Nous devons interroger la reconfiguration des rapports entre capitalisme financier et démocratie, d'autant que nous savons combien le sentiment de divorce entre les deux nourrit les pires populistes.
« La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté », disait Romain Rolland. Je me reconnais pleinement dans cette citation : en matière économique, il n'y a pas de fatalité, et l'histoire est faite de choix.
Aujourd'hui, vous avez le choix, mes chers collègues. Soit vous maintenez le statu quo et vous laissez des groupes financiers continuer à traiter nos salariés comme des charges à rationaliser, soit nous changeons enfin les choses et nous envoyons un signal fort aux grands groupes. Ils comprendront ainsi que la rentabilité du capital ne peut plus se faire sur le dos des salariés.
La France n'est pas à vendre, pas plus que ses salariés. Cette proposition de loi a au moins le mérite de le dire franchement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Monique Lubin, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic entend limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés. La multiplication des PSE, qui n'épargne pas un seul de nos départements, appelle à une action rapide et déterminée du législateur pour éviter certains abus provenant souvent de grands groupes.
Avant d'en venir aux dispositions de la proposition de loi, permettez-moi de rappeler brièvement le cadre légal actuel et ses failles. Le licenciement pour motif économique permet une rupture du contrat de travail pour des circonstances qui sont extérieures au salarié : les « raisons économiques ».
Progressivement, ces critères qui légitiment le licenciement ont été précisés par le juge, puis codifiés par le législateur. Ils sont aujourd'hui au nombre de quatre.
Commençons par le critère le plus commun, puisqu'il a été invoqué par 46 % des entreprises ayant engagé un PSE en 2024, celui des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise. Ces difficultés sont définies par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique de l'entreprise : baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, perte d'exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation.
Suivent des raisons plus générales qui correspondent aux mutations technologiques se traduisant par une transformation de l'emploi ou encore un critère touchant à la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. Ce dernier critère, offrant plus de souplesse, est particulièrement invoqué par les entreprises de plus de 250 salariés.
Reste enfin la condition tenant à la cessation définitive d'activité.
Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, dite Macron, ces causes de licenciement sont appréciées au niveau du secteur d'activité commun à l'entreprise au sein du groupe sur le seul territoire national et non de l'ensemble du groupe. Ainsi, un groupe de dimension européenne ou mondiale peut être fortement rentable, tout en licenciant pour motifs économiques dans un de ses établissements français.
Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, la procédure des licenciements économiques concernant plus de dix salariés fait intervenir un PSE, dont l'objectif est de limiter les destructions d'emploi en prévoyant des actions en vue du reclassement interne et externe des salariés ou favorisant la reprise de toute ou partie des activités de l'entreprise. En pratique, toutefois, les PSE validés ou homologués par l'administration aboutissent à un licenciement pour 63 % des salariés concernés.
Nous assistons à une hausse inquiétante du nombre de PSE et de licenciements économiques en France : selon les informations de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), le nombre de PSE a augmenté de 30 % de 2023 à 2024, et déjà cent vingt-neuf procédures ont été déclenchées entre le 1er janvier et le 28 février 2025.
Le constat est sans appel : plus de 77 000 emplois risquent d'être supprimés au titre des PSE validés en 2024 et les prévisions de l'Insee indiquent que cet étiage devrait être dépassé en 2025. Or nous savons qu'il est beaucoup plus ardu pour un travailleur de retrouver une activité dans un bassin d'emplois sinistré à la suite d'un PSE.
Dans ce contexte difficile, le code du travail, allégé par les réformes de 2016 et de 2017, s'avère inadapté pour caractériser les difficultés économiques justifiant le recours aux licenciements. Certaines attitudes des entreprises paraissent ainsi intolérables, mais sont pourtant légales en l'état du droit ; certaines opérations, notamment d'ordre financier, choquent l'opinion publique et les salariés quand elles sont réalisées par les entreprises dans un temps proche de licenciements collectifs.
Des organisations syndicales entendues lors des auditions ont souligné que la capacité à distribuer des dividendes, parfois de façon massive, ou à poursuivre un programme d'actionnariat salarié en faveur des dirigeants, peut légitimement être considérée comme signalant l'absence de difficultés économiques réelles. Ces opérations devraient donc naturellement faire obstacle au recours à un licenciement économique.
Cette logique peut être étendue à d'autres critères, à commencer par le fait d'avoir bénéficié d'aides publiques telles que le crédit d'impôt recherche (CIR), voire d'exonérations de cotisations patronales, consenties afin de soutenir la compétitivité.
Permettez-moi d'appeler votre attention sur quelques exemples, sans volonté de stigmatiser, qui accréditent le constat selon lequel le droit du travail doit être renforcé.
Le groupe Michelin a annoncé un PSE tendant à la suppression de 1 254 emplois sur les sites du Maine-et-Loire et du Morbihan, après avoir versé 1,4 milliard d'euros à ses actionnaires en 2024.
De même, Sanofi entend supprimer plus de 330 postes, alors que le groupe a bénéficié de plus de 100 millions d'euros de crédit d'impôt recherche, a versé près de 4,04 milliards d'euros de dividendes en 2023 et a procédé à 600 millions d'euros de rachat d'actions.
Enfin, plus récemment, les salariés d'ArcelorMittal ont appris l'entrée en négociation d'un PSE concernant 637 emplois, alors que l'entreprise a distribué en moyenne chaque année 200 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires durant les dix dernières années.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui entend précisément répondre à ces incohérences.
L'article 1er interdit le recours au licenciement économique pour les entreprises d'au moins 250 salariés qui ont, durant leur dernier exercice comptable, procédé à une distribution de dividendes ou à une opération d'attribution d'actions gratuites ou de rachat d'actions. Le recours au licenciement économique serait également rendu impossible lorsque, dans les mêmes bornes temporelles, l'entreprise aurait réalisé un résultat positif, bénéficié du CIR ou des allégements généraux de cotisations patronales.
L'article 2 prévoit en conséquence une sanction pour l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant de certaines aides publiques, comme le CIR ou les allégements dégressifs de cotisations sociales. Il s'agit ainsi de dissuader les entreprises de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, alors que le plafonnement des indemnités de licenciement par les ordonnances Macron de 2017 a réduit le risque encouru pour les employeurs fautifs.
Les contempteurs de cette proposition de loi ne manqueront pas de crier à l'administration de l'économie et à l'interdiction des licenciements économiques.
Permettez-moi de répondre par avance à quelques critiques. Il ne s'agit nullement d'administrer les entreprises. Une telle disposition, concernant le licenciement économique, a existé en France, mais ce texte ne revient pas au droit antérieur à la loi du 3 juillet 1986 relative à la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, qui concernait ces motifs économiques. À titre personnel, j'étais d'ailleurs favorable à ce dispositif d'autorisation préalable.
Il ne s'agit pas non plus d'interdire ces licenciements. Cette proposition de loi ne nie pas l'importance, pour les entreprises qui rencontrent de réelles difficultés, de pouvoir procéder à des licenciements et de ne pas s'entêter dans une activité condamnée à être non rentable ; elle cible les seules entreprises non vertueuses, afin d'opérer une mise en cohérence, voire une moralisation de leurs actions.
Les opérations financières concernées peuvent répondre à des besoins des entreprises ou être utilisées au bénéfice des salariés. Pour autant, dès lors qu'une entreprise les met en œuvre, convenons que l'on ne saurait considérer qu'elle rencontre des difficultés économiques.
Plus fondamentalement encore, l'encadrement proposé relève d'une forme de justice.
De même que les bénéfices font l'objet d'un partage de la valeur au sein de l'entreprise, les risques d'une activité économique doivent être supportés équitablement par les salariés et par l'actionnariat en cas de plan de redressement. Or lorsqu'un PSE est mené conjointement à une distribution de dividendes pour les actionnaires, les efforts sont répartis de manière manifestement déséquilibrée.
Cet encadrement permettrait également de limiter les cas, certes rares, dans lesquels le licenciement économique est utilisé comme un levier pour accroître à court terme la valorisation financière de l'entreprise, sans lien avec une activité économique pérenne, c'est-à-dire les licenciements boursiers au sens strict.
L'intérêt de cette proposition de loi est donc réel et la mise sous condition qu'elle propose est équilibrée. Les licenciements économiques resteront possibles et seuls les excès de certains groupes seront empêchés.
Bien entendu, les mécanismes prévus ne permettront pas de répondre à l'ensemble des enjeux soulevés par la recrudescence des PSE. Il ne s'agit que d'une pierre dans le chantier de rééquilibrage du droit du travail en faveur de la protection des salariés.
Pour l'ensemble de ces raisons, j'ai proposé à la commission des affaires sociales de soutenir cette proposition de loin, mais elle ne l'a pas adoptée, sa majorité considérant qu'il était nécessaire que les entreprises puissent s'adapter aux évolutions économiques afin de rester compétitives. À titre personnel, je forme le vœu que nos débats de ce jour aboutissent à une issue différente. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée est saisie d'une proposition de loi du sénateur Thierry Cozic et de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qui vise à limiter le recours au licenciement économique dans les entreprises d'au moins 250 salariés.
Deux mesures sont prévues : d'une part, l'interdiction de procéder à un licenciement économique pour les entreprises ayant versé des dividendes, attribué des actions gratuites ou procédé à des rachats d'actions, ces trois pratiques traduisant, pour les auteurs, l'absence de difficulté économique ; d'autre part, l'obligation de remboursement des aides publiques en cas de licenciement abusif sanctionné par le juge.
Même si notre taux d'emploi reste à un niveau historiquement haut, même si notre taux de chômage est l'un des plus faibles depuis quarante ans, il est vrai que la situation de l'emploi est plus tendue.
Les licenciements économiques, qu'ils soient effectués dans le cadre ou en dehors d'un PSE, l'expliquent largement, mais ils ne constituent que la partie la plus visible de la situation de l'emploi. Moi-même, en tant que ministre du travail, et vous, dans vos départements, nous sommes confrontés aux conséquences de ces suppressions d'emploi sur la vie des salariés et de leurs familles, ainsi que sur celle de nos territoires.
En 2024, 665 PSE ont été lancés, contre 511 en 2023, signe que la situation économique se tend. Cette hausse de 30 % doit conduire à une appréciation nuancée de la situation au regard du nombre de dossiers ouverts en 2020 à la suite de la crise sanitaire ou en 2009 – 245 dossiers – à la suite de la crise financière.
Les 665 PSE de 2024 représentaient près de 77 000 ruptures prévisionnelles de contrats, contre 55 000 en 2023. Ces deux chiffres doivent toutefois être rapprochés des créations nettes d'emploi sur ces deux années, qui s'élèvent à 107 000 en 2024 et à 262 000 en 2023.
Il convient donc de prêter attention, en examinant la situation de l'emploi, aux flux d'entrée et de sortie. Les PSE en constituent souvent la partie la plus visible, mais des créations d'emploi interviennent toujours en parallèle. Ainsi, en 2024, les PSE ont été beaucoup évoqués, à juste titre, mais dans le même temps, les créations nettes d'emplois se sont élevées à 107 000.
À ces difficultés, vous proposez de répondre par des restrictions qui ne seraient applicables qu'aux grandes entreprises, lesquelles se verraient interdire le recours aux licenciements économiques lorsqu'elles auraient distribué des dividendes, attribué des actions gratuites ou procédé à un rachat d'actions dans l'année qui précède.
Les auteurs de la proposition souhaitent également sanctionner les licenciements abusifs, en obligeant les entreprises condamnées à rembourser certaines aides publiques : le crédit d'impôt recherche (CIR) et les allégements généraux dégressifs qui se sont substitués au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) depuis 2019.
Sur cette question, si je ne partage pas l'approche des auteurs, je suis très attentive, avec Catherine Vautrin, aux travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, pilotée par les sénateurs Olivier Rietmann et Fabien Gay.
Mme Pascale Gruny. Très bien !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. La conditionnalité des aides publiques fait débat depuis plusieurs années, tout particulièrement depuis la création du CICE en 2013, dont ni le Gouvernement ni le législateur n'avaient souhaité conditionner réellement le versement.
Aujourd'hui, la proposition de sanctionner des entreprises qui sont contraintes de licencier, alors qu'elles se trouvent en difficulté, semble inadaptée.
Sur le fond, en prévoyant le remboursement des allégements généraux, ce texte expose à l'incertitude un très grand nombre d'entreprises qui bénéficient aujourd'hui d'allégements de cotisations patronales qu'il est difficile de considérer comme une subvention.
Je souhaite vous rappeler le résultat d'une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publiée à la fin de l'année dernière, qui compare la structure de financement de la protection sociale et la part des cotisations patronales et salariales dans le PIB : les cotisations patronales en France, même après allégements généraux, représentent 10 % du PIB, contre 7 % en Allemagne et dans la moyenne de l'Union européenne.
Autre difficulté, le CIR a pour objectif de soutenir les dépenses de recherche et développement des entreprises ; il semble dès lors étrange de le conditionner a posteriori à un objectif d'emploi.
Il est fait mention, dans cette proposition de loi, de moralisation. Il est vrai que certains comportements sont choquants et que certaines méthodes sont indignes. Pouvons-nous pour autant y répondre par une mesure générale rigidifiant le droit du travail applicable à tous et modifiant les critères d'appréciation des difficultés économiques qui, seules, justifient le recours aux licenciements économiques ?
Le code du travail prévoit déjà un dispositif suffisant pour éviter, sous le contrôle du juge, les licenciements économiques abusifs.
Les auteurs considèrent que la distribution de dividendes, l'attribution d'actions gratuites ou le rachat d'actions apporteraient, au fond, la preuve de l'inexistence de difficultés économiques, de la mauvaise foi et donc de l'illégitimité des licenciements économiques.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Oui, et c'est le cas !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Or le dividende est le revenu du capital, c'est-à-dire de l'investissement, alors que notre économie et nos entreprises en ont plus que jamais besoin. Le travail et les travailleurs ont besoin du capital. Rappelons-nous la phrase du chancelier Helmut Schmidt : « les profits d'aujourd'hui sont […] les emplois d'après-demain ». Nous avons besoin d'investissements pour stimuler l'emploi.
M. Thierry Cozic. Il faut investir pour cela, pas distribuer !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. La décision de licencier est rarement un jeu pour les entreprises. La notion de difficulté économique est clairement définie dans le code du travail et il serait contre-productif d'introduire aujourd'hui des critères matériels qui manquent de pertinence.
Le code du travail encadre fortement les licenciements économiques, notamment lorsque ceux-ci s'inscrivent dans un PSE, et le contrôle de l'administration est réel. Le droit du licenciement a été assoupli par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail, puis par les ordonnances de 2017, mais cet assouplissement n'a donné lieu à aucune dérive.
Pour éviter des abus, il serait contre-productif d'édicter des règles générales qui s'appliqueraient à tous et contraindraient toutes les entreprises. La réglementation du licenciement vise à limiter la destruction d'emplois, mais elle peut aussi limiter la création d'emplois, notamment la création d'un emploi stable en contrat à durée indéterminée (CDI).
Si nous voulons limiter les destructions, nous devons aussi être attentifs à la création d'emplois, comme l'indiquent les exemples que j'ai avancés concernant le nombre d'emplois détruits par les PSE, alors que le solde net de créations d'emplois reste positif.
L'année 2025 pourrait être plus difficile que 2024. La faiblesse de la croissance et les nombreuses incertitudes vont emporter des conséquences sur les entreprises, qui vont moins créer d'emplois et en détruire plus.
Les services du ministère sont mobilisés pour apporter les meilleures réponses, pour veiller à la qualité des PSE et pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés sans nuire à l'emploi, notamment grâce au dispositif de l'activité partielle de longue durée (APLD) rebond, que vous avez voté en début d'année dans le cadre du projet de loi de finances.
Les PSE ne comportent pas que des licenciements économiques ; ils sont souvent mixtes, ou phasés avec des départs volontaires. L'objectif est de privilégier la continuité salariale et professionnelle, en protégeant les salariés et en mobilisant les dispositifs adaptés.
C'est pourquoi, avec Catherine Vautrin, nous avons demandé aux partenaires sociaux de se remettre autour de la table pour une négociation interprofessionnelle visant à changer de braquet et à simplifier, à rendre beaucoup plus opérationnels, les dispositifs de transition et de reconversion, qui sont utiles et qui seront fortement mobilisés dans la période qui vient.
Si la négociation aboutit à un bon compromis, son résultat pourrait être intégré dans le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, qui sera débattu en juin prochain.
D'autres actions peuvent être menées. Nous devons continuer, dans le cadre des PSE, à « challenger » les directions sur les plans de revitalisation, comme nous avons pu le faire avec Michelin ; les dispositifs d'information donnés aux comités sociaux et économiques (CSE) quant aux aides publiques disponibles doivent également être améliorés ; enfin, il faut poursuivre les discussions sur la question des compétences, au niveau des branches comme des entreprises.
Vous le voyez, nous disposons de nombreux outils, qui sont certes perfectibles, pour répondre aux conséquences des licenciements économiques. Nous y travaillons actuellement avec les partenaires sociaux.
Ces outils doivent nous permettre de faire face aux difficultés, de préférence à l'introduction dans notre droit du travail de nouvelles rigidités contre-productives, lesquelles n'existent pas dans d'autres pays, notamment d'Europe du Nord, qui ont réussi à concilier une base industrielle forte avec un niveau de protection sociale élevé.
Il me semble donc que nous pouvons faire mieux avec les dispositifs existants plutôt que d'introduire de nouvelles mesures qui nous pénaliseraient tous. (Mme Pascale Gruny applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (M. Jean-Luc Brault applaudit.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le contexte économique est marqué par une multiplication des plans sociaux.
Au deuxième trimestre 2024, plus de 20 300 licenciements pour motif économique ont été recensés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une hausse de 5 % par rapport au trimestre précédent.
Paradoxalement, une étude de l'Insee indique que près de 25 % des entreprises concernées affichent une rentabilité nette positive. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Nous observons un décalage croissant entre la situation financière des entreprises et les motifs invoqués pour licencier. Ancien chef d'entreprise moi-même, j'avoue mon étonnement vis-à-vis de ces licenciements brutaux qui déstabilisent des bassins d'emplois pourtant prospères.
Surtout, les entreprises concernées bénéficient parfois d'un soutien public important par le biais de subventions ou de crédits d'impôt. En effet, les aides publiques aux entreprises ont atteint un niveau record, bien que leur évaluation précise soit apparemment difficile. À la faveur de la commission d'enquête en cours, nous pouvons toutefois les estimer à plusieurs dizaines de milliards d'euros par an. La question de la conditionnalité de ces aides publiques est donc au cœur des préoccupations.
Il faut chercher à évaluer l'efficacité de chaque euro d'argent public injecté dans l'économie, car, si les moyens de la nation finissaient dans les mauvaises poches, ces investissements ne devraient pas être reconduits, voire devraient être récupérés.
Le texte de notre collègue Thierry Cozic avance des solutions, qui restent à évaluer. Il s'agirait ainsi, sous le contrôle de l'inspection du travail, d'interdire aux entreprises de plus de 249 salariés de procéder à des licenciements économiques si, au cours du dernier exercice comptable, celles-ci ont eu un résultat net ou d'exploitation positif, ont bénéficié d'aides publiques ou ont affecté leur bénéfice hors de la production.
J'émettrai un bémol concernant la prise en compte du résultat net. Il aurait été souhaitable de ne viser que les résultats très importants, et non juste à l'équilibre, et de tenir compte de la conjoncture économique.
L'article 2 sanctionne l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant, pour une durée maximale de trois ans, de certaines aides publiques, comme le CIR ou les allégements de cotisations sociales.
Là encore, il faudra prendre en compte le contexte de la crise économique, indépendante de la volonté du chef d'entreprise. J'ai notamment à l'esprit des cessations d'activité ou des mutations technologiques, voire l'avènement de nouveaux métiers.
Les bénéficiaires du système de soutien à l'économie peuvent être choqués par la cupidité de certains acteurs hors de contrôle. Pour être clair, il ne s'agit pas d'affecter la liberté des PME ou des entreprises en difficulté, mais, au contraire, de renforcer l'efficacité de nos investissements collectifs, de nous assurer du patriotisme économique des entreprises qui fonctionnent bien et, surtout, d'éviter d'injustes drames sociaux.
Accordons-nous sur l'objectif de préservation de notre outil productif, qui garantit le maintien sur notre sol d'une main-d'œuvre qualifiée reconnue pour son savoir-faire, dont elle assure la transmission. Je suis bien conscient, à ce titre, que le Sénat attend avec impatience les conclusions de la commission d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises que nous menons actuellement.
En somme, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) sera divisé sur ce texte et chacun de ses membres votera selon ses propres convictions.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour aller directement au cœur du sujet, cette proposition de loi est le prototype parfait d'une mauvaise réponse à une question qu'il est légitime de poser.
Tout d'abord, concernant sa temporalité, il n'est nullement surprenant que ce débat surgisse au moment même où la croissance économique devient plus faible et où, malheureusement, le chômage risque d'augmenter.
Naturellement, les questions que nous abordons se posent avec acuité en période de basses eaux économiques ; or c'est paradoxalement quand la croissance ralentit que les entreprises ont besoin de la plus grande souplesse, ainsi que l'a souligné Mme la ministre.
Je reconnais que la réalité économique est rude par nature, mais lorsque l'on connaît l'entreprise, on sait que, parfois, les mesures de gestion et donc, en dernier recours, les licenciements économiques sont indispensables, sous peine de sacrifier l'avenir.
Une entreprise, si elle veut durer et pérenniser ses emplois, se doit d'être compétitive, je dirais même profitable. La profitabilité lui apporte la garantie de préserver sa capacité d'investissement, mais aussi son employabilité et sa capacité d'embaucher ; la profitabilité, ce n'est pas le diable, mes chers collègues.
Abordons la question de fond du principe du licenciement économique, puisque c'est de cela qu'il s'agit, au moins pour les entreprises de plus de 249 employés.
Bien sûr, il existe des exceptions, de vilains petits canards, mais, pour une énorme majorité d'entrepreneurs, le licenciement économique est la mesure de gestion ultime pour plusieurs raisons : des raisons morales, car les chefs d'entreprise savent que cela concerne des personnes et des familles ; mais aussi pour des motifs d'efficacité, car ils savent tous que la richesse d'une entreprise repose sur ses salariés, que son capital social est son savoir-faire. Les dirigeants inspirés ont donc naturellement une forte volonté de le préserver.
Pour autant, renoncer, ou retarder, des mesures de gestion, et donc des licenciements économiques, revient à fragiliser l'entreprise et à rendre son futur incertain.
À certaines périodes de notre histoire récente, des gouvernements proches de vos convictions se sont risqués à adopter des dispositions de ce type. Sans me livrer à de l'archéologie politique, je note qu'ils ont souvent dû revenir en arrière et que, en définitive, le fait de repousser les mesures de gestion a, au mieux, retardé les échéances et, au pire, entraîné la disparition de certaines entreprises. De plus, ces mesures ont même parfois coûté très cher à l'État, aux pouvoirs publics et donc aux contribuables.
Encore une fois, il ne s'agit pas ici de défendre un libéralisme brutal et inhumain, mais plutôt de nous inspirer du modèle rhénan – je le cite souvent. En Allemagne, le paritarisme et la discussion entre partenaires sociaux accompagnent les décisions des entrepreneurs, qui sont partagées, qu'il s'agisse des licenciements, quand la conjoncture est défavorable, ou des investissements et des embauches, quand la croissance est là et que l'entreprise se développe.
Comprenez bien qu'il ne s'agit pas pour le groupe Union Centriste (UC) de considérer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes économiques possible. Pour autant, la solution n'est pas d'interdire les licenciements économiques ou de les retarder, fût-ce pour les entreprises de plus de 249 salariés.
En revanche, la nécessité d'humaniser autant que faire se peut les mesures de gestion indispensables apparaît comme un objectif légitime. À nos yeux, cela ne passe ni par les normes ni par une législation plus contraignante, mais par un paritarisme refondé et par un dialogue social confiant et approfondi.
J'ajoute une dernière remarque pour faire le lien avec l'actualité : il ne s'agit pas non plus pour nous de considérer que les pouvoirs publics n'ont rien à faire en matière d'économie ou d'industrie.