Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
Mme Catherine Di Folco.
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Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, présentée par M. Philippe Folliot, Mme Marie-Lise Housseau et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 452, texte de la commission n° 585, rapport n° 584).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec l'Histoire, avec leur histoire. Il en est de même des territoires.
Aujourd'hui est un jour important pour l'ensemble du bassin Castres-Mazamet et pour le sud du Tarn, car, au travers de la proposition de loi que Marie-Lise Housseau et moi-même vous soumettons, nous entendons répondre à une attente particulièrement forte de l'ensemble des acteurs de ce bassin d'emploi et, plus généralement, de ce territoire.
Je commencerai par rappeler les diverses particularités qui nous ont conduits à la situation actuelle.
L'agglomération de Castres-Mazamet fait partie d'un département de nature bicéphale, le Tarn. Pendant longtemps, les villes d'Albi et de Castres ont du reste été opposées. Aujourd'hui, elles s'inscrivent dans une logique de complémentarité à laquelle nous souscrivons complètement.
Pendant de nombreuses années, on a cherché à désenclaver tous les bassins d'emploi de l'ancienne région Midi-Pyrénées. Le désenclavement d'Albi par rapport à Toulouse a fait l'objet d'un consensus départemental. En raison de sa singularité, tel ne fut pas le cas de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet : même si celle-ci est plus peuplée qu'un certain nombre de départements voisins, tels que l'Ariège, le Lot et le Gers, et bien que la ville de Castres elle-même soit plus peuplée que les préfectures de Foix, d'Auch et de Cahors, elle n'a été désenclavée que par petites touches.
À tel point que, en 2010, avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'écologie, chargé des transports, nous étions arrivés au constat qu'au rythme des engagements de l'État vis-à-vis de ce bassin d'emploi il faudrait attendre 2070 pour que l'agglomération de Castres-Mazamet achève son désenclavement… Il s'agit pourtant de la seule agglomération française de 100 000 habitants à ne disposer ni d'autoroute, ni de gare desservie par le TGV, ni d'aéroport international.
C'est la raison pour laquelle le projet d'une autoroute a été lancé en 2010. Mais, comme les choses prennent du temps dans notre pays, il s'est écoulé une quinzaine d'années entre cette décision et aujourd'hui. Plusieurs étapes importantes ont été franchies. Je pense notamment au débat public auquel des milliers de personnes ont participé et dans le cadre duquel près des deux tiers d'entre elles ont exprimé leur envie de voir ce bassin désenclavé et ont approuvé le projet.
Des décisions importantes ont été prises. En 2019, la loi d'orientation des mobilités, dite LOM, a conféré au projet d'autoroute entre Castres et Toulouse le statut de projet d'intérêt général national. En 2021, la plus haute juridiction administrative de notre pays, le Conseil d'État, a validé l'utilité publique de cet itinéraire.
Ce projet a fait l'objet de multiples recours. S'il s'agit d'un droit dans notre démocratie, constatons que, jusqu'au mois de février dernier, la juridiction administrative les avait tous rejetés et avait autorisé la poursuite du chantier à pas moins de quatorze reprises.
Aujourd'hui, nous nous trouvons dans une situation qui, à certains égards, est quelque peu ubuesque. Le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a en effet ordonné l'arrêt des travaux, ce qui a eu d'importantes conséquences sur le plan social – du jour au lendemain, 1 000 personnes ont perdu leur emploi –, ainsi que pour les décideurs économiques de ce bassin d'emploi, qui sont privés de perspectives d'investissement.
Ce jugement a également eu des conséquences pour les riverains. L'arrêt des travaux a laissé une balafre de cinquante kilomètres sur le territoire, et les habitants de certains villages sont empêchés de rentrer chez eux ; je pense au village de Saint-Germain-des-Prés, qui est coupé en deux.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer l'impact financier de cette décision judiciaire : le coût de l'arrêt des travaux s'élève à 5 millions d'euros. Plus 200 000 euros par jour ! Au vu de la situation de nos finances publiques, est-il acceptable de laisser faire les choses et de gaspiller ainsi l'argent public ?
Rappelons aussi qu'il existe un consensus politique départemental assez exceptionnel autour de ce projet. (Exactement ! au banc des commissions.) Qu'ils soient du nord ou du sud, de gauche, de droite ou du centre, la quasi-totalité des élus du département sont favorables à ce projet : (Rires ironiques sur les travées du groupe GEST.) l'unanimité des conseils départementaux, les deux intercommunalités traversées par l'autoroute, quatre parlementaires sur cinq, le président du conseil départemental et la présidente du conseil régional.
C'est un véritable pacte tarnais qui soutient ce projet !
De nombreux élus du département voisin, la Haute-Garonne, également concerné par la construction de l'autoroute, y sont favorables, de même que beaucoup d'élus du reste de la région Occitanie. Je les en remercie.
Au travers de cette proposition de loi de validation, nous accomplissons notre travail de parlementaires. Nous nous efforçons en effet de proposer une porte de sortie, afin que nous puissions mettre fin à cette situation ubuesque et stopper cette gabegie.
Je ne vais pas vous lire l'exposé des motifs que ma collègue Marie-Lise Housseau et moi-même avons soigneusement écrits. Ils reprennent tous les éléments propres à la situation et justifient, point par point, la constitutionnalité du texte. À cet égard, nous avons veillé à ce que les cinq critères dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel soient rigoureusement respectés.
Au-delà de ces éléments financiers, politiques et territoriaux, c'est un cri du cœur que je veux pousser devant vous, celui d'un territoire qui fait face à un certain nombre de difficultés, notamment une démographie en berne et des pertes d'emploi, en plus des obstacles liés à son enclavement historique.
Il n'empêche qu'il s'agit d'un territoire qui se bat, qui a envie de s'en sortir, qui n'accepte pas l'inéquité territoriale. Il refuse que des décideurs se trouvant très loin, dans de grandes métropoles ou agglomérations – qui, elles, disposent de tous les moyens pour être connectées au monde extérieur –, nous donnent des leçons de morale. (Absolument ! au banc des commissions.) Nous n'acceptons pas qu'ils nous disent, finalement, que ce projet n'est bon ni pour nous ni pour l'environnement.
La construction de l'autoroute est déjà achevée à 70 %. Arrêter un projet aussi avancé est une pure ineptie, y compris sur un plan environnemental ! Il y a un certain nombre de mesures de compensation environnementale pour lesquelles nous nous sommes battus – Marie-Lise Housseau y reviendra tout à l'heure. Or celles-ci sont stoppées à l'heure actuelle.
Compte tenu de ces enjeux, de la volonté qui est la nôtre, de l'objectif visé et de la situation que nous subissons, il nous paraît essentiel d'apporter une réponse politique. Dans notre pays, les décisions relatives au devenir des infrastructures doivent revenir aux élus qui détiennent leur légitimité du suffrage universel, et à personne d'autre ! C'est le fondement de la démocratie !
Aussi, mes chers collègues, nous espérons que vous serez nombreux à soutenir et à voter cette proposition de loi, tant attendue par un territoire, par un bassin d'emploi, par un département et, à certains égards, par le pays tout entier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDSE. – M. le président de la commission et M. Laurent Somon applaudissent également.)
M. Franck Dhersin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin afin d'examiner la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, déposée par nos collègues Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, et cosignée par une centaine d'entre nous.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a approuvé cette initiative législative, qui vise à répondre à une situation inédite mettant en péril des intérêts publics : la mise à l'arrêt, à seulement quelques mois de son achèvement, du vaste chantier de l'A69, une infrastructure structurante que les habitants du sud du Tarn attendaient depuis trente ans.
Cette interruption fait suite à l'annulation, le 27 février dernier, par le tribunal administratif de Toulouse, des deux autorisations environnementales dont faisait l'objet le projet d'A69, au motif que celui-ci ne répondrait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), condition pourtant requise pour l'obtention de la dérogation « espèces protégées ».
J'ai bien conscience que la démarche et le calendrier d'examen de ce texte suscitent des interrogations juridiques (Marques d'approbation sur les travées du groupe GEST.), auxquelles j'ai porté une attention particulière, d'abord, parce que cette proposition de loi vise à valider un acte administratif ayant été annulé par le juge administratif, ensuite, parce qu'une procédure d'appel est en cours, à la demande de l'État, qui a également sollicité un sursis à exécution de la décision du tribunal administratif de Toulouse.
Ces interrogations, qui touchent au principe de séparation des pouvoirs, appellent deux remarques préliminaires.
D'une part, les législateurs que nous sommes n'ont en aucun cas vocation à se substituer au juge administratif devant lequel une procédure est en cours. C'est clair !
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Franck Dhersin, rapporteur. L'objet de la proposition de loi qui nous est soumise est ciblé : si elle valide l'autorisation environnementale du projet d'A69, en tant qu'il répond à une RIIPM, elle ne saurait fermer le droit au recours à l'encontre de cet acte administratif, et d'autres motifs pourront toujours être invoqués devant le juge pour la contester.
D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le rappeler en commission, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe de séparation des pouvoirs proscrit toute validation législative portant sur un acte ayant déjà été annulé par une décision de justice devenue définitive.
Or tel n'est pas le cas, puisque l'annulation a été ordonnée en première instance et qu'un appel est en cours.
Bien sûr, nul ne peut préjuger de l'analyse du Conseil constitutionnel en cas de saisine. Néanmoins, il me semble que l'intervention du législateur est, en l'espèce, légitime pour répondre à une situation exceptionnelle, dont les conséquences peuvent se révéler particulièrement dommageables pour le sud du Tarn, comme pour les pouvoirs publics.
En premier lieu, le projet d'A69 présente des atouts majeurs pour le territoire de Castres-Mazamet, d'un point de vue démographique, socio-économique et en matière de sécurité routière. Il s'inscrit dès lors dans le cadre de la politique nationale d'aménagement du territoire et de lutte contre l'enclavement et la désertification.
Le bassin de vie de Castres-Mazamet est le seul bassin d'Occitanie de cette importance situé à plus d'une heure du réseau autoroutier, du réseau de TGV et de Toulouse. En conséquence, sa population est à l'écart des grands équipements de la capitale régionale, à commencer par le centre hospitalier universitaire, l'aéroport international de Toulouse-Blagnac, les universités et grandes écoles.
Il faut en effet une heure dix pour rejoindre Toulouse depuis Castres via la route nationale 126 (RN 126). Cela place cette ville dans une situation très défavorable par rapport aux autres agglomérations situées à des distances équivalentes, voire inférieures de la capitale régionale, mais qui sont reliées au réseau autoroutier.
L'A69 mettrait ainsi les habitants de Castres sur un pied d'égalité avec ceux d'Albi et de Montauban, en leur faisant gagner entre vingt-cinq et trente-cinq minutes pour se rendre à Toulouse : ce n'est pas rien !
Compte tenu de cette situation d'enclavement, l'agglomération de Castres-Mazamet, contrairement aux dix agglomérations reliées à Toulouse par une autoroute, est la seule à avoir régulièrement perdu des habitants entre 1968 et 2021.
M. Philippe Folliot. C'est vrai !
M. Franck Dhersin, rapporteur. Ce manque d'attractivité est d'autant plus dramatique pour le sud du Tarn que sa population est vieillissante. En effet, les personnes de plus de 60 ans y représentent plus du tiers des habitants.
Ce contexte pénalise tout particulièrement l'activité économique du territoire : Castres-Mazamet est la seule agglomération dans laquelle le taux d'emploi a stagné entre 2010 et 2021, alors qu'il a progressé dans les bassins équivalents de la région, à l'instar du Grand Montauban – plus 14 points –, de Gaillac-Graulhet – plus 6 points – et de l'Albigeois – plus 6 points également–, ces trois agglomérations ayant l'avantage d'être reliées à Toulouse par les autoroutes A62 et A68.
Les entreprises et les établissements publics du territoire, comme le centre hospitalier intercommunal de Castres-Mazamet, sont en outre confrontés à des difficultés structurelles pour attirer des cadres et travailleurs qualifiés depuis Toulouse, compte tenu des mauvaises infrastructures de desserte existantes.
Le projet d'A69 répond enfin à des impératifs de sécurité routière – ce n'est pas rien ! De 2010 à 2020, 11 morts et 120 blessés, dont 65 personnes hospitalisées, ont été à déplorer sur la RN 126. Les reports de trafic des véhicules légers et des véhicules lourds vers l'A69 auront des effets positifs sur la sécurité routière, non seulement pour les usagers de la future autoroute, mais aussi pour ceux de la RN 126, qui sera déclassée en route départementale (RD).
J'ajouterai que, par sa nature même et son ampleur, le projet d'A69 dépasse l'échelle strictement locale. Dès lors que cette autoroute a vocation à rejoindre le domaine routier national, elle présente, en application du code de la voirie routière, un intérêt national et européen – je le précise.
L'ensemble des motifs d'intérêt général précédemment invoqués avaient en outre conduit le législateur à reconnaître le caractère structurant de ce projet dans le cadre de la LOM, dont l'exposé des motifs avait recensé l'A69 parmi les « grands projets routiers » devant être engagés dans les cinq ans.
Par ailleurs, l'abandon du projet d'A69 aurait des répercussions négatives pour le sud du Tarn et mettrait en péril des intérêts publics majeurs.
Tout d'abord, le chantier a été interrompu à un stade très avancé : les travaux sont réalisés à 80 % concernant l'A680, tandis que 54 % des volumes de terrassements et 70 % des ouvrages d'art sont déjà réalisés sur l'A69. À ce jour, les dépenses engagées s'élèvent à 300 millions d'euros pour l'A69, soit près de 70 % du coût prévisionnel, et atteignent 90 millions d'euros pour l'A680, soit 90 % du coût total envisagé.
La résiliation du contrat de concession de l'A69 impliquerait d'indemniser le concessionnaire, la société Atosca, à hauteur du coût des travaux déjà réalisés, soit 250 millions d'euros. En outre, elle supposerait une remise en état des terrains,…
M. Ronan Dantec. Tout à fait !
M. Franck Dhersin, rapporteur. …opération complexe dont le coût représenterait un montant supplémentaire au moins équivalent.
Du reste, il est très probable que le concessionnaire demande à être indemnisé pour les coûts engendrés par l'interruption du chantier, qui dépassent déjà largement la dizaine de millions d'euros.
Ensuite, l'abandon du projet aurait des retombées socioéconomiques fâcheuses pour l'agglomération de Castres-Mazamet. Elles sont d'ailleurs déjà perceptibles depuis l'interruption du chantier, qui mobilisait près de 1 000 salariés, des centaines d'intérimaires et 67 contrats de sous-traitance. Plusieurs entreprises qui intervenaient sur le chantier risquent de déposer le bilan ou d'être confrontées à des difficultés sévères de trésorerie.
De nombreuses entreprises et collectivités territoriales sont en difficulté, parce qu'elles avaient investi en anticipant, légitimement, la mise en service imminente de cette infrastructure. Des investissements importants pour le territoire ont d'ailleurs dû être brutalement stoppés, et on ne peut que craindre que les entreprises qui misaient sur l'amélioration de la liaison avec Toulouse ne décident de quitter le territoire.
En outre, et de manière assez préoccupante, l'abandon du projet serait préjudiciable pour l'environnement. La résiliation du contrat de concession conduirait à remettre en cause les mesures de compensation environnementale qui étaient prévues (Protestations sur les travées du groupe GEST.), alors même que les travaux, et les atteintes à l'environnement qui en découlent, sont déjà en très grande partie effectifs. Il y aurait donc certainement des pertes nettes de biodiversité. (M. Ronan Dantec rit.)
M. Philippe Folliot. Bien sûr !
M. Franck Dhersin, rapporteur. La destruction des ouvrages déjà construits aurait elle-même un impact sur l'environnement qu'il convient de prendre en compte. En cas d'arrêt définitif du projet, un nouveau dispositif de compensation devra donc être recherché, au prix d'un travail lourd, complexe et assurément coûteux.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Évidemment !
M. Franck Dhersin, rapporteur. En tant que parlementaires, nous ne pouvons pas non plus faire abstraction de l'impact politique qu'aurait pour le territoire de Castres-Mazamet un abandon définitif du projet, en raison des fortes attentes qu'il suscite. Surtout que ces dernières étaient sur le point de se concrétiser, compte tenu de l'avancement du chantier…
Au cours des auditions que j'ai menées, on m'a fait part du sentiment d'abandon et d'incompréhension profonde de la population locale face à une situation ressentie comme un immense gâchis humain, technique et financier.
J'ajoute que 400 hectares de terres agricoles ont fait l'objet d'une procédure d'expropriation pour mener à bien ce projet. Pour les centaines d'agriculteurs ayant vu leur exploitation amputée, un arrêt définitif du chantier constituerait une double, voire une triple peine, ces parcelles n'étant plus exploitables en l'état. Rétablir leur potentiel agronomique nécessiterait, là encore, des moyens colossaux s'inscrivant dans le long terme.
Voilà, mes chers collègues, l'ensemble des raisons qui ont conduit la commission à apporter son soutien à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Laure Phinera-Horth applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Jean-François Longeot, monsieur le rapporteur, cher Franck Dhersin, mesdames, messieurs les sénateurs, je me présente aujourd'hui devant vous dans un contexte particulier. En tant que ministre des transports, je suis naturellement attentif aux enjeux que soulève le projet d'autoroute Castres-Toulouse, actuellement examiné par la cour administrative d'appel de Toulouse.
Car, oui, l'État a fait appel pour confirmer la réalisation de cette infrastructure.
Nous avons des arguments à faire valoir pour valider la raison impérative d'intérêt public majeur de cette liaison autoroutière. Je souhaite ici en développer les points principaux, même si mes propos vous sembleront probablement quelque peu redondants après les excellentes interventions de l'auteur de la proposition de loi et du rapporteur.
Aujourd'hui, le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, avec environ 50 000 emplois et 132 000 habitants, est le seul bassin de cette importance qui n'est pas relié à la métropole toulousaine par une infrastructure autoroutière à deux fois deux voies aménagée ou en cours d'aménagement.
Il s'agit aussi du seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à n'être desservi ni par une autoroute, ni par une gare TGV, ni par un aéroport international.
Les conséquences de cette situation sont durement ressenties sur le terrain. Le bassin de Castres-Mazamet est en décrochage par rapport aux agglomérations comparables de la région Occitanie, eu égard à la dynamique d'activité et de création d'emploi, à la croissance démographique et au vieillissement de la population. Rassurez-vous, monsieur le président Longeot, je ne pense pas forcément aux plus de 60 ans, d'autant que je sais que vous n'appréciez pas beaucoup cette référence… (M. le président de la commission s'esclaffe.) Et puis, à 60 ans, on n'est pas vieux, monsieur Dhersin ! (Sourires.)
Nier cette réalité est irresponsable, d'autant que l'attractivité du bassin toulousain n'est plus à prouver : Toulouse est devenue la troisième ville de France. Il faut donner à ce territoire les moyens d'accompagner cette évolution. (M. François Bonhomme opine.)
Ce projet d'autoroute est également un projet de territoire soutenu par les collectivités locales et les parlementaires, notamment dans le cadre du présent texte, mais aussi par le monde économique local. J'ai pu moi-même le constater en me rendant sur place, où j'ai vu de mes propres yeux l'état du chantier en cours.
L'objectif principal de cette autoroute est donc clair : désenclaver et accompagner le développement du bassin de Castres-Mazamet, et ce dans mon département d'origine, département que je connais et que j'aime.
En outre, ce projet offre un gain en termes de sécurité, avec un itinéraire cinq fois plus sécurisé que celui de la RN 126, tout en respectant les normes les plus récentes sur le plan environnemental : protection de la ressource en eau ; préservation de la biodiversité ; réglementation relative aux nuisances sonores et à la qualité de l'air, etc.
Au-delà de ce texte, la décision de justice rendue en février dernier et la jurisprudence relative à l'A69 doivent collectivement nous faire réfléchir à la meilleure manière de sécuriser juridiquement les grands projets d'infrastructures. Quoi que l'on puisse penser de cette autoroute, cela doit nous pousser à réagir pour éviter qu'une telle situation se reproduise à l'avenir.
Comment comprendre qu'une autoroute, dont la déclaration d'utilité publique (DUP) avait été validée après le rejet des recours devant le Conseil d'État, puisse voir son autorisation environnementale annulée pour défaut de raison impérative d'intérêt public majeur ? Comment accepter qu'après avoir été réalisé aux deux tiers ce projet puisse s'arrêter du jour au lendemain ?
Tel est précisément l'objet de l'amendement que nous avons déposé sur le projet de loi de simplification de la vie économique, et qui vise à caractériser le plus en amont possible des projets la raison impérative d'intérêt public majeur. J'espère que cette mesure sera adoptée par l'Assemblée nationale, lorsque cette dernière reprendra l'examen du texte, et qu'elle sera conservée dans le cadre de la commission mixte paritaire.
Au travers de cette proposition de loi, le soutien du Parlement à la réalisation de l'A69 sera, je l'espère, réaffirmé. Je rappelle que ce projet avait déjà été reconnu comme opération prioritaire d'aménagement du territoire dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités.
Il appartient en effet au Parlement d'exercer pleinement les prérogatives que lui confère notre Constitution, dans le respect de l'État de droit. Aussi, je tiens à saluer le travail réalisé par les parlementaires concernés par cette autoroute. Votre implication et votre engagement confirment ce que j'ai déjà évoqué : c'est un projet de territoire défendu et souhaité par l'immense majorité des acteurs locaux.
Néanmoins, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, je ne souhaite interférer ni dans la procédure juridictionnelle en cours ni dans le travail parlementaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.) Dans ce contexte juridictionnel spécifique, le Gouvernement s'abstiendra de prendre position sur cette proposition de loi, laissant au Parlement l'entière liberté de ses travaux.
Le Gouvernement a défini un axe de travail clair pour les jours et les semaines qui viennent : obtenir le sursis à exécution, puis un jugement favorable en appel, pour que le chantier puisse reprendre au plus vite et être achevé.
M. Philippe Folliot. Très bien !
M. Philippe Tabarot, ministre. Si nous ne pouvons qu'accueillir positivement un vote favorable de votre part, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a vocation à agir via la voie judiciaire pour obtenir gain de cause, pour faire valoir cette juste cause. Aussi, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi, ainsi que sur les amendements qui seront discutés aujourd'hui.
La conviction du Gouvernement de la nécessité d'achever la construction de cette autoroute n'est plus à prouver. Il se rangera donc au vote de votre Haute Assemblée sur la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et l'amendement de suppression de l'article unique, déposés par le groupe écologiste, lesquels mettraient tous deux fin à l'examen de ce texte.
Notre position sera identique concernant l'amendement du rapporteur. En revanche, nous émettrons un avis défavorable sur l'amendement par lequel le sénateur Dantec propose d'intituler ce texte : « Proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ». Cet amendement est en effet quelque peu excessif et provocateur – ce qui est très rare chez le sénateur Dantec ! (Sourires.) – envers les auteurs du texte, son rapporteur et le Gouvernement. (M. Ronan Dantec lève les bras au ciel.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte important pour nos territoires. Le Gouvernement, tout en respectant pleinement l'indépendance de la justice, continuera à défendre ce projet d'autoroute par la voie juridictionnelle, dans les jours et les semaines à venir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une série de sept décisions favorables entre 2010 et 2023, le jugement ahurissant du tribunal administratif de Toulouse, rendu en février 2025, soulève les plus vives inquiétudes.
La mobilisation qui l'a précédé, ainsi que les nombreuses contestations et recours nous invitent à réfléchir sur la faisabilité des futurs grands projets. Aujourd'hui, les autoroutes A69 et A680 sont concernées ; demain viendra le tour de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse, dont les opposants ont fait savoir qu'ils souhaitaient que la justice s'inspire de la décision contestée.
Mme Monique de Marco. En effet !
M. Pierre Médevielle. Que pourrons-nous entreprendre à l'avenir ? Plus aucun chantier d'ampleur, plus aucun projet d'envergure ne sera possible.
M. Philippe Folliot. Hélas !
M. Pierre Médevielle. Pourquoi pas plus d'usines, plus d'industries, plus d'agriculture ? Voulons-nous des champs de ruines, comme le souhaitent les « écolos-bobos » ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Sourires sur les bancs des commissions et du Gouvernement.)
La protection de l'environnement et de la biodiversité est certes fondamentale, mais le développement économique et social, l'attractivité de nos territoires, la circulation et les échanges le sont tout autant. Ne les opposons pas !
Le régime de la dérogation espèces protégées, issu de la directive européenne de 1992, interdit la destruction d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats. L'autorisation d'y déroger doit dès lors répondre à des conditions strictes, et c'est aux seuls juges, dont nous ne remettons évidemment pas en cause l'indépendance, qu'il appartient de réaliser cette balance des intérêts. De ce difficile exercice d'appréciation dépend l'avenir de grands projets structurants.
Cela étant, depuis l'affaire du « mur des cons », nous sommes en droit de nous interroger sur l'éventuelle dimension politique de telles décisions !