M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans votre hémicycle pour discuter d'un texte d'actualité, puisque la conférence des Nations unies pour les océans s'est ouverte lundi à Nice.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ma collègue Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de la mer et de la pêche, ne peut pas être devant vous aujourd'hui. Elle porte, à Nice, la voix de la France, une voix forte et ambitieuse pour mieux protéger nos océans. Elle partage pleinement, je le sais, l'ambition que traduit cette proposition de loi, celle d'une protection renforcée de l'océan, de sa biodiversité et de ses écosystèmes ; une protection qui est le gage de notre souveraineté écologique, économique et alimentaire.
Le Président de la République mène ce combat depuis huit ans et a réaffirmé son engagement avec force à Brest, en 2022, lors du One Ocean Summit, puis ces derniers jours à Nice.
Mais cette ambition, partagée avec nos partenaires, sera vaine si nous la portons de manière dispersée.
Depuis 2017, nous avons agi. Aujourd'hui, 33,6 % de nos eaux sont des aires marines protégées ; cela va au-delà de l'objectif mondial de 30 % fixé pour 2030. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.) Et ce chiffre est passé à 78 % avec Tainui Atea, en Polynésie française : annoncée à l'Unoc, c'est la plus grande aire marine protégée au monde ; cet engagement fort fait de la France un leader mondial.
Mais cela ne suffit pas : à ce jour, 4,8 % seulement de nos eaux bénéficient d'une protection forte et à peine 0,1 % autour de la France hexagonale.
C'est tout le sens des annonces faites à Nice par le Président de la République et la ministre chargée de la mer et de la pêche : nous allons passer à 14,8 % au niveau national, grâce à la nouvelle zone classée comme telle en Polynésie française et à la labellisation de 4 % de nos eaux hexagonales.
Nous avons lancé une stratégie claire, progressive, sans dogmatisme, en lien fort avec les réalités locales. Nous aurons atteint, dès 2026, notre premier palier de 10 % de protection forte, avec quatre ans d'avance, et je salue les efforts de concertation qui ont permis d'arriver à un tel résultat.
L'article 1er de cette proposition de loi vise à remplacer la notion de protection forte par celle de protection stricte, en imposant une application uniforme de l'objectif de 10 % à chaque façade maritime.
Cependant, la protection forte que nous défendons ne s'appuie pas sur l'exclusion systématique a priori de toute activité humaine ; elle relève plutôt d'une démarche qui vise à attribuer ce label si les activités pratiquées ont un impact négligeable ou nul sur les enjeux écologiques effectivement présents.
Non, les enjeux écologiques, les usages, les pressions ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans l'Atlantique ou dans les outre-mer. Imposer arbitrairement une exclusion systématique reviendrait à appliquer un modèle unique à des écosystèmes et à des dynamiques humaines et territoriales fondamentalement différents. Ce serait inefficace écologiquement et injuste socialement.
Nous défendons une planification rigoureuse, fondée sur les usages existants – pêche, transport, énergie – et sur une évaluation fine de leurs impacts écologiques. C'est la seule voie pour atteindre durablement les objectifs de conservation.
Le Président de la République l'a rappelé lundi à Nice : d'ici à 2028, toutes les aires marines protégées devront intégrer des zones de protection forte, un plan de lutte contre les pollutions telluriques et de nouvelles régulations, y compris en matière de pêche.
Dès 2026, 14,8 % de nos eaux seront en protection forte. Cette progression se fera en priorité dans les zones les plus sensibles : canyons, coraux profonds, herbiers de posidonie, mangroves, etc. Dans ces espaces, toute activité humaine à impact significatif, y compris le chalutage de fond, sera interdite.
C'est une méthode claire, progressive, qui repose sur un équilibre entre la protection de la nature et la reconnaissance des usages humains.
Laisser sa place à l'homme dans ces zones de protection forte, c'est permettre aux visiteurs de s'émerveiller devant la beauté et la richesse d'un écosystème préservé et les sensibiliser à l'importance d'une telle préservation.
L'article 2 comporte deux mesures : la mise en place d'une stratégie nationale de transition pour les flottilles utilisant le chalut de fond et l'interdiction de ce type de pêche dans la bande des douze milles marins pour les navires de 25 mètres et plus.
Sur ce second point, notre position est claire. (Ah ! sur les travées du groupe GEST.)
Premièrement, une telle interdiction serait contraire au droit européen. La politique des pêches étant une compétence exclusive de l'Union européenne, une concertation avec les États voisins et la Commission européenne est nécessaire. Sans base scientifique solide, cette disposition pourrait être jugée discriminatoire et annulée. (Mme Mathilde Ollivier s'exclame.)
Deuxièmement, le seuil de 25 mètres est arbitraire.
M. Daniel Salmon. Un seuil est toujours arbitraire !
M. Philippe Baptiste, ministre. Il serait exposé à des contournements techniques et ne permettrait pas d'atteindre les objectifs écologiques visés. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Enfin, diplomatiquement, la France s'est battue pour maintenir l'accès de ses navires, y compris ceux de plus de 24 mètres, aux eaux britanniques, dans la bande des 6 à 12 milles.
Mme Mathilde Ollivier. Ils sont trois !
M. Philippe Baptiste, ministre. Une interdiction nationale aussi stricte affaiblirait notre position internationale et pourrait entraîner des mesures de rétorsion.
Cette disposition méconnaît également les efforts déjà engagés par les professionnels de la pêche. Je veux saluer ici, en particulier, l'accord signé en octobre 2024 – le Gentlemen's Agreement – entre pêcheurs français, belges et néerlandais, qui encadre volontairement les techniques de pêche dans la Manche Est. La preuve est ainsi faite que, dans le dialogue, des solutions peuvent être trouvées.
Oui, nous voulons interdire le chalutage de fond, mais dans les zones écologiquement sensibles, sur la base d'études rigoureuses et dans un cadre européen harmonisé, garant d'un traitement équitable entre les États dans des eaux désormais communautarisées.
Par ailleurs, la création d'une nouvelle stratégie nationale de transition pour les flottilles pratiquant le chalutage de fond ne nous paraît pas pleinement pertinente.
Tel est notre sentiment, d'abord, parce qu'elle se concentre uniquement sur le chalut de fond, sans prendre en compte les autres engins traînants, comme la drague, tout aussi sensibles pour les habitats fragiles. Elle ignore également les impacts d'autres engins, comme les filets et les palangres, qui suscitent des risques importants de capture accidentelle, notamment pour les cétacés ou les oiseaux marins.
Ensuite, elle néglige les effets de report vers d'autres techniques : les conséquences sur les stocks halieutiques, sur les quotas, ou encore sur les captures accidentelles doivent être sérieusement évaluées.
De plus, ces sujets sont déjà largement traités dans les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité (SNB), la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), les analyses risque pêche (ARP) dans les sites Natura 2000, le plan d'action national 2026 prévu par le règlement européen sur la restauration de la nature et, enfin, le contrat stratégique de filière pêche, signé en 2025, qui prévoit le développement d'engins moins destructeurs.
On risque donc d'aboutir à des doublons et, surtout, à des incohérences si l'on multiplie les stratégies en silo. Le véritable enjeu, c'est la mise en œuvre effective des démarches déjà engagées, et c'est bien là que nous concentrons aujourd'hui nos efforts.
Enfin, si une nouvelle stratégie devait être élaborée, l'échelle nationale serait discutable.
La politique commune des pêches relève du cadre européen, tout comme les règles d'accompagnement financier. Toute stratégie doit être compatible avec cette gouvernance partagée.
Le combat de ma collègue Agnès Pannier-Runacher se situe donc bien à Bruxelles ; il doit être mené collectivement, avec nos collègues parlementaires européens, en rang serré face à la Commission européenne.
Nous ne sommes pas isolés sur ces sujets. Un groupe d'États membres réunis par ma collègue partage déjà des lignes de front communes pour entamer une révision cohérente et juste de cette politique commune des pêches.
C'est pour toutes ces raisons que nous poursuivrons, avec méthode, ambition et détermination, la mise en œuvre de notre propre feuille de route, fondée sur le dialogue et l'efficacité.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des Nations unies sur l'océan s'achève demain, et le texte très opportun que nous avons à examiner ce soir nous interroge, en premier lieu, sur la cohérence du discours de la France avec ses actes.
En effet, la position actuelle est pour le moins ambivalente.
D'un côté, le Président de la République s'est félicité de la présence encourageante d'une soixantaine de chefs d'État, venus du monde entier, à cet événement, malgré un contexte géopolitique fragmenté. Et il a raison : la diplomatie française a énormément œuvré pour faire de ce sommet une réussite. Elle a même réussi à faire venir à Nice des chefs d'État profondément climatosceptiques : je pense à Javier Milei, sans doute venu plutôt par opportunisme que par conviction.
Au moins, cette conférence a montré à quel point le sujet est désormais porté au plus haut niveau par les dirigeants du monde entier.
Pour autant, en même temps, l'approche française concernant la mise en place et le niveau de protection des aires marines protégées se révèle trop souple au regard des standards européens.
Or la France se doit, plus que jamais, d'être à la hauteur sur ce sujet, non seulement parce que nous nous félicitons des avancées obtenues cette semaine, mais aussi et surtout parce que la France possède, grâce à ses territoires ultramarins, la deuxième zone économique exclusive mondiale. Cela nous oblige.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui – je tiens à féliciter son auteure, notre collègue Mathilde Ollivier – propose une approche ambitieuse qui permettrait justement à notre pays d'assumer pleinement ce rôle.
La protection de nos océans est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Couvrant 70 % de la planète, ils constituent un puits de carbone absorbant environ un tiers du CO2 émis par les activités humaines. Ils jouent un rôle majeur dans la régulation du climat et produisent près de la moitié de l'oxygène que nous respirons.
Les océans sont aussi les premiers à subir les conséquences des activités humaines, dont la surpêche.
Cette surpêche a des conséquences graves. Selon l'Office français de la biodiversité, l'immense majorité des habitats marins et côtiers de l'Hexagone est en mauvais état et près d'un tiers des poissons débarqués proviennent de stocks surexploités.
La protection de la biodiversité marine est également essentielle pour garantir la pérennité économique du secteur de la pêche, dont dépendent de nombreux emplois et territoires, ainsi que notre sécurité alimentaire.
Or, en la matière, la réglementation française apparaît trop souple.
La stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité comporte l'objectif de placer sous protection, d'ici à 2030, 30 % des aires marines, dont au moins un tiers sous protection stricte. La France a pourtant choisi une protection moindre, dite « forte ».
Dans les faits, cette notion reste floue et repose sur une approche au cas par cas, n'excluant par principe autre activité, même la surpêche. C'est ce que vise à corriger l'article 1er de la proposition de loi.
L'article 2 vise, pour sa part, à concilier les activités de pêche et la protection des écosystèmes marins.
Par amendement, notre collègue Mathilde Ollivier a voulu, dans un esprit de compromis, alléger la rédaction de cet article pour ne retenir que l'interdiction, à compter du 1er janvier 2026, de l'exercice de la pêche par les mégachalutiers.
Il est tout à fait indéniable que les méthodes employées par ces bateaux provoquent des dégâts considérables. Le chalutage est une pratique de pêche non sélective qui, en raclant les fonds marins, détruit les habitats et capture des espèces non ciblées, ainsi que des poissons bien trop jeunes, compromettant ainsi la reproduction des espèces.
Par ailleurs, cette filière, peu créatrice d'emplois et marquée par des conditions de travail souvent très difficiles, est de moins en moins rentable. Les activités des mégachalutiers exercent une pression massive sur l'environnement et menacent la survie de la pêche artisanale.
Cette proposition de loi constitue une avancée nécessaire pour répondre aux défis environnementaux et économiques qui pèsent sur nos océans et sur l'avenir de la pêche française.
Elle vient également en appui aux milliers d'initiatives venues de la société civile dans le monde entier, de l'association à la start-up, pour œuvrer quotidiennement à la préservation de nos océans, souvent en silence.
Dans ces initiatives, on retrouve souvent des Français de l'étranger – chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs –, premiers spectateurs de la richesse comme de la fragilité de notre planète.
Cette proposition de loi permettrait à la France d'être à la hauteur de ses engagements internationaux, en soutenant une pêche plus durable et équitable. Parce qu'elle s'attaque à un sujet essentiel, et parce que nous demandons un peu de cohérence entre les déclarations de la France et ses engagements, mon groupe, le RDSE, lui sera largement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a coutume de dire que la mer ne rend jamais tout à fait ce qu'elle prend. En Vendée, comme ailleurs, nous le savons.
Ce que la mer nous offre, en revanche, c'est un devoir : celui de la protéger, sans jamais oublier ceux qui vivent à proximité, qui y travaillent et qui l'aiment.
Si je partage l'ambition de ce texte, les solutions avancées ne me semblent pas répondre efficacement aux défis que nous devons relever, car protéger l'océan, ce n'est pas dresser une digue entre écologie et économie.
M. Michel Canévet. C'est vrai !
Mme Annick Billon. C'est faire en sorte que les deux cohabitent. Et pour cela, il faut embarquer tout le monde à bord ; sinon, on ne protège pas, mais on oppose et on fragilise.
Je veux néanmoins reconnaître à ce texte un effort d'anticipation.
Les décisions prises dans la précipitation ont eu des conséquences graves : je pense par exemple à la fermeture du golfe de Gascogne, décidée à la hâte trois mois avant qu'elle ne soit effective, qui a plongé tout un territoire dans la tourmente. En 2024, trente-sept bateaux vendéens sont restés à quai ; les trois criées vendéennes ont perdu 2,4 millions d'euros de chiffre d'affaires ; à l'échelle nationale, les pertes se sont élevées à 22 millions d'euros.
Et que dire de l'aval ? Mareyeurs, criées, coopératives d'accastillage, réparation navale, transport frigorifique : tous touchés !
On l'oublie trop souvent, mais un pêcheur en mer, c'est quatre emplois à terre. Or le texte fait aussi abstraction de cette réalité en ne prévoyant de compensation que pour les pêcheurs.
Ces filières sont les oubliées du débat, alors qu'en 2023 déjà, 35 % des entreprises de la filière aval étaient en situation de dépôt de bilan. J'ai interrogé le Gouvernement à trois reprises sur ce sujet, en janvier et en octobre 2024, puis en janvier dernier.
J'en profite pour saluer le travail rigoureux mené par nos collègues Alain Cadec, Yves Bleunven et Philippe Grosvalet pour leur récent rapport d'information relatif à la pêche dans le golfe de Gascogne. Ils ont levé le voile sur la brutalité de cette fermeture et sur ses conséquences économiques.
Je tiens à rappeler deux points majeurs.
Premièrement, un cadre réglementaire existe déjà. Les pêcheurs sont soumis à des quotas : chaque année, l'Union européenne fixe une limite de poissons à pêcher, selon les avis des scientifiques sur l'état des stocks.
Deuxièmement, la filière agit, innove et investit. Le chalutage travaille ainsi à réduire sa consommation d'énergies fossiles. Dans le golfe de Gascogne, les pêcheurs français ont investi 30 millions d'euros dans des systèmes de répulsifs acoustiques, les fameux pingers, pour éviter les captures accidentelles de cétacés.
Réduire le problème aux filets est une erreur. Les atteintes graves à la biodiversité marine viennent d'abord des terres : plastiques, nitrates, pollutions industrielles. En 2050, il pourrait y avoir plus de déchets plastiques que de poissons dans l'océan !
Ce texte, dans son article 1er, impose une protection stricte d'au moins 10 % de chaque façade maritime. C'est un coup de règle sur la carte, une approche uniforme et rigide.
Mme Mathilde Ollivier. Mais non !
Mme Annick Billon. C'est aussi une rupture nette avec la stratégie définie dans la loi Climat et Résilience, qui s'appuie sur la concertation et la différenciation territoriale.
M. Michel Canévet. Absolument !
Mme Annick Billon. On ne peut pas imposer la même protection pour la Méditerranée, l'océan Atlantique ou nos territoires ultramarins. Les réalités géographiques et humaines imposent de la finesse. La mer n'est pas un quadrillage administratif ; c'est un vivant mouvant et complexe.
Quant à l'article 2, qui programme la fin du chalutage de fond, il se heurte au même écueil : absence d'analyse d'impact et de concertation. On propose d'interdire les navires de 25 mères et plus dans la bande des douze milles : cela revient à lancer une course aux bateaux de 24,9 mètres ! (Mme Mathilde Ollivier proteste.)
Soyons clairs, certaines espèces ne peuvent pas être pêchées autrement qu'au chalut. Si nous voulons continuer à trouver de la langoustine et des coquilles Saint-Jacques dans nos assiettes, nous devons préserver ces techniques, tout en les améliorant.
La France importe déjà 80 % de sa consommation de poissons.
M. Michel Canévet. Eh oui !
Mme Mathilde Ollivier. Ce sera encore pire !
Mme Annick Billon. Bannir le chalutage reviendrait à déplacer définitivement le problème sur un autre rivage.
Nous avons besoin d'une vraie réflexion sur les mégachalutiers industriels, ces usines flottantes qui ratissent large et vident les mers. Ils sont bien loin des pratiques de nos pêcheurs.
La mer est un bien commun. Nous devons garantir l'équilibre entre protection et production, entre nature et culture. Or, sur nos côtes, cette culture, c'est aussi celle de la pêche.
Alors oui, mes chers collègues, le groupe Union Centriste partage l'objectif affiché par ce texte, protéger les fonds marins, mais nous ne soutenons absolument pas les moyens proposés.
Il a été beaucoup question de l'Unoc jusqu'ici, mais, selon le dernier rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la durabilité des stocks mondiaux de poissons est en forte hausse, quelles que soient les espèces. C'est une information majeure à porter à notre débat. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mathilde Ollivier. Tout va bien, alors !
Mme Annick Billon. Pour toutes ces raisons, le groupe UC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Canévet. Quel réalisme !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, après ma question au Gouvernement d'hier, je ne quitte plus les bateaux… (Sourires.)
Alors que notre pays accueille la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi qui veut marquer un tournant décisif dans la protection de nos écosystèmes marins, avec pour objectif de placer sous le statut d'aire marine protégée d'ici à 2030 au moins 30 % de nos espaces maritimes, dont 10 % seraient placés sous protection stricte.
Ce texte pose ainsi les bases d'une ambition environnementale sans précédent. L'objectif est clair, l'ambition louable. Toutefois, aussi noble soit-elle, cette ambition ne saurait se réaliser sans une vision claire, un soutien concret et une prise en compte des impacts sur les milliers de familles qui vivent de la mer.
Protéger strictement une partie de nos espaces marins implique l'interdiction d'activités humaines susceptibles de nuire à la biodiversité. Certes, c'est une nécessité écologique, mais avons-nous mesuré l'impact socio-économique de ces interdictions ?
Les pêcheurs artisanaux, déjà en difficulté, et les professionnels du chalutage de fond voient leurs moyens de subsistance menacés de façon directe et imminente. Les pêcheurs, ces gardiens historiques de nos côtes, s'inquiètent avec raison. L'extension des aires marines protégées, avec les interdictions qu'elles comportent, risque de restreindre drastiquement leur accès à des zones de pêche traditionnelles.
Ces contraintes ne représentent pas seulement des défis logistiques. Elles menacent la capacité des pêcheurs à nourrir leurs familles, à faire vivre des communautés entières.
De plus, en repoussant les flottes industrielles hors des zones protégées, cette mesure pourrait exacerber la concurrence sur les espaces restants. Les ressources marines, déjà sous pression, seraient alors plus fragilisées ; les pêcheurs artisanaux, qui pêchent de manière durable, en paieraient le prix fort.
Paradoxalement, les auteurs de cette proposition de loi avancent l'idée que la mise en place d'aires marines protégées est une façon immédiate de sauvegarder ce qu'il reste de la pêche artisanale en France, à savoir celle qui est effectuée par des navires de moins de 12 mètres utilisant des arts dormants, soit 71 % de notre flotte. C'est une vision séduisante sur le papier, mais est-ce la seule solution, et quel coût social et économique aura-t-elle ?
Protéger les océans nécessite une planification rigoureuse. Or nous manquons cruellement d'une étude d'impact socio-économique et d'une cartographie précise des aires protégées envisagées. Où sont donc les écosystèmes critiques à sauvegarder ? Où les pêcheurs gagnent-ils leur vie ? Sans ces données, cette proposition de loi avance à l'aveugle, risquant de briser des équilibres fragiles.
Comment pouvons-nous cibler avec justesse les zones critiques à protéger, tout en minimisant l'impact de ces mesures sur nos communautés de pêcheurs ? Nous avons besoin de savoir non seulement où se situent les récifs coralliens, les herbiers de posidonies, les nurseries, mais aussi où nos pêcheurs gagnent leur vie.
Les collectivités littorales, moteurs du tourisme côtier, expriment également des craintes légitimes. L'effet domino sur l'économie locale – pêche, tourisme, emploi – pourrait être dévastateur si cette transition n'était pas accompagnée avec soin.
Certes, la proposition de loi promet une stratégie nationale pour réduire la dépendance au chalutage de fond et accompagner les pêcheurs dans une transition durable.
Cependant, cette promesse est un peu creuse, car aucun budget n'y est alloué. Parler de reconversion ou d'aides sans chiffrage concret, je suis désolé de le dire ainsi, mais c'est trahir les espoirs de ceux qui vivent de la mer.
Enfin, protéger 30 % de nos espaces marins exigera un renforcement massif des moyens de surveillance. Satellites, patrouilles maritimes et ressources humaines seront indispensables. Or je vous rappelle, mes chers collègues, que l'OFB manque déjà cruellement d'agents – ceux-là mêmes que certains d'entre vous ont qualifiés de shérifs.
Comment espérer atteindre ces objectifs si les outils pour les appliquer sont défaillants ? Si l'avenir des océans est un enjeu vital, il est impératif que cette ambition s'accompagne d'un soutien réel et tangible pour les pêcheurs, les collectivités et les acteurs locaux. Sans un accompagnement clair, un budget défini et des données précises, cette proposition de loi ne sera qu'un mirage.
C'est pour toutes ces raisons qu'en l'état une majorité des membres du groupe CRCE-K s'abstiendra. La préservation de nos océans ne peut se faire sans justice sociale et économique.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l'océan vivant » s'affiche, dans toute sa beauté, sur les grilles du jardin du Luxembourg, mais que fait-on pour préserver cette beauté ?
L'océan est le bien commun de l'humanité : il produit notre oxygène, régule le climat et abrite une biodiversité exceptionnelle. C'est un allié majeur dans la lutte contre le changement climatique, car il capte 25 % à 30 % du CO2 chaque année.
Cependant, cet océan est en souffrance. Sa capacité à réguler le climat mondial et à nourrir l'humanité est mise en péril par les activités humaines. Chaque cours d'eau, du plus petit ruisseau au plus grand fleuve, charrie jusqu'à la mer les pollutions émanant de nos activités sur terre. Nos destructions ne s'arrêtent pas là : la pêche industrielle est l'activité ayant eu l'impact le plus important sur la biodiversité et les habitats marins au cours des cinquante dernières années.
Les chiffres de l'érosion de la biodiversité marine ont été rappelés ; ils sont édifiants, mais il est encore possible de freiner cette course vers l'abîme.
Les études scientifiques le démontrent, une aire marine protégée n'est efficace que si elle est exempte de toute pêche industrielle. À ce jour, 33 % des eaux françaises sont couvertes par au moins une de ces AMP, mais la plupart d'entre elles autorisent toutes les pratiques de pêche, des plus respectueuses aux plus destructrices.
Il faut changer de cap !
Les aires marines en protection stricte sont les plus à même de fournir des bénéfices écologiques, avec la préservation de la biodiversité marine, des poissons plus gros et plus abondants, ainsi que des bénéfices économiques et sociaux, avec le maintien des revenus pour les pêcheurs, de l'emploi et le développement d'activités économiques locales.
Alors que la France accueille, à Nice, la conférence des Nations unies sur l'océan qui, nous l'espérons, se conclura par des mesures concrètes et ambitieuses, le monde nous regarde.
Plusieurs de nos voisins européens, comme la Grèce, le Royaume-Uni ou la Suède, agissent déjà pour relever l'exigence de protection dans leurs aires marines protégées. Le secrétaire d'État à l'environnement britannique, Steve Reed, a déclaré lundi son intention d'étendre l'interdiction du chalutage de fond à plus de la moitié des AMP de son pays, qui constituent 40 % de son espace maritime.
En comparaison, la France est encore bien à la peine. Les scientifiques comme les experts d'ONG demeurent plus que sceptiques sur les annonces du Président de la République.
C'est donc à nous, parlementaires, qu'il revient d'emboîter le pas de ces initiatives européennes, de rectifier notre trajectoire, de permettre à la France de s'aligner, enfin, sur les standards internationaux, et de reprendre un certain leadership en matière de protection de l'océan.
Cette proposition de loi est ancrée dans la réalité. Elle comporte deux mesures calibrées, réclamées par la science, qui sont le fruit d'un dialogue constructif avec l'ensemble des parties prenantes.
Premièrement, elle fixe un objectif de couverture de 10 % de chaque façade maritime par une protection stricte, pour que nous soyons enfin alignés avec les préconisations de l'Union internationale pour la conservation de la nature.
Deuxièmement, elle interdit les mégachalutiers de 25 mètres et plus dans la bande côtière, ce qui apparaît comme une évidence, tant les conséquences de leur activité sur les écosystèmes marins et nos ressources halieutiques sont catastrophiques.
Ces mesures apparaissent comme une première étape si la France veut maintenir une flotte de pêche durable et florissante qui crée des emplois et soutient les communautés locales. Elles sont essentielles si nous voulons contribuer à la lutte contre le changement climatique, favoriser la consommation locale et la sécurité alimentaire.
Mes chers collègues de la droite et du centre, l'opinion publique vous regarde. Vous avez là une occasion unique de combler le fossé entre la rhétorique et l'action, en permettant à la France de retrouver sa crédibilité internationale en matière de politique maritime.
Vous êtes face à vos responsabilités : le temps est venu de mettre à distance les lobbies industriels et de faire alliance avec les citoyens, avec la science, avec les pêcheurs artisans et avec l'océan.
Saisissez cette occasion et votez en faveur de ce texte, qui est une réponse adaptée, sur le plan tant écologique que socio-économique. Il y va de l'avenir des artisans pêcheurs, qui constituent l'immense majorité des acteurs de la filière.
L'océan vivant, ce n'est pas que de l'affichage sur les grilles du jardin du Luxembourg ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)