Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Olivia Richard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue l’aboutissement d’un long processus politique de réflexion et de négociation entre les représentants de la collectivité de Corse, les responsables de la CCI de Corse et l’État.
Il a pour principal objectif de rattacher la chambre de commerce et d’industrie de Corse à la collectivité insulaire. À cette fin, il prévoit la création d’un établissement public sui generis ayant vocation à reprendre l’ensemble des missions de la CCI de Corse et placé sous la tutelle de la collectivité.
Lorsque nous l’avons reçu en audition, le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse, Gilles Simeoni, a souligné l’importance de ce travail, tant du point de vue institutionnel que du point de vue humain. Il a insisté sur l’aspect stratégique que revêtait pour la Corse cette étape décisive.
Permettez-moi, mes chers collègues, de saluer sa présence en tribune, ainsi que celle du président de la CCI, Jean Dominici et de son directeur général, Philippe Albertini. La présidente de l’Assemblée de Corse et des représentants des syndicats de personnels sont également présents. Si nous en doutions, l’importance capitale de ce projet de loi pour la Corse se trouve ainsi confirmée.
La Corse est dignement représentée dans cet hémicycle. Je salue et remercie ses deux sénateurs, Paul Toussaint Parigi et Jean-Jacques Panunzi, qui m’ont guidée et éclairée tout au long de mes auditions. Les routes corses sont très belles, mais elles peuvent être sinueuses. (Sourires.) Leurs avis m’ont été précieux ; qu’ils en soient remerciés.
Il me faut également souligner la volonté d’aboutir du ministre François Rebsamen, dont l’engagement dans ce processus a été salué par les acteurs intéressés. Je l’en remercie également.
Ce texte a vocation à permettre à la collectivité de confier au nouvel établissement la gestion des ports et des aéroports de l’île, sans mise en concurrence préalable. Avant d’aborder plus en détail le contenu du projet de loi et les modifications apportées par la commission, permettez-moi de revenir brièvement sur sa genèse et son cheminement.
Depuis la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, la collectivité de Corse dispose de larges compétences en matière de développement économique et de continuité territoriale. En application de ce même texte, elle est également devenue propriétaire des principales infrastructures portuaires et aéroportuaires de l’île.
En 2005 et 2006, elle a fait le choix d’en concéder la gestion à la CCI de Corse, et cela pour une durée initiale de quinze ans. Actuellement, plus de 90 % des activités de la CCI de Corse sont liées à la gestion des ports et des aéroports, qui mobilise la quasi-totalité des plus de mille agents employés par l’établissement.
À compter de 2018, la collectivité de Corse est devenue une collectivité unique exerçant à la fois les compétences des régions et celles des départements. S’est ensuivie une réflexion sur l’évolution institutionnelle du réseau consulaire de l’île, afin que celui-ci corresponde au mieux aux institutions publiques locales.
L’article 46 de la loi Pacte de 2019 a alors posé le principe d’une telle réflexion politique et juridique, en prescrivant la conduite d’une étude conjointe entre la collectivité, l’État et les chambres consulaires. Cette étude, publiée en 2022, préconisait à titre principal une absorption de la CCI de Corse et de la chambre régionale des métiers et de l’artisanat au sein d’un établissement public placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.
Si, jusqu’alors, la réforme envisagée n’avait pas encore trouvé de traduction législative, une échéance de court terme est venue accélérer le processus : la fin des contrats de concession conclus avec la CCI. En effet, ceux-ci ont déjà été prolongés à deux reprises : une première fois au 31 décembre 2024, puis, dans l’attente de l’évolution législative permettant la modification institutionnelle escomptée, une seconde fois au 31 décembre 2025.
Si ce projet de loi n’entrait pas en vigueur avant cette échéance, une mise en concurrence deviendrait nécessaire pour le renouvellement des contrats de concession, dans un délai extrêmement contraint. Ce n’est évidemment pas envisageable, tant la maîtrise du tourisme et des importations sont synonymes de liberté pour la Corse.
J’en viens au contenu du projet de loi, auquel la commission a apporté plusieurs ajustements.
L’essentiel du dispositif est prévu par l’article 1er, qui détermine les missions, les ressources financières, le statut et les institutions représentatives du personnel de l’établissement public. En ce qui concerne les ressources financières et les missions de cette nouvelle structure, l’article s’inspire très largement des dispositions du code de commerce applicables à l’ensemble des CCI régionales.
Le nouvel établissement exercera ainsi les mêmes fonctions qu’une CCI classique, à commencer par sa mission générale de représentation des intérêts des secteurs professionnels auprès des pouvoirs publics. En parallèle, l’article 3 confie au président de l’établissement la compétence en matière de délivrance des cartes professionnelles d’agent immobilier.
En outre, la nouvelle personne morale bénéficiera des mêmes ressources que la CCI de Corse, à commencer par la fraction de la taxe pour frais de chambre, qu’elle percevra grâce à son intégration au réseau CCI France, prévue à l’article 2. Je précise que cette mesure impliquera une modification du code général des impôts (CGI) dans la prochaine loi de finances.
Concernant le statut du personnel, seuls des salariés de droit privé pourront être recrutés par l’établissement, dans les conditions prévues par le code du travail.
Afin de tenir compte de la demande unanime des représentants de la CCI et de la collectivité de Corse, qui ont exprimé le souhait de conserver leur modèle de dialogue social actuel, la commission a remplacé le comité social et territorial initialement prévu par un comité social et économique de droit commun. Cette instance exercera ses attributions à l’égard de l’ensemble du personnel de l’établissement public, quel que soit son statut.
Je précise que l’établissement a vocation à reprendre les 1 026 agents actuellement employés par la CCI de Corse, ce qui portera à près de 7 000 le nombre total d’agents que comptent la collectivité de Corse et l’ensemble des agences et offices placés sous sa tutelle.
En ce qui concerne la gouvernance de l’établissement, son conseil d’administration comptera deux catégories de membres : des conseillers à l’Assemblée de Corse, qui devront y être majoritaires, afin de garantir le contrôle de la collectivité sur son établissement ; et des représentants des professionnels, désignés lors des élections consulaires de droit commun.
L’article 1er précise, à ce stade, que le président de l’établissement sera désigné par le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse parmi les membres de ce même conseil exécutif.
Pour finir, l’article 4 du projet de loi comporte des mesures transitoires destinées à sécuriser la mise en place du nouvel établissement, qui devra remplacer la CCI de Corse au 1er janvier 2026. Il prévoit notamment la reprise, par cet établissement, de l’ensemble des personnels, biens, droits et obligations de la CCI de Corse.
La commission a apporté à cet article deux modifications principales, visant à faciliter la mise en place de l’établissement.
D’une part, elle a prévu la reprise, par principe, par le nouvel établissement des différents accords en vigueur dans la CCI, en supprimant le délai de dix-huit mois initialement imposé pour leur renégociation.
D’autre part, la commission a réduit le nombre d’élus consulaires qui siégeront au conseil d’administration de l’établissement au cours de la période transitoire allant de janvier à novembre 2026, correspondant aux prochaines élections consulaires.
Alors que les quarante membres de la CCI devaient initialement y siéger, la commission a réduit cet effectif à vingt. De la sorte, la collectivité n’aura pas à désigner quarante et un élus l’Assemblée de Corse, ce qui aurait porté l’effectif du conseil d’administration à plus de quatre-vingt-un membres, avec toutes les difficultés pratiques que cela implique.
Mes chers collègues, comme je vous l’indiquais en préambule, un constat s’est imposé à la commission au cours de ses travaux : le projet de loi que nous examinons intervient à l’issue d’un long processus et fait l’objet d’un large consensus parmi l’ensemble des acteurs intéressés.
En tout état de cause, l’objectif final est de sécuriser une gestion publique des ports et des aéroports de la Corse, qui constituent des infrastructures hautement stratégiques du fait des spécificités liées à l’insularité. En effet, nul ne l’ignore, la Corse est une île.
En raison des caractéristiques économiques et géographiques de la Corse, la gestion de ces infrastructures revêt en effet une dimension stratégique indéniable. Quelques données suffisent à s’en convaincre : le secteur du tourisme représente 40 % du PIB régional, tandis que 95 % des denrées alimentaires consommées sur place sont importées.
Le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, estime ainsi qu’il est « inenvisageable que les portes d’entrée de l’île soient gérées par des entités privées ayant pour seul objectif la rentabilité de leur activité ».
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’approuver la création de ce nouvel établissement sui generis, sous réserve de l’adoption de deux amendements de la commission visant à en améliorer la gouvernance.
En premier lieu, la commission juge préférable de préciser que l’établissement pourra bien être présidé par le président du conseil exécutif de Corse ou, à défaut, par un conseiller exécutif qu’il aura désigné pour assurer cette fonction.
En second lieu, je vous présenterai un amendement dont l’objet est de permettre à certains membres du conseil exécutif de Corse d’être désignés pour siéger au conseil d’administration. Cet ajout a pour objectif d’associer à la gouvernance les présidents des agences et offices de la collectivité de Corse, dont les missions sont étroitement liées au champ d’action de l’établissement, à savoir l’Agence de développement économique de la Corse (Adec), l’Office des transports de la Corse (OTC) et l’Agence du tourisme de la Corse (ATC).
Sous réserve de ces derniers ajustements, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter le projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela ne fait pas de doute, le projet de loi que nous étudions aujourd’hui sera adopté. Il devrait emporter un consensus large sur nos travées, si ce n’est l’unanimité, et c’est une bonne chose.
Ce texte, sur lequel l’Assemblée de Corse a émis à l’unanimité un avis favorable en mars dernier, supprime la tutelle de l’État sur la chambre de commerce et d’industrie du territoire. Le groupe écologiste salue cette mesure, qui n’est toutefois selon lui qu’une première étape.
En créant un établissement public à caractère industriel et commercial, à travers un mécanisme de quasi-régie, ce projet de loi transfère les missions de la chambre de l’État vers la collectivité de Corse.
L’arrivée à échéance au 31 décembre 2025 des contrats de concessions portuaires et aéroportuaires en vigueur conclus avec la CCI a rendu nécessaire ce transfert de compétence. Celui-ci est à la fois un moyen d’entériner une évolution institutionnelle de la Corse et un impératif majeur pour que l’île conserve la gestion de ces infrastructures stratégiques et pour éviter, dans un contexte de forte dépendance de son tissu économique au tourisme et au commerce extérieur, une ouverture à la concurrence privée.
Concrètement, l’établissement créé par ce projet de loi reprendra les missions déjà exercées par la CCI Corse, en conservant – nous y serons attentifs – ses moyens, le personnel qu’il emploie et ses statuts.
Si ce texte est nécessaire, nous tenons à rappeler, en tant qu’écologistes, qu’il ne constitue qu’un premier jalon – un petit jalon – sur le chemin des engagements que nous avons pris auprès du peuple corse. Nous ne devons pas perdre de vue les enjeux globaux qui se jouent ici. Notre rôle est d’y répondre.
Un processus a été engagé avec la création de la collectivité unique en 2018. En 2019, la loi Pacte a prévu un processus global de transfert de compétences de l’État vers la collectivité de Corse. Puis, en mars 2024, un accord a été conclu dans le cadre du processus de Beauvau.
Ce processus politique global doit aboutir, et pleinement. L’accord issu du processus de Beauvau, qui a été approuvé à la quasi-unanimité par l’Assemblée de Corse, ouvre la voie à un véritable statut d’autonomie dans la République, conformément aux revendications démocratiques des Corses.
Il constitue aussi une perspective de débouché politique et démocratique pour celles et ceux qui ont choisi, en Corse, de défendre les revendications autonomistes dans le rejet de la violence et dans le respect de la démocratie. Or, en tant que responsables politiques, nous avons la responsabilité historique de garantir un tel débouché. L’État a pris des engagements, et la représentation nationale se doit d’être la garante de l’aboutissement de ce processus.
En effet, ce qui se joue ici va bien au-delà de l’évolution institutionnelle de la Corse. Il y va de la capacité de la France à faire aboutir un processus négocié, mature, qui réponde pacifiquement aux aspirations légitimes d’autonomie, y compris d’autonomie normative.
Je vis en partie en Belgique, qui est un État fédéral, et je puis vous garantir que, aux yeux de l’immense majorité des États européens, les revendications autonomistes des Corses sont tout sauf déraisonnables. En réalité, elles sont même en deçà des compétences dont disposent de nombreuses régions d’autres pays européens.
Pour que ce processus aboutisse, nous devons sortir de la politique des petits pas. Au fil des dernières décennies, la Corse s’est vue reconnaître, par tâtonnement, la possibilité de déroger au droit commun dans certains domaines très spécifiques. Sur 72 demandes d’adaptation des normes, le Gouvernement n’a répondu positivement que 13 fois.
De gros efforts de consensus ont été concédés. Nous ne pouvons pas décevoir les parties prenantes. Nous ne pouvons pas reculer. Nous ne pouvons pas faillir. Nous devons faire évoluer la République pour que puissent s’épanouir, dans le respect, les aspirations légitimes à plus d’autonomie.
Enfin, nous devrons nous montrer capables de mener à bien une réforme constitutionnelle qui réponde de manière démocratique aux aspirations populaires exprimées par les Corses, conformément aux engagements politiques de l’État.
Dans l’attente de cette réforme et d’une résolution par le haut d’une situation que nous avons tous intérêt à appréhender dans sa globalité, le groupe écologiste votera bien évidemment en faveur de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui est d’apparence technique, mais son adoption représenterait un moment important pour la Corse, « cette île, si singulière, qui résiste au temps comme aux interprétations », selon les mots de Claude Arnaud.
Ce texte est aussi important s’agissant de notre conception de la décentralisation. En créant un établissement public du commerce et de l’industrie propre à la collectivité de Corse, il donne corps à une idée forte : les territoires doivent pouvoir maîtriser les leviers essentiels de leur développement économique.
Cette réforme consensuelle est attendue depuis longtemps par les acteurs insulaires, alors que les études la concernant sont terminées depuis 2022. Elle s’inscrit à la fois dans le processus engagé en 2018 par la création de la collectivité unique de Corse et dans le processus de transfert progressif de compétences de l’État vers la collectivité de Corse, prévu à l’article 46 de la loi Pacte.
Elle répond à un besoin : doter la collectivité de Corse d’un outil adapté à ses spécificités géographiques, sociales et économiques.
L’insularité emporte indéniablement des spécificités, qui, comme l’a fait remarquer Mélanie Vogel, sont traitées de manière particulière partout en Europe. Elle entraîne des contraintes logistiques majeures et une forte dépendance à l’égard des échanges maritimes et aériens.
Je rappelle que les ports et aéroports de Corse accueillent plus de 8 millions de passagers par an, que 95 % des produits consommés sur l’île sont importés et que l’activité touristique pèse près de 40 % du PIB local. Ces réalités incontournables exigent une gestion publique cohérente et stratégique, au service de l’intérêt général.
La gestion des équipements aéroportuaires et portuaires constitue donc un enjeu crucial pour la Corse. Actuellement confiée à la chambre de commerce et d’industrie de Corse, cette mission exige une gouvernance renforcée et adaptée aux spécificités insulaires.
Aussi ce projet de loi a-t-il vocation à créer un établissement public sui generis, placé sous la tutelle de la collectivité de Corse, qui pourra gérer de manière plus directe et efficace ces infrastructures. La solution de quasi-régie qui a été retenue permet de préserver la gestion publique des ports et aéroports, sans les ouvrir à la mise en concurrence. Il s’agit donc d’une protection contre la privatisation ; c’est un choix politique fort.
Par ailleurs, la Corse souffre d’un tissu économique fragilisé, composé essentiellement de petites entreprises, d’artisans et de commerçants, qui subissent de plein fouet l’inflation et la pression foncière. La création de ce nouvel établissement est donc l’occasion de renforcer les politiques d’accompagnement, de formation et d’investissement en faveur de celles et ceux qui font vivre l’économie insulaire au quotidien. La collectivité de Corse doit assumer ce rôle.
Le schéma retenu pour la gouvernance de ce nouvel établissement est conçu pour garantir un contrôle effectif de la collectivité sur ces activités. Cette configuration est essentielle pour bénéficier de l’exception de quasi-régie, autorisant la collectivité à confier la gestion des infrastructures sans mise en concurrence préalable.
Ce schéma est à mon sens équilibré, dans la mesure où il maintient la nécessaire participation des acteurs économiques à la gouvernance, et cela dans un cadre public.
Notre soutien à ce texte s’accompagne néanmoins d’exigences. Celui-ci prévoit des mesures transitoires pour sécuriser la mise en place de ce nouvel établissement. Ces dispositions doivent garantir une transition efficace, assurant la continuité des services et, surtout, la préservation des intérêts des personnels concernés.
Comme cela a été dit, ce projet concerne plus de 1 000 agents, dont 884 salariés de droit privé, 124 agents consulaires et plusieurs apprentis.
Forcément, les personnels sont au cœur de la réussite de cette transformation. Cette réforme institutionnelle ne pourra donc pas se traduire par des pertes de droits, des incertitudes ou une dégradation des conditions de travail.
Concernant les compensations financières accordées par l’État aux collectivités dans le cas de transferts de compétences, nous constatons que celles-ci sont trop souvent incomplètes. Et vous en savez quelque chose, monsieur le ministre ! Or transférer des compétences, ce n’est pas uniquement transférer des charges.
L’Assemblée de Corse a posé des conditions fortes à son avis favorable, notamment sur cette question. Ces conditions nous semblent parfaitement légitimes.
Enfin, sur le plan de la méthode, nous regrettons que la consultation de l’Assemblée de Corse ait été menée dans des délais contraints, les contrats de concession – bien qu’ils aient été prolongés – arrivant à leur terme le 31 décembre 2025. Or une telle précipitation aurait pu être évitée, étant entendu que le rapport du cabinet EY date de 2021.
Il faut tirer les leçons de cette gestion, notamment dans la perspective des prochains projets de loi relatifs au statut de la Corse, qui, je l’imagine, seront d’une tout autre ampleur et appelleront, de ce fait, un travail collectif encore plus important.
En conclusion, ce projet de loi constitue une réponse adaptée aux défis économiques spécifiques de la Corse, qu’il faut savoir traiter de manière particulière, sans peur aucune. Il renforce la capacité de la collectivité à gérer ses infrastructures stratégiques et à œuvrer pour son développement économique. Bref, nous sommes au cœur de ce que doit être l’action d’une collectivité locale.
Ce texte est donc en phase avec notre conception de la décentralisation, où l’État fait confiance à ses territoires en leur reconnaissant, ce qui est nécessaire, leurs spécificités.
Il est également en phase avec notre conception de la gestion des infrastructures, qui ne peuvent pas être systématiquement soumises à la logique du marché et du profit de court terme. Cette même idée nous avait animés lorsque nous avons lancé une proposition de référendum d’initiative partagée contre la privatisation d’Aéroports de Paris, démarche qui s’appuyait sur l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Au vu du travail important réalisé par la rapporteure, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte, qui s’inscrit dans un souci de protection de l’intérêt général et de dynamisation du développement de l’île, qui en a tant besoin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est belle de ses différences et la Corse est indéniablement différente. Cette île se distingue par sa singularité culturelle, linguistique, mais aussi économique.
Sa singularité économique tient évidemment à son insularité – j’y reviendrai –, mais pas seulement. L’économie corse souffre de sa trop forte dépendance au tourisme, d’un tissu industriel insuffisamment moderne et développé et d’infrastructures qui ne sont pas toujours suffisamment adaptées aux besoins de son économie.
La Corse est une île, et cette insularité fait d’elle un territoire dont le développement économique sera toujours délicat, puisque les marchandises importées et exportées sont renchéries par les coûts de transport, situation que ne subissent pas d’autres territoires. La particularité de la Corse, par rapport à nos autres îles, tient en outre à son caractère très montagneux, qui rend les transports intérieurs de biens et de personnes beaucoup plus difficiles.
Cependant, la Corse a toujours su évoluer, malgré sa géographie singulière. Son secteur touristique, son artisanat et son agriculture constituent l’essentiel de son économie. Ils sont le fruit de sa culture et de ses savoir-faire gastronomiques. Pour autant, il faut le reconnaître, son commerce et son industrie ne sont pas au niveau auquel on pourrait s’attendre. Il est vrai que le développement économique et industriel n’y a pas connu aux XIXe et XXe siècles la même ampleur que dans le reste du continent européen.
Les raisons en sont multiples. J’en ai cité certaines, comme son insularité et sa géographie montagneuse. Retenons également que, si on la compare aux autres îles du bassin méditerranéen, par exemple à la Sardaigne ou à la Sicile, la Corse est d’une superficie quatre fois inférieure, ce qui n’est pas un élément facilitateur.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le développement économique de la Corse est confronté à des difficultés particulières. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi prévoit d’en confier la responsabilité aux élus de la collectivité de Corse.
L’avenir de l’économie corse doit être écrit par les Corses eux-mêmes, avec le respect dû aux écosystèmes naturels exceptionnels que cette île recèle.
L’établissement public du commerce et de l’industrie nouvellement créé sera composé d’élus de l’Assemblée de Corse et de représentants des chefs d’entreprise. Par rapport aux chambres de commerce et d’industrie classiques, c’est une révolution, puisque toutes les autres CCI de France, à l’exception de celle de la Nouvelle-Calédonie, fonctionnent sans élus des collectivités.
Ce nouvel établissement sera à la fois un levier stratégique et un outil opérationnel, que les élus et représentants des entreprises pourront utiliser afin de donner un nouveau visage à l’économie corse, en phase avec ses ambitions de développement durable.
Ensemble, et dans ce cadre, les représentants de la population et des acteurs économiques pourront définir leurs priorités économiques et accompagner les filières locales porteuses. Ils pourront construire une politique d’infrastructures au service des acteurs économiques qui soit cohérente avec l’ensemble des politiques publiques menées par ailleurs par la collectivité de Corse.
Le regain de l’économie corse est une nécessité pour assurer la pérennité de l’île de Beauté. En effet, la focalisation de son économie sur le tourisme a pour conséquence de concentrer l’emploi dans certaines zones, provoquant un exode rural depuis des décennies. L’absence d’emplois stables et suffisamment nombreux dans le reste de l’île pousse au départ la jeunesse corse, ce qui participe grandement au déclin démographique du territoire.
Ce projet de loi est l’aboutissement de plusieurs années de travaux parlementaires, puisqu’il trouve sa genèse dans la loi Pacte d’avril 2019. Il est donc temps qu’il aboutisse.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants soutiendront donc ce texte qui ajoute une pierre à l’édifice de la souveraineté économique durable de la Corse. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi.
M. Jean-Jacques Panunzi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au préalable, je tiens à saluer la présence dans nos tribunes de M. Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, de Mme Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse, ainsi que celle de M. le président de la chambre de commerce et d’industrie de Corse et de ses collaborateurs qui ont bien voulu faire le voyage. Bonghjornu a tutti – bonjour à tous !
Ce projet de loi portant création de l’établissement public du commerce et de l’industrie de la collectivité de Corse est la conséquence d’une disposition de la loi Pacte de 2019 préfigurant le transfert de la tutelle de la CCI de l’État vers la région.
Dans une île qui, par nature, est dépendante des liaisons aériennes, une telle décision n’est pas neutre et s’impose d’autant plus en l’absence de toute intermodalité dans les transports, notamment par le rail et le réseau autoroutier, contrairement à ce qui prévaut dans d’autres territoires.
Les ports et aéroports sont la propriété de la collectivité de Corse depuis la loi du 22 janvier 2002, issue des accords dits de Matignon. Depuis lors, celle-ci les a confiés à la CCI par voie de concession.
Néanmoins, ce transfert de tutelle pose un problème de gestion. L’établissement public apparaît in fine comme la meilleure manière de conserver une gestion publique et, ainsi, d’éviter, au moyen du contrôle analogue que requiert la gestion en quasi régie, que des groupes internationaux aux pratiques sociales différentes de celles qui sont en vigueur en Europe ne remportent ces marchés et ne développent en Corse une vision contraire aux intérêts qui sont les nôtres.
Avec le mécanisme dit in house, la création d’un établissement public sous la tutelle de la collectivité de Corse est donc le moyen le plus sûr d’atteindre l’objectif de maîtrise de la gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires. Et c’est là le point cardinal qui emporte mon adhésion et me conduit à inviter les membres de mon groupe, de la majorité et, au-delà, de l’ensemble de notre assemblée à se prononcer favorablement sur ce texte.
Au cours de ses travaux, la commission a acté l’allègement transitoire de l’effectif du conseil d’administration – seulement vingt représentants des professionnels, au lieu de quarante –, garantissant ainsi la présence majoritaire d’élus de la collectivité.
De même, la commission a adopté des amendements visant à permettre à des représentants du personnel d’assister au conseil d’administration avec voix consultative, à remplacer le CST initialement envisagé par un CSE, ou encore à supprimer la date butoir à compter de laquelle les conventions, accords et engagements unilatéraux cesseront de produire leurs effets.
Le nouvel établissement reprendra l’ensemble des missions, des ressources et du personnel de la CCI de Corse, et sa gouvernance sera organisée de telle sorte que soit garanti le contrôle direct de la collectivité, condition indispensable pour satisfaire au régime de quasi-régie, avec un conseil d’administration composé majoritairement d’élus de l’Assemblée de Corse et présidé par un membre de son exécutif ou par son président lui-même.
Cette formule de la quasi régie, retenue pour éviter toute mise en concurrence, a une conséquence : les représentants du monde économique se retrouveront minoritaires dans l’organe décisionnaire.
Établissement public, c’est acté, mais Épic ou EPA, monsieur le ministre ? La logique veut que ce soit un Épic.
Tout d’abord, parce que le caractère industriel et commercial est, pour le coup, avéré, ce qui permettra de maintenir le statut de droit privé des personnels. Il serait tout de même cocasse d’imposer un statut d’EPA à la CCI, qui, de toutes les agences et de tous les offices de la collectivité de Corse, a plus que toute autre vocation à être un Épic.
Ensuite, l’établissement reprendra intégralement les activités de la CCI de Corse, à commencer par la gestion des ports et des aéroports, une activité commerciale qui représente 90 % de l’activité totale de la chambre.
La position en faveur de l’EPA, défendue par le Conseil d’État, m’étonne. De fait, il est souhaitable que le Gouvernement, qui aura, par la suite, à décliner le texte de loi par la voie réglementaire, opte pour l’Épic, dans la perspective d’assurer une gestion souple et adaptée aux missions économiques de l’établissement. Le rapport de la commission se veut rassurant sur ce point.
Le texte élargit les missions de l’Épic en lui confiant des compétences en matière de soutien au développement économique, de gestion d’infrastructures et de formation professionnelle. Ces missions visent à renforcer le rôle de l’établissement dans le tissu économique local. Cependant, attention à l’articulation avec des organes existants – je pense à l’Adec – ou encore avec la collectivité de tutelle, qui exerce déjà des compétences élargies dans le domaine de la formation, par exemple.
La question financière doit faire l’objet d’une vigilance particulière : il faut éviter que l’entrée de la CCI dans le giron de la collectivité de Corse en sa qualité de dixième office placé sous l’autorité du Conseil exécutif ne se traduise par une dégradation de sa santé financière. La logique d’un chef d’entreprise diffère de celle d’un gestionnaire public.
Si l’on prend en considération le caractère particulier des concessions, qui oblige, sur le plan comptable, à tenir compte des amortissements, faussant ainsi, dans les faits, le bilan global et le résultat net, on retient surtout que la CCI dispose à ce jour de 91 millions d’euros de capitaux propres et de 55 millions d’euros de disponibilités.
Reste la question de la compensation financière par l’État des charges transférées à la collectivité de Corse. Des garanties suffisantes doivent être apportées. Or, sur ce point, je ne suis pas rassuré.
Il semblerait que cette question soit renvoyée au projet de loi de finances pour 2026, dont on sait qu’il sera élaboré dans un contexte contraint et mouvementé. On en vient même à se demander si la loi de finances sera promulguée avant le 31 décembre 2025, date à laquelle le changement de tutelle doit intervenir et le nouvel établissement public devenir opérationnel, tandis que prendront fin les concessions portuaires et aéroportuaires qui lient depuis vingt ans la collectivité de Corse, autorité concédante, à la CCI, concessionnaire.
Comme toujours, toute médaille a son revers. Certes, ce texte permet aujourd’hui de préserver les infrastructures de transport d’accès à la Corse d’appétits extérieurs aux intentions méconnues – voilà pour l’aspect positif –, mais, dans le même temps, il aggrave la concentration des pouvoirs entre les mains d’une même collectivité.
Monsieur le ministre, tout en exprimant ce regret, je ferai preuve de pragmatisme et voterai ce texte.