur famille, et les « ajustements », cela désigne, en l'espèce, 600 licenciements. Peut-être le Président de la République pourrait-il « ajuster » un peu son vocabulaire… (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
D'ailleurs, je souhaite relever une incohérence : comment peut-on prétendre assurer la souveraineté de la France et de l'Europe en matière de défense et, en même temps, refuser les nationalisations temporaires et laisser filer l'industrie de l'acier, indispensable à l'armement ?
Ensuite, le Président de la République entend faire peser le financement de la protection sociale sur la consommation. Je traduis : en langage courant, cela s'appelle la TVA sociale, c'est-à-dire une augmentation de la TVA destinée à faire payer aux couches populaires et aux classes moyennes les cadeaux fiscaux que vous avez accordés au CAC40, aux actionnaires et aux rentiers. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)
Enfin, nous avons eu droit à un numéro d'autosatisfaction sur le chômage. Il faudra donc dire au Président de la République que, en Île-de-France, le chômage des jeunes a augmenté de 28 % au cours du dernier trimestre, sachant, que, dans le même temps, en raison de vos réformes de l'indemnisation du chômage, nombre d'entre eux ne touchent plus aucun revenu.
Par conséquent, à toutes ces annonces du Président de la République, je vous le dis solennellement, monsieur le Premier ministre, les socialistes s'opposeront avec fermeté et détermination, en recourant à tous les moyens dont le Parlement dispose. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
augmentation de la pauvreté et crise du logement
M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Marianne Margaté. Ma question s'adresse à Mme la ministre chargée du logement.
L'Insee a récemment publié une enquête intitulée Pauvreté monétaire, privation et difficultés financières, qui montre que 15 % de la population se situe sous le seuil de pauvreté. L'inflation que nous connaissons depuis quelques années laisse craindre le pire à cet égard, et le nombre de familles qui rencontrent des difficultés chaque fin de mois va encore augmenter.
Hier soir, le Président de la République a parlé pendant trois heures, mais il n'a rien dit, ni sur la pauvreté ni sur le logement, alors que cette crise concerne 12 millions de personnes. En 2017, il déclarait : « Je ne crois pas au ruissellement, […] je crois à la cordée. » En ce qui nous concerne, nous ne voyons ni cordée ni ruissellement. Nous ne voyons que des familles de plus en plus nombreuses à être prises à la gorge par des dettes insurmontables.
Je pense notamment aux dettes locatives. On observe en effet une hausse sans précédent des loyers impayés : les commandements de payer ont crû de 11 % en un an. En outre, les commissaires de justice ont constaté une explosion des expulsions de locataires, qui ont augmenté de 87 % en un an. Or seuls 10 % à 15 % des personnes expulsées sont finalement relogées.
Combien d'enfants sont-ils concernés ? Combien vont à l'école après avoir passé la nuit dans une voiture ? Combien de ruptures scolaires sont ainsi provoquées ? Nous avons tous ici adopté une résolution demandant qu'il n'y ait plus d'enfants à la rue. Or la moindre des choses pour atteindre cet objectif est de ne pas les y envoyer, surtout sans solution de relogement.
La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (Dalo) a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, voilà dix-huit ans. Depuis lors, c'est la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, dite Kasbarian, qui prime, et 51 % des ménages que l'on expulse sans solution de relogement sont reconnus Dalo ; 18 650 ménages ne sont ainsi pas relogés dans les délais réglementaires.
Madame la ministre, si les locataires ont des devoirs, l'État en a aussi. Le droit au logement n'est pas appliqué aujourd'hui en France ; d'ailleurs, en 2023, c'était la première fois que l'accès au logement des ménages Dalo chutait, représentant seulement 4,81 % des attributions annuelles.
Ma question est donc simple : quand l'État respectera-t-il la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée du logement.
Mme Valérie Létard, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement. Vous avez raison, madame la sénatrice, de rappeler que le logement connaît une crise inédite, qui pèse particulièrement sur les plus fragiles.
Face à cela, notre premier défi consiste bien évidemment à relancer la production de logements abordables. Pour ce faire, nous avons fait le choix résolu de nous appuyer sur les bailleurs sociaux. C'est le sens de la feuille de route que j'ai signée avec ce secteur en février dernier, dans la foulée du travail que j'avais préalablement mené avec les parlementaires, que je remercie, car ils ont été un vrai soutien, ainsi qu'avec Éric Lombard.
Ce travail a permis d'obtenir une baisse du taux du livret A à hauteur de 850 millions d'euros, afin d'encourager la production de logements, et une diminution de la réduction de loyer de solidarité (RLS). À cet égard, je remercie le Premier ministre, qui, malgré nos difficultés financières, a validé l'arrêté RLS consacrant la mobilisation de fonds propres pour obtenir ce taux du livret A et ces liquidités, afin d'être au rendez-vous pour atteindre l'objectif des 116 000 logements nouveaux et des 130 000 rénovations qui figurent dans la feuille de route conclue avec les bailleurs sociaux.
Évidemment, nous avons également relancé la Commission nationale des impayés de loyer , pour envisager des propositions de solutions, en coordination avec les départements, afin de mieux prévenir ce risque.
En outre, afin d'accompagner le secteur et de répondre ainsi au besoin d'attributions de logement, nous allons développer le prêt à taux zéro pour les ménages modestes, qui libéreront alors des places dans le parc locatif.
Nous améliorerons par ailleurs le statut du bailleur privé, afin de relancer la production de logements locatifs abordables privés.
Ainsi, parallèlement à la lutte contre l'habitat indigne, à laquelle le Sénat prend toute sa part, nous allons mettre les bouchées doubles sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
violences contre les sapeurs-pompiers
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pascal Martin. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Comme notre collègue Cyril Pellevat, j'aimerais revenir sur l'agression inqualifiable dont a fait l'objet un sapeur-pompier volontaire samedi dernier, à Évian-les-Bains, en Haute-Savoie. Cet homme, aujourd'hui grièvement blessé, a été délibérément fauché par une voiture, alors qu'il tentait de mettre fin à un rodéo urbain. Le lendemain, deux sapeurs-pompiers ont été agressés dans le même département, alors qu'ils intervenaient pour un accident de la route.
À l'occasion de cette question, je veux rendre hommage à ces hommes, dont le seul tort aura été de s'engager au service de leurs concitoyens. Je veux aussi avoir une pensée pour leurs proches.
Aussi impressionnants et révoltants que soient ces faits, ils ne doivent pas être les arbres qui cachent la forêt des agressions quotidiennes dont sont victimes les sapeurs-pompiers. Comme les élus, les médecins et les enseignants, ils sont confrontés à la violence physique et verbale endémique de notre société.
Crachats, insultes, coups, voilà ce que récoltent ces femmes et ces hommes, qui risquent leurs vies pour protéger celle des autres et incarnent les valeurs de fraternité et de justice qui nous sont si chères. Je le dis simplement : pour eux, c'est un vrai traumatisme. Ils ne comprennent pas. Certains sortent de la caserne la boule au ventre.
Monsieur le ministre d'État, les pouvoirs publics ont fini par prendre conscience de cette réalité. Les peines encourues pour des violences contre les sapeurs-pompiers ont été alourdies en 2017. L'Observatoire national des violences envers les sapeurs-pompiers a été créé en 2020. Les chiffres que cet organisme communique attestent de la difficulté à endiguer durablement et substantiellement le phénomène. Ainsi, en 2024, chaque jour, quatre sapeurs-pompiers ont fait l'objet d'une agression. Cela suffit. C'est intolérable !
Face à cela, certains, tel le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, plaident pour une application effective des peines ; d'autres demandent que les sapeurs-pompiers soient mieux formés, qu'ils soient équipés de caméras-piéton ou encore que les dépôts de plainte soient anonymisés.
Monsieur le ministre d'État, que proposez-vous pour améliorer la sécurité des sapeurs-pompiers ?
M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Martin, je souhaite souligner de nouveau, devant la Haute Assemblée, l'extrême émotion qui a été celle de Bruno Retailleau et de moi-même, samedi dernier, à Évian, quand nous avons su les conditions dans lesquelles le brigadier-chef Niccolo Scardi avait été agressé.
Et encore, en disant « agressé », je suis en dessous de la réalité, car il s'agit bel et bien d'un crime. D'ailleurs, le Procureur de la République a qualifié cet acte de tentative de meurtre, une information judiciaire a été ouverte et l'auteur a été bien évidemment placé en détention. La violence avec laquelle cette agression a eu lieu est tout à fait inacceptable. Elle est même effroyable.
Malheureusement, vous l'avez rappelé, en 2024, 1 462 agressions ont été signalées par l'ensemble de nos sapeurs-pompiers et 602 parmi ces derniers ont été blessés. Il n'est pas rare, depuis déjà longtemps, que nos sapeurs-pompiers, à l'occasion de leurs interventions dans le cadre de la lutte contre l'incendie ou du secours aux personnes, soient attaqués, blessés, « caillassés », parce qu'ils représentent une forme d'autorité, alors même qu'ils sont là pour secourir, aider et sauver.
Les peines pénales ont été augmentées, vous l'avez justement rappelé. Il faudra naturellement que les tribunaux et les magistrats appliquent fermement les sanctions.
M. Bruno Sido. Et voilà !
M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. François-Noël Buffet, ministre. Néanmoins, ce ne sera sans doute pas suffisant. Nous allons donc devoir réfléchir, dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, qui va se clore prochainement, à améliorer les choses, à renforcer la protection des sapeurs-pompiers ou à leur donner plus de moyens pour se protéger.
Lundi dernier, je me suis rendu à Montpellier. J'ai pu y visiter le centre de formation des pompiers de l'Hérault, qui est magnifique. J'étais avec les sénateurs Christian Bilhac, Jean-Pierre Grand et Hussein Bourgi. Nous avons vu à quel point nos pompiers, professionnels ou volontaires, sont engagés. Dans le cadre du Beauvau des polices municipales, nous allons devoir entendre leur appel.
Je recevrai pour ma part le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France vendredi prochain, au matin. Nous aborderons évidemment ce sujet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
contamination aux pfas de l'eau potable dans le haut-rhin
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Madame la ministre de la transition écologique, depuis lundi dernier, dans onze communes d'Alsace, il est interdit de boire l'eau du robinet ! C'est en tout cas interdit pour les populations jugées sensibles : enfants de moins de deux ans, femmes enceintes et allaitantes, personnes immunodéprimées.
En cause, une contamination par les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), qui nécessiterait de lourds investissements de traitement pour espérer revenir, à terme, à la normale, sachant que l'agglomération concernée n'en a pas les moyens ; notre collègue Patricia Schillinger pourrait en témoigner.
Qui est le pollueur ? Sans doute l'aéroport de Bâle-Mulhouse et les mousses anti-incendie qu'il a longtemps utilisées.
Ce cas n'est pas isolé : l'observatoire de la nappe d'Alsace révèle combien les PFAS, résultant de multiples autres usages, affectent bien d'autres zones de la région, de Lauterbourg à Colmar, de Thann à Chalampé. Cette situation alsacienne est un symptôme avant-coureur des dégâts des PFAS pour les milieux, pour la santé et, par conséquent, mes chers collègues, pour nos collectivités, obligées d'agir pour la qualité de l'eau.
Madame la ministre, le Sénat a inséré dans la récente loi du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, dites PFAS, l'impérieuse nécessité de définir, d'ici au mois de février 2026, un plan de financement de la dépollution de l'eau dans notre territoire. Cette loi crée une redevance pour que les pollueurs commencent à payer. Ce principe, dit du pollueur-payeur, êtes-vous résolue à l'activer dès maintenant ou laisserez-vous ces Alsaciens, privés d'une eau saine, payer l'addition d'une eau qui deviendrait hors de prix ?
Cette loi anticipe, là où c'est possible, l'interdiction progressive des PFAS à laquelle l'Union européenne pourrait parvenir, mais ce texte, qui s'appliquera dès 2026, ne sera rien sans ses décrets. En outre, l'initiative européenne réunissant cinq pays ne débouchera pas sans une forte implication de la France.
Madame la ministre, contre les PFAS, le Parlement a fait son job. Faites-vous le vôtre ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)