M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des textes qui, en soi, ne résolvent pas tout, mais qui ouvrent tout de même une brèche dans le mur des injustices. Je crois que cette proposition de loi en fait partie.

Le présent texte a le mérite et le courage de s'attaquer à un angle mort de notre fiscalité : celui de ces nouveaux super-patrimoines, de ces fortunes insolentes qui prospèrent aujourd'hui bien plus rapidement que l'impôt ne les suit.

Je le dis sans démagogie et sans stigmatiser les personnes dont il s'agit.

Je salue l'acte politique que constitue cette proposition de loi.

Il faut de l'honnêteté pour dire que certains, parmi les membres les plus riches de la communauté nationale, ne contribuent pas comme ils le devraient.

Il faut de l'honnêteté pour dénoncer cet état de fait, qui nous a conduits à tolérer que les plus grandes fortunes s'acquittent dans notre pays d'un effort inférieur, en proportion, à celui d'un cadre moyen ou d'un artisan.

Rappelons-nous la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – ne l'oublions jamais !  Ce texte, fondement de la République, prévoit, à son article 13, que la « contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Mes chers collègues, cette proposition de loi n'est pas une provocation. Je pense sincèrement qu'elle s'adresse aux républicains de tout poil. Peu importe qu'elle vienne de telles ou telles travées de cet hémicycle, au fond. Elle apporte un début de réponse à une réalité que nul ne peut ignorer : cette crise budgétaire profonde qui traverse notre pays et, déjà, se mue en une crise sociale.

Les inégalités se creusent dangereusement, les services publics meurent à petit feu, notre modèle social est dénigré, le consentement à l'impôt s'effrite et le pacte républicain s'érode.

Alors que la grande majorité contribue à l'effort commun, alors que l'on attend d'elle des sacrifices supplémentaires, une infime minorité de contribuables échappe largement, et légalement, à la solidarité nationale. Je ne conteste en rien leur mérite, leur utilité dans l'économie ou leur fonction dans la société. Mais cette situation n'est pas tenable, et il nous appartient de rétablir la justice fiscale.

Madame la ministre, cette exigence n'est ni révolutionnaire ni excessive. Elle est juste. Elle est républicaine.

Oui, les membres de mon groupe, le plus vieux du Sénat, celui de Joseph Caillaux, soutiendront ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Nous le soutenons sans rien ignorer de ses fragilités. S'il nécessite des améliorations, discutons-en !

Mes chers collègues, on nous dira que cette taxe est confiscatoire. Le même mot fut jeté à la figure des radicaux qui, hier, défendaient l'impôt progressif sur le revenu.

On nous dira que les milliardaires s'exileront et que nous avons beaucoup à y perdre. Franchement, nous laisserons-nous intimider ? La République peut-elle légiférer sous la menace ?

M. Raphaël Daubet. Ce débat est un moment de vérité pour chacun d'entre nous.

Le présent texte n'est pas parfait, mais il est nécessaire. Nous appelons à son adoption et nous souhaitons le voir évoluer, non pour l'édulcorer, mais pour lui permettre d'entrer en vigueur, de durer et d'être, demain, l'une des clefs d'un pacte fiscal réconcilié avec la République. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (M. le rapporteur applaudit.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus du groupe Union Centriste sont particulièrement attachés à la justice fiscale.

M. Michel Canévet. Nous avons d'ailleurs formulé de nombreuses propositions visant à la renforcer, lors des dernières discussions budgétaires.

Rappelez-vous : les membres de notre groupe ont notamment proposé de remplacer par un impôt sur la fortune improductive l'IFI institué après la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Quoique votée par le Sénat, cette mesure n'a, hélas ! pu prospérer jusqu'à présent, mais nous entendons poursuivre nos efforts en ce sens. Il nous paraît normal que ceux qui disposent d'un patrimoine non productif contribuent de manière significative au rétablissement de nos finances publiques.

De même, les membres du groupe Union Centriste attendent beaucoup de la commission d'enquête relative à la délinquance financière, instance dont la rapporteure est Nathalie Goulet et qui présentera ses recommandations le 20 juin prochain. En effet, la lutte contre l'évitement fiscal est, pour nous, une priorité : on ne peut accepter que certains prennent telle ou telle disposition pour ne pas payer l'impôt qui est dû.

D'ailleurs, en la matière, nous avons déjà formulé de nombreuses propositions, notamment sur l'initiative de Nathalie Goulet. Je pense par exemple à l'arbitrage des dividendes.

M. Michel Canévet. À ce titre, nous demandons au Gouvernement de mettre en œuvre intégralement, et ce dès que possible, le dispositif voté par le Sénat.

Néanmoins, face à une situation budgétaire pour le moins préoccupante, les élus du groupe Union Centriste considèrent que l'effort premier doit porter sur la réduction des dépenses publiques.

Parmi les pays développés, la France affiche déjà l'un des plus hauts niveaux de dépense publique. Dans ces conditions, il convient avant tout d'assainir notre situation financière. En tout cas, nous ne pouvons laisser perdurer les déficits.

Bien entendu, nous appelons le Gouvernement à formuler des propositions dès le prochain projet de loi de finances (PLF), afin de réduire le déficit public de manière significative.

En parallèle, nous estimons que la création de nouvelles taxations doit être envisagée avec beaucoup de prudence. La stabilité fiscale est indispensable à l'attractivité de notre pays – c'est d'ailleurs le cap qui a été fixé. Or elle a déjà été affectée par la création de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, qui remet en cause l'objectif d'une convergence avec nos voisins pour ce qui est du taux d'impôt sur les sociétés.

Madame la ministre, les élus du groupe Union Centriste ont soutenu avec force l'instauration d'une contribution différentielle sur les hauts revenus, car elle leur semblait tout à fait appropriée. Dans la perspective du prochain budget, nous souhaitons que vous réfléchissiez à d'autres dispositions de cette nature, permettant de faire contribuer, sinon dans des proportions significatives, du moins de manière minimale, ceux qui en ont les moyens.

Cela étant, tel n'est pas tout à fait l'esprit du présent texte, dans la mesure où l'imposition proposée viserait l'ensemble du patrimoine.

Je le dis dès à présent à tous ceux qui, dans notre assemblée, soutiennent cette proposition de loi : nous sommes particulièrement gênés par le fait que l'outil professionnel soit ciblé par le dispositif. Un tel choix ne nous semble pas du tout approprié. (M. le rapporteur applaudit.)

M. Michel Canévet. Il faut soutenir activement le développement économique de notre pays. Or, selon nous, ce n'est pas en taxant l'outil de travail que l'on y parviendra.

Mme la ministre le rappelait à l'instant, le salon VivaTech se tient en ce moment même. On voit bien que nous avons besoin d'investir massivement dans les entreprises innovantes – c'est le principe du capital-risque.

Vous le savez bien, la valorisation de ces entreprises peut connaître une nette augmentation quand le succès est au rendez-vous. Quel signal adressera-t-on à ceux qui ont envie d'investir dans le capital-risque, en faveur de l'innovation, en annonçant que l'on va les taxer de manière significative ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. Grégory Blanc. Ils ont déjà une fiscalité avantageuse !

M. Michel Canévet. Je ne crois pas que ce soit la meilleure manière d'aborder la question.

Un certain nombre de nos collègues approuvent certes cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.) Mais la majorité de notre groupe n'est pas sur cette ligne : pour la plupart, nous pensons que taxer l'outil professionnel n'est certainement pas la meilleure manière de procéder.

Nous aurons d'autres mesures à proposer au Gouvernement, à commencer par la taxation des plus-values, qui nous semble mieux à même de dégager de nouvelles ressources.

Aujourd'hui, au titre des donations, les plus-values latentes ne sont pas purgées, et certains en profitent. Nous demandons au Gouvernement de réfléchir à cette disposition, qui nous permettrait de récupérer quelque 2 milliards d'euros. (M. Yannick Jadot s'exclame.) En parallèle, il faudra revoir la niche fiscale relative aux donations du plan d'épargne retraite (PER).

Quoi qu'il en soit, la majorité des membres de notre groupe estiment que cette proposition de loi est assez mal calibrée et qu'il ne faut pas la soutenir en l'état. (M. le rapporteur et M. Cédric Chevalier applaudissent.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons dans la France de l'héritage et non dans celle du mérite ; dans une France où la richesse se transmet plus qu'elle ne se conquiert ; où le capital paye plus que le travail ; où l'État se montre bien plus soucieux du bien-être fiscal des ultrariches que de la précarité, bien réelle, dans laquelle se trouvent des millions de nos concitoyens.

Cette proposition de loi, dont nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, a été adoptée par l'Assemblée nationale : je tiens à le souligner.

En créant un impôt plancher de 2 % sur les très grandes fortunes, on ne cède pas à une quelconque radicalité ; au contraire, on rétablit la normalité démocratique. Cette mesure nécessitera par ailleurs une transposition européenne, car l'harmonisation ne saurait être mise au seul service du dumping social.

C'est le minimum du minimum, et quand le minimum est perçu comme excessif, c'est non pas le niveau de prélèvement qu'il faut interroger, mais le régime politique et économique qui rend la discussion inaudible.

Les parlementaires communistes proposent, de longue date, de rééquilibrer notre système fiscal. La majorité populaire qui vit de son travail paye proportionnellement davantage que les possédants ; mais, malheureusement, nos propositions ont bien souvent été refusées par des gouvernements d'orientations politiques différentes.

Aujourd'hui encore, le taux d'imposition effectif finit par se révéler régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus aisés à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches. Madame la ministre, pensez-vous que les Français veulent, à ce titre, une quelconque stabilité ? La réponse est non, quel qu'ait été leur vote aux dernières législatives.

Nous opérons ici un changement de regard nécessaire, gage de lucidité, en passant d'une lecture strictement fiscale à une lecture économique des situations patrimoniales ; car, à ces niveaux de richesse, c'est non plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive réelle, mais la masse critique du capital accumulé.

Vous avez pu le reconnaître vous-même, ce capital est souvent immobilisé, parfois dissimulé et presque toujours optimisé.

Là est la grande contradiction de la droite : elle refuse tout nouvel outil, qui serait pourtant adapté à une économie financiarisée, transnationale et spéculative, tout en prétendant défendre l'efficacité de l'action publique.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous défendez une pseudo-modernité quand elle amoindrit les droits sociaux, mais vous invoquez la tradition dès qu'il s'agit de fiscalité sur la fortune.

Venons-en au fond du débat. Notre discussion ne se résume pas à la question des finances. Elle touche à l'éthique républicaine. Elle interroge la cohésion de la Nation.

Madame la ministre, l'État est-il encore le garant de l'intérêt général, ou devient-il le protecteur des intérêts particuliers dès lors que les fortunes alignent plus de huit zéros ? Est-ce à l'État d'anticiper les exils fiscaux, ou bien est-ce aux plus fortunés d'assumer enfin de vivre dans un pays où la solidarité est non pas une option, mais une condition d'appartenance ?

Au sujet de l'exil fiscal, je citerai l'exemple des États-Unis. De ma part, une telle audace vous étonnera sans doute ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Amélie de Montchalin, ministre. En effet !

M. Pascal Savoldelli. Depuis 2010, les États-Unis contraignent les banques étrangères à fournir des renseignements sur les comptes de leurs ressortissants pour les dépôts supérieurs à 50 000 dollars.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mais nous en faisons autant !

M. Pascal Savoldelli. Les faits sont têtus, et que nous disent-ils ? Selon l'Observatoire des inégalités, les 500 premières fortunes françaises détiennent 1 228 milliards d'euros d'actifs nets, contre 124 milliards d'euros en 2003. Elles ont donc augmenté de 890 % en vingt ans. Les dix premières représentent à elles seules 400 milliards d'euros. Pourtant, elles contribuent en moyenne à hauteur de 0,2 %.

Dans ce contexte, la droite sénatoriale nous explique que ce filet fiscal serait...

Mme Nathalie Goulet. Confiscatoire !

M. Pascal Savoldelli. … confiscatoire.

La vérité, mes chers collègues, c'est qu'à force de protéger l'exception, vous êtes en train de normaliser l'injustice.

Nous sommes face non pas à une querelle purement idéologique, mais à une exigence éthique.

La République, ce n'est pas le confort des puissants. C'est l'égalité comme condition du commun ; et si la République vacille aujourd'hui, ce n'est pas faute d'idées.

Il n'y a pas de République sans justice, pas de Nation sans contribution. À ce titre, l'impôt plancher n'est pas une fin. C'est le signal que la France ne renonce pas à sa promesse ; que l'extrême richesse ne peut plus être une extrême dérobade.

Nous voterons ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en réalité, la question que nous vous posons aujourd'hui est assez simple : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?

L'Institut des politiques publiques a établi, dans une étude de 2023, que les plus grandes fortunes payent relativement peu d'impôts grâce à l'optimisation légale, lorsqu'on prend en compte l'ensemble du revenu économique.

Les chiffres sont trop parlants pour que l'on reste sans réagir : l'ensemble des Français, vous et moi, appartenant aux classes moyennes, aux classes populaires ou à la classe supérieure aisée, paient environ 50 % d'impôts et de cotisations sociales sur leurs revenus, tous prélèvements compris. À partir de 100 millions d'euros de patrimoine, le taux tombe à 27 % ; il est donc presque divisé par deux.

Ce diagnostic ne me semble pas contesté. En tout cas, madame la ministre, vous ne l'avez jamais remis en cause durant nos échanges.

Partant de ce constat, de brillants économistes ont soutenu hier la création de la taxe que nous proposons à notre tour d'instaurer dans notre pays.

Je pose de nouveau la question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?

Les 500 plus grandes fortunes françaises ont vu leur patrimoine multiplié par dix en vingt ans pour atteindre 1 228 milliards d'euros.

L'impôt que nous vous proposons n'a rien de confiscatoire ou de vexatoire : c'est la correction d'une inégalité flagrante ; c'est un mécanisme anti-abus.

Nous devons garantir la contribution minimale de tous à l'effort collectif. À cet égard, le dispositif que nous défendons est simple : l'impôt total devra atteindre au moins 2 % du patrimoine net des contribuables lorsque ce dernier dépasse 100 millions d'euros. Si ce taux n'est pas atteint, les contribuables devront verser la différence.

Évidemment – c'est ce qui aujourd'hui fait débat –, nous incluons dans le calcul l'ensemble de la fortune, faute de quoi l'on passe largement à côté du sujet.

Ce dispositif est simple, mais non simpliste.

Nous avons bien entendu les fatalistes, y compris à cette tribune, nous dire et nous répéter : « Vous allez faire fuir les grandes fortunes de notre pays. » Nous avons entendu celles et ceux qui capitulent déjà devant le chantage à l'exil.

Tout d'abord – les études convergent –, ce type d'exil resterait marginal. Mais, pour répondre aux inquiétudes, nous avons prévu un dispositif anti-exil fiscal : ceux qui s'expatrient resteront redevables de cet impôt plancher pendant cinq ans.

Vient ensuite la question de l'illiquidité de ce patrimoine « valorisé » tant qu'il n'est pas converti en monnaie et que fragiliserait un tel impôt plancher. Nous ouvrons donc la possibilité d'étaler les paiements, comme c'est le cas pour l'impôt sur les successions et même, si j'ai bien lu Les Échos, pour le dispositif anti-abus que vous êtes en train de concevoir, madame la ministre.

Reste la question du caractère confiscatoire. Mais – disons-le simplement – cet impôt plancher de 2 %, applicable à un patrimoine dont le rendement est en moyenne de 5 % à 6 % et seulement à partir de 100 millions d'euros, ne mettra personne en difficulté. Les contribuables concernés pourront continuer de s'enrichir ; ils s'enrichiront simplement un peu moins vite.

Je vous pose une nouvelle fois la question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ?

Les prochains débats budgétaires s'annoncent d'ores et déjà difficiles : si vous n'incluez pas les plus fortunés dans la communauté nationale, en corrigeant cette injustice fiscale, vous serez totalement inaudible lorsque vous demanderez des efforts aux Françaises et aux Français.

Souvenons-nous ce que Tocqueville écrivait de la fiscalité d'Ancien Régime : « Du moment que l'impôt avait pour objet, non d'atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s'en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l'épargner au riche et d'en charger le pauvre. »

Dans les cahiers de doléances de 1789, la réforme de l'impôt figure parmi les revendications principales.

La nuit du 4 août 1789, celle de l'abolition des privilèges, marque la fin des exemptions fiscales de la noblesse et du clergé. Or, 230 ans plus tard, les cahiers de doléances ouverts à la suite du mouvement des gilets jaunes ont témoigné de la même soif de justice fiscale – j'en veux pour preuve les demandes de rétablissement de l'ISF.

Je le dis et je le répète, cette proposition de loi ne soulève en réalité qu'une question : existe-t-il, en France, un niveau de richesse à partir duquel on est autorisé à payer moins d'impôt que le reste de la population ? Évidemment non. À ce titre, nos textes fondateurs sont clairs.

Respectons l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Faisons en sorte que la contribution commune soit répartie équitablement entre tous les citoyens. Votons ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme Ghislaine Senée. La fin des privilèges !

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic.

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour parler d'un sujet ô combien important : l'égalité devant l'impôt.

Cette proposition de loi crée un impôt plancher sur la fortune s'appliquant aux personnes physiques dont la valeur nette du patrimoine, appréciée au 1er janvier de l'année, excède 100 millions d'euros. Elle ne touche donc que les 0,01 % des foyers les plus riches de notre pays, soit 1 800 foyers en tout.

Si nous avons ce débat aujourd'hui, c'est parce que l'impôt sur le revenu, pilier de la progressivité fiscale, échoue depuis des années à imposer équitablement les grandes fortunes de notre pays, ces dernières parvenant à minimiser leur revenu taxable.

En effet, lorsqu'on entre dans la catégorie des 0,001 % des foyers aux revenus les plus élevés, l'ensemble des impôts personnels deviennent fortement régressifs. Ils ne représentent même plus que 2 % du revenu économique des 378 foyers les plus aisés.

Ce texte ne vise donc pas à « taxer les riches », ni même à « taxer les super riches ». Certes, en démocratie, il est sain que l'on débatte du bon niveau de progressivité de l'impôt. Mais, en l'occurrence, nous parlons simplement de la nécessité d'effacer la régressivité que l'on constate aujourd'hui.

Très concrètement, cette mesure n'a rien du grand soir fiscal. Elle ne fait que répondre à une question de bon sens : proportionnellement à leurs revenus respectifs, comment s'assurer que les milliardaires ne paient pas moins d'impôts que leur secrétaire ou leur chauffeur ?

Madame la ministre, j'ai écouté attentivement M. Lombard lors de son audition au Sénat la semaine dernière. Je dois dire que j'ai été particulièrement surpris par les arguments qu'il a déployés pour s'opposer à ce texte. Je tiens à revenir sur ses propos, car ils illustrent bien la méprise que vous faites volontairement au sujet de ce dispositif.

Tout d'abord, le ministre de l'économie a repris à son compte un argument éculé : l'impôt plancher de 2 % forcerait les foyers fiscaux concernés à vendre leurs entreprises à l'étranger.

Comment lancer une telle affirmation quand on sait que les revenus des milliardaires ne sont pas à proprement parler modestes ? En moyenne, leur patrimoine rapporte de l'ordre de 7 % par an. Un tel chiffre n'a rien de surprenant : il correspond au taux de rendement des grandes entreprises qu'ils possèdent.

Si nos milliardaires prétendent ne pas avoir de liquidités, c'est dans la grande majorité des cas parce qu'ils organisent leur propre illiquidité afin, précisément, d'échapper à l'impôt sur le revenu.

Ne soyons pas faussement naïfs : ces techniques sont connues. Je pense notamment à l'utilisation de sociétés holdings, qui permettent de ne pas justifier de revenu sur la feuille d'impôt tout en gagnant des milliards. Cet argument n'est donc pas convaincant.

Cela étant, M. Lombard n'est pas le seul macroniste à avoir pris position contre ce dispositif.

Lors de sa dernière intervention télévisée, longue de trois heures, diffusée en mai dernier, le Président de la République a surtout commenté une politique qui s'écrit désormais sans lui. Mais, une fois n'est pas coutume, il a aussi voulu marquer son dernier pré carré : la défense des plus riches de notre pays.

Il a ainsi pointé un risque illusoire : le départ massif des plus fortunés de France si le texte entrait en vigueur. Je tiens à revenir sur cette affirmation que la littérature économique sérieuse invalide totalement.

Le risque d'exil fiscal qu'engendrerait ce dispositif reste très faible. Les éléments dont nous disposons à cet égard ne doivent pas être mis sous le boisseau.

Les travaux relatifs à cette question sont éclairants et leurs conclusions sont univoques : l'exil fiscal en réponse à l'imposition de la fortune est un phénomène négligeable.

Une étude menée récemment en Suède et Norvège conclut ainsi qu'à long terme l'instauration d'un impôt sur la fortune de 1 % sur les hauts patrimoines provoque le départ de moins de 2 % des contribuables concernés. Dès lors, plus de 98 % de ces derniers décident de rester, si bien que l'effet économique d'un tel exil fiscal est quasi nul.

J'entends aussi le risque d'inconstitutionnalité,…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Eh oui !

M. Thierry Cozic. … opportunément soulevé par le rapporteur en commission. Mais, comme l'a relevé le président Raynal, dès lors qu'une nouvelle forme de taxation est proposée, on avance désormais presque systématiquement cet argument.

Laissons le législateur légiférer et le Conseil constitutionnel statuer. D'ailleurs, monsieur le rapporteur, si cette perspective, bien que peu probable, vous inquiète tant, je vous invite à voter l'amendement de repli que nous proposons : en limitant à 1 % le taux de cette imposition, vous réduirez à néant le risque d'inconstitutionnalité.

Mes chers collègues, en dix ans, le patrimoine des 500 plus grosses fortunes du pays est passé de 400 milliards à 1 500 milliards d'euros. En outre, depuis que le président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a bondi de 114 %.

Au total, 78 % des Français pensent qu'il est nécessaire de taxer davantage les plus fortunés.

Madame la ministre, les chiffres que je viens de citer nous rappellent le sens de l'histoire, à savoir le renforcement de la justice fiscale.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, pour une fois, en matière d'équité fiscale, ne soyez pas du mauvais côté de l'histoire.

En 1909, la Chambre des députés vota la création de l'impôt sur le revenu après des décennies de débats parlementaires. Mais le Sénat, dont la majorité était analogue à celle d'aujourd'hui, bloqua la mise en œuvre de ce texte jusqu'en 1914, soit tout de même pendant cinq ans.

Ces huit années de macronisme ont laissé nos finances publiques dans un état tel que nous ne pouvons pas attendre un an de plus. Avons-nous vraiment le luxe de nous priver de 20 milliards d'euros de recettes fiscales ? C'est la question que posent les auteurs de cette proposition de loi.

Allez-vous encore nous faire perdre cinq ans ?

Pour les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l'exigence de cohésion sociale et d'équité fiscale commande l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires de soumettre ce texte à notre vote, au terme d'un débat qui s'annonce déjà du plus grand intérêt. J'en remercie dès à présent les uns et les autres.

Taxer toujours plus ; taxer partout et tout le temps ; taxer le revenu, la production, la consommation, les donations et maintenant le capital : cette obsession de la taxation, sans stratégie établie ni objectif précis au-delà de la taxe elle-même, révèle des courants de pensée en manque d'idées et de plan pour l'avenir de nos enfants. Qu'à cela ne tienne, continuons dans la même voie…

Pourtant, dès 1904, Winston Churchill alertait : « Essayer d'atteindre la prospérité par l'impôt revient à se tenir debout dans un seau en tentant de se soulever soi-même par la poignée. » (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Non seulement cela n'a guère de sens, mais c'est tout bonnement impossible.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Excellent !

M. Marc Laménie. Venons-en au dispositif proposé. Il est issu d'un rapport de l'économiste Gabriel Zucman, déjà cité à plusieurs reprises, soutien officiel du Nouveau Front populaire (NFP) aux dernières élections législatives.

Ce dispositif est assez simple en théorie, mais inapplicable en pratique et redoutable par ses effets. Il s'agit d'une taxe de 2 % sur le patrimoine des personnes qui possèdent plus de 100 millions d'euros.

Pourquoi un tel prélèvement est-il inapplicable ? Parce qu'il frapperait non seulement les biens situés en France, détenus par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, mais aussi leurs biens à l'étranger. On se demande comment le fisc pourra mener de tels contrôles dans le monde entier. Mais il est vrai que nous ne sommes pas à une incohérence près…

Venons-en aux effets néfastes qu'entraînerait l'adoption de cette proposition de loi.

On nous suggère non seulement de taxer les biens des résidents français à travers le monde, mais aussi de s'attaquer aux investissements en France des non-résidents fiscaux.

Après avoir été pendant six années consécutives la première destination des investisseurs étrangers en Europe, la France enverrait ainsi un message clair aux investisseurs étrangers : cessez de venir chez nous, sinon nous vous taxerons davantage.