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Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 314 sur l'amendement n° 21 portant sur l'article 1er de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, et lors du scrutin public n° 316 sur l'amendement n° A-1 portant sur le même article, Mme Nadège Havet souhaitait s'abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l'analyse politique des scrutins concernés.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures,

est reprise à seize heures deux.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
Article unique (début)

Impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches

Rejet d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (proposition n° 380, résultats des travaux de commission n° 690, rapport n° 689).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, nous examinons aujourd'hui, dans le cadre du temps réservé au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, une proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

Je souhaite d'abord remercier le rapporteur Capus de son excellent rapport, ainsi que la commission des finances, qui a mené des travaux de grande qualité, avant de rejeter ce texte la semaine passée.

Ces derniers mois, depuis l'adoption du budget avec plusieurs semaines de retard, avec les services votés qui en ont découlé, et, plus largement, depuis les événements politiques que nous avons connus, les Français ont exprimé un fort besoin de stabilité, notamment fiscale. Ainsi, comme Éric Lombard et moi-même l'avons indiqué à plusieurs reprises, les impôts exceptionnels issus de la loi de finances pour 2025, à savoir la surtaxe d'impôt sur les sociétés et la contribution différentielle sur les hauts revenus, resteront exceptionnels. Nous n'avons pas comme projet de créer de nouvel impôt.

Cette stabilité fiscale est primordiale pour favoriser l'écosystème qui permet à nos entrepreneurs, aux investisseurs et aux talents de créer de la richesse et de l'emploi en France. Je l'affirme d'autant plus qu'aujourd'hui se tient VivaTech, qui est devenu le premier salon européen en termes d'attractivité et d'innovation.

M. Guy Benarroche. Quel rapport avec le texte ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Quels que soient nos bords politiques, nous pouvons collectivement nous enorgueillir de cette capacité de rayonnement, de création, d'initiative économique, de cette capacité également à préparer l'avenir. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

C'est notamment cette création de richesse qui contribue à maintenir sur le territoire national des entreprises en forte croissance ; c'est cette stabilité fiscale qui permet à nos start-up de se financer, à nos PME innovantes de grandir et à nos industries stratégiques de rester sur notre territoire.

Au fond, cette stabilité fiscale permet à des entreprises de grandir et donc aux emplois de demain de se créer.

Il est en effet manifeste que la proposition de loi examinée ce jour, qui instaure « un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches », va à rebours des objectifs du Gouvernement. Une telle contribution serait – je le dis ici en toute sérénité – à la fois confiscatoire et inefficace. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Confiscatoire ?

Mme Christine Lavarde. Si, elle a raison !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Confiscatoire d'abord, car on ne peut raisonnablement pas soutenir ce nouvel impôt Zucman, qui promet un rendement cinq fois supérieur à celui de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), alors qu'il serait concentré sur 2 000 personnes là où l'ISF frappait 350 000 contribuables.

Jamais les biens professionnels n'ont été inclus dans l'assiette de l'ISF. Les taxer aurait des effets catastrophiques en provoquant l'expatriation des contribuables concernés et imposerait aux entreprises, notamment les entreprises de taille intermédiaire (ETI), de distribuer d'importants dividendes à leurs actionnaires pour leur permettre de payer l'impôt.

C'est autant d'argent en moins qui irait vers les investissements dont nous avons besoin.

Loin d'un impôt plancher ou d'un impôt minimum, cette contribution qu'il est proposé de créer – que je pourrais qualifier de « maximalement confiscatoire » (Rires sur les travées du groupe GEST.) – ferait immédiatement fuir les foyers les plus aisés si elle devait voir le jour.

Nous parlons de 1 800 personnes, quand l'ISF, je le rappelle, concernait 350 000 personnes. Par conséquent, les études économiques sur la mobilité de ces personnes ne peuvent pas, par définition, être extrapolées. Ce n'est pas moi qui dis que c'est un impôt confiscatoire, mesdames, messieurs les sénateurs : c'est le Conseil constitutionnel. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)

Dans sa décision du 9 août 2012, celui-ci indiquait que, avec un taux de 2 %, l'ISF, qui ne couvrait pas les biens professionnels, devait s'assortir « d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».

Au fond, le seul risque de cet impôt, me semble-t-il, c'est que personne ne le paie ! Pourquoi dis-je cela ? Parce que ce mécanisme, tel qu'il est porté par le groupe Écologiste et Social (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST.), ou plutôt par le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires – je vous prie de m'excuser d'avoir confondu votre groupe avec celui de l'Assemblée nationale (Sourires.) –…

M. Guy Benarroche. D'une assemblée à l'autre, d'un impôt à l'autre...

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … revient à créer une exit tax pour que les 2 000 contribuables visés continuent de payer ce nouvel impôt s'il leur venait à l'idée de quitter le pays.

Vous avez donc prévu un dispositif renforcé qui permettrait de continuer à imposer les exilés fiscaux après leur départ.

En fin de compte, selon votre logique, le rendement de ce nouvel impôt sera garanti durant cinq ans puisqu'il sera recouvré soit en France soit via l'exit tax. Mais voyons les choses en face : que se passera-t-il la sixième année ?

M. Yannick Jadot. Ils seront tous partis !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous n'aurons ni rendement, ni exit tax, ni entreprises ! Provoquer des expatriations certaines pour un rendement incertain est une décision économique et fiscale que je ne peux, compte tenu des fonctions que j'occupe, tolérer. (Mmes Christine Lavarde et Agnès Evren applaudissent.)

Disons-le clairement, une telle taxe ne peut en aucun cas être mise en place isolément à l'échelle nationale alors que nous évoluons dans une économie ouverte, dans un monde où le capital est mobile. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Seule une approche pragmatique, en associant les pays de l'OCDE dans un cadre concerté, serait pertinente pour porter ce combat. Je tiens, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous dire que j'ai personnellement porté ce combat, très activement. (Marques d'étonnement sur les travées du groupe GEST.)

Ainsi, après qu'il l'a été par la France, lors du G20 qui s'est tenu l'an dernier, avec le Brésil, après qu'il l'a été par Bruno Le Maire et son homologue Fernando Haddad, après qu'il l'a été par le Président de la République, Emmanuel Macron, avec le président Lula,…

M. Akli Mellouli. Ah oui, ça marche bien…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … j'ai moi-même porté ce combat auprès de l'OCDE – c'était mon rôle –, où nous avons réussi à trouver un accord mondial sur la fiscalité des multinationales.

L'OCDE doit donc être le lieu pour faire avancer cette proposition ; il serait tout à fait intéressant qu'elle prospère dans son périmètre ou dans celui du G20.

MM. Thomas Dossus et M. Guy Benarroche. Ce ne serait alors plus confiscatoire ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Dans un cadre collectif, harmonisé et négocié, nous pourrions alors définir une assiette internationale qui ne fasse pas débat et qui n'induise pas de mouvements de capitaux.

L'approche que je défends au Gouvernement avec Éric Lombard est, me semble-t-il, plus viable d'un point de vue économique : c'est celle de l'efficacité fiscale. Il n'est pas question de surtaxer les Français qui produisent de la richesse, qui réalisent des investissements productifs, en particulier dans les jeunes entreprises innovantes, ainsi que ceux qui paient déjà un impôt proportionnel à leurs capacités (Exclamations sur les travées du groupe GEST.), que ce soit au titre de l'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ou de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Qu'ils se rassurent : l'environnement fiscal demeurera, comme pour tous les Français, stable, et les acquis des réformes sur la fiscalité du patrimoine et, surtout, sur l'investissement productif seront préservés.

C'est précisément cette voie, celle de la réforme de l'ISF, celle de la création de la flat tax, qui a permis à la France de devenir championne d'Europe en matière d'investissements directs étrangers, notamment dans l'industrie.

Pour autant, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs – et j'ai là un point de convergence avec les défenseurs de cette proposition de loi –, promouvoir un cadre fiscal stable et attractif n'empêche pas de s'interroger sur des situations marginales de suroptimisation qui peuvent nuire, effectivement, à l'efficacité de l'impôt.

Par conséquent, la stabilité fiscale, ce n'est pas le statu quo ! Plus précisément, il nous revient – et nous serons sans doute d'accord sur ce point – de nous assurer que les contribuables qui utilisent aujourd'hui des mécanismes légaux pour contourner l'impôt ne puissent plus le faire.

Parallèlement, il me semble primordial que nous arrivions à faire en sorte que notre épargne – les Français épargnent massivement en ce moment – aille prioritairement vers des investissements productifs en Europe, alors que plus de 300 milliards d'euros d'épargne européenne continuent de partir chaque année vers les États-Unis.

M. André Reichardt. Très bien !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Par exemple, il n'est pas logique – je vous l'accorde, il faut travailler à cette question, et c'est ce que nous faisons – qu'un ménage dont le patrimoine se chiffre en dizaines de millions d'euros puisse thésauriser ses revenus non distribués dans une holding patrimoniale et financer ainsi son train de vie grâce à celle-ci, sans payer le moindre impôt sur le revenu. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)

Bref, c'est bien la rente qu'il faut taxer et non le rentier. (Rires sur les travées du groupe GEST. – Mme Nathalie Goulet s'en amuse.) Nous aurons ce débat dans le cadre de l'examen des prochains textes budgétaires.

Aussi, nous ne devons manier la fiscalité que d'une main tremblante et en suivant la même boussole que celle que nous suivons depuis 2017, à savoir prendre le temps de la concertation avec l'ensemble des parties prenantes, y associer des économistes, étudier les dispositifs mis en place à l'étranger – le dispositif d'imposition des holdings au Luxembourg ou encore le régime espagnol, qui présente certains avantages et intérêts, peuvent servir d'exemple –, pour proposer un dispositif qui réoriente l'épargne vers les investissements productifs européens, plutôt que de créer une nouvelle taxe.

L'engagement du Gouvernement, c'est de faire en sorte que la suroptimisation ne prospère pas,…

Mme Amélie de Montchalin, ministre. … mais c'est aussi de faire en sorte que l'investissement, l'innovation et la croissance des entreprises restent sa boussole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de Mmes Eva Sas et Clémentine Autain instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des plus riches.

Nous l'examinons, il faut bien le reconnaître, sous l'amicale pression – ou lobbying –, intense et remarquée, de ses auteurs. Mais le Sénat, qui est capable de débattre sereinement, résiste assez bien à ce type de pressions extérieures. (Exclamations amusées sur les travées du groupe GEST. – M. Pascal Savoldelli ironise.)

Pourquoi cette proposition de loi maintenant ?

M. Yannick Jadot. Parce qu'on en a besoin !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. D'abord – et on ne va pas se le cacher –, parce que l'ISF est, depuis maintenant assez longtemps, un totem pour une partie de cet hémicycle.

Mais, encore une fois, pourquoi maintenant ? Parce que, dans une note de juin 2023, l'Institut des politiques publiques (IPP) a relevé l'existence d'une forme de régressivité de l'imposition sur les très hauts revenus. Le taux effectif d'imposition, tous impôts directs confondus, qui atteint 46 % pour les plus riches, devient régressif pour les 0,1 % des foyers fiscaux les plus aisés, ceux qui se situent donc tout en haut de la pyramide.

L'IPP obtient ce résultat en suivant un concept nouveau pour la définition du revenu : il considère non pas le revenu fiscal, mais le revenu élargi aux revenus non distribués mais contrôlés par les ménages.

Ce constat n'est d'ailleurs pas propre à la France. Comment s'explique ce phénomène ? Simplement parce que les plus aisés peuvent structurer leur patrimoine de façon que ces revenus soient moins imposables, en ne se versant pas de dividendes ou en recourant à des holdings, dont le régime fiscal est plus avantageux.

Face à ce constat, Gabriel Zucman, après avoir soutenu la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) en 2022,…

M. Yan Chantrel. Un gauchiste !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. … a proposé, dans un rapport qu'il a publié en juin 2024 à la demande de la présidence brésilienne du G20, la mise en place d'une taxe différentielle de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, voire des centimillionnaires au niveau mondial.

Pour fixer ce taux, il s'appuie sur un constat qu'il fait à l'échelle mondiale, et non pas française : le patrimoine des plus aisés connaîtrait une croissance de 7,5 % par an. Or ce constat est à prendre avec des pincettes parce qu'il s'appuie principalement sur les résultats du magazine Forbes, qui ne cite pas ses sources.

Autre bémol : 7,5 %, c'est une moyenne, certaines années étant moins bonnes que d'autres. Je pense que nous serons tous d'accord sur ce point. (Rires sur les travées du groupe GEST.)

Le texte que nous examinons aujourd'hui traduit concrètement cette proposition : il crée cet impôt plancher, cette contribution différentielle, sur le patrimoine des personnes qui ont un patrimoine de plus de 100 millions d'euros. L'objectif du texte est de s'assurer que les plus riches paient bien au moins 2 % de leur patrimoine en impôt. Sur ce point, nous sommes, me semble-t-il, d'accord.

Les auteurs de la proposition de loi ont prévu un dispositif d'échelonnement du paiement de l'impôt en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter du montant dû en raison d'une situation qu'elles qualifient elles-mêmes de « gêne ».

D'ailleurs, selon Gabriel Zucman, un tel impôt pourrait avoir un rendement d'environ 20 milliards d'euros, avec une marge d'erreur, toujours d'après lui, de 5 milliards d'euros.

La commission des finances – et ce n'est un mystère pour personne puisque je l'avais annoncé lorsqu'elle l'a examiné – demande le rejet de ce texte, sur deux fondements principaux.

En premier lieu, le constat sur lequel s'appuie ce texte me semble sujet à débat. La commission relève que l'argument d'une régressivité de l'impôt au sommet de la distribution repose sur un choix méthodologique nouveau, inédit, et sur un concept qui n'a rien d'évident : l'assimilation d'une personne physique avec la société qu'il contrôle pour déterminer la notion de revenu économique, contrairement au principe de personnalité de l'impôt qui sous-tend toute la fiscalité française.

La notion de régressivité avancée dans l'étude de l'IPP est elle-même discutable. En effet, si les personnes les plus aisées veulent dépenser leurs revenus économiques, c'est-à-dire les revenus non distribués qu'elles tirent des sociétés qu'elles détiennent, elles devront se les verser et donc payer l'impôt, contrecarrant ainsi cet effet de régressivité. Or ce mécanisme n'est pas pris en compte par les auteurs de l'étude.

Selon l'un des économistes que nous avons auditionnés, Jean-Baptiste Michau, il paraît fondamentalement problématique d'évaluer la progressivité de l'imposition des revenus du capital à partir d'une approche statique, c'est-à-dire en omettant la flat tax que les assujettis vont payer lorsqu'ils se verseront les dividendes pour leur consommation future.

Mais, mes chers collègues, il n'y a pas que la méthode qui pose problème.

En effet, en second lieu, cet impôt présente beaucoup trop de faiblesses – d'ordre constitutionnel, opérationnel ou économique – pour être adopté.

Des faiblesses constitutionnelles, d'abord. Le Conseil constitutionnel, vous le savez, s'assure que l'imposition prend en compte la faculté contributive des contribuables, de telle sorte que la loi fiscale n'ait pas un caractère confiscatoire. Pour ce faire, le juge constitutionnel identifie un taux marginal maximal d'imposition.

Concernant la taxation de la fortune, il exige d'assortir l'imposition du patrimoine d'un mécanisme de plafonnement, sauf si le taux est suffisamment bas. En 2011, il a estimé qu'un taux de 0,5 % sans plafonnement était constitutionnel ; en revanche, en 2012, il a estimé qu'un taux de 1,8 % ne l'était pas en l'absence de plafonnement.

Très concrètement, le Conseil constitutionnel serait donc amené à censurer un taux d'imposition sur le patrimoine situé entre 0,5 % et 1,8 % s'il n'était pas assorti d'un dispositif de plafonnement sur les revenus.

Des faiblesses opérationnelles, ensuite, liées aux difficultés de valorisation. Je n'ai pas le temps, en dix minutes, d'expliquer en quoi il est compliqué pour les entreprises cotées, et plus encore pour les entreprises non cotées, de valoriser leurs valeurs.

Par ailleurs, des difficultés se posent au regard de la liquidité des personnes concernées. Le nouvel impôt pourrait toucher les personnes dont le rendement du patrimoine est faible, voire négatif. En effet, comme je l'ai indiqué, le taux de 7,5 % avancé par Gabriel Zucman est une moyenne : la croissance peut être positive une année, négative l'année suivante. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Cela vaut en particulier pour les entreprises nouvellement créées, qui viennent d'être lancées, en particulier les start-up. Les détenteurs d'actions de ces sociétés qui peuvent être fortement valorisées ne perçoivent pas nécessairement un revenu à ce jour puisque la valeur des actions est fondée sur les recettes futures estimées par les investisseurs en prévision des bénéfices à venir.

Très concrètement, le dispositif proposé pourrait ainsi obliger certaines personnes à revendre leurs actions pour s'acquitter de l'impôt, de surcroît pour un montant supérieur à la valeur de celui-ci parce qu'ils devront payer à ce moment-là 30 % de flat tax.

Les auteurs du texte ont bien perçu le problème puisqu'ils prévoient un lissage de cet impôt plancher sur la fortune en cas d'impossibilité pour le contribuable de s'acquitter de son paiement. Cependant, l'échelonnement sur cinq ans – et même sur six ans, comme certains le proposent ici – ne paraît absolument pas à même de lever le problème.

Par ailleurs, de l'aveu même de Gabriel Zucman, tout risque d'exil fiscal ne peut être écarté. Toutefois, il existe une divergence d'appréciation entre la commission, d'une part, et, lui et une partie d'entre vous, mes chers collègues, d'autre part. Selon vous, des études tendraient à démontrer que ce risque est assez faible. Certes, ces études existent et, certes, l'exil fiscal concerne une part relativement réduite des 360 000 assujettis à l'ISF, sur lesquels elles portaient.

Cependant, le cas d'espèce est différent : il est question ici d'un impôt qui, pour la première fois, porterait sur le patrimoine professionnel – cela n'a jamais été évalué – et s'appliquerait à un nombre bien plus réduit de contribuables – on ne sait d'ailleurs pas exactement combien : les auteurs estiment que l'imposition prévue toucherait près de 1 800 foyers fiscaux, à rapprocher du chiffre de 360 avancé en 2016. (M. Yannick Jadot s'exclame.)

Si un, deux ou trois de ces contribuables s'en vont, c'est en effet négligeable. Or, selon Challenges – à mon tour de citer un magazine –, 70 % de la fortune française est concentrée dans le top 10 des millionnaires ou milliardaires français. Autrement dit, si trois d'entre eux partent, c'est 50 % du rendement de l'impôt qui disparaît ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Capitulation !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Aussi, ce risque d'exit fiscal n'est absolument pas à négliger. D'ailleurs, un collègue de Gabriel Zucman, Antoine Levy, qui enseigne à Berkeley, nous a alertés sur ce point.

Enfin, ce texte présente des faiblesses économiques.

En contraignant leurs propriétaires à céder leurs actions pour l'acquitter, cet impôt dissuaderait de créer de nouvelles entreprises. Bien plus encore, il déstabiliserait l'actionnariat des entreprises françaises. D'ailleurs, vous reconnaissez implicitement qu'il y a un problème si j'en juge l'un des amendements que vous avez proposés, qui porte sur les entreprises stratégiques – mais elles ne seraient pas les seules concernées.

De plus, les personnes ainsi ciblées sont les premières à investir en capital-risque. Aussi, la mise en place d'un tel impôt porterait forcément atteinte à l'investissement des entreprises dans tous nos territoires, mes chers collègues.

Enfin, il n'apparaît pas nécessairement justifié d'imposer les revenus non distribués des entrepreneurs, qui, en empêchant la distribution de dividendes, ont fait le choix du développement de leur entreprise, contribuant par là même à celui de l'économie française. Je pense notamment à l'entreprise SEB.

En conclusion, mes chers collègues, on peut, comme Mme la ministre, imaginer des mécanismes pour éviter que les dividendes qui ne sont pas versés ne soient pas taxés ou atténuer une progressivité par trop limitée tout en haut du spectre. Nous n'y sommes pas hostiles. Cependant, le mécanisme qui nous est proposé n'est pas le bon ; la ministre en propose un autre.

La réponse – et vous ne serez pas étonnés que je formule une telle proposition – pourrait être, plutôt que d'augmenter les impôts des très riches, de baisser les impôts de tous, de sorte que les gens « normaux » se retrouvent dans la même situation que les très riches, notamment en ce qui concerne l'imposition de l'épargne, en leur offrant par exemple la possibilité de ne pas payer de flat tax sur les dividendes réinvestis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Protestations sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre de la proposition de loi dite Zucman visant à instaurer un impôt plancher sur les ultrariches.

Ce texte, sous des apparences de justice sociale, est traversé par une forme de démagogie aussi séduisante en surface qu'inquiétante dans ses conséquences. L'idée de faire contribuer davantage les plus fortunés peut, à première vue, sembler juste. Mais, à y regarder de plus près, cette mesure repose sur un mécanisme fragile, juridiquement contestable et économiquement risqué.

En effet, ce texte prévoit un impôt plancher de 2 % sur les contribuables ayant un patrimoine de plus de 100 millions d'euros, en intégrant dans l'assiette fiscale non seulement le patrimoine privé, mais aussi le patrimoine professionnel.

Cela signifie concrètement que l'on taxe sans distinction l'outil de travail, comme s'il s'agissait d'un simple coffre-fort. Or une entreprise n'est pas un capital dormant qui ne profite qu'à son propriétaire ; c'est un levier d'investissement, de croissance et de création d'emplois dans un pays.

Pardonnez-moi, mais cette loi enverrait un signal clair à ceux qui contribuent à l'attractivité économique de notre pays : celui de la défiance. Et ce, au moment même où la France a regagné en attractivité grâce à des réformes engagées depuis 2017.

Les résultats sont là : depuis 2018, ce sont près de 380 contribuables très fortunés qui sont revenus s'installer en France et y payer leurs impôts.

Je tiens à vous rappeler d'ailleurs quelques faits, ou plutôt à dresser un constat établi depuis 2015. La fameuse taxe de 75 % mise en place par le président Hollande sur les revenus dépassant 1 million d'euros par an a été, on peut le dire, un échec, et pour plusieurs raisons.

D'abord, parce qu'elle n'a pas rapporté les recettes escomptées. En deux ans, cette taxe n'a produit que 420 millions d'euros, une somme loin d'être négligeable, certes, mais bien en deçà de ce qu'on en attendait pour nos finances publiques.

Ensuite, parce qu'elle a provoqué un exil fiscal massif, en particulier chez les chefs d'entreprise. On estime entre 3 500 et 4 000 le nombre de contribuables ayant quitté la France, soit cinq fois plus qu'en 2011.

Enfin, elle a pénalisé l'attractivité économique de notre pays.

Aussi, j'ai la conviction que l'adoption de cette proposition de loi entraînerait les mêmes conséquences : exil fiscal et rendement nettement inférieur aux prévisions estimées.

Alors, posons-nous les vraies questions, mes chers collègues : souhaitons-nous faire revenir les talents ou les faire fuir ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Quels talents ?

M. Xavier Iacovelli. Souhaitons-nous une France d'opportunités ou une France de pénitence fiscale ? Souhaitons-nous réellement trouver une solution durable aux défis budgétaires de la France ou préférons-nous faire fuir nos plus gros contributeurs, au risque de faire peser un effort supplémentaire sur l'ensemble des Français ? (Mêmes mouvements.)

Ne nous trompons pas d'objectif : il s'agit, ici, non pas de défendre les ultrariches (Ah ! sur les travées du groupe GEST.), mais de défendre une vision, à savoir que la France est capable d'attirer les investissements et les talents.

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Bien dit !

M. Xavier Iacovelli. Mes chers collègues, dans un monde globalisé, les capitaux se déplacent, et les cerveaux aussi. Et nos concurrents n'attendent que nos erreurs. La Suisse, les Émirats, le Portugal, les États-Unis sont déjà prêts à accueillir tous ceux que nous découragerons. Oui, nous aspirons toutes et tous à un monde plus juste, plus égalitaire. Et cette proposition de loi, mes chers collègues, séduit par sa simplicité : « Taxons les plus riches pour plus de justice ! »

Les milliers de mails que nous avons reçus, souvent relayés sous couvert du soutien d'une partie de la classe politique, témoignent d'ailleurs de cette tentation collective du raccourci. Mais dès qu'on gratte un peu le vernis, on mesure la complexité d'un tel sujet. Appliquée seule, sans coordination internationale, cette mesure pourrait aggraver les inégalités qu'elle prétend combattre. (Oh ! sur les travées du groupe GEST.)

Tendre vers le bon sens est une ambition commune, mais confondre la simplicité et le simplisme, c'est prendre le risque d'une fausse solution à un vrai problème.

Aussi, nous devons privilégier les travaux menés au niveau international, comme y pousse le Président de la République et comme l'a rappelé Mme la Ministre, en vue d'une imposition minimale mondiale des plus fortunés.

Sur le plan national, il faut lutter contre une optimisation fiscale considérée comme injuste – et elle l'est réellement. En effet, on ne peut pas demander 40 milliards d'euros d'effort aux Français sans réfléchir à une contribution des plus riches, pour une meilleure justice fiscale. Mais cela doit se faire avec intelligence, dans un souci d'efficacité et avec le sens des réalités. Trouver des alternatives responsables ? Oui ! Tomber dans une démagogie punitive et symbolique ? Non !

Mes chers collègues, il est temps d'avoir le courage de défendre une ligne claire, celle d'une France ambitieuse et non pas pénalisante, d'une France qui attire et qui ne fait pas fuir, d'une France qui croit en ses entrepreneurs et qui ne les stigmatise pas. Le vrai courage, il ne réside pas dans une fiscalité permanente et punitive ; il réside dans l'investissement, dans la réforme, dans l'économie et dans la construction de solutions réalistes et pragmatiques.

Pour l'ensemble de ces raisons, les membres du groupe RDPI s'abstiendront majoritairement sur ce texte, certains votant contre. (M. le rapporteur applaudit.)