M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par Mme N. Goulet, M. Delcros, Mme Senée et MM. E. Blanc et Mellouli, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Dans un délai de trois mois et en tous les cas avant la discussion budgétaire, le Gouvernement fournit au Parlement le nombre exact de personnes soumises à l'impôt plancher sur la fortune lorsque la valeur de leurs actifs mentionnés aux articles 885 B à 885 H du code général des impôts est supérieure à 100 millions d'euros et l'évolution de leur patrimoine sur cinq ans d'application des dispositions proposées.

La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Par cet amendement, ma collègue Nathalie Goulet demande au Gouvernement de fournir au Parlement, avant l'examen du projet de loi de finances, le nombre de personnes qui seraient concernées par cette disposition, ainsi que l'évolution de leur fortune sur les cinq dernières années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'entends le raisonnement : en l'absence d'étude d'impact, il serait à tout le moins souhaitable, a posteriori, de disposer d'un rapport.

L'idée de déterminer les personnes qui seraient redevables de ce nouvel impôt ne me paraît pas totalement déraisonnable. Toutefois, il serait plus logique de disposer de ces informations avant le vote du texte.

Vous savez par ailleurs, en tant que membre de la commission des finances, combien celle-ci est dubitative quant à l'intérêt des rapports.

Nous avons ensuite un problème de fond. Sans conteste, s'appuyer, en l'absence d'accès aux sources directes, sur les classements du magazine Forbes pour estimer le nombre de contribuables concernés, comme le fait le professeur Zucman, n'est pas extrêmement satisfaisant. (Mme Sophie Briante Guillemont et M. Raphaël Daubet acquiescent.) Il serait indéniablement préférable de disposer du nombre précis de contribuables qui seraient visés.

Enfin et surtout, votre amendement ne me semble pas tenir la route. Vous demandez à Bercy de vous donner, dans un délai de trois mois, le nombre exact de personnes assujetties à ce nouvel impôt. Sauf que Bercy n'a absolument pas ces chiffres !

M. Grégory Blanc. Justement !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. J'ai auditionné des représentants du ministère : je parle sous votre contrôle, madame la ministre, mais depuis la suppression de l'ISF, Bercy ne dispose plus d'informations sur les patrimoines. Les dernières données datent de 2016 !

Dans ces conditions, je ne vois pas très bien comment, techniquement, on pourrait connaître le patrimoine immatériel, constitué de parts de sociétés, des contribuables. (MM. Yannick Jadot et Grégory Blanc s'exclament.)

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mon avis est très simple : cette demande de rapport, au fond, est satisfaite.

Dans une logique, si ce n'est de réduction, du moins d'efficacité de la dépense publique, je vous invite tous à lire l'étude annuelle de l'Insee intitulée Les revenus et le patrimoine des ménages. Vous y trouverez très régulièrement toutes les informations réclamées par Mme Goulet.

Si les fonctionnaires de la direction générale des finances publiques pouvaient être mobilisés plutôt sur le contrôle fiscal que sur l'écriture de rapports déjà fournis par l'Insee, les objectifs de cette assemblée seraient mieux servis.

M. Pascal Savoldelli. Chantage !

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour explication de vote.

M. Bernard Delcros. Cet amendement, si j'en crois Mme la ministre, est satisfait. C'est bien la preuve, monsieur le rapporteur, qu'il n'était pas si difficile d'obtenir ces informations !

Dès lors, je retire l'amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié ter est retiré.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié.

Je rappelle que le vote sur l'article vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.

Mme Ghislaine Senée. L'exercice est très difficile : notre temps de parole est limité, car nous souhaitons pouvoir achever l'examen du second texte de notre ordre du jour réservé. Allons donc à l'essentiel !

Il est scandaleux qu'il y ait en France aujourd'hui des personnes sur lesquelles nous ne disposons d'aucune donnée de nature fiscale, notamment concernant leur patrimoine mobilier, alors même que chaque Français doit déclarer ses revenus dans les moindres détails. Nous devons absolument résoudre ce problème.

Je tiens ici à remercier Éva Sas et Clémentine Autain d'avoir déposé cette proposition de loi, puis de l'avoir défendue à l'Assemblée nationale.

Concernant l'exil fiscal, lors de l'instauration de l'ISF, certaines des 350 000 personnes ciblées auraient cédé à cette tentation. Qui les connaît ? Personne ! Nul ne saurait citer ne serait-ce qu'un ou deux noms.

En l'espèce, nous connaissons les 1 700 foyers concernés par la taxe ici proposée. Nous savons de qui il s'agit : Bernard Arnault, les familles Hermès, Wertheimer, Bettencourt, Saadé, Dassault, Mulliez, Pinault, Niel, Besnier… Reconnaissons que ces personnes ont contribué à l'essor de la France.

J'imagine que, si vous les défendez autant, madame la ministre, c'est que vous les considérez comme des serviteurs de l'État.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. Non !

Mme Ghislaine Senée. Pour changer, je conclurai par une référence philatélique. Pendant la guerre, en 1945, une flamme illustrée de La Poste – c'était à l'époque un véritable service public – disait : « Gaspiller, c'est trahir ; économiser, c'est servir. »

Pour ma part, je suis persuadée que les personnes les plus riches de France ne trahiront pas leur pays. Au contraire, elles sont fières de ce qu'elles ont réussi à construire, pour elles, pour leur famille, pour leurs petits-enfants. Cessez donc de dire qu'elles partiront nécessairement ! C'est leur faire offense.

Payer ses impôts, c'est servir. Refuser de les payer à hauteur de ses facultés, c'est trahir ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Barros, pour explication de vote.

M. Pierre Barros. Notre groupe votera évidemment cette proposition de loi, qui rompt enfin avec un récit politique devenu délirant, celui selon lequel les plus riches seraient trop fragiles pour contribuer au redressement des finances publiques et les pauvres trop solides pour être épargnés.

C'est un sujet d'importance, un sujet de justice sociale ; malheureusement, il est terriblement d'actualité.

Ce texte vise ceux pour qui la richesse n'est plus un revenu, mais une rente ; une rente qui, à 7,5 % de rendement annuel net d'inflation, prospère sans jamais ruisseler vers l'intérêt général.

Cette richesse accumulée ne produit ni emploi, ni innovation, ni bien commun. Elle n'est qu'un levier, un capital, un pouvoir d'influence sans bornes.

Pendant ce temps, les services publics trinquent, à l'image de l'hôpital, de l'école ou des collectivités locales, qui doivent faire plus avec moins, jusqu'à l'épuisement.

Face à cela, que nous rétorque-t-on ? Qu'il ne faudrait pas envoyer un mauvais signal aux grandes fortunes ; qu'un impôt minimum de 2 %, même au-delà de 100 millions d'euros de patrimoine, serait une agression !

Mais enfin, mes chers collègues, depuis quand la justice fiscale est-elle devenue un risque ? Depuis quand la République doit-elle s'excuser d'exister face aux intérêts privés ?

L'ironie, c'est que vous continuez à employer le langage de la rationalité économique tout en défendant une situation d'absurde irrationalité.

Quel État pourrait vouloir réduire sa dette tout en épargnant ceux qui peuvent la financer sans rien perdre de leur train de vie ? Quelle majorité peut prétendre défendre l'ordre républicain tout en acceptant que 0,01 % de la population vive hors du champ commun de l'impôt ?

Ce n'est pas une politique : c'est un privilège, un privilège de plus, et des plus indécents.

Ce texte est une mesure de justice et de santé démocratique. Il est le seul à pouvoir redonner du sens au beau mot d'égalité, inscrit au fronton de nos mairies. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.

M. Thierry Cozic. Le groupe socialiste votera bien évidemment cette proposition de loi inscrite à l'ordre du jour réservé du groupe GEST, que je remercie de cette belle initiative.

La contribution de chaque Français, en fonction de ses moyens, au redressement des finances publiques est une question centrale dans le débat public d'aujourd'hui. Je ne me fais guère d'illusion, toutefois, sur la suite qui sera donnée dans un instant à cette proposition de loi.

En cohérence avec la ligne du Gouvernement, la majorité sénatoriale poursuit la politique de l'offre menée depuis huit ans. Les résultats, mes chers collègues, sont à la hauteur des attentes ! un endettement à hauteur de 3 300 milliards d'euros, une croissance atone, des défaillances d'entreprises qui se multiplient, des destructions d'emplois et un effort de 40 milliards d'euros demandé pour le prochain budget, uniquement pour l'année 2024…

Madame la ministre, je m'adresse à vous solennellement, au nom du groupe socialiste, pour vous rappeler que votre présence sur ce banc n'est possible que parce que les socialistes ont agi de façon responsable.

Mais cette responsabilité n'allait pas sans engagement de votre part. Nous n'avons pas signé de chèque en blanc ! Vous avez pris un engagement, qui figure dans l'accord que nous avons noué avec le Premier ministre : mettre en place une contribution sur les hauts patrimoines, afin de tendre vers plus de justice fiscale, cette justice fiscale que huit années de macronisme ont annihilée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Il ne fallait pas censurer !

M. Thierry Cozic. À ce jour, aucune piste qui témoignerait du respect de la parole donnée ne semble se dessiner.

Je vous le dis franchement : le refus, après quelques mois, de cette taxe, aussi minimale soit-elle, ne présage rien de bon pour les échéances automnales, qui pourraient se révéler périlleuses pour le Gouvernement.

Je vous le répète solennellement : si vous comptez nous payer en monnaie de singe, en considérant que notre soutien est acquis, alors le prochain budget sera sûrement le dernier de ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.)

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Madame Senée, évitons, si possible, de monter les Français les uns contre les autres ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

C'est pourtant ce que vous faites, quand vous prétendez pouvoir résoudre les problèmes des Français les plus pauvres en taxant les plus riches.

M. Yannick Jadot. Cela s'appelle la République !

Mme Antoinette Guhl. C'est une question de justice !

M. Emmanuel Capus, rapporteur. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Comme l'a dit fort justement Michel Canévet, tous les Français paient beaucoup d'impôts. C'est aussi le cas des Français les plus riches – je ne parle pas des ultrariches.

Ainsi, selon l'IPP, l'impôt est progressif pour 99,9 % de la population. Le chiffre de 50 % avancé par Gabriel Zucman, qui a beaucoup été cité dans le débat, est erroné, puisque le taux effectif maximum d'imposition est de 46 %. Seuls les 0,1 % les plus riches, les plus hauts des plus hauts, ne seraient imposés qu'à hauteur de 26 %. Comme l'a dit Mme la ministre, il y a là un problème à régler, une certaine égalité à rétablir entre ceux qui paient 26 % et ceux qui paient 46 %.

Une première façon de le faire serait déjà de baisser le taux marginal de l'impôt sur le revenu, qui reste beaucoup plus élevé qu'ailleurs. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Nous avons fait un effort sur l'impôt sur les sociétés, mais pas assez sur l'impôt sur le revenu, d'où cette différence de traitement.

En tout état de cause, ne laissons pas penser que les Français, en particulier les plus riches, ne paient pas d'impôts. C'est totalement faux !

Le seul sujet que nous devons traiter est la progressivité de l'impôt sur les plus hauts revenus. (Marques d'impatience sur les travées du groupe GEST.) Il existe d'autres solutions – nous en avons listé certaines – que de créer un nouvel impôt (Mme Antoinette Guhl s'exclame.) Celui que vous proposez serait inopérant autant qu'inefficace.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, modifié, instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et, l'autre, du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 322 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 317
Pour l'adoption 129
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

7

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Lors des scrutins publics nos 317 et 318, portant respectivement sur l'article 1er et sur l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone, ma collègue Annick Petrus souhaitait s'abstenir et non voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l'analyse politique du scrutin concerné.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Mieux protéger les écosystèmes marins

Rejet d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, présentée par Mme Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 492, résultat des travaux n° 698, rapport n° 697).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mathilde Ollivier, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me tiens aujourd'hui à cette tribune avec une certaine émotion, parce que ce texte, ce combat, est politique, mais aussi profondément personnel.

Petite-fille et arrière-petite-fille de pêcheurs de Concarneau et d'ouvrières dans les conserveries de la ville, j'ai grandi au rythme des histoires de pêche et de naufrages, des récits de la dureté d'un métier que les hommes commençaient alors qu'ils sortaient à peine de l'enfance, des histoires extraordinaires de requins-baleines, de dauphins ou de thons énormes ; au rythme aussi des réveils au milieu de la nuit, enfant, pour partir en pêche, puis voir le soleil se lever depuis la mer, les lignes à l'eau.

Aimer l'océan, c'est accepter de le regarder en face. C'est décider de ne pas ignorer ce qu'il endure et choisir de le défendre. C'est prendre conscience que le protéger, c'est protéger l'humanité elle-même.

Or, aujourd'hui, l'océan est à bout de souffle !

Ce bien commun, qui couvre 70 % de la surface de notre planète, régulateur du climat, source d'oxygène et de vie, est devenu une victime silencieuse. Canicules sous-marines, pollution plastique, effondrement des stocks de poissons, disparition des habitats, abrasion des fonds marins : l'océan est la poubelle d'un monde qui décide de voir les éléments naturels comme une simple ressource à exploiter, à épuiser, puis à abandonner.

Mais je vous spoile la suite de l'histoire, ou plutôt ce sont les Amérindiens qui l'ont fait bien avant moi : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s'apercevront que l'argent ne se mange pas. »

Le problème, c'est que les industriels de la pêche, eux, auront déjà réinvesti tout leur argent dans d'autres domaines ; ils fermeront boutique et s'en iront.

Et celles et ceux qui resteront, eux, devront faire avec les choix politiques et économiques qui auront réussi à détruire en quelques décennies une activité séculaire, la pêche faisant vivre des milliers de gens. Et alors, que leur restera-t-il ?

Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), équivalent du Giec pour la biodiversité, la surpêche est la principale cause des maux de l'océan. La biomasse s'effondre : disparation de 90 % des grands poissons depuis 1950, diminution de 54 % des poissons prédateurs en quarante ans. La réalité scientifique est sans appel : nous avons vidé la mer bien plus vite que nous ne l'avons protégée.

Alors que la conférence des Nations unies sur les océans (Unoc) de Nice touche à sa fin, la France a tenu le devant de la scène. Avec le deuxième domaine maritime mondial, notre pays était attendu. Notre responsabilité était immense.

Le Président de la République a indiqué vouloir limiter l'activité des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées (AMP). La contradiction est dans la phrase même : chaluts et aires marines protégées sont antinomiques. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont la France est membre et dont les définitions devraient faire foi, en particulier lors d'un sommet international.

Le décalage entre les annonces et la réalité est saisissant. Rendez-vous compte : aujourd'hui, seulement 1,6 % des eaux françaises sont réellement protégées, et 0,1 % des eaux voisines de l'Hexagone, alors même que le Président de la République s'enorgueillit d'avoir protégé 30 % des eaux françaises.

Disons les choses clairement : le flou persiste, ces annonces ne sont pas à la hauteur. Elles reconduisent des engagements déjà pris, parfois même déjà trahis. Elles entretiennent l'ambiguïté sur ce qu'est une protection « stricte », en maintenant un régime français de protection « forte » qui n'est pas satisfaisant.

Avec ces annonces, la France est encore loin des recommandations de l'Union européenne, qui préconise d'interdire tous les types de pêche dans au moins 10 % des eaux. Nous sommes loin d'une protection réelle et stricte de nos aires marines protégées.

Ainsi, nous avons en image toutes les limites d'un tel sommet : la crédibilité de la France ne se joue pas seulement dans les grands discours diplomatiques, elle se joue surtout dans la cohérence de sa politique à l'échelon national. Or, sur ce point, l'amertume domine.

C'est tout simplement l'objectif de cette proposition de loi et peut être la dernière occasion pour le Gouvernement de sortir par le haut : alignons enfin la définition des aires marines protégées avec les standards européens et internationaux. Est-ce trop demander au Gouvernement et à la majorité sénatoriale ?

C'est à nous, mes chers collègues, d'être à la hauteur de l'événement. La cohérence se joue également ici, dans cet hémicycle. Elle se joue dans notre capacité à légiférer avec courage.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est la traduction concrète de ce que le contexte de l'Unoc aurait pu et dû produire en France : la mise en œuvre d'une protection effective, concrète, juste.

Les aires marines dites protégées couvrent certes 33 % de notre zone économique exclusive, mais que protège-t-on réellement, alors que ces zones continuent d'être soumises au chalutage de fond et à d'autres techniques destructrices, alors que les mégachalutiers continuent de prélever jusqu'à 250 tonnes de poissons par jour sur nos côtes, alors que les pêcheurs artisans sont en grande difficulté ?

Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de la clarté : de la clarté pour les pêcheurs, pour les organisations environnementales, pour les citoyennes et les citoyens.

Ma proposition de loi vise à atteindre trois objectifs principaux.

Premièrement, il convient de redonner tout son sens à la protection des aires marines, en remplaçant le flou juridique de la protection forte à la française par une protection réellement stricte, alignée sur les standards européens et internationaux de l'UICN. Cela signifie des zones sans aucune activité extractive ou destructive, en somme de véritables sanctuaires marins.

Les aires marines protégées sont l'un des outils les plus efficaces pour préserver la biodiversité et soutenir la dynamique socio-économique de nos littoraux.

Les bénéfices sont réels : 2,5 fois plus de biomasse en moyenne, 30 % d'espèces en plus, un stock de poissons autour des aires marines protégées qui croît de 25 % en moyenne, un emploi direct pour chaque tranche de 100 hectares protégés.

J'ai entendu les doutes de certains sur la possibilité de mettre en place une protection stricte sur au moins 10 % de chaque façade maritime.

Même si je suis convaincue de ce nécessaire équilibre territorial, j'ai fait un pas vers vous avec le dépôt d'un amendement tendant à renvoyer à un décret la mise en œuvre de cette mesure.

Pour que cette protection soit réellement cohérente et efficace, il ne suffit pas de protéger d'immenses zones en Polynésie : il faut protéger une multitude d'écosystèmes, chacun avec ses caractéristiques spécifiques. C'est ainsi qu'on s'assurera que nos océans et les littoraux français résistent mieux face au changement climatique, à la pollution et aux espèces invasives.

Nous souhaitons également, autour de ces sanctuaires, des zones tampons dédiées à la petite pêche artisanale.

Nous considérons qu'une base juridique claire et précise de la protection stricte permettra ensuite une cartographie précise et concertée des aires marines protégées.

Deuxièmement, nous proposons une transition des flottilles de chalut de fond, qui sont destructrices sur le plan écologique, peu rentables économiquement, dépendantes des subventions publiques et vulnérables à la hausse des prix du carburant. Plutôt que d'attendre l'effondrement des flottilles, nous devons accompagner leur mutation.

Enfin, je demande l'interdiction des bateaux de plus de 25 mètres dans la bande côtière des douze milles nautiques, afin de préserver la ressource et de protéger les pêcheurs côtiers de la concurrence des mégachalutiers.

Mes chers collègues, c'est une mesure de bon sens, attendue par les pêcheurs, notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France.

L'exemple du Margiris, l'un des plus grands chalutiers du monde avec ses 143 mètres de long, est particulièrement symptomatique : ce bateau, exploité par une société néerlandaise, a été au cœur de nombreuses polémiques. À la criée de Dunkerque, par exemple, sa présence a suscité la colère des pêcheurs locaux, qui dénoncent une concurrence déloyale et une menace pour leurs activités artisanales.

Ces navires industriels n'ont rien à faire au plus près de nos côtes. Chaque personne que j'ai rencontrée me l'a dit : « Ces bateaux peuvent aller au-delà des douze milles nautiques, cela ne devrait même pas être un sujet. » Leur présence est un impensé écologique et surtout social.

Je vous présente donc un texte qui répond à l'urgence climatique tout en préservant la filière.

Je souhaite couper court à certaines remarques et à certains a priori.

Cette proposition n'est pas un texte contre les pêcheurs. C'est un texte avec eux, pour eux, pour permettre à la mer de continuer à nourrir, pour permettre à la pêche artisanale de survivre.

La science est parfaitement claire : là où la biodiversité est protégée, les poissons reviennent. Là où des aires marines strictement encadrées ont été mises en œuvre, comme au cap Roux ou à Port-Cros, la biomasse a explosé. Les pêcheurs en sont les premiers bénéficiaires et ces aires marines protégées ont tendance à essaimer et à se développer.

La solution existe, il nous faut maintenant de la volonté politique.

Je vous encourage donc, mes chers collègues, à voter notre proposition de loi, à ne pas céder aux intérêts particuliers de quelques-uns et à protéger le bien commun qu'est l'océan. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis afin d'examiner la proposition de loi visant à renforcer la protection des écosystèmes marins, déposée par notre collègue Mathilde Ollivier et l'ensemble du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

À l'heure où nous nous parlons, des milliers de dirigeants, de scientifiques et de représentants de la société civile sont réunis à Nice autour d'une ambition commune, qui est au cœur du texte qui vous est soumis : renforcer l'action en faveur de la protection et de l'utilisation durable des océans.

Cette initiative sénatoriale repose sur un constat simple et éclairé par la science : des écosystèmes marins en bonne santé sont vitaux d'un point de vue tant écologique que socio-économique. Pour le dire plus simplement, loin d'être opposées, la préservation de la biodiversité marine et celle des activités de pêche constituent un même et unique combat.

Les océans nous rendent des services écosystémiques aussi multiples que précieux. Principal puits de carbone de la planète, l'océan joue un rôle majeur en matière d'atténuation du changement climatique. La préservation des milieux marins est en outre essentielle à l'équilibre des réseaux trophiques et, dès lors, à la pêche, dont dépend la subsistance de 10 % à 12 % des habitants de la planète.

Malheureusement, de l'avis unanime de la communauté scientifique, l'état du monde océanique se dégrade de manière alarmante. Plusieurs phénomènes sont en cause : le réchauffement climatique, la pollution marine et, surtout, les pressions anthropiques liées aux activités humaines en mer, à commencer par la surexploitation des ressources halieutiques.

Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire sont en mauvais état en métropole ; s'agissant des outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution et 29 % des oiseaux des terres australes sont menacés.

Les scientifiques sont unanimes : pour enrayer cette érosion rapide des écosystèmes et des ressources halieutiques, les aires marines protégées constituent l'outil le plus efficace, à condition toutefois qu'elles présentent, au moins pour partie, un haut degré de protection.

Certes, la France a affiché de grandes ambitions en la matière : depuis 2021, la stratégie nationale pour les aires protégées prévoit de placer, d'ici à 2030, au moins 30 % de notre espace maritime sous le statut d'AMP, dont au moins 10 % sous protection dite « forte ».

L'approche française se révèle néanmoins en décalage avec les standards internationaux, puisqu'elle privilégie un critère de protection forte en lieu et place de celui de protection stricte, préconisé par l'Union européenne et l'UICN.

Là où la protection stricte n'admet que des activités compatibles avec les objectifs de conservation des espèces, la protection forte à la française privilégie une approche dite au cas par cas, si bien qu'aucune activité n'est interdite par principe, pas même celles qui affectent le plus les écosystèmes, comme le chalutage de fond.

De fait, d'un point de vue strictement quantitatif, la France a déjà atteint ses objectifs – 33 % des eaux françaises sont désormais couvertes par des AMP –, mais, en réalité, les aires sous protection stricte ne représentent que 1,6 % des eaux françaises et 0,04 % des eaux voisines de l'Hexagone. Ces aires se trouvent quasi exclusivement dans les Terres australes et antarctiques françaises et au large de la Nouvelle-Calédonie.

Certes, le cas français n'est pas isolé : à l'échelle de l'Union européenne, 0,03 % seulement des eaux sont protégées de manière stricte. Néanmoins, la France se distingue malheureusement par l'ampleur de l'écart entre les résultats annoncés et le degré de protection effectif de ses aires marines.

La proposition de loi soumise cet après-midi à vos suffrages vise à répondre à ces constats.

Son article 1er tend à rehausser l'ambition de la protection des aires marines protégées françaises à plusieurs titres.

Premièrement, il remplace la notion de protection forte, privilégiée en droit français, par celle de protection stricte pour s'aligner sur les standards internationaux.

Deuxièmement, il fixe pour objectif de couvrir 10 % de chaque façade maritime par des aires sous protection stricte afin de protéger de manière plus équilibrée l'ensemble du territoire.

Enfin, il prévoit l'instauration, autour des zones strictement protégées, de zones tampons dans lesquelles seraient interdites certaines activités industrielles, comme le chalutage. Ces zones seraient réservées aux professionnels de la pêche artisanale afin qu'ils bénéficient de manière prioritaire de l'effet de réserve, c'est-à-dire de l'augmentation de la biomasse, induit par les aires marines protégées.

L'article 2 de la proposition de loi a une portée plus socio-économique.

D'une part, il vise à impulser le lancement par l'État d'une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond vers des pratiques plus durables.

Le chalut de fond se distingue nettement des autres types d'activités de pêche en matière d'indicateurs de surpêche, de capture de juvéniles et d'abrasion des fonds marins. En détruisant et en fragmentant les habitats, cette activité compromet, de fait, l'avenir de toute la filière.

À moyen terme, un changement de modèle est inévitable : il convient de l'anticiper compte tenu du poids économique de cette activité, qui représente 25 % des volumes de la pêche française et 3,78 % des emplois de la filière pêche en Hexagone.

D'autre part, cet article 2 vise à protéger la petite pêche côtière, de même que les écosystèmes, des mégachalutiers : il n'est pas rare que ces navires-usines, essentiellement néerlandais, conçus pour racler le fond de la haute mer par centaines de tonnes par jour, viennent pêcher dans les eaux territoriales, en exerçant une concurrence déloyale vis-à-vis des plus petits engins.

Il est donc proposé d'interdire, à compter du 1er janvier 2026, l'exercice des navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 25 mètres à moins de douze milles nautiques de la laisse de basse mer des côtes.

Cette mesure envoie un signal politique fort à nos pêcheurs de la Manche et de la mer du Nord, dont le modèle économique est mis en péril par les mégachalutiers étrangers.

Elle est en outre rationnelle d'un point de vue économique, puisque les petits engins de pêche engendrent davantage de valeur ajoutée et d'emplois, par tonne débarquée, que les engins industriels.

J'aborde à présent la position de la commission sur ce texte.

Les débats ont permis de constater que les objectifs que je viens d'évoquer étaient partagés par tous les groupes politiques. Néanmoins, la commission a estimé que cette proposition de loi posait des difficultés de méthode, de calendrier et d'opérationnalité.

La commission a partagé l'objectif d'assurer l'effectivité de nos aires marines protégées. Néanmoins, elle n'a pas souhaité remettre en cause les équilibres établis en la matière lors de l'adoption de la loi Climat et Résilience en 2021, ce qui risquerait de déstabiliser le processus d'identification des zones de protection forte en cours, depuis plus de deux ans, sur chaque façade maritime.

Elle a en outre souhaité conserver la doctrine de protection forte, retenue en droit français, estimant qu'elle était gage de plus de souplesse et d'acceptabilité sociale que celle de protection stricte préconisée par l'UICN.

S'agissant de l'article 2, la commission s'est inquiétée des conséquences potentielles du dispositif pour la structuration de la filière française de la pêche, compte tenu des volumes et de la valeur ajoutée que représente l'activité du chalut de fond et de son importance pour l'économie littorale.

Elle a en outre estimé que l'adoption d'un nouveau document stratégique relatif à la pêche poserait des problèmes de cohérence et d'articulation avec les stratégies existantes, comme la stratégie nationale biodiversité et la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui traitent également des enjeux de durabilité de la pêche.

Si je comprends le besoin de stabilité et de cohérence normative exprimé par la commission, de même que les craintes liées aux conséquences socio-économiques d'une « déchalutisation » de la pêche française, je tiens à vous faire part, à titre personnel, de plusieurs considérations.

Les spécialistes en biologie marine et en ressources halieutiques que j'ai rencontrés lors de mes travaux préparatoires l'ont unanimement souligné : ce texte est basé sur de robustes constats, non seulement scientifiques, mais aussi socio-économiques.

Certes, la mise en place d'aires marines strictement protégées suscite souvent, dans un premier temps, des réticences de la part des pêcheurs. L'expérience montre néanmoins qu'à terme les retombées économiques sont au rendez-vous.

L'exemple du thon rouge en Méditerranée est à cet égard emblématique : en dépit d'une levée de boucliers initiale, la réglementation de la pêche du thon rouge au cours des années 2000 a permis une reconstitution efficace des stocks, si bien qu'aujourd'hui aucun pêcheur ne souhaiterait revenir en arrière.

Protéger la mer, ce n'est pas interdire la pêche ; c'est au contraire lui assurer un avenir, en préservant la ressource dont elle dépend. Il ne s'agit pas de sanctuariser les océans, mais de concevoir des aires marines protégées de manière intelligente, en s'appuyant sur les consensus scientifiques et en assurant un juste équilibre entre conservation et développement durable.

J'avais soumis à la commission plusieurs propositions d'évolutions visant à assouplir le texte. Je regrette qu'elles n'aient pas pu être retenues compte tenu du rejet du texte. Elles ont été redéposées par mon groupe, qui vous les présentera tout à l'heure. Je les soutiens, bien entendu, à titre personnel.

Mes chers collègues, ces dernières semaines, les déclarations en faveur de la pêche durable et de la protection des océans se sont multipliées. Il n'est pas trop tard pour que la France, pays hôte de l'Unoc, mette en cohérence ses paroles et ses actes, pour être à la hauteur des enjeux et de la responsabilité qui est la sienne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Michaël Weber applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir dans votre hémicycle pour discuter d'un texte d'actualité, puisque la conférence des Nations unies pour les océans s'est ouverte lundi à Nice.