M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, sur l'article. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Ghislaine Senée. Nous avons l'occasion, grâce à cette proposition de loi, de traiter d'un sujet important.
Beaucoup de Français nous regardent. On peut nous accuser d'avoir mis en place une forme de lobbying, mais vous avez tous reçu dans vos boîtes aux lettres, mes chers collègues, des réactions de Français, mais également de maires, qui demandent que l'on puisse considérer cette question eu égard aux difficultés rencontrées par les collectivités. Et on sait bien à quel point, dans cet hémicycle, nous sommes attachés à ces dernières.
Notre premier objectif, madame la ministre, est d'essayer de sortir la France du marasme dans lequel, avec Emmanuel Macron, vous l'avez plongée au cours des sept dernières années.
Notre second objectif est de rappeler que nous sommes confrontés à l'heure actuelle à une forte tension sociale. La question de la justice sociale est donc absolument primordiale.
La réalité, c'est que nous sommes face à un déficit public qui explose : de 60 milliards d'euros en 2017, il a atteint 170 milliards d'euros en 2024, pour un total de 3 000 milliards d'euros de dette. En même temps, la France est un paradis fiscal pour ultrariches.
Ainsi, ses 500 plus grandes fortunes possédaient 570 milliards d'euros en 2017, alors qu'aujourd'hui, comme cela a été rappelé par plusieurs de nos collègues, ce montant atteint 1 228 milliards d'euros, l'équivalent de sept fois notre déficit public annuel. Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous devrions tous nous poser la question.
Si nous proposons cette taxe, défendue par Gabriel Zucman, par Bruno Le Maire, par vous-même au niveau européen, par Jean Pisani-Ferry, ainsi que par Olivier Blanchard, c'est que nous sommes face à une situation importante et grave, à laquelle cette mesure apporterait une réponse utile.
En outre, il nous faut absolument répartir les efforts que vous allez demander pour qu'ils ne soient pas à la seule charge des autres Français. D'où l'intérêt de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l'article.
M. Yannick Jadot. Madame la ministre, mes chers collègues de droite, dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec autant de ferveur 1 800 foyers fiscaux, détenteurs de plus de 100 millions d'euros de fortune et qui payent moitié moins d'impôts que les autres Français ? (Mme la ministre proteste.)
L'égalité fiscale, ce n'est pas rien dans notre histoire politique ! Elle a été consacrée par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle l'est également par l'article 1er de notre Constitution. Cela devrait faire réfléchir ceux qui se disent encore gaullistes…
Vous préférez, finalement, perdre 20 milliards d'euros de recettes potentielles…
M. Xavier Iacovelli. Et des emplois !
M. Yannick Jadot. … pour protéger ces privilégiés plutôt que d'investir dans la santé, notamment la santé mentale de notre jeunesse dont nous avons beaucoup parlé cette semaine, la transition écologique, la réindustrialisation, l'école ou l'hôpital.
Sommes-nous devenus une ploutocratie ? Le Sénat de la République, qui devrait se battre bec et ongles contre les coupes budgétaires qui abîment nos territoires et notre collectivité, est-il redevenu la chambre des pairs de la Restauration, plus soucieux de protéger uniquement les privilégiés ?
Sommes-nous revenus à l'Ancien Régime, où une caste, la plus riche, était exonérée de l'impôt ? Relisez ou lisez, madame la ministre, mes chers collègues, Tocqueville.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Il n'était pas écologiste !
M. Yannick Jadot. Il écrivait : « Or, de toutes les manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables. » Et il ajoutait : « Du moment où les deux classes ne sont pas également assujetties [à l'impôt], elles n'ont presque plus de raisons pour délibérer jamais ensemble, plus de causes pour ressentir des besoins et des sentiments communs ; […] on leur a ôté en quelque sorte l'occasion et l'envie d'agir ensemble. »
Alors ce n'est pas de la confiscation, ce n'est pas de l'obsession : il s'agit juste d'appliquer la loi et d'assurer l'égalité fiscale. Si, en plus, cela rapporte 20 milliards d'euros, franchement, c'est bon à prendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Colombe Brossel et M. Yan Chantrel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, sur l'article.
M. Grégory Blanc. Je formulerai trois remarques, puisque nous avons eu un débat rapide en commission des finances.
La première, c'est que les mots ont un sens. Or je ne suis pas convaincu que ce texte soit une loi d'équité fiscale. En effet, atteindre l'équité fiscale supposerait de refonder l'impôt sur le revenu et d'améliorer la fiscalité sur le capital.
Je rappelle que, avec le PFU, la fiscalité sur les dividendes est de seulement 12,8 %. Je rappelle également que les plus-values latentes, évoquées par notre collègue Canévet au cours de la discussion générale, ainsi qu'un certain nombre d'autres dispositifs nécessiteraient d'être remis sur la table. N'oublions pas non plus les héritages.
Cette proposition de loi n'est donc pas d'équité fiscale : son mérite premier est plutôt d'être un texte anti-abus. Or il me semble que nous devons davantage creuser cette question. J'ai entendu vos arguments, madame la ministre, mais je n'y souscris pas. Certes, un certain nombre de détenteurs de hauts patrimoines abusent, suroptimisent. Mais ce n'est pas en corrigeant des dispositifs, ce qui laissera nécessairement des trous dans la raquette, que nous arriverons à lutter contre toutes les formes de suroptimisation fiscale.
Deuxième remarque, la grande vertu de ce texte est d'être une novation fiscale, dans la mesure où y est agrégé ce qui relève de la fiscalité sur la personne physique et sur la personne morale – en l'espèce, les entreprises. Pourquoi ? Parce que la suroptimisation et les abus résultent de tours de passe-passe entre les revenus des personnes et ceux des entreprises, comme nous le savons bien, avec des remontées de résultats entre les sociétés mères, les sociétés filles et les holdings.
C'est précisément cela qui doit nous conduire à repenser la façon dont fonctionne notre fiscalité, en introduisant dans notre code général des impôts des outils similaires à ce qui est proposé.
Troisième remarque, lors de l'épidémie de covid, des patrimoines se sont considérablement enrichis parce que la Banque centrale européenne (BCE) a massivement injecté des liquidités. Or certaines personnes ont utilisé ces dernières pour valoriser les entreprises, racheter des actions et accroître leur patrimoine. Il serait tout à fait juste qu'il y ait un retour d'ascenseur. C'est une question morale.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, sur l'article.
M. Alexandre Ouizille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours de la discussion générale, il a été évoqué une proposition de loi totémique, une mesure symbolique. Nous croyons qu'il s'agit, à l'inverse, de quelque chose de fondamental.
Madame la ministre, vous disiez que le système fiscal français permettait de comprimer les écarts entre les différents déciles. Mais regardez la situation des patrimoines : en 1985, les 1 % les plus riches de ce pays détenaient 16 % de la richesse nationale, quand, aujourd'hui, ils en possèdent un quart. En d'autres termes, la confiscation se fait dans l'autre sens : les 99 % les plus pauvres de ce pays, c'est-à-dire tous les Français, se sont vus confisquer 8 % de la richesse nationale, de toute la richesse créée, au profit des 1 %. La confiscation est dans l'autre sens, et vous ne proposez rien sur ce sujet !
Il ne s'agit donc pas d'un totem, particulièrement quand on sait que, l'année prochaine, vous souhaitez trouver 40 milliards d'euros pour combler les déficits. Avec ce texte, nous vous offrons la moitié de ce montant. Par conséquent, vouloir continuer à appuyer sur les classes moyennes et sur les classes populaires alors qu'il existe d'autres solutions, comme celle qui est proposée, ce n'est pas normal.
Par ailleurs, a été évoquée la question de la constitutionnalité. Or la Constitution, me semble-t-il, se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est la situation actuelle qui est anticonstitutionnelle : aujourd'hui, l'impôt n'est pas redistributif puisque les gens ne payent pas « en raison de leurs facultés ». L'impôt est dégressif à partir des 0,1 % les plus riches, cela a été montré. Voilà ce qu'il faut réparer, et il y a urgence à le faire.
Je sais que vous y travaillez, madame la ministre, mais cela vous prend beaucoup de temps… Des promesses ont été faites lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, mais nous en attendons toujours les résultats, alors que voilà des années maintenant que vous êtes au Gouvernement.
M. Alexandre Ouizille. Ensuite, l'épargne viendrait à manquer, nous dit-on. Or nous savons que, dans notre pays, il existe un excès d'épargne. La peur de voir l'épargne partir je ne sais où n'est pas le sujet !
Nous avons donc la possibilité d'agir alors que, aujourd'hui, se reconstitue une société d'héritiers, une société d'Ancien Régime, figée. Ainsi, 65 % du patrimoine est hérité. Que pouvons-nous dire à ceux qui essayent de s'en sortir par leur travail ? Je suis d'accord avec mes collègues : il y a eu une nuit du 4 août ; il faut, désormais, un après-midi du 12 juin pour changer la situation ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l'article.
M. Yan Chantrel. Ce débat est éclairant et constitue un moment de vérité. Il s'agit d'un moment de vérité vis-à-vis des Françaises et des Français sur le fait que vous souhaitez, madame la ministre, que les efforts reposent toujours sur les mêmes et que vous entendez toujours en épargner d'autres, c'est-à-dire les multimillionnaires.
M. Yan Chantrel. Un grand nombre d'erreurs ont été commises en matière de politique économique depuis huit ans. D'ailleurs, cette politique économique et fiscale est endossée par la droite sénatoriale quand elle refuse cette taxation.
Ainsi, pendant huit ans, vous n'avez fait que baisser les impôts des plus riches, vous avez supprimé l'ISF, vous avez diminué les impôts des grandes entreprises, ce qui est à l'origine d'un déficit de 700 milliards d'euros ! Il est dû à cette politique économique, qui n'a même pas créé le moindre point de croissance. En effet, celle-ci n'a jamais été aussi atone qu'au cours des huit années marquées par cette politique fiscale et économique.
Face à un tel échec, il conviendrait de revenir sur cette politique, surtout si l'on souhaite combler le déficit. En effet, sans cela, vous enverriez à nos compatriotes le message selon lequel eux seuls devront en acquitter le coût, au travers de coupes sur des dépenses qui vont les toucher directement, en affectant les soins, l'école. Voilà ce que vous préparez pour le prochain budget !
Vous souhaitez 40 milliards d'euros. Pas de problème : ce soir, 20 milliards d'euros vous sont offerts ! Et cela ne concerne que ceux qui gagnent plus de 100 millions d'euros dans notre pays.
M. Yan Chantrel. Je le répète : 100 millions d'euros, avec un taux de 2 %. Même si le gouvernement dont vous faites partie compte une moitié de millionnaires, ses membres ne sont même pas concernés, puisque leur patrimoine est inférieur à 100 millions d'euros. Vous serez donc épargnés !
Je le redis, 100 millions d'euros et un taux de 2 %, parce que ceux qui sont concernés ne payent que 27 % en termes de cotisations sociales et d'impôts alors que, pour nos compatriotes, ce taux atteint 50 %. Elle est là, la justice.
Le redressement des comptes publics ne sera jamais accepté sans justice fiscale, et si les plus fortunés n'y contribuent pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, sur l'article.
Mme Anne Souyris. Nous vous avons entendu, monsieur de Legge, madame de Montchalin. Vous reconnaissez, finalement, qu'il existe bien une inégalité fiscale, que le dispositif proposé n'est pas si mal et qu'il est relativement simple.
Mais faisons autrement, dites-vous. Commençons par le projet de loi de finances, suggère l'un. Révisons les modes de calcul du revenu de référence et réévaluons l'ensemble du dispositif, propose l'autre.
En attendant, pourquoi n'est-il pas possible de mettre en place ce dispositif fiscal si simple, qui vient compenser la quasi-absence d'impôt ?
Le Gouvernement demande aux Français un effort de solidarité considérable – on parle tout de même de 40 milliards d'euros. Soutenez-les donc, en votant cette imposition à 2 % ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l'article.
M. Pascal Savoldelli. Je vais poursuivre votre raisonnement, madame la ministre, car nous nous référons au même rapport. Il indique que, avant transfert, les ménages aisés disposent en moyenne d'un revenu 18 fois supérieur à celui des ménages les plus pauvres.
M. Pascal Savoldelli. Sur ce point, on vous suit. Ce n'est qu'après transfert, c'est-à-dire qu'après accès aux services publics – vous avez oublié de le dire ! –, que les inégalités se réduisent significativement. L'écart est alors ramené à un rapport de 1 à 3.
Mais qui finance les services publics ? Qui réduit cet écart ? C'est la dépense publique ! Nous devons donc mettre à contribution les ultrariches pour financer les services publics. (Mme la ministre sourit.)
Vous affichez un sourire amical, madame la ministre, mais la question est sérieuse. Le rapport que vous mentionnez mérite la lecture la plus aiguisée possible.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Je formulerai quelques observations très rapides sur ce qui a été dit. Il est important d'avoir des débats sereins.
J'entends parfaitement les critiques de Mme Senée et de MM. Blanc, Chantrel et Savoldelli. Quant à vous, monsieur Jadot, je pense objectivement que vous avez dérapé lorsque vous avez reproché aux sénateurs de droite – ou au Sénat en général – de défendre les milliardaires et de s'attaquer à ce texte pour ce seul motif. (C'est pourtant vrai ! sur les travées des groupes GEST et SER.)
Vous êtes dans la pure caricature quand vous vous interrogez sur le régime dans lequel nous vivons et que vous vous demandez si ce n'est pas une ploutocratie. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Non, mon cher collègue, nous vivons bien en démocratie !
En démocratie, le Sénat, justement, résiste à toutes les pressions, celles des lobbies ou celles que vous nous imposez depuis une semaine. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Je veux parler des mails envoyés à tous les sénateurs pour les pousser à voter. Cette pratique n'est pas acceptable !
Bref, je vous invite à débattre sereinement parce que nous vivons dans une démocratie.
Vous le savez parfaitement – car vous en discutez entre vous, et parce que le professeur Zucman vous l'a dit –, votre proposition de loi, qui prévoit un impôt plancher à 2 % sans plafonnement, est contraire à notre Constitution. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Guy Benarroche. Déposez un recours !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Vous proposez un dispositif anticonstitutionnel et, dans le même temps, vous reprochez aux sénateurs de droite ou de la majorité sénatoriale de ne pas respecter la démocratie : c'est un peu fort de café !
En démocratie, on débat et on n'attaque pas ses adversaires comme vous le faites.
M. Guillaume Gontard. Vous nous attaquez aussi !
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Pour être tout à fait honnête, je trouve qu'il est quelque peu nauséabond et populiste de vouloir faire croire aux gens que la majorité sénatoriale s'oppose au texte pour protéger les plus riches, alors qu'elle vise exactement l'objectif contraire ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
En effet, elle ne cherche qu'à protéger l'économie et les entreprises de notre pays, afin qu'un plus grand nombre d'investissements soient réalisés dans l'ensemble de nos territoires.
Si vous refusez cette évidence et que vous pensez pouvoir rentrer dans vos circonscriptions en vous targuant d'avoir tué l'emploi et l'investissement, vous vous mettez le doigt dans l'œil ! (Mme Laure Darcos applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Michaël Weber. C'est vous qui serez mal accueillis !
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, sur l'article.
M. Michel Canévet. En écoutant certains orateurs s'exprimer tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que les ultrariches – c'est ainsi que plusieurs de nos collègues les désignent – ne paieraient pas d'impôts dans notre pays. Ce n'est pas la réalité !
L'année dernière, les recettes au titre de l'impôt sur le revenu l'État ont représenté 83 milliards d'euros. Sur les 41 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, 19 millions se sont acquitté de cet impôt, soit moins de la moitié.
En outre, 10 % des contribuables de l'impôt sur le revenu en ont payé 75 % du produit. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Cela signifie que, l'année dernière, 4 % des foyers fiscaux ont payé les trois quarts de l'impôt sur le revenu. (M. Guy Benarroche proteste.)
Ainsi, le fait de prétendre que certains foyers fiscaux ne paieraient pas d'impôts dans notre pays ne pose pas les termes du débat dans le bon sens. Il faut donc rectifier les choses et reconnaître que les plus aisés contribuent bien à l'impôt. C'est une évidence, car nous avons un système fiscal progressif et proportionnel aux revenus.
M. Daniel Salmon. Y a-t-il redistribution ? Non !
M. Michel Canévet. J'ai aussi entendu que le produit de la contribution s'élèverait à 20 milliards d'euros. Sur quels éléments vous basez-vous pour dire cela ? Rien ne permet d'affirmer que vous pourriez récupérer une telle somme : c'est un mirage que vous donnez à voir aux Français !
Il faut connaître la réalité des chiffres, or vous ne l'avez pas ! Je veux bien qu'on fasse croire qu'on trouvera des milliards gratuitement, mais, pour ma part, je ne peux m'empêcher d'y voir un mirage et beaucoup d'ironie.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, sur l'article.
Mme Christine Lavarde. Je n'ai pas assisté à l'intégralité des débats, mais on m'a rapporté les propos qui ont été tenus sur notre prétendue posture politique et sur ce que nous penserions ou ne penserions pas.
Je rappellerai que notre groupe, depuis plusieurs années, a défendu avec constance lors de l'examen des PLF une révision de l'impôt sur la fortune immobilière, afin de taxer la fortune dite improductive, qui ne contribue absolument pas à l'économie française. Il se trouve que, jusqu'à présent, notre proposition n'a pas trouvé un écho suffisant pour qu'elle puisse entrer en vigueur.
Cette année, comme l'an dernier, le rapporteur général s'est battu pour que l'on mette en place un dispositif « anti-CumCum ». Si nous n'avions pas été très actifs et vigilants jusqu'à la réunion de la commission mixte paritaire, ce dispositif ne figurerait pas dans la loi de finances qui a été promulguée.
Du reste, pas plus tard qu'au printemps, nous avons de nouveau appelé, dans le cadre de la commission des finances, à prendre des mesures d'application réglementaire pour rendre le dispositif effectif.
De grâce, ne dites pas que nous sommes aveugles aux problèmes que peut poser la contribution des plus riches ! Il n'empêche que nous le réaffirmons avec force : la mesure proposée est inefficace et inefficiente, comme l'ont expliqué tous les orateurs qui, depuis la tribune, ont annoncé voter contre ce texte.
En effet, nous pensons qu'il est nécessaire de continuer à investir et à soutenir les investissements, la création et l'innovation dans de nombreux domaines, notamment la transition climatique et la défense. Il me semble que nous nous rejoignons sur tous ces sujets. Par ailleurs, il est essentiel de garantir notre souveraineté dans plusieurs secteurs et filières.
Or, avec cette proposition de loi, vous consentez à ce que les détenteurs d'actifs les cèdent pour payer votre impôt.
Regardez ce qui se passe non loin d'ici, de l'autre côté de la Manche, dans un pays dirigé depuis quelques mois par un gouvernement travailliste. Depuis que ce dernier a mis en place des mesures récentes de taxation des plus riches, il y a exactement 11 000 millionnaires qui ont quitté le pays.
C'est peut-être l'objectif que vous souhaitez atteindre, mes chers collègues, bien que vous ne visiez que 1 800 foyers fiscaux.
Pour conclure, je vous poserai cette simple question : pourquoi Gabriel Zucman, malgré ses interpellations à l'OCDE, n'a-t-il pas réussi à mettre en place cette taxe dans les pays qui ont un gouvernement de gauche ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je m'efforcerai d'être très rapide, en répondant sur deux points.
Premièrement, j'espère que personne, ici, ne se dit que nous protégerions ou mettrions sous cloche 1 800 personnes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
Dans notre pays, les ETI, lesquelles sont précisément les entreprises qui produisent des dividendes non distribués et ont des valorisations importantes, représentent 4 millions d'emplois, contre 1,2 million d'emplois pour les entreprises du CAC40.
Pour ma part, je ne protège rien ni personne, excepté l'économie, les emplois, l'investissement et la croissance, c'est-à-dire notre capacité à être les plus attractifs possible, dans une forme de cohérence européenne.
M. Guillaume Gontard. Et ça fonctionne ?
Mme Amélie de Montchalin ministre. C'est la raison pour laquelle je n'ai aucune difficulté à soumettre de nombreuses propositions dans le cadre de l'OCDE ou à l'échelon européen.
M. Yannick Jadot. Vous n'avez qu'à donner l'exemple en matière fiscale !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. On peut toujours donner l'exemple, mais si l'on est seul on finit par se retrouver complètement isolé ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. C'était déjà le cas pour la TVA !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Deuxièmement, je veux évoquer les enjeux budgétaires, en faisant un raisonnement par l'absurde.
Certains d'entre vous prétendent qu'avec votre proposition le déficit public serait réduit de moitié. Or elle ne me semble pas pertinente si nous souhaitons arrêter de créer de la dette chaque année et maintenir le déficit sous la barre des 3 % du PIB, d'ici à 2029. C'est un horizon déjà trop lointain, vu la situation que nous vivons collectivement.
En effet, à l'heure actuelle, nous payons plus d'intérêts de la dette que nous ne dépensons pour l'éducation nationale. Nous pourrions au moins nous accorder sur le fait que cette situation n'est pas satisfaisante.
M. Thomas Dossus. C'est vrai !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. D'ici à 2029, il nous faudra globalement réduire notre dépense d'environ 100 milliards d'euros.
Vous dites qu'on collecterait 25 milliards d'euros avec ce taux de 2 %. Pour avoir le même rendement l'année suivante, il faudrait porter le taux à 4 %.
M. Pascal Savoldelli. Oh, franchement…
M. Emmanuel Capus, rapporteur. C'est M. Savoldelli qui a la solution, bien sûr !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je cherche 100 milliards d'euros : avec une taxe à 2 % chaque année, on arrivera finalement à 8 %. (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.) Si on ne fait pas comme cela, il faudra faire 75 milliards d'économies sur les dépenses publiques.
Notre devoir de sincérité nous impose de dire aux Français que nous ne pouvons pas arrêter d'augmenter notre dette sans revoir le rythme et la nature des dépenses ou l'organisation des services publics.
M. Grégory Blanc. Non, c'est votre vision idéologique !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Autre manière de dire les choses : si nous laissons la situation en l'état, la dépense en matière de santé augmentera naturellement de 15 milliards d'euros chaque année.
Pour couvrir cette dépense nécessaire – la santé –, il faut un nouvel impôt puisque vous ne voulez pas, vous l'avez dit, réduire la dépense. Or, en suivant votre raisonnement, il faudra collecter 15 milliards d'euros supplémentaires chaque année. (M. Pascal Savoldelli proteste.) Ce ne sera donc pas seulement 2 % cette année : il faudra ajouter 2 % de plus l'année suivante, et ainsi de suite. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Pascal Savoldelli. Vous êtes ministre des comptes publics !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Justement, en tant que ministre des comptes publics, je dois dire que votre texte suscite une grande confusion. En effet, vous proposez un impôt qui rapportera peut-être 25 milliards d'euros, une seule fois.
Cependant, notre équation budgétaire nous impose de répéter notre effort chaque année. Or vous savez que votre proposition n'aura qu'un effet ponctuel. Vous considérez que votre impôt est formidablement calibré, mais la situation dans laquelle se trouve notre pays nous obligera, tous les ans, à réduire notre dépense.
Bref, je tenais à mettre ces arguments dans la balance, afin que nous ne fassions pas croire aux Français que nous aurions sous les yeux une solution facile dont nous nous priverions. (Vices exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Très bien !
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, si nous n'achevons pas la discussion de cette proposition de loi à dix-huit heures, je crains que nous ne puissions examiner le second texte à l'ordre du jour dans les délais impartis.
Je vous rappelle que je ne peux pas interrompre Mme la ministre, qui n'a pas de limite de temps de parole. (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Daubet, Roux, Bilhac et Fialaire, est ainsi libellé :
Alinéa 28
Après le mot :
million
insérer les mots :
cinq cent mille
La parole est à M. Raphaël Daubet.
M. Raphaël Daubet. Cet amendement pragmatique porte sur un point de détail : il vise à prendre en compte la réalité des situations en relevant l'abattement sur la résidence principale de 1 million à 1,5 million d'euros.
Voilà une mesure ciblée qui, sans remettre en cause l'esprit du texte, tient compte du caractère peu productif de la résidence principale et de son poids limité dans le patrimoine global des contribuables concernés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la commission propose de rejeter cette proposition de loi. Ainsi, par cohérence, elle émettra un avis défavorable sur l'ensemble des amendements déposés, quel que soit le sens dans lequel ils vont, même s'ils peuvent parfois contribuer à améliorer le texte.
En l'espèce, cet amendement, qui porte sur un point extrêmement précis, tend à relever de 1 million à 1,5 million d'euros l'abattement sur la résidence principale. Il s'agit d'une mesure cosmétique, qui ne change pas la physionomie générale du texte.
Ce sujet n'a pas été évoqué au cours des auditions que nous avons menées. Il est ici question des contribuables dont le patrimoine excède 100 millions d'euros. On peut donc objectivement supposer qu'ils possèdent une résidence principale dont la valeur dépasse largement 1,5 million d'euros, ne serait-ce que s'ils habitent à proximité du Sénat, dans un appartement de plus de 100 mètres carrés.
Le problème qui a été soulevé est celui non pas de la résidence principale, mais de l'outil de travail. Les amendements devraient plutôt se concentrer sur ce point, d'autant que nous sommes nombreux à avoir partagé nos préoccupations sur le sujet, au centre et à droite, mais pas seulement.