M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, notre société interroge en profondeur les silences du droit face aux violences sexuelles. À mesure que la parole des victimes se libère, les attentes se font plus fortes. Ce courage de parler et cette volonté de réparer nous obligent.

L'exemple de l'inceste en est sans doute l'illustration la plus marquante. Il a fallu attendre la loi du 8 février 2010 pour que le mot « inceste », longtemps absent du code pénal, y figure enfin, puis la loi du 21 avril 2021 pour que l'inceste soit reconnu comme une infraction autonome.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique. Elle ne crée pas de nouvelle infraction, mais elle affirme avec force une évidence trop longtemps restée implicite : l'absence de consentement est le cœur même de la définition du viol.

Comme cela a déjà été rappelé, jusqu'à aujourd'hui, le droit pénal français définit le viol à partir de quatre éléments : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Il n'a jamais explicitement mentionné l'absence de consentement.

Aujourd'hui, nous considérons qu'il est temps de franchir une étape. Cette proposition de loi introduit une évidence juridique et sociétale : un acte sexuel ne peut être licite qu'à la condition d'un consentement libre, éclairé, spécifique et révocable. Ce n'est pas une révolution ; c'est juste une clarification nécessaire.

Bien entendu, le Conseil d'État a lui-même souligné que les jurisprudences actuelles permettent déjà de sanctionner la quasi-totalité des situations visées par cette réforme. D'ailleurs, l'exemple des procès des viols de Mazan l'illustre. Mais ce n'est pas parce que le texte n'ajoute pas d'incrimination nouvelle qu'il est inutile. Il dit ce que la société attend, en l'espèce que le consentement ne soit jamais présumé, jamais déduit du silence, jamais ignoré.

Au procès des viols de Mazan, le consentement de Gisèle Pelicot a sans cesse été remis en question par la défense : consentement présumé si la victime ne dit pas explicitement non ; consentement présumé si le mari a donné son accord. D'ailleurs, l'un des accusés, qui était âgé de 58 ans, a lui-même déclaré qu'il aurait aimé qu'on lui explique plus jeune ce qu'était le consentement.

Ce texte constitue donc une étape importante dans la construction d'un droit pénal plus lisible et plus en phase avec notre société. Nos rapporteures ont souligné sa bonne rédaction et ont pu procéder à quelques correctifs encore nécessaires, afin de répondre aux inquiétudes exprimées par des magistrats et des praticiens du droit, soucieux d'éviter des formulations imprécises et potentiellement sources d'insécurité juridique. En effet, comme l'ont expressément exprimé les rapporteures, on ne touche au droit pénal qu'avec la main qui tremble.

Je ne vais pas maintenir le suspense trop longtemps. Bien sûr, le groupe du RDSE votera évidemment de manière unanime et avec force en faveur de cette proposition de loi. Cela dit, nous ne devons pas surévaluer l'effet immédiat de ce texte. À lui seul, il ne réglera ni les classements sans suite, ni les renoncements à déposer plainte, ni les difficultés d'instruction, qui font qu'une part effarante des faits de viol et d'agression sexuelle échappent encore à toute réponse pénale.

D'ailleurs, nous avons entendu des inquiétudes à l'encontre de cette proposition de loi, notamment la crainte d'un déplacement de la charge de la preuve vers les victimes, mais elles ne doivent en aucun cas nous conduire à l'immobilisme.

Ce texte ne prétend pas tout résoudre. À nous de l'accompagner par des moyens concrets : une formation renforcée des magistrats, des policiers, des gendarmes, des professionnels de santé et des travailleurs sociaux ; une meilleure écoute des victimes et un effort soutenu pour améliorer le traitement judiciaire de ces infractions. Je mentionnerai également ce qui est peut-être l'une des priorités : la nécessité de l'éducation au consentement dès le plus jeune âge.

Pendant l'examen du texte, une question nous a traversés. Pourquoi ne pas avoir intégré cette réforme dans un projet de loi plus large sur les violences sexuelles, avec des moyens, des objectifs concrets et une ambition structurelle ? Vous y avez répondu, madame la ministre, en affirmant votre volonté d'y parvenir.

Au-delà de ce texte, le Parlement a récemment adopté plusieurs lois importantes, comme celle du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate et celle du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales. Je pense également à la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales, déposée par notre présidente, Maryse Carrère, et adoptée ici même au mois de novembre dernier.

Suivant cette perspective, j'ai déposé plusieurs amendements issus du rapport sur la soumission chimique que j'ai remis avec Sandrine Josso au Gouvernement le 12 mai dernier. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles, mais cela illustre à quel point ces sujets sont interconnectés et appellent une réponse globale fondée sur le droit, l'éducation, la formation et des moyens à la hauteur.

Je le répète, plutôt que des mesures éparses, nous avons besoin d'une loi-cadre ambitieuse pour lutter contre les violences sexuelles, toutes les violences sexuelles, dans toutes leurs dimensions : pénale, sociale et éducative.

En somme, nous avons besoin d'une mobilisation collective pour mettre enfin un terme au déni et à l'impunité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

Mme Olivia Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « qui a envie d'une petite tasse de thé ? » Ce n'est pas la chaleur qui motive ma question : je fais référence à une vidéo explicative sur le consentement qui compare l'acte sexuel à une tasse de thé, qu'il ne viendrait à l'idée de personne de forcer autrui à boire.

Si vous ne l'avez pas vue, je vous invite à le faire et à la faire circuler, notamment auprès du jeune public. Elle est drôle et pédagogique, et il n'est jamais inutile de recentrer les choses sur ce qui peut sembler évident.

Le sexe, c'est comme le thé. Il faut demander à l'autre s'il ou elle en a envie et tenir compte de la réponse, même si l'on a très soif ! (Sourires.) Ainsi, une personne peut finalement refuser de boire une tasse de thé, même si elle l'avait demandée. Elle peut changer d'avis si le goût ne lui plaît pas, elle peut n'en boire qu'une et ne plus jamais en vouloir et, dans tous les cas, elle ne peut pas vouloir boire du thé si elle est inconsciente.

Qui ne dit mot consent ! Des expressions proches, telles que « Le silence dit oui », ont été retrouvées chez des auteurs grecs du IVe siècle avant Jésus-Christ, dont – on l'a appris récemment – Platon : cela fait vingt-cinq siècles que la sagesse populaire considère que l'absence de protestation équivaut à un consentement ! (Mmes les rapporteures Elsa Schalck et Dominique Vérien s'esclaffent.)

Cela va sans dire, mais ça va mieux en le disant : qui ne dit mot ne consent pas, seul un oui veut dire oui. Et – on l'aura compris – il ne doit pas être obtenu par menace, violence, surprise ou contrainte.

Depuis #MeToo, j'entends beaucoup de réactions, parmi les hommes comme parmi les femmes, effrayées du changement de société que beaucoup, dont moi, appellent de leurs vœux : « Je n'ose plus faire un compliment à une femme », « On ne sait plus ce qu'on a le droit de dire », « Maintenant, on va devoir passer un contrat avant de coucher avec quelqu'un. » Le fait que le consentement puisse être révoqué pendant le rapport sexuel inquiète également beaucoup.

Que ces messieurs se rassurent, il s'agit non pas de sanctionner une performance insuffisante – encore que ! – (Rires.), mais bien de prendre conscience que, quand on dit oui, on ne dit pas oui à tout et à n'importe quoi. Et n'en déplaise à certains, ce n'est pas parce qu'on a dit oui une fois qu'on veut dire oui à nouveau. Je sais, c'est fatigant, mais en fait, il faut que l'autre soit d'accord à chaque fois et, accessoirement, qu'il en ait envie.

Épouser quelqu'un n'en fait pas non plus une personne sexuellement disponible en permanence. Cela semble évident, mais comme les viols entre époux ou ex-époux représentent un quart des plaintes enregistrées pour viol, il faut manifestement le redire.

Avoir provoqué une excitation sexuelle chez quelqu'un, parfois involontairement, n'oblige nullement à le satisfaire. C'est le fameux : « Tu ne peux pas me laisser comme ça ! » Vous reconnaissez ? (Rires.)

Pourquoi prendre la peine de préciser cela, alors que cela semble évident ? Lors des auditions des rapporteures, une chercheuse a évoqué ces opérations de sensibilisation menées dans les collèges et les lycées, ainsi que sa stupéfaction devant les filles qui ne savaient pas qu'elles peuvent « laisser le garçon comme ça » (Sourires.), qu'elles peuvent parfaitement refuser de faire ce qu'elles n'ont pas envie de faire et que la seule chose qu'elles doivent faire est de se poser la question de ce dont elles ont envie, elles.

Cette proposition de loi est importante. Juridiquement – cela a été souligné par nos rapporteures –, elle explicite et consolide des acquis jurisprudentiels. Elle sera donc d'application immédiate et, espérons-le, permettra une uniformisation du traitement judiciaire.

Il y a aujourd'hui une sorte de roulette russe sur l'accompagnement et le suivi judiciaire des victimes de violences sexuelles. Vous parlez souvent, chère Dominique Vérien, des moyens de la justice et de l'impérative formation de toute la chaîne judiciaire, ainsi que des espaces vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). C'est évidemment indispensable.

Cette proposition de loi, comme le dit lui-même le Conseil d'État, permettra également cette avancée vers un traitement judiciaire plus uniforme des plaintes pour viol. Par exemple, dans les cas de sidération, les victimes ont tellement peur qu'elles ne disent plus rien.

Cette proposition de loi a l'immense mérite d'expliquer clairement que le viol est un acte sexuel non consenti. Ce qui compte, ce n'est pas si et comment la victime s'est défendue, ni ce qu'elle portait, ni si elle a cherché à « allumer un mec », ni même tous les mecs.

Ce qui compte, c'est que le partenaire sexuel s'est posé la question du consentement de l'autre personne. Ce qui compte, c'est de s'interroger sur ce que l'autre veut. Ce qui compte, c'est qu'un rapport sexuel est une relation entre personnes placées sur un pied d'égalité, respectueuse des désirs de l'autre.

Chacune et chacun d'entre nous peut mesurer, en entendant les chiffres qui ont été évoqués avant moi, l'étendue de la tâche. Une simple proposition de loi, même votée avec l'enthousiasme qui est le mien et que je partage dans cet hémicycle, ne suffira pas à changer le fait que le lieu le plus dangereux, en France comme dans d'autres pays, est non pas la rue, mais bien le foyer, pour les femmes, pour les enfants et pour toutes les personnes vulnérables à un moment ou à un autre.

On parle beaucoup de femmes victimes, qui représentent le gros des troupes, mais, bien entendu, toutes les catégories sexuelles de la population sont concernées par les violences sexuelles, en passant par les hommes – messieurs ! –, homos ou hétérosexuels, les LGBTQI+ et les enfants.

En effet, le viol n'est pas affaire de désir. C'est une question de pouvoir et de contrôle. On viole pour détruire. Il n'y a pas de zone grise. Il y a une intention criminelle d'aller outre la volonté de l'autre de le faire plier à la sienne, d'une façon ou d'une autre. Le viol est un acte de prédation, jamais un malentendu ou une erreur d'appréciation.

Pour les enfants, dont on n'a plus à prouver le défaut de consentement depuis la loi Billon de 2021, cette proposition de loi sera l'occasion d'un débat qui me semble essentiel. Je remercie à cet égard la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) de son engagement, et je salue votre stratégie de lutte contre le système prostitutionnel, madame la ministre.

Il n'en reste pas moins que, alors que la loi Billon permet de qualifier tout acte sexuel commis sur un mineur de 15 ans, aucune poursuite n'a été engagée sur le fondement de l'article 222-23-1 du code pénal lorsque le rapport sexuel a fait l'objet d'une rémunération.

La plupart du temps, les clients de mineurs de 15 ans font l'objet d'une contravention. Dans les premiers mois de 2025, la plus jeune victime n'avait pas 12 ans. Il faut poursuivre les clients de mineurs de 15 ans pour viols. Nous sommes plusieurs sur ces bancs, dont Annick Billon, ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes de la Haute Assemblée, qui a été à l'origine de la réforme majeure de 2021, à attendre votre position sur le sujet, madame la ministre.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens, comme d'autres avant moi, à saluer le travail des députés Véronique Riotton, homologue de Dominique Vérien à l'Assemblée nationale, et Marie-Charlotte Garin. Le travail qu'elles ont mené pendant dix mois, avec un avis du Conseil d'État, est synonyme de sécurité juridique, dans une matière qui souffre de la superposition de textes mal articulés et difficilement applicables. Et si le garde des sceaux avait encore été là, j'aurais insisté sur la nécessité d'opérer une refonte s'agissant des infractions sexuelles du code pénal, qui deviennent totalement illisibles.

Je note néanmoins que nos deux rapporteures, Elsa Schalck et Dominique Vérien, n'ont eu, elles, que dix jours pour mener leurs travaux. Le train de sénatrice va décidément beaucoup plus vite que le train de sénateur ! (Sourires.)

Le groupe UC votera cette proposition de loi, telle qu'elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer et combattre un fléau intrinsèquement lié à la société patriarcale : le viol et l'agression sexuelle.

Si le mouvement féministe et les grandes affaires judiciaires, comme le procès de Bobigny ou celui de Mazan, ont fait avancer la question depuis plusieurs décennies, le bilan reste très en deçà de ce que nous pourrions attendre de la nation de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Le pays des droits de l'homme n'est décidément toujours pas celui des droits de la femme.

Il suffit de regarder les chiffres. Chaque année, 230 000 femmes sont victimes de viols en France, mais seulement 6 % des victimes de viols, tentatives de viol ou agressions sexuelles portent plainte. Et seulement 0,6 % de ces plaintes aboutissent à une condamnation. Le nombre de classements sans suite pour les affaires de viol est de 94 %. Au total, moins de 1 % des violeurs sont condamnés.

Pourquoi un tel bilan ? Est-ce parce que la définition pénale du viol n'inclut pas la notion de consentement ? La réponse à cette question est évidemment non.

C'est bien sûr à cause du manque de moyens que des hommes violent et agressent en toute impunité.

Chaque année, il manque 2,6 milliards d'euros pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il manque une réelle campagne de prévention par l'éducation et la sensibilisation à tous les niveaux de la société. Il manque des moyens d'identifier et de prendre soin des victimes, de mettre en place un réel soutien psychologique et médical en facilitant l'accès aux soins pour les victimes, et la création de structures d'accueil spécialisées ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

La formation des professionnels du service public dans l'éducation, la santé, la justice et la police fait également défaut. Il devient indispensable d'améliorer le parcours judiciaire avec la création de brigades et de juridictions spécialisées.

La liste des mesures à prendre est longue, mais les pouvoirs publics semblent rester quasi immobiles. Protéger nos filles et nos femmes et toutes les victimes ne devrait pas avoir de prix. Et si modifier la loi est peu coûteux, c'est aussi – hélas ! – peu efficace. Avant de modifier la loi, il faudrait déjà l'appliquer et la faire appliquer.

En ce qui concerne cette modification de la loi pénale, je voudrais vous faire part de mes réserves quant à l'introduction, aux deux premiers alinéas de l'article 222-22 du code pénal, de la notion de consentement.

Si la notion de consentement et même de désir est primordiale en matière de pédagogie, nous sommes réunis ici pour modifier le code pénal. Le débat au sein du mouvement féministe sur cette notion est riche, mais le terme est loin de faire consensus. Je partage à ce titre les craintes de nombreuses féministes quant à l'introduction de cette notion dans le code pénal, car je m'interroge.

Il est vrai que, lors de leur procès, nombreux sont les hommes accusés de viol qui affirment ne pas savoir que l'acte sexuel qu'ils ont imposé n'était pas consenti. Par exemple, dans l'affaire Pelicot, qui a été citée à de nombreuses reprises, certains accusés ont même parlé de « viol involontaire ». Une femme endormie serait donc pour eux potentiellement consentante…

Ne risquons-nous pas ainsi de donner raison aux violeurs en légitimant leur ignorance ? Si la victime sait qu'elle n'a pas consenti, comment le violeur, lui, pourrait-il l'ignorer ? Et surtout, ne risquons-nous pas de concentrer le procès sur l'attitude de la victime, et non sur le comportement de l'agresseur ?

Comme le plaidait Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, « le drame de cette attitude, c'est que, qu'on le veuille ou non, nous sommes acculées, nous, plaignantes, à devenir accusées, à essayer de vous démontrer que, mais non !, nous n'avons pas consenti. »

Pourtant, hélas, notre justice est souvent bien trop tournée vers la stigmatisation et la culpabilisation des victimes. Des photos de Gisèle Pelicot nue, prises à son insu, ont ainsi été utilisées par la défense pour lui reprocher d'avoir des penchants exhibitionnistes.

En introduisant la notion de consentement dans la loi, n'insistons-nous pas davantage sur le comportement de la victime que sur celui de l'agresseur ?

Toutes ces interrogations restent sans réponse, et l'absence d'étude d'impact est, comme pour toutes les propositions de loi, regrettable.

Par conséquent, persuadés que, sans moyens supplémentaires, rien ne changera, et craignant les nombreux effets de bord d'une telle mesure, les membres de notre groupe, très majoritairement, ne pourront pas voter ce texte. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord d'excuser Mélanie Vogel, qui devait prononcer cette intervention.

Le 29 mars 2017, la Cour de cassation a confirmé un non-lieu alors qu'une femme accusait son conjoint de viol, estimant que l'homme avait pu « se méprendre sur le consentement de la victime, doute qui doit lui profiter ». Ce genre de décision n'est pas isolé. Il est une conséquence directe des lacunes de notre droit et signifie que, en l'absence de non clair, il est normal d'avoir pu supposer qu'il s'agissait d'un oui.

Que l'on comprenne bien : juridiquement, une relation sexuelle est donc permise par défaut. Le consentement n'est pas un préalable, seulement un moyen de dérogation. Un homme a donc le droit de se tromper sur son droit à disposer du corps d'une autre. Un homme peut violer sans être condamné, s'il prétend avoir mal compris.

Voilà pourquoi ce texte est non pas accessoire, mais urgent et attendu. En effet, de nombreux cas ne sont pas couverts par la loi.

Quand une personne est en état de sidération, droguée, inconsciente, comment peut-on prétendre qu'elle avait dit oui ? Quand le oui n'est ni libre ni éclairé, comment prendre en compte les circonstances environnantes qui l'ont forcé ? Quand une personne consent à la relation, mais pas à toutes les pratiques, comment distinguer la sexualité du viol ?

Ce texte répond à ces angles morts du droit. Il ne retire rien aux outils existants ; il les complète et les renforce.

Ce texte juridiquement solide est le fruit d'un travail parlementaire de dix-huit mois, mené par Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, que je félicite. Il est aussi le fruit du travail des organisations féministes, de victimes, d'avocates et de magistrates.

Ce texte est solide, comme le soulignent les avis positifs du Conseil d'État et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), et il permet de s'aligner sur les recommandations de la convention d'Istanbul.

De fait, revoir la définition pénale du viol apporte un triple bénéfice.

Le premier est symbolique : c'est dire aux femmes que leur volonté compte ; c'est sortir de la culture du viol, où leurs corps sont présumés disponibles, pour aller vers une culture du consentement, où leurs corps, leurs choix, leurs vies leur appartiennent.

Aujourd'hui, il n'y a que pour le corps des femmes que l'on considère spontanément que, sans indication contraire, il serait acquis. C'est l'objet le plus contrôlé, le plus regardé et stigmatisé et le plus fantasmé, celui que l'on s'approprie le plus fréquemment. Or, ce texte vise à rompre avec cette réification et à clarifier la différence entre sexualité et violence, entre égalité et domination.

Le deuxième bénéfice est d'ordre pénal. Cette redéfinition constitue un outil supplémentaire entre les mains des juges pour sortir de l'impunité.

Alors que, toutes les deux minutes et trente secondes, une personne est victime de viol ou de tentative de viol, seulement une femme sur dix-sept porte plainte, consciente que la justice ne sera pas à la hauteur. Et les chiffres leur donnent raison, car 94 % des affaires sont classées sans suite.

En introduisant l'absence de consentement dans la loi, on recentre le regard sur les actes de l'auteur. A-t-il activement recherché le consentement ? L'a-t-il fait dans des circonstances de domination, d'emprise ou d'incapacité de la victime à s'opposer ? Ce changement de focale donne à des milliers de victimes une chance d'être, enfin, reconnues.

Pour terminer , ce texte apportera un troisième bénéfice, sociétal cette fois, car, oui, le droit a un effet performatif : il façonne les normes sociales, dit ce qui est acceptable et l'ancre dans les habitudes.

Si, aux termes de la loi, ne pas s'assurer du consentement lors d'un rapport est puni, alors les comportements changeront, et cela, concrètement, bâtira la culture du consentement dans une société où seulement 59 % des 18-24 ans identifient un acte sexuel sans consentement comme un viol.

Alors, oui, des doutes ont été soulevés en amont de ce texte, mais la rédaction actuelle, solide, doit les lever.

Si la proposition de loi avait supprimé les quatre critères – violence, contrainte, menace ou surprise –, nous aurions pu nous y opposer, mais ce n'est pas le cas. Si elle inversait la charge de la preuve, si elle introduisait une notion floue, inadaptée au droit pénal, si elle instaurait une présomption de culpabilité, nous aurions pu voter contre, mais ce n'est pas le cas.

Si nous voulons vraiment lutter contre les viols, briser l'impunité et protéger les victimes, si nous voulons inscrire dans la loi le meilleur de la jurisprudence, afin que les femmes aient accès à la même justice partout dans le pays, si nous voulons qu'elles n'aient plus peur de porter plainte et qu'un message clair, enfin, leur soit envoyé, affirmant haut et fort : « Vos corps vous appartiennent, vos choix comptent, vos droits sont respectés », alors il n'y a qu'une réponse possible pour ce texte, quand bien même il n'est qu'une partie du chemin : voter pour. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Buis et Laurent Somon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un argument est souvent employé pour défendre ce texte : il aurait une vertu ou une ambition éducative. Grâce à l'introduction du consentement dans le code pénal, les hommes comprendraient – enfin ! – qu'un acte sexuel ne peut pas être imposé.

Je voudrais tout d'abord, peut-être un peu crûment, briser certaines illusions : les hommes qui violent savent très bien qu'ils violent. Ils savent très bien qu'ils abusent des privilèges que leur confère leur position dominante dans la hiérarchie des sexes, leur pouvoir économique ou leur force physique. N'imaginons pas que les hommes violeraient par inadvertance, négligence, ou même ignorance ou méconnaissance.

Puisqu'il s'agirait d'éducation au travers de ce texte, je vous propose de nous arrêter un instant sur le sens du mot consentement. Quelle est la définition du verbe consentir, par exemple dans le Larousse ? Consentir, c'est accepter quelque chose, accepter que quelque chose se fasse ou acquiescer. En cela, ce verbe se distingue très nettement du verbe vouloir, par exemple.

Le mot consentement s'inscrit donc, à mes yeux, dans les représentations les plus traditionnelles, pour ne pas dire les plus archaïques, de la sexualité : une sexualité dans laquelle les hommes prennent l'initiative, proposent ou pénètrent, quand les femmes se donnent, cèdent ou concèdent.

C'est d'ailleurs pour cette raison que le Sénat s'est particulièrement mobilisé, de façon novatrice, dans la lutte contre l'industrie pornographique et les représentations qu'elle diffuse, en particulier ces sexualités qui sont violentes, parce qu'elles sont hiérarchisées et fondées sur l'irrépressible désir des hommes.

Selon moi, le mot consentement n'est pas seulement dépourvu de vertu éducative : il est « méséducatif ». Comme le dit très bien la philosophe Manon Garcia, en définissant le viol par le non-consentement, on accrédite l'idée « que le consentement est l'affaire des femmes, que les femmes doivent choisir de refuser ou d'accepter les assauts sexuels des hommes ».

Et comme le dit aussi bien Marianne Frison-Roche, professeure de droit à l'université, « En Occident, la liberté est dans le ″non″, le consentement est dans le ″oui″. Par la volonté, je domine ; par le consentement, je me soumets. La force est du côté de la volonté ; la faiblesse du côté du consentement. » Parler de consentement, c'est s'inscrire dans le droit et perpétuer une représentation des sexualités qui n'est fondée ni sur l'égalité ni sur le désir.

Si le législateur voulait vraiment éduquer la société et promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes par la sexualité, il emploierait non pas le mot « consentir », mais le substantif « volonté ». Une relation sexuelle concrétiserait alors la rencontre de deux volontés, de deux désirs, et non le consentement d'une femme à la proposition sexuelle d'un homme.

J'ai compris que cette modification du code pénal se ferait malgré moi et malgré bien d'autres. Afin qu'elle soit réellement utile aux victimes et aux femmes, nous devrions l'encadrer davantage. Le Conseil d'État a beau décréter qu'il y a une autonomie du droit pénal, le risque est grand que le juge raisonne malgré tout selon ce qu'il a appris à l'école de droit, c'est-à-dire en fonction du consentement en droit civil et dans le droit des contrats.

Qu'est-ce qu'un consentement libre et éclairé quand il s'agit d'un acte sexuel obtenu par un employeur en échange de la promesse, par exemple, de ne pas inscrire une femme dans une charrette de licenciement ? Comment le juge évaluera-t-il ce fameux contexte ?

Si les pratiques de la justice étaient émancipées des stéréotypes sexistes, nous pourrions être optimistes. Mais tout le monde sait ici que tel n'est pas le cas.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues, je vous proposerai toute une série d'amendements qui tendent à s'inscrire dans la logique du texte, mais qui visent à le renforcer et à le sécuriser, pour les femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous trouvons aujourd'hui à un tournant : un tournant de société, de justice, de conscience.

Depuis trop longtemps, le viol est un fléau silencieux, qui détruit des vies, brise des familles et ronge la confiance. Les chiffres sont terribles. Ils ont été rappelés : plus de 230 000 victimes chaque année, mais moins de 8 000 condamnations. Nous ne pouvons plus tolérer ce décrochage, ce gouffre entre la réalité et la justice.

Nous avons une responsabilité, celle de faire évoluer notre droit et de donner un signal clair. La société n'acceptera plus l'ambiguïté, le doute et la suspicion envers les victimes. C'est le sens de ce texte, qui constitue une réelle avancée, non seulement juridique, mais également morale.

Jusqu'à présent, en effet, notre droit reposait sur quatre piliers : la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Ces quatre piliers hérités du XIXe siècle ont structuré notre justice. Ils ont permis, certes, de condamner et de protéger, mais ils ont aussi, parfois, laissé des victimes sans réponse, parce que la sidération, l'emprise ou le choc n'étaient pas toujours pris en compte, parce que le silence ou l'absence de réaction étaient trop souvent interprétés comme un consentement.

Ce texte change la donne. Il affirme un principe simple, mais fondamental : sans consentement, il n'y a pas d'acte sexuel possible. Le consentement, désormais, doit être apprécié selon le contexte, et non déduit du silence ou de l'absence de réaction.

C'est une avancée pour toutes les victimes. C'est aussi une protection renforcée pour les plus vulnérables, pour celles et ceux qui n'ont pas pu dire non, n'ont pas pu crier, n'ont pas pu fuir.

Toutefois, mes chers collègues, il faut le dire : le droit pénal n'est pas le terrain de l'émotion. Il est le rempart de la justice. Il est la garantie de l'équilibre. Nous devons rester vigilants. Nous devons protéger la présomption d'innocence. Et nous devons à nos concitoyens la sécurité juridique.

Il s'agit non pas de basculer dans l'arbitraire ou la subjectivité, mais d'apporter de la clarté, de la rigueur et de la justice.

C'est pourquoi nos deux rapporteurs de la commission des lois ont accompli un travail remarquable de précision en sécurisant le texte, en précisant la notion de consentement, en remplaçant les « circonstances environnantes » par le terme « contexte », pour éviter toute dérive interprétative, et en élargissant la définition du viol aux actes bucco-anaux, y compris pour les mineurs, pour une protection égale et sans faille.

La commission a aussi supprimé des articles superflus, tout en gardant l'essentiel : la protection des victimes, la clarté du droit, l'efficacité de la justice.

Ce texte n'est pas une fin ; c'est un début. Il nous faudra aller plus loin et donner plus de moyens à la justice. Il faudra mieux informer les enquêteurs, mieux accompagner les victimes et accélérer les procédures. Il faudra surtout faire évoluer les mentalités pour que la honte change de camp, pour que la victime soit crue, respectée et protégée.

Aujourd'hui, nous posons une pierre ; une pierre solide, une pierre juste et une pierre attendue. Le groupe Les Républicains votera évidemment ce texte, avec vigilance et exigence, en ayant conscience que chaque mot, chaque virgule, engage la vie de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants.

La République, c'est d'abord le respect. La France, c'est la justice. Notre devoir, c'est de protéger les plus faibles, sans jamais céder à la facilité, sans jamais renoncer à l'équilibre du droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)