Mme Sophie Primas, ministre déléguée. Ce n'est pas cela !

M. Ian Brossat. Le fait est que des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes subissent tous les jours des contrôles au faciès. Vous pouvez faire semblant de croire que cela n'existe pas et mettre la tête dans le sable, mais c'est une réalité, qui nécessite que soient mises en place des politiques publiques adaptées.

Ensuite, vous nous dites qu'avec le récépissé on risque de mettre le doigt dans l'engrenage des statistiques ethniques... Or le seul responsable politique qui s'est prononcé au cours des derniers mois en faveur des statistiques ethniques, c'est Bruno Retailleau ! Il disait ainsi le 19 janvier, sur BFM, qu'il y était favorable, mais ajoutait dans la foulée : « à condition qu'elles n'engendrent pas de la discrimination positive ». (Rires sur les travées du groupe SER.) On se demande bien ce qu'elles seraient susceptibles d'engendrer dans ce cas...

Ce n'est donc pas de notre côté qu'il faut chercher les partisans des statistiques ethniques ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Bonhomme, rapporteur. Ce sujet étant le cœur du dispositif, je souhaite rebondir sur certains propos.

Vous avez évoqué, madame Narassiguin, la condamnation de l'État dans un cas de contrôle d'identité. Vous auriez pu dire, aussi, que la justice avait fonctionné en prononçant des sanctions. Il ne s'est pas rien passé !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. L'État a été condamné !

M. François Bonhomme, rapporteur. Parler de « déni » à partir d'une seule situation ayant donné lieu à condamnation, eu égard au volume des contrôles effectués, cela procède, me semble-t-il, d'une extrapolation abusive ! (Mme Corinne Narassiguin ironise.)

Vous avez déploré, par ailleurs, que l'on ne puisse pas porter plainte en cas de contrôle abusif. Je rappelle qu'il existe d'autres voies de recours et de signalement que le dépôt de plainte !

Que faites-vous de la capacité de discernement et d'appréciation des policiers et des gendarmes, qui bénéficient d'une formation initiale et continue, et qui, aux termes du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale, prêtent serment ?

Que faites-vous des plateformes de signalement existantes ?

Que faites-vous du Défenseur des droits ?

Que faites-vous, enfin, du référent qui existe dans chaque compagnie de gendarmerie, lequel est généralement un ancien gendarme qui dispose de l'expérience et du discernement nécessaires ?

Je ne vois donc pas de quel déni vous parlez !

Enfin, il est possible en dernière instance de saisir directement, pour signaler des faits de discrimination, le procureur de la République, qui sera juge de l'opportunité des poursuites.

Dans ces conditions, entretenir, comme vous le faites, l'idée qu'il existerait un déni de notre part revient à ne pas dévoiler l'entièreté du problème – mais peut-être est-ce votre objectif ?...

J'ajoute que tout contrôle d'identité est, par principe, une levée de doute, et donc une prérogative des policiers et des gendarmes, qui sont formés pour cela. Cet outil indispensable vise, dans le cadre de leur mission de préservation de la sécurité publique, à prévenir tout trouble à l'ordre public. Il convient donc de s'en tenir à une position équilibrée.

Par ailleurs, j'ai oublié tout à l'heure de citer Bernard Cazeneuve, qui ne saurait être soupçonné de dérives droitières caractérisées. En 2017, avant de quitter ses fonctions de Premier ministre, il avait donné un avis défavorable à des amendements allant dans votre sens, et ce pour les raisons que je viens d'invoquer !

Mme Corinne Narassiguin. Il a eu tort !

M. François Bonhomme, rapporteur. Il disait ainsi que l'adoption d'un tel dispositif entraînerait de potentielles dérives car, en cas de création d'un nouveau fichier, certains individus auraient recours à divers faux documents pour échapper aux contrôles.

On court après le sujet... Faisons confiance à la capacité d'appréciation et de discernement de nos forces de sécurité !

M. Jérôme Durain. C'est un boulot pour l'opposition !

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.

M. Adel Ziane. Il me semble que l'on rate la cible de ce débat en refusant de parler de l'efficacité de ces contrôles.

Puisque nous en sommes, monsieur le rapporteur, à faire de l'archéologie politique et à parler de doctrine, voire de posture, de notre police nationale, nous pouvons remonter encore davantage dans le temps.

Mme Aeschlimann a évoqué une situation vécue dans sa famille. Pour ma part, j'ai subi de nombreux contrôles dans ma jeunesse, pour une raison qui m'échappe... (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Je me souviens qu'en 1998, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avait été instaurée la « police de proximité » – une expression employée pour la première fois par Charles Pasqua en 1995. (Mme Christine Lavarde s'impatiente.)

Puisque nous évoquons nos glorieux aïeux, je rappelle que M. Pasqua avait posé la première pierre de cet édifice avec la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : « Il importe que la police retrouve toute sa place dans la cité. Renouant avec la tradition républicaine, elle doit redevenir une police de proximité, présente sur la voie publique, plus qu'une police d'ordre. »

Nous souhaitons interpeller nos collègues, au cours de ce débat, en préconisant une approche fondée sur la présence, l'écoute et la prévention, et sur des policiers visibles, connus dans les quartiers, qui agissent avec discernement pour désamorcer les tensions. Il s'agit là d'une police du lien, et non de la confrontation.

Malheureusement, cette démarche a été brutalement interrompue en 2003, lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, a voulu tourner la page d'une police dite « sociale ». Le résultat, dont nous sommes en train de parler, a été la rupture assumée avec le terrain, une vision strictement répressive, la montée d'un sentiment d'abandon et la rupture du lien de confiance – pas seulement dans les quartiers, il faut en prendre conscience ! – entre la police et la population.

Tel est l'élément que je souhaitais apporter, monsieur le rapporteur, à l'archéologie politique que vous avez déroulée.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quinquies et 3 rectifié bis.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 284 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 224
Contre 117

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 3 est supprimé.

Article 4

Le premier alinéa de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'enregistrement audiovisuel de leur intervention est obligatoire lorsqu'ils envisagent de procéder à un contrôle d'identité dans les conditions prévues aux articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale. »

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, sur l'article.

Mme Corinne Narassiguin. L'article 4 vise à instaurer l'obligation d'utiliser une caméra mobile lors des contrôles d'identité.

Les policiers ont aujourd'hui la possibilité de se servir d'une caméra-piéton lors d'un contrôle d'identité, mais on leur donne l'option de le faire uniquement lorsque les choses se passent mal.

La situation est la suivante : très peu de recours sont exercés contre les contrôles abusifs en l'absence de remise de récépissé, donc de preuve du contrôle. Et lorsque l'on souhaite obtenir, dans le cadre d'un recours, l'enregistrement vidéo, on explique que la caméra n'a pas été déclenchée, qu'elle n'a pas fonctionné, que la batterie était à plat ou que les images n'ont pas été conservées...

Il convient donc d'inscrire dans la loi l'obligation d'enregistrer en totalité le contrôle d'identité : dès lors qu'un policier ou un gendarme décidera d'effectuer un contrôle, il devra déclencher sa caméra, avant même de s'approcher de la personne concernée. Ainsi, la totalité de l'interaction sera enregistrée, ce qui permettra de protéger, également, les policiers.

La relation entre les forces de police et la population s'est détériorée. Des jeunes sont parfois contrôlés cinq fois en l'espace d'une seule semaine, quand ce n'est pas dans une même journée, si bien qu'il peut arriver qu'ils soient exaspérés et qu'ils adoptent des comportements agressifs à l'égard des policiers.

Si ces derniers accomplissent très bien leur travail et se comportent bien, il faut que cela puisse être enregistré, y compris pour les protéger eux-mêmes. L'enregistrement vidéo sert donc à la fois à les protéger, je le redis, et à détecter les contrôles abusifs.

Nos collègues de droite viennent de rejeter la mise en place d'un récépissé. Nous nous replions donc sur un autre dispositif, celui des caméras-piétons, pour assurer la traçabilité des contrôles d'identité, ce qui est d'ailleurs un engagement de la France auprès du Conseil de l'Europe.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l'article.

Mme Colombe Brossel. Il est très désarmant de voir la mécanique qui se met en place devant nos yeux. La droite sénatoriale n'a pas voulu du récépissé – dont acte ! Toutefois, la stratégie consistant à défendre des amendements de suppression sur chacun des articles la conduit à voter contre des dispositifs, souvent de bon sens, dont elle a elle-même demandé la mise en œuvre !

Notre collègue Corinne Narassiguin l'a rappelé à l'instant, l'activation d'une caméra-piéton par les policiers et les gendarmes lors des contrôles d'identité est la meilleure manière d'assurer leur protection.

Avant de me rendre en séance, j'ai relu les arguments qui ont été développés au cours de débats parlementaires récents par nos collègues de l'Union Centriste et du groupe Les Républicains, notamment en faveur de la possibilité pour la police des transports de disposer de caméras-piétons.

De nombreuses questions écrites ont été posées par les sénateurs de droite pour demander l'extension des dispositifs d'enregistrement vidéo, que ce soit pour les agents des centres pénitentiaires ou les pompiers, l'augmentation du nombre de caméras-piétons ou encore la poursuite de l'expérimentation dans les transports.

J'ai lu attentivement les arguments invoqués par la droite pour rejeter la présente proposition de loi. Hormis le fait qu'un dispositif d'enregistrement vidéo ne serait pas conforme à la jurisprudence constitutionnelle, « il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises ».

Il se trouve que ces arguments n'ont pas été beaucoup développés par nos collègues du centre et de la droite lorsqu'ils demandaient l'extension du périmètre ou du champ des métiers concernés par les dispositifs d'expérimentation.

Je vous appelle à rester sérieux, mes chers collègues. Vous ne voulez pas voter pour cette proposition de loi, soit ! Mais ne faites pas semblant de trouver des arguments raisonnables lorsque vous votez déraisonnablement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l'article.

M. Patrick Kanner. Je tiens à remercier nos collègues de droite, car ils m'ont fait rajeunir de huit ans. (Mme la ministre déléguée rit.) En effet, nous avions eu les mêmes débats lors de l'examen de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté.

Bien que vous ayez voté contre ce texte, nous avons avancé. Nous avons notamment lancé, avec Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, l'expérimentation des caméras-piétons. Elle a été officiellement mise en œuvre par un décret du 25 avril 2017. L'objectif poursuivi a été rappelé par mes collègues : il s'agissait de sécuriser la relation entre les citoyens et la police dans le cadre de ses missions de contrôle.

Je poserai une question très simple à Mme la ministre et à ses amis du « socle commun » : que s'est-il passé depuis 2017 ? L'expérimentation que je viens d'évoquer a-t-elle été évaluée ? Avez-vous donné aux policiers les moyens nécessaires pour qu'ils disposent d'outils qui soient à la fois de qualité – on peut penser au développement de l'intelligence artificielle – et en nombre suffisant ?

J'entends vos remarques sur le récépissé ; nous avions eu les mêmes discussions il y a huit ans. Néanmoins, à l'époque, il existait un consensus sur l'utilisation des caméras-piétons, leur systématisation et leur finalité.

Selon moi, un policier qui sort de sa voiture doit enclencher immédiatement sa caméra-piéton, sous peine de sanctions, sans quoi la relation de confiance avec les citoyens ne peut être assurée.

C'est une solution que nous devons envisager, mes chers collègues, même si j'ai bien compris que nous n'allions pas vous convaincre aujourd'hui. L'objectif est qu'il n'y ait plus aucun contrôle au faciès parmi les dizaines de millions de contrôles effectués chaque année. Un contrôle aux faciès, c'est un contrôle de trop !

J'espère au moins que la droite sénatoriale se montrera bienveillante à l'égard de l'article 4, même si elle demande un vote par scrutin public.

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Haye, Mmes Guidez et Herzog, MM. Bonneau et Canévet, Mmes Billon, Gacquerre et Patru, M. Levi et Mmes Romagny, Perrot et de La Provôté, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu'ils envisagent de procéder à un contrôle d'identité dans les conditions prévues aux articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, l'enregistrement audiovisuel de leur intervention est réalisé sauf contrainte technique ou danger imminent. »

La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Je pense que nous partageons tous l'ambition de la vérité, de la confiance et de la protection. Ce sont des points essentiels auxquels concourent très efficacement les enregistrements vidéo, pour toutes les forces de sécurité, quelles qu'elles soient.

Le dispositif de caméras mobiles est d'ailleurs généralement bien accueilli par les policiers et les gendarmes, qui y voient un moyen de se protéger contre les violences dont ils peuvent être la cible.

Cependant, dans certaines situations, il peut être extrêmement difficile, voire impossible d'utiliser une caméra, si tant est que tous les agents en soient équipés : je pense aux contrôles non anticipés, aux pannes techniques ou même à l'attention que peut parfois faire naître la simple activation d'un enregistrement vidéo. C'est un vrai problème, qui est loin d'être évident.

Voilà pourquoi il convient de privilégier une formulation plus souple qui incite à l'usage de la caméra autant que possible – encore une fois, il ne s'agit ni d'interdire ni de contraindre à utiliser ce genre de dispositif dans toutes les situations –, en tenant compte de la complexité et de la réalité du terrain.

Cela permettrait de préserver la finalité du dispositif, tout en évitant d'exposer les forces de l'ordre à une insécurité juridique injustifiée en cas de non-enregistrement motivé par des circonstances objectives.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Bonhomme, rapporteur. Je comprends naturellement l'intention poursuivie par notre collègue. Il souhaite préciser les conditions de mise en œuvre du dispositif prévu à l'article 4, qui prévoit en l'état l'activation systématique de caméras-piétons lors des contrôles d'identité.

Néanmoins, cet amendement ne permettrait pas de lever l'ensemble des difficultés.

En effet, sur le plan juridique, l'obligation d'enregistrer une intervention pourrait créer de nouvelles fragilités de procédure, dans le cadre des suites judiciaires données aux contrôles.

M. François Bonhomme, rapporteur. Le fait de ne pas déclencher de manière systématique un enregistrement pourrait être invoqué pour annuler une procédure judiciaire.

M. François Bonhomme, rapporteur. Bien sûr que si ! J'insiste, une systématisation créerait ce genre de fragilité.

Par ailleurs, il faut prendre en compte un autre élément, qui n'est pas d'ordre juridique : l'activation des caméras individuelles n'est pas toujours synonyme de désescalade. Dans certains cas, elle peut au contraire envenimer les tensions.

Encore une fois, il est préférable de s'en remettre au discernement et à l'appréciation des forces de sécurité, qui sont formées pour affronter des situations critiques. En effet, ce sont elles qui sont amenées à exercer des contrôles dans des conditions particulières, dans certains quartiers.

M. Patrick Kanner. Il faut un cadre !

M. François Bonhomme, rapporteur. Faisons-leur confiance et évitons de faire peser une suspicion permanente sur la nature des contrôles, conduisant à reprocher aux forces de l'ordre un usage déréglé ou dévoyé de leurs pouvoirs.

Mme Cathy Apourceau-Poly. C'est pourtant souvent le cas !

M. François Bonhomme, rapporteur. Il est tout à fait paradoxal de vouloir lutter contre un risque de dérive, tout en l'alimentant de façon indirecte par de telles suspicions.

Du reste, je vais vous proposer une cure de jouvence supplémentaire, monsieur Kanner : ce n'est pas huit ans en arrière qu'il faut remontrer, mais treize ans. Encore une fois, je ne sais toujours pas pourquoi vous ressortez cette proposition de loi, alors que les différents ministres de l'intérieur issus de vos rangs ont systématiquement renoncé à la mettre en œuvre ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est faux, nous avons instauré les caméras-piétons et le RIO !

M. François Bonhomme, rapporteur. Il y a une singularité dans votre démarche que je ne m'explique pas.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Sophie Primas, ministre déléguée. J'exposerai rapidement les raisons pour lesquelles le Gouvernement s'oppose à l'article 4 et à cet amendement.

Nous estimons que cet article présente un risque constitutionnel. En effet, par une décision du 20 mai 2021 relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, le Conseil constitutionnel a considéré que l'absence d'enregistrement permanent et le conditionnement du déclenchement de la caméra à des circonstances précises permettaient d'exclure un usage généralisé et discrétionnaire des caméras.

Or l'article 4 risque de porter une atteinte généralisée aux libertés individuelles, qui sont pourtant défendues par votre groupe, monsieur Kanner, comme par l'ensemble de cette assemblée.

L'amendement n° 5 rectifié va dans le même sens, si bien que le Gouvernement en demande le retrait. À défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ça ne tient pas la route…

M. Ludovic Haye. Je retire mon amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié est retiré.

Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l'article 4.

Je vous rappelle que, s'il n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur l'ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été supprimés. Il n'y aurait donc pas d'explications de vote sur l'ensemble.

Dans ces conditions, quelqu'un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l'article 4 ?

La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote sur l'article.

Mme Corinne Narassiguin. Je pressens que l'article 4 va être rejeté et qu'il n'y aura pas d'explications de vote sur l'ensemble ; voilà pourquoi je m'exprime dès maintenant.

Je veux remercier les collègues qui ont été présents pour l'examen de ce texte, quels que soient les rangs dont ils sont issus. Certes, il n'y a pas eu vraiment de surprise, mais ces discussions nous ont tout de même éclairés sur le travail qu'il nous reste à accomplir pour continuer à avancer et à faire vivre ce débat.

Monsieur le rapporteur, si nous revenons aujourd'hui à la charge, alors que les promesses qui ont été faites par le passé n'ont pas été tenues, c'est aussi parce que le besoin est encore plus criant maintenant. Je l'ai dit lors de la discussion générale, le problème s'est aggravé et il n'y a toujours pas de solution satisfaisante.

La gauche, lorsqu'elle était au pouvoir, avait commencé à mettre quelques dispositifs en place, tels que le RIO et l'expérimentation des caméras-piétons. Toutefois, ils restent très insuffisants, alors que les preuves s'accumulent sur la réalité des discriminations.

De nombreuses recommandations sont formulées non seulement par le Défenseur des droits, le Conseil national des barreaux (CNB) ou le Syndicat de la magistrature, mais aussi au sein même de la police, par l'IGPN notamment.

Tout le monde souhaite une République qui fonctionne bien et une police républicaine digne de porter ce nom, pour que tous ceux qui vivent au sein de la République s'y sentent pleinement chez eux. Notre débat d'aujourd'hui s'achève, mais ce n'est que partie remise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article 4.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 285 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 123
Contre 202

Le Sénat n'a pas adopté.

Les quatre articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population n'est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Limitation du recours au licenciement économique

Rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés, présentée par M. Thierry Cozic et plusieurs de ses collègues (proposition n° 230, résultat de travaux n° 583, rapport n° 582).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Cozic, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter cette proposition de loi visant à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés. Je tiens à remercier mon groupe qui, collectivement, a rendu possible la présentation de ce texte en séance.

Celui-ci vise à mieux encadrer la distribution de dividendes par les groupes se prévalant de difficultés économiques.

Par ce choix, les socialistes du Sénat ont choisi d'affirmer haut et fort que le marché ne peut plus tout et que la souveraineté industrielle de notre pays ne se brade plus.

Par ce choix, mon groupe a aussi décidé de mettre un terme à une contradiction que nos concitoyens ne comprennent plus et n'admettent plus : laisser de grands groupes profitables distribuer des dividendes significatifs, alors que, dans le même temps, ils ferment des sites rentables.

En outre, notre groupe a souhaité protéger nos salariés, tributaires de logiques financiarisées prédatrices qui poussent au moins-disant social permanent pour rémunérer un capital devenu insatiable.

Le présent texte vise aussi à conditionner et à encadrer les près de 200 milliards d'euros d'aides publiques généreuses qui sont versées aux entreprises chaque année.

Cette proposition de loi n'intervient pas à n'importe quel moment. Elle intervient à un moment critique pour notre économie, au moment où Michelin, Auchan, Sanofi, General Electric, Valeo, Saunier Duval, Vencorex ou MA France ferment certains de leurs sites. Et que dire d'ArcelorMittal !

La litanie des groupes procédant à des plans sociaux est vertigineuse.

À cet égard, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) évalue le nombre de destructions nettes d'emplois à plus 140 000 en 2025. Rien qu'en 2024, près de 66 000 dépôts de bilan ont été enregistrés, soit 30 % de plus qu'en 2019. C'est un record !

Ces mauvais chiffres interviennent au moment où la tectonique des plaques de l'économie mondiale est en sérieux mouvement, surtout depuis la prise de fonction du 47e président américain. Les dirigeants de nos pays européens ressemblent parfois à des croisiéristes indisposés par la houle, les mains arrimées au bastingage. Ni libre-échangiste ni réellement protectionniste : la stratégie de M. Trump est avant tout « transactionnaliste ».

Tel est le monde dans lequel notre pays évolue désormais. Notre continent se trouve pris entre les deux feux de la guerre commerciale sino-américaine. En apparence, il n'a que de mauvais choix comme options : soit il perdure dans une illusoire et très unilatérale alliance avec l'oncle Sam, soit il se jette dans les bras de l'Empire du Milieu, qui entend bien faire de notre continent le déversoir du surplus de production qu'il n'aura pu écouler sur le marché américain.

Nous devons aussi être critiques vis-à-vis des conséquences du néolibéralisme sur notre pays. Il a clairement créé l'éviscération de notre base industrielle ; il a fait disparaître la logique d'investissement public qui avait guidé le projet français dans l'après-guerre ; il a exclu les travailleurs des bénéfices de la croissance.

Mes chers collègues, le politique doit reprendre la main sur l'économique. Alors que le Gouvernement parle d'austérité et que les tensions géopolitiques montent d'un cran, le fait que l'on atteigne 100 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions cette année illustre la déconnexion croissante de nos marchés.

Il nous faut le dire, le capitalisme financier dont ces groupes sont l'émanation ne vit plus sur la même planète que nous. En à peine deux décennies, à coup de rachats, de fusions et de délocalisations, ils sont devenus des monstres. Rien qu'en 2023, trente-huit groupes du CAC 40 ont réalisé un chiffre d'affaires cumulé de 1 749 milliards d'euros, soit plus que le PIB de l'Espagne !

Ces groupes évoluent dans un environnement financiarisé qui leur est favorable. Plus que la généreuse politique de l'offre, c'est la politique d'attractivité qui leur est destinée. Tout est fait pour favoriser des taux de profit élevés qui garantissent des rendements importants de capital, susceptibles d'attirer les investisseurs étrangers.

Les réformes n'ont cessé de s'additionner en ce sens depuis huit ans : baisse de la fiscalité sur les sociétés, suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), flat tax sur les revenus du capital, fiscalité allégée pour les expatriés étrangers.

Une telle débauche de moyens pourrait au moins avoir des résultats concrets et tangibles sur l'emploi. Or il n'en est rien. En dépit des autosatisfecit du Président de la République, l'emploi dans l'industrie française a chuté, passant de 16,4 % à 15,5 % depuis 2017.

En revanche, il est une chose qui n'a pas baissé, ce sont les dividendes, +46 %, et les opérations de rachats d'actions, +286 %.

Nos concitoyens ne peuvent plus comprendre qu'une entreprise comme Michelin décide de supprimer 1 254 emplois, tout en reversant, l'année passée, 1,4 milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires. Il y a là une contradiction qui défie la logique économique la plus élémentaire. En 2019, chez Michelin, un euro sur cinq de profit était dirigé vers les actionnaires. En 2023, c'était un euro sur deux.

Il est désormais clair que la rémunération du capital obère les salaires et l'investissement et nous jette dans une course au moins-disant social que seuls les salariés paient en bout de chaîne.

Alors, qu'on ne vienne pas nous dire que l'article 1er a un effet spoliateur ! Il vise logiquement à interdire aux entreprises d'au moins 250 salariés d'avoir recours au licenciement économique quand, dans l'année écoulée, elles ont distribué des dividendes, des stock-options ou des actions gratuites ou procédé à des opérations de rachat d'actions.

Comment croire que cet article détournerait les investisseurs de notre pays, alors que, en 2024, on y a consacré 100 milliards d'euros pour des dividendes et des rachats d'actions, soit un record historique en Europe ?

Ce n'est pas un hasard si le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) connaît une hausse constante depuis 2022 et qu'il a notamment crû de 30 % entre 2023 et 2024. Pourtant, en 2022, 25 % des entreprises ayant procédé à ces plans affichaient une rentabilité positive.

Nous vivons un moment de transformation économique qui exige de se positionner dans un marché ouvert et concurrentiel de plus en plus soumis aux logiques prédatrices. Laisser faire, c'est continuer à éventrer notre industrie.

Enfin, au travers de cette proposition de loi, nous entendons non seulement agir sur la redistribution du capital, mais aussi sur l'allocation des ressources publiques de la production.

Ainsi, l'article 2 interdit tout versement d'aides publiques pour trois ans en cas de licenciement économique qualifié d'abusif. Il prévoit également le remboursement de ces aides, lorsque le licenciement pour motif économique est jugé sans cause réelle et sérieuse.

La commission d'enquête sénatoriale lancée sur l'initiative de nos collègues communistes montre que les aides publiques aux entreprises sont désormais hors de contrôle. Les subventions directes, les dégrèvements fiscaux et les niches sociales représentent 300 milliards d'euros d'aides publiques versées chaque année aux entreprises. Ce montant est trois fois plus important que dans les années 2000.

En 1980, nous subventionnions les entreprises privées à hauteur de 10 milliards d'euros par an, contre au moins 200 milliards d'euros en 2024.

Le capitalisme du XXIe siècle est définitivement globalisé et financiarisé. In fine, il déstabilise les chaînes de production de notre pays.

La rentabilité des marges n'étant pas suffisante, les grands groupes recourent à des PSE reconnus comme abusifs. Ce faisant, ils délocalisent dans les pays de l'Est, alors même qu'ils ont bénéficié de généreuses aides publiques.

Cette situation, là aussi contradictoire, doit cesser. Tel est le sens de l'article 1er.

Je sais que cette assemblée toute entière est concernée par le combat pour la souveraineté de notre industrie et la protection de nos salariés.

Mes chers collègues, il y a deux jours, un journaliste me faisait part des maigres chances que notre proposition de loi soit adoptée, estimant que nous l'avions surtout déposée pour le symbole. Je lui ai répondu qu'il avait tort, car, aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous satisfaire de symboles. Nous avons besoin de concret : nos salariés le demandent et en appellent à notre protection.