Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il n'est point d'acte sexuel licite s'il n'est pas consenti. Or céder à la menace, à la violence, même psychologique, ou à une forme de pression, quelle qu'elle soit, ce n'est pas consentir.

Se taire ou se laisser faire, ce n'est pas consentir : c'est subir une contrainte provoquée par la peur – peur des coups, peur des représailles, peur de réveiller les enfants si l'on crie.

Se résigner lorsqu'un refus n'a pas été entendu, alors même qu'il a été exprimé des dizaines de fois, ce n'est pas consentir. C'est simplement dire que l'on n'a plus la force de lutter.

Ne pas réagir, ce n'est pas consentir : c'est trop souvent être dans un état de sidération tel que l'on n'est pas en mesure de se défendre.

C'est pour rappeler ces principes simples et les inscrire dans notre droit que nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, que je salue, visant à modifier la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles pour y inscrire la notion de consentement.

Ce texte, fondé sur l'important travail mené par nos collègues députées et sur leur rapport d'information rendu public en janvier 2025, apporte plusieurs aménagements au droit en vigueur.

Tout d'abord, il introduit une référence explicite à la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles, entendues en leur sens large, qui inclut le viol.

Ensuite, il précise que le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et toujours révocable.

Enfin, il préserve les acquis de notre droit pénal et de la jurisprudence en conservant les quatre pivots que sont la violence, la menace, la contrainte et la surprise.

Ces orientations font consensus : les amendements déposés en sont la preuve, puisqu'aucun d'entre eux ne tend à remettre en cause l'architecture adoptée en commission.

Qu'il me soit permis, cependant, de revenir sur certaines des évolutions apportées au texte par notre commission des lois.

Ma corapporteure Dominique Vérien et moi-même avons rapidement été confortées dans l'idée que cette proposition de loi avait une portée interprétative. Loin de rendre plus sévère le droit pénal, elle ne fait que graver dans le code pénal les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît la centralité du consentement depuis l'arrêt Dubas de 1857.

Enrichi des modifications adoptées par nos collègues députés pour tenir compte d'un avis particulièrement éclairant et précis du Conseil d'État, le texte transmis au Sénat était déjà extrêmement abouti. Nous nous sommes donc contentées d'y apporter deux modifications.

La première est une coordination, grâce à laquelle le périmètre matériel du viol sera le même pour toutes les victimes, quel que soit leur âge. En effet, nos collègues députés n'avaient pas effectué les modifications requises parmi les dispositions spécifiques aux mineurs. Dès lors, le présent texte risquait de placer ces derniers dans une situation juridiquement moins favorable que les majeurs. Nous ne pouvions pas laisser une telle incohérence s'immiscer dans notre droit : nous avons procédé aux coordinations requises.

La seconde porte sur les conditions dans lesquelles l'absence de consentement sera appréciée par le juge du fond.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale renvoyait, en la matière, aux « circonstances environnantes », terme emprunté à la convention d'Istanbul de 2011. Or cette notion n'est pas connue en droit pénal français. Elle aurait donc pu être source de difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes. Pis encore, elle est susceptible de provoquer des effets de bord négatifs pour les victimes : elle peut conduire à exploiter leur environnement, leur comportement, leurs relations ou leur passé, ce qui est l'exact contraire du but visé par cette proposition de loi.

Nous avons donc préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Nous pourrons ainsi tenir compte de tous les éléments susceptibles d'avoir vicié le consentement de la victime.

Mes chers collègues, avant de céder la parole à Dominique Vérien, j'attire votre attention sur le point d'équilibre que constitue la formule dégagée par nos soins en commission.

Le droit pénal est une matière sensible. Plus encore que tout autre domaine de la loi, il doit être modifié d'une main tremblante, car, si nous commettions une erreur de droit, ce sont les victimes qui en feraient les frais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en complément des propos d'Elsa Schalck, auxquels je m'associe évidemment sans réserve, je reviendrai sur les principes juridiques qui ont fondé la position de la commission sur les amendements que nous examinerons au cours de la soirée.

Elsa Schalck le rappelait à l'instant, on ne doit toucher à la loi pénale que d'une main tremblante, en s'assurant d'être soutenu par des certitudes quant aux multiples effets que l'on va produire dans l'ordre juridique et sur la base d'un travail approfondi, pour garantir la conformité de la loi nouvelle à la Constitution.

Une censure décidée à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aurait, en effet, des conséquences dévastatrices pour les victimes. C'est un risque que nous devons à tout prix éviter.

Je suis certaine que nous nous rejoignons sur ces principes. Il me reste à vous exposer comment nous les avons appliqués.

Tout d'abord, nous avons émis un avis défavorable ou une demande de retrait sur les amendements dont la portée juridique ne peut être définie avec précision en l'état de nos travaux.

Je le dis avec force et de manière solennelle : cette position n'ôte rien à l'importance des sujets auxquels ces amendements nous confrontent, qu'il s'agisse de la soumission chimique, chère Véronique Guillotin, pratique dont le procès des viols de Mazan a rappelé la cruelle brutalité, ou de la prostitution des mineurs de 15 ans, dont l'insuffisante répression, aussi réelle que choquante, est dénuée de lien avec la rédaction actuelle de la loi pénale.

Ce choix s'explique aisément : il n'est pas raisonnable de modifier la loi pénale sans avoir, au préalable, mené l'ensemble des travaux requis.

Nous ne saurions négliger les apports des auditions et du travail législatif tout entier, quelle que soit la qualité des réflexions préparatoires qui ont pu être menées, sous peine de priver notre mission de législateurs de son but essentiel : peser tous les arguments, sans exception et avec sérieux, pour rester les gardiens de l'intérêt général.

Le texte que nous examinons aujourd'hui a été précédé d'un rapport sur lequel Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin ont travaillé pendant plus d'un an. Pour autant, l'examen de cette proposition de loi en commission, puis en séance à l'Assemblée nationale a donné lieu à des modifications substantielles, sans lesquelles la solidité du texte n'aurait pas été acquise.

Cet exemple doit nous inspirer. Je souhaite, en outre, que le Gouvernement s'engage à donner au Parlement le temps de mener un travail spécifique sur les autres sujets dont nous aurons à débattre, notamment la soumission chimique.

De même, nous avons émis un avis défavorable sur les amendements dont les dispositions présentent un risque juridique, dans la mesure où elles paraissent contraires à des principes constitutionnels.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je pense aux amendements visant à ériger en élément constitutif du viol des situations qui sont aujourd'hui constitutives de circonstances aggravantes de la même infraction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et ce ne serait pas constitutionnel ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Ce cumul n'est pas envisageable en droit, car il serait contraire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Nous avons réservé un sort identique aux amendements visant à préciser, de bonne foi, mais à l'excès, la définition du viol et des autres agressions sexuelles. Bien que l'intention de leurs auteurs soit louable, nous nous devons de rappeler que la loi pénale est d'interprétation stricte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous l'apprenez… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Tout ajout est de nature à limiter les marges de manœuvre du juge du fond, à l'empêcher de tenir compte de la diversité des situations auxquelles sont confrontées les victimes et, par voie de conséquence, à dégrader l'effectivité de la répression.

Enfin, nous avons émis un avis défavorable sur…

Mme Laurence Rossignol. Dites « tous les amendements », nous irons plus vite !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … les amendements dont les dispositions, sans être dépourvues de lien indirect avec le texte, nous renvoient à des débats qui en excèdent largement le cadre.

Je pense aux amendements tendant à remettre en cause l'équilibre issu de la loi du 21 avril 2021, adoptée sur l'initiative de notre collègue Annick Billon, s'agissant des critères du viol entre majeurs et mineurs. Je pense aussi aux amendements visant à modifier en profondeur le régime de la prostitution.

Ces sujets ont déjà donné lieu à de riches débats. Dans l'absolu, ces derniers peuvent être rouverts, mais ils supposent une évaluation du droit en vigueur, de sa pertinence et de son efficacité. À défaut, une évolution de la loi ne saurait, selon nous, être envisagée.

Mes chers collègues, cette proposition de loi marque un moment charnière dans la lutte contre les violences sexuelles.

Par son caractère interprétatif, elle nous impose une forme de modestie : elle nous rappelle que le législateur ne peut pas tout et que les plus grands bouleversements ne passent pas forcément par les textes.

Ce qu'il faut pour mieux réprimer les viols et les autres agressions sexuelles, ce sont avant tout des moyens supplémentaires pour les enquêtes, ainsi que des formations pour les policiers, les gendarmes et les magistrats.

Ce qu'il faut, c'est aussi, voire surtout, inciter les victimes à porter plainte sans tarder. Elles doivent avoir confiance en nos institutions. Nous devons leur donner l'assurance qu'elles seront protégées et entendues.

Toutefois, ce texte est moins modeste qu'il n'y paraît…

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteure.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'incidence de la loi sur la réalité ne se mesure pas à la longueur ou à la complexité des textes que nous adoptons. L'enjeu, aujourd'hui, est de pousser les juges et les enquêteurs à se focaliser sur les auteurs plutôt que sur les victimes, tout en faisant œuvre de pédagogie pour le justiciable.

Alors que, chaque année, 230 000 femmes se déclarent victimes de viol ou d'agression sexuelle,…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … quelques milliers de condamnations seulement sont prononcées. Les marges de progrès sont donc immenses.

C'est avec la rigueur juridique que la gravité du sujet nous impose…

Mme la présidente. Merci beaucoup !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. … que nous allons consolider ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq,

est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Xavier Iacovelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Xavier Iacovelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 90 % des femmes violées ne déposent pas plainte. En outre, 80 % des plaintes formulées font l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite. Enfin, seuls 1 % des violeurs sont finalement condamnés.

Ce sont ces chiffres-là qui doivent nous obséder. Nous devons rechercher les meilleurs moyens de pousser les femmes à déposer plainte, les parquets à poursuivre et les juridictions de jugement à entrer en voie de condamnation.

Le présent texte le permettra-t-il ? Nous l'espérons, mais – il faut le reconnaître en toute honnêteté – nous ne le savons pas. Peut-être débattons-nous ce soir d'un texte historique, mais peut-être cette proposition de loi se révélera-t-elle inefficace.

Avant tout, nous devons examiner avec la plus grande attention les modifications législatives proposées.

La notion de consentement est entrée dans le débat public il y a quelque temps – avant le procès Pelicot –, après avoir été mise en lumière par des personnalités de premier plan.

Évidemment, nous sommes tous d'accord pour que ce terme entre dans la définition de l'infraction de viol. Toutefois, la question est plus compliquée que cela.

Aujourd'hui, la qualification de viol repose sur le recours à la violence, à la contrainte, à la menace ou à la surprise. Mais, en parallèle, elle bénéficie d'une jurisprudence extrêmement solide : il ne faudrait pas qu'une modification législative conduise à l'affaiblir.

Tel a été le premier objectif des membres du groupe socialiste : faire en sorte que la législation actuelle ne soit pas affaiblie.

Heureusement, cette question a bénéficié d'un effort remarquable de fabrication de la loi, ce qui est assez peu fréquent, y compris pour les propositions de loi du Sénat…

Inspiré par une importante mission d'information et enrichi par l'avis du Conseil d'État, ce travail a abouti à une construction très intelligente. (Mme la ministre acquiesce.)

Le présent texte affirme que le consentement est un préalable indispensable, en définissant cette notion, puis précise qu'il n'y a jamais de consentement quand il est fait recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Dans de tels cas, il ne sera pas possible de plaider le consentement. Cette rédaction ne résout pas tout le problème juridique, mais elle permet d'avancer.

Ce faisant, le présent texte est de force à rappeler aux autorités policières, et peut-être aussi aux autorités de poursuite, que la notion de consentement existe : ce serait là déjà une grande avancée.

Je me tourne à présent vers les associations féministes, dont des représentantes se trouvent peut-être dans nos tribunes. À mon sens, le fait d'introduire la notion de consentement dans la définition du viol ne revient pas à concentrer le propos et l'attention sur la victime, d'autant que tel est déjà le cas : aujourd'hui, dans tous les procès pour viol, c'est le comportement de la victime qui est scruté.

Je le répète, les membres du groupe socialiste insistaient sur la nécessité de ne pas affaiblir la jurisprudence : ce danger est écarté.

De plus, nous voulions que la législation reprenne la notion de consentement, sans croire, de manière magique, à la vertu performative du droit. Un violeur ne lit pas le code pénal avant de passer à l'acte… Mais cette notion permet de clarifier un certain nombre de points.

La construction d'ensemble est donc intéressante. Nous y sommes favorables, d'autant que – Elsa Schalck l'a souligné tout à l'heure – cette proposition de loi est, à ce stade, un texte de nature interprétative. Ses dispositions seront donc applicables à des faits antérieurs à leur adoption. (Mmes les rapporteures le confirment.) À l'inverse, les mesures durcissant la loi pénale ne peuvent être appliquées de manière rétroactive.

Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas adopter des dispositions d'une autre nature, lesquelles pourraient s'appliquer aux faits ultérieurs. Mme Rossignol y reviendra sans doute tout à l'heure.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous sommes favorables au présent texte et nous abordons ces débats, certes sans illusion particulière, mais avec un optimisme résolu.

L'ensemble des sujets ne sauraient être traités par le biais de cette proposition de loi. Nous n'en espérons pas moins que les poursuites pour viol seront, demain, plus efficaces. C'est pourquoi – nous défendrons un amendement en ce sens – nous demandons une évaluation afin de savoir, dans quelques années, si le but assigné à ce texte a bien été atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST. – Mme Véronique Guillotin et M. Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a des crimes que l'on crie et d'autres que l'on tait. Le viol fait partie de ceux que l'on a longtemps tus, que ce soit par honte, par peur ou par sidération.

Le viol est un crime où le corps de la victime devient à la fois la scène, la preuve et parfois, injustement, l'objet du soupçon.

Notre droit pénal ne nomme toujours pas ce qui est pourtant au cœur de cette violence, à savoir l'absence de consentement.

Le chemin vers la reconnaissance de cette notion a été long, très long, trop long. Il a fallu attendre les années 1990 pour que la jurisprudence pénale considère que le mariage ne pouvait justifier qu'un conjoint impose à l'autre des rapports sexuels. En outre, c'est seulement en 2010 que la loi a supprimé ce qui restait de la présomption de consentement liée au mariage.

Ces constats en disent long des résistances s'exerçant en la matière. Aujourd'hui encore, certains peinent à admettre qu'un acte sexuel, même au sein du couple, doit être librement consenti.

Le viol, tel qu'il a été défini par la loi du 23 décembre 1980, repose exclusivement sur des moyens de coercition : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Mais ces catégories ne correspondent pas à la réalité des violences sexuelles.

Le viol est un crime sans aveu. Dans certains cas, l'auteur ne menace pas, ne frappe pas, ne crie pas. Il agit autrement. Il abuse d'une confiance. Il profite d'un moment d'inconscience. Il exploite ou provoque une situation de vulnérabilité. Il n'a pas besoin de violence visible : il s'appuie sur le silence, la peur ou la sidération. Bien connue des professionnels, cette dernière fige la victime, la paralyse et la dissocie, au point parfois d'effacer la mémoire du traumatisme.

Quand une preuve ADN existe, l'auteur ne nie pas le rapport sexuel. Simplement, il peut dire : « Elle était d'accord. » C'est alors que tout se complique.

Pour que l'infraction soit reconnue, la justice doit parvenir à démontrer que l'auteur savait que la victime ne consentait pas. Or, dans un crime sans témoin, sans aveu, sans violence apparente, cette preuve est souvent impossible à établir. C'est ainsi que le doute s'installe et, avec lui, le non-lieu, le classement sans suite, le silence.

Les chiffres sont effrayants. En 2023, 270 000 personnes auraient été victimes d'un viol, d'une tentative de viol ou d'une autre agression sexuelle ; mais, au total, seulement 6 % des victimes, en moyenne, portent plainte.

En outre, dans 94 % des cas de viol signalés, l'affaire est classée sans suite. Ce n'est pas une anomalie ; c'est un dysfonctionnement systémique : parce que, dans notre droit, le silence d'une victime peut encore être interprété comme un consentement alors qu'il devrait être un signal d'alerte ; parce que l'absence de résistance physique est encore trop souvent opposée à la victime, comme si la terreur, pour être crédible, devait se manifester par des coups visibles.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à rétablir une évidence : un acte sexuel n'est licite que s'il est consenti. Et ce consentement ne se présume pas. Il ne se déduit ni d'un regard, ni d'un silence, ni d'une absence de fuite.

Ce texte introduit dans le code pénal une définition claire du consentement. Celui-ci doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il ne peut pas être déduit du seul silence. Il ne peut pas être donné par une personne inconsciente, vulnérable ou sidérée.

Ce n'est pas une révolution juridique ; c'est une révolution de clarté. Elle ne bouleverse ni la présomption d'innocence ni la charge de la preuve.

Ainsi que le Conseil d'État l'a rappelé dans son avis du 6 mars dernier, cette réforme n'instaure aucune présomption de culpabilité. Elle ne modifie pas l'équilibre du droit pénal. Mais elle renforce la lisibilité et la cohérence du système. Elle invite simplement les enquêteurs et les magistrats à interroger d'abord l'existence du consentement, plutôt que de chercher des traces visibles de contraintes.

Ce texte a également une puissante vertu pédagogique. Il donne un repère clair à toute la société. Il dit à chaque victime qu'elle a le droit d'être crue, même si elle n'a pas crié. Il dit à chaque citoyen que l'on ne touche pas à quelqu'un sans avoir obtenu son accord explicite. Il aligne encore notre droit sur celui de quinze pays européens qui ont déjà reconnu l'absence de consentement comme le cœur du viol.

Vous l'aurez compris, le groupe Les Indépendants votera avec conviction ce texte, parce qu'il est attendu et parce qu'il est juste.

Cette proposition de loi facilitera, nous l'espérons, le recours des victimes à la justice, mais il faudra aller plus loin. Il faudra que la justice ait les moyens de juger vite, bien et avec humanité. On le sait, le temps judiciaire devient trop souvent une nouvelle violence.

Cette année encore, notre groupe sera particulièrement attentif au respect de la loi de programmation de la justice. Pilier du pacte républicain, la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre société et doit, à ce titre, disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires défendra l'adoption de ce texte. Nous avons la responsabilité de soutenir et d'accompagner les victimes. La République a un devoir de protection. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle société voulons-nous pour demain ? Les moyens que nous nous donnons le montreront.

Je citerai quelques chiffres : plus de 122 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées en 2024. C'est plus de 7 % par rapport à 2023 et plus de 11 % en moyenne annuelle depuis 2016. Ces violences se produisent pour 77 % hors du cadre familial lorsque les victimes sont majeures. Combien de dégâts psychologiques et de larmes pour ces victimes ?

Cette loi, à portée pédagogique et centrée sur le comportement de l'auteur, permettra la libération de la parole et augmentera la répression par l'écriture d'un texte plus clair et plus compréhensible pour tous.

Elle doit également permettre de modifier les pratiques de la police et de la justice. En effet, on constate un taux de dépôt de plainte trop bas, de 2 % à 6 % seulement, et le taux de condamnation reste faible, 10 % à 15 % seulement des dossiers donnant lieu à une condamnation.

Cette proposition de loi, qui vise à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, ajoute la notion du consentement. Qu'est-ce que c'est ? L'audition des avocats de Gisèle Pelicot a été particulièrement édifiante quand ceux-ci ont relaté que l'un des auteurs des faits avait déclaré : « Son mari avait dit oui, je pensais qu'elle était d'accord. »

Le consentement doit se placer au cœur de l'éducation à la sexualité et s'inscrire pleinement dans une notion de respect de l'autre. Le consentement nécessite un travail éducatif et culturel pour déconstruire les idées fausses comme : « Si on ne dit rien, c'est qu'on veut bien. »

Le débat sur le consentement dans la notion de viol est un enjeu juridique, philosophique et social, qui a beaucoup évolué ces dernières années.

Avant 2021, le viol était défini par l'article 222-23 du code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ainsi, le non-consentement est déduit de l'existence d'un de ces adminicules, mais n'est pas central.

Depuis la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur est désormais considérée comme un viol, dès lors que la différence d'âge entre l'adulte et l'enfant est d'au moins cinq ans. Il y a donc désormais présomption d'absence de consentement dans ce cas précis. C'est un premier pas.

D'autres pays vont plus loin que nous et écrivent dans la loi que le viol est un acte sexuel commis sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée.

Le consentement n'est donc pas une simple absence de refus. Il doit être actif et librement exprimé. C'est dire oui et ne pas se contenter de ne pas dire non. Il se vit dans une relation où chacun est en capacité d'exprimer ses émotions et de prendre en compte celles de l'autre. Le silence ne vaut pas consentement.

Consentir, ce n'est pas céder. C'est choisir. C'est aussi avoir confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2022, selon l'enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité, menée par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, la moyenne du nombre de femmes âgées de 18 ans et plus ayant été victimes de viols, tentatives de viol ou d'agressions sexuelles a été estimée à 230 000 personnes. Parmi elles, environ huit sur dix ne portent pas plainte et, lorsqu'elles le font, force est de constater que de nombreuses affaires sont classées sans suite faute de preuves suffisantes.

Je crois que le temps est venu de redéfinir les notions de viol et d'agression sexuelle dans notre code pénal. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, qui y introduit la notion de consentement. Il s'agit de défendre la liberté personnelle et sexuelle, ainsi que le droit au respect de son intégrité physique et psychique.

Pour ce faire, le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable : libre, tout d'abord, pour qu'il ne puisse pas être contraint ; éclairé, ensuite, car la notion de consentement est inévitablement liée à celle du discernement ; spécifique, également, car qui consent une fois peut ne pas consentir chaque fois, de la même manière que l'on peut consentir à certains actes sans nécessairement le faire pour d'autres ; préalable, évidemment, car la question du consentement implique nécessairement d'être posée avant, et non après ; révocable, enfin, parce que le consentement n'est ni définitif ni absolu.

Tels seront les critères permettant de caractériser le consentement, qui ne pourra pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction d'une victime ; il devra être apprécié au regard du contexte des faits reprochés.

Dans l'affaire des viols de Mazan, nombreux sont les accusés à avoir utilisé une stratégie de défense consistant à dire : « On pensait que Mme Pelicot était consentante. »

Mes chers collègues, le temps est venu de modifier notre code pénal. Compte tenu de sa rédaction, de ses potentielles conséquences juridiques et de son caractère transpartisan, je voterai avec mon groupe pour l'adoption de ce texte.

En préparant mon intervention, j'ai compris que de nombreux juristes, avocats et magistrats étaient dubitatifs, voire sceptiques, sinon opposés à cette réforme. Mais, en dépit des critiques et des inquiétudes que suscite cette proposition de loi, je voterai pour, et cela pour plusieurs raisons.

L'inquiétude s'agissant de l'inversion de la charge de la preuve est légitime, car elle est liée au principe de la présomption d'innocence. Clé de voûte précieuse de notre État de droit, la présomption d'innocence n'est pourtant pas remise en cause par ce texte, puisque la charge de la preuve reviendra toujours à l'accusation, et non l'inverse.

La rédaction du texte n'instaure pas non plus de présomption de défaut du consentement impliquant une vérification formelle ou une contractualisation entre les personnes. En réalité, la rédaction retenue invite les magistrats et les parties à vérifier, au-delà de la matérialité des faits, la conscience chez la personne mise en cause d'avoir agi sans le consentement de l'autre ou contre lui.

Le texte n'instaure donc ni présomption ni renversement de charge de la preuve.

Par ailleurs, certains estiment qu'introduire la notion de consentement pourrait centrer l'enquête et les débats sur le comportement de la plaignante ou du plaignant. Mais permettez-moi de vous dire que c'est déjà parfois le cas aujourd'hui ! N'oublions pas non plus que ce sont les magistrats et les enquêteurs qui conduisent les investigations et les débats lors des procès.

Dans de nombreuses affaires, les investigations entraînent des traumatismes secondaires pour les parties civiles. Ce texte invite justement les enquêteurs et les magistrats à s'intéresser un peu plus aux agissements et au comportement de la personne mise en cause.

Par conséquent, ce que la proposition de loi met au centre de l'attention, ce n'est pas l'une ou l'autre des parties : c'est la notion même de consentement, souvent décisive dans ce type de dossiers. Et c'est justement parce que cette notion est décisive que nous devons l'inscrire dans le marbre de la loi.

À celles et ceux qui estiment que ce n'est pas sa place, je répondrai que le consentement est déjà présent dans le code pénal. La notion n'en est pas absente ; l'ajouter sera source de sécurité juridique. Là où la jurisprudence peut fluctuer au gré des décisions et des affaires, notre système juridique prévoit une interprétation stricte de la loi pénale. Autrement dit, en ajoutant la notion de consentement, nous permettons une meilleure appréhension des faits et de leur contexte.

De surcroît, je rappelle que la rédaction proposée pour définir le viol intègre les critères de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.

Dès lors, si ce texte permet de conserver les notions utiles à la manifestation de la vérité, je suis convaincu que la rédaction choisie permettra de prendre en compte, enfin, l'état de sidération. La nouvelle définition élargit en effet le champ des agressions sexuelles à des cas longtemps ignorés et incompris.

Or, selon la docteure Myriam Salmona, spécialiste du psychotraumatisme, 70 % des victimes de viol ont connu un état de sidération. Modifier notre code pénal en ce sens n'a donc rien d'anodin.

Le travail remarquable réalisé par les députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin invite en réalité à s'interroger : les générations futures pourront-elles vivre dans une société où le consentement sera non plus une notion équivoque, mais bel et bien un principe consensuel et connu de tous ?

Mes chers collègues, loin de toute pression extérieure, y compris celle de l'opinion publique, je voterai ce texte, car j'ai été convaincu par des arguments juridiques. Bien évidemment, changer la loi ne résoudra pas tout. Mais la nécessité d'améliorer les formations des professionnels et des magistrats dédiés à la justice ne doit pas nous exonérer, en tant que législateurs, de faire évoluer notre droit.

En 1834, Alfred de Musset a écrit la pièce On ne badine pas avec l'amour. En 2025, ne badinons plus avec le consentement ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)