M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Article 1er
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° L'article 222-22 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » sont remplacés par les mots : « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur » ;
b) Après le même premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Au sens de la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard du contexte. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.
« Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. » ;
2° L'article 222-22-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « par le premier » sont remplacés par les mots : « au troisième » ;
b) Au deuxième alinéa, la seconde occurrence du mot : « premier » est remplacée par le mot : « troisième » ;
3° (Supprimé)
4° Le premier alinéa de l'article 222-23 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;
c) (Supprimé)
4° bis (nouveau) Au premier alinéa des articles 222-23-1 et 222-23-2, après le mot : « bucco-génital », sont insérés les mots : « ou bucco-anal » ;
5° Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 est ainsi rédigée : « n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »
II. – (Non modifié) Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 2-3, le mot : « second » est remplacé par le mot : « dernier » ;
2° Le début du premier alinéa de l'article 804 est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
du contexte
par les mots :
des circonstances environnantes
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à rétablir la formulation issue des travaux de l'Assemblée nationale, en remplaçant la notion de « contexte » par celle de « circonstances environnantes ».
Au-delà d'une simple question lexicale, il s'agit d'introduire une notion plus précise, mieux à même de qualifier des situations de violence, d'emprise ou de domination susceptibles d'avoir altéré le consentement de la victime.
De fait, le terme « contexte » renvoie surtout à la notion de lieu ou de cadre immédiat, donc aux caractéristiques propres au temps de l'action. Il apparaît trop vague et insuffisant pour saisir la complexité des situations dans lesquelles des pressions ont pu être effectuées.
La notion de circonstances environnantes permet au magistrat de dépasser cette analyse partielle ou immédiate en prenant en compte l'ensemble des faisceaux d'indices sur les éléments d'emprise, mécanismes d'exploitation de vulnérabilité, relations de pouvoir ou encore violences ou menaces qui ont pu préexister à l'acte.
Cette notion permet un examen plus large, parce qu'elle offre un cadre plus complet. Elle s'appuie sur des travaux solides et reprend les recommandations du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes sur la définition pénale du viol.
Elle est conforme au droit international fixé par la convention d'Istanbul, en tenant compte des réactions des victimes, parfois incapables de manifester leur refus.
L'avis du Conseil d'État rappelle également que l'on ne peut ignorer les réactions comportementales des victimes, en particulier lorsqu'elles sont paralysées par la peur, l'emprise ou la sidération.
Remplacer les termes « circonstances environnantes » par le mot « contexte » risque donc d'entretenir une lecture réductrice de la réalité des violences sexuelles. En revanche, adopter cet amendement, c'est renforcer la protection des victimes en dotant la justice d'un cadre d'analyse à la hauteur de la complexité des faits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Elsa Schalck, rapporteure. Le présent amendement vise à revenir au texte initial de l'Assemblée nationale en rétablissant l'expression « circonstances environnantes », à laquelle la commission a substitué celle de « contexte ».
La notion de circonstances environnantes est une reprise mot pour mot de la convention du Conseil de l'Europe. Or, comme vous le savez, mes chers collègues, le respect du droit international, qui anime aussi ce texte, n'impose pas la reprise littérale des termes des conventions auxquelles la France est partie.
Nous avons constaté lors des auditions que l'expression « circonstances environnantes » posait plusieurs difficultés.
Premièrement, elle est redondante, les circonstances étant toujours environnantes.
Deuxièmement – ce point est important –, elle est inconnue en droit pénal français, ce qui risque de créer des difficultés pour les enquêteurs comme pour les magistrats, au détriment des plaignantes.
Troisièmement, et enfin, la Cour de cassation a appelé notre attention sur le caractère potentiellement extensif de cette notion. L'environnement de la victime, son attitude, ses relations ou son passé pourraient être de nouveau explorés, afin de tenter de démontrer son consentement, au risque d'accentuer la pression qu'elle subit.
Pour toutes ces raisons, nous avons préféré retenir la notion de contexte, bien connue du juge pénal français. Mes chers collègues, nous vous proposons donc d'en rester à la définition de la commission.
C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice Poncet Monge, permettez-moi de saluer à mon tour Mélanie Vogel pour son engagement bien connu sur la question des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Au travers de votre amendement, vous proposez de revenir au texte initial. Or, depuis le début de l'examen de ce texte, nous proposons de manière constante, à l'Assemblée comme au Sénat, de suivre l'avis du Conseil d'État.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il ne peut être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Afin d'introduire le consentement dans la loi, l'Assemblée nationale a voulu préciser de quoi ce dernier ne pouvait pas être déduit. Ainsi, le consentement ne peut pas être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.
Je le répète, si la pratique judiciaire n'était pas aussi défaillante dans la poursuite et la sanction des violences sexuelles, nous pourrions être beaucoup plus détendus. Toutefois, nous savons que les défaillances sont extrêmement nombreuses. Mon propos vise donc à préciser davantage les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut pas être déduit, en y ajoutant l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.
Soyons concrets : imaginons une jeune étudiante qui obtiendrait la gratuité d'un logement en échange de services sexuels que lui aurait demandés le propriétaire.
On me répondra bien entendu que ce cas de figure est déjà prévu par la loi, au travers de la notion de contrainte morale. Si c'était le cas, la situation ne se présenterait pas, et il y aurait des condamnations multiples. Or ce n'est pas le cas.
Je propose donc d'apporter les précisions nécessaires pour que l'introduction du consentement dans la loi soit profitable aux victimes et lève les ambiguïtés. Non, le consentement ne se déduit pas d'un échange de services ou d'une rémunération !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cet amendement vise à préciser que le consentement ne peut pas être déduit de l'échange d'une rémunération ou d'un avantage ou de la promesse d'une rémunération ou d'un avantage.
En l'état du texte, le consentement « ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ». Cette rédaction résulte en partie d'une modification suggérée par l'avis du Conseil d'État, selon lequel cette précision serait utile afin de ne pas limiter l'appréciation du juge.
Nous partageons cette analyse, qui vaut également pour cet amendement. Il semble non seulement superfétatoire, mais risqué du point de vue juridique, d'apporter de trop nombreuses précisions sur les modalités de déduction du consentement.
Le texte, tel qu'il a été rédigé, permet déjà d'appréhender les situations dans lesquelles une personne se livrant à la prostitution reviendrait sur son consentement. Les qualificatifs du consentement en témoignent. Deux l'illustrent particulièrement, en l'espèce : il s'agit des caractères spécifique et révocable du consentement.
Le Conseil d'État a expressément souligné dans son avis que « le consentement à un acte de prostitution en échange d'une somme d'argent » ne peut pas « permettre de présumer l'existence d'un consentement propre à écarter la qualification d'agression ou de viol ».
Il ajoute : « La jurisprudence, que la proposition de loi renforce [...], n'exclut pas [...] qu'une prostitution résultant du proxénétisme puisse [...] être regardée dans des cas très nombreux comme constitutive par elle-même d'une contrainte qui, si elle est connue de l'auteur des faits, ou apparente, sera susceptible d'entraîner la qualification d'agression sexuelle ou de viol ».
Dans la mesure où son adoption limiterait l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la ministre, je connais évidemment votre engagement dans la lutte contre le système prostitutionnel. Sachez que nous entretenons la dynamique de la loi de 2016 dont vous êtes à l'origine.
En ce qui concerne cet amendement, je partage l'avis des rapporteures : le Conseil d'État a bien précisé dans son avis qu'il n'était en aucun cas exclu de poursuivre une personne pour agression sexuelle ou pour viol, quand bien même il y aurait eu un accord sur le fait d'avoir un rapport sexuel dans les conditions que vous évoquez.
Les deux sujets sont distincts : ce n'est pas parce que l'on a un rapport sexuel dit tarifé que, pour autant, la qualification d'agression sexuelle ou de viol ne peut être retenue.
Ma position étant constante – tenons-nous-en à l'appréciation du Conseil d'État –, je demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, j'y serais défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'ai écouté avec intérêt la rapporteure et la ministre, et je pense que nous ne parlons pas de la même chose.
Vous parlez de prostitution. Nous parlons pour notre part d'un échange de services, d'une étudiante qui, comme l'exposait Laurence Rossignol, demanderait un logement – cela peut être aussi un travail ou autre chose – et, de fil en aiguille, se retrouverait dans l'obligation d'accepter une relation sexuelle pour l'obtenir. Il n'est donc nullement question de prostitution.
Le texte comporte déjà un article qui mentionne la violence, la menace, la contrainte ou la surprise – très bien ! –, mais pas le consentement. Or il existe d'autres cas de figure bien précis – c'est l'objet de prochains amendements –, dans lesquels – faisons un peu de droit civil –, la situation pourrait être considérée comme quasi-contractuelle.
Ce n'est pas parce qu'il y a un avantage à la clé que l'on peut considérer qu'il y a eu accord. Il est très important de préciser ce point, afin de qualifier l'agression sexuelle pénalement sanctionnable. Je le répète, quand bien même la prostitution pourrait être évoquée, nous parlons ici de situations bien plus épisodiques, mais qui se produisent dans la vie réelle.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame de La Gontrie, la précision selon laquelle le consentement est « libre et éclairé » répond, me semble-t-il, à votre interrogation.
« Libre », cela signifie qu'aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit fausser la nature du consentement. Cela couvre exactement les situations que vous évoquez. « Éclairé », cela renvoie à la capacité que nous avons de consentir et qui n'existe pas dans un certain nombre de situations de vulnérabilité.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons suivi l'avis du Conseil d'État. Les mots retenus pour caractériser les situations sont très précis.
Plutôt que de risquer d'ajouter des précisions superfétatoires, qui pourraient se révéler in fine défavorables aux victimes, je vous propose de nous en tenir aux termes retenus par le Conseil d'État. Ils définissent clairement ce que le consentement peut être et ce qu'il ne peut pas être.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Comme je ne suis pas novice dans cette maison et comme ce n'est pas la première fois que je travaille avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement sur des textes concernant les violences sexistes ou sexuelles, ou les violences intrafamiliales, j'ai bien compris que vous n'accepterez aucun des amendements que nous proposerons !
Mesdames les rapporteures, je vais vous faire gagner du temps, et à moi aussi : évitez de me demander de retirer mes amendements, parce que je n'en retirerai aucun !
Pour tout vous dire, après plusieurs années, je suis fatiguée de voir arriver dans l'hémicycle des textes totalement bouclés, sur lesquels les rapporteurs refusent systématiquement les amendements de l'opposition avec les mêmes arguments – je les connais d'avance –, comme « c'est superfétatoire », « c'est déjà garanti par le texte » ou « n'en ajoutons pas trop pour ne pas alourdir l'analyse du juge » – pour moi, c'est le summum en la matière.
Mes chers collègues, si la justice fonctionnait bien, si elle sanctionnait parfaitement les violences sexuelles, nous pourrions continuer selon cette même logique. Cependant, aujourd'hui, nous avons besoin de préciser les choses. Avec la formule « libre et éclairé », je puis vous dire d'avance que les avocats – il y en a dans cet hémicycle – savent déjà comment ils retourneront ce que la victime a dit ou n'a pas dit.
Tel qu'il est rédigé, le texte vise presque la sidération de la victime, une formule qui n'a pas été choisie, au bénéfice du consentement « libre et éclairé ». Lorsque vous dites que celui-ci ne se déduit pas de l'absence de réaction de la victime, vous parlez en fait de la sidération.
Pour ma part, je ne vous parle pas de cela : j'ai en tête les mille et une situations dans lesquelles les inégalités entre les femmes et les hommes créent d'emblée une vulnérabilité spécifique des femmes en matière d'exposition aux violences sexuelles. Nous aurons l'occasion d'y revenir avec les nombreux amendements que j'ai déposés.
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, il faut bien savoir comment les magistrats fonctionnent. En présence de la formulation « violence, contrainte, menace ou surprise », les magistrats de la Cour de cassation ont étendu la notion de contrainte, y compris jusqu'à l'emprise, ce qui n'allait pas de soi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est la jurisprudence !
M. Francis Szpiner. Oui, mais la jurisprudence a pu le faire, justement, parce que les magistrats ont eu la possibilité d'interpréter.
Ce qui me gêne dans l'amendement que vous proposez, c'est que, à force de trop vouloir énumérer des situations précises, vous allez en oublier. Et à partir de ce moment-là, les avocats de la défense auront beau jeu de dire que tel ou tel comportement n'est pas prévu par le texte.
Dans le cas qui nous intéresse, vous avez parlé du droit civil et du consentement. Mais il n'y a pas de consentement libre, même en droit civil, lorsqu'une personne propose un objet illicite ou immoral.
Mme Laurence Rossignol. Il y a les vices du consentement !
M. Francis Szpiner. La situation que vous évoquez correspond déjà à un vice du consentement, même dans la conception du droit civil.
À mon sens, les dispositions de cet amendement n'apportent rien. Au contraire, si celui-ci est voté, l'énumération des cas aura pour effet d'affaiblir le pouvoir des magistrats, les prévenus et les avocats rétorquant que ce qui ne figure pas dans la liste est permis. Une formule générale permet assurément une répression plus efficace.
Voilà pourquoi je voterai contre cet amendement. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il ne peut être déduit de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement-là, je n'imagine pas que les rapporteurs le rejettent…
Il y a quelques semaines, nous étions, presque dans la même formation, en train de discuter de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui traite du contrôle coercitif, déposée par Mme la ministre Aurore Bergé lorsqu'elle était députée.
J'avais alors déposé un amendement visant à préciser que l'obligation de relations sexuelles ne se déduisait pas de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.
Les rapporteures m'avaient répondu que l'article 45 de la Constitution m'interdisait de déposer un amendement tendant à s'inscrire dans le code civil à l'occasion de la discussion d'un texte portant sur le code pénal, même si elles se déclaraient d'accord sur le fond : la communauté de vie, bien sûr, ce n'est pas le devoir conjugal ! Elles avaient même pris date pour une prochaine occasion.
Considérant que cette question relève aussi du droit pénal, je reviens donc à la charge avec un amendement visant à préciser que le consentement ne peut se déduire de la communauté de vie prévue à l'article 215 du code civil.
En gros, le devoir conjugal n'existe pas et, par conséquent, on ne peut déduire le devoir conjugal du consentement donné au moment du mariage. C'est une façon de dire à tout le monde, puisque ce texte a une vocation éducative, qu'il n'y a pas d'obligation de relations sexuelles entre époux.
Cependant, j'ai cru comprendre que la commission allait émettre un avis défavorable sur cet amendement. Je ne comprends pas. Comment faut-il faire ? Apparemment, vous êtes d'accord pour dire à tout le monde que le devoir conjugal n'existe pas, mais, quelle que soit ma façon de l'écrire, quelle que soit la façon dont mes collègues et moi vous le proposons, cela ne va jamais.
Dites-moi comment il faut faire si vous ne le prenez pas cette fois-ci, ou, mieux encore, émettez un avis favorable dès aujourd'hui.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Elsa Schalck, rapporteure. Madame Rossignol, j'ai bien compris qu'il ne servirait à rien de vous demander de retirer votre amendement, donc mon avis sera directement défavorable, pour les raisons que je vais vous expliquer.
Auparavant, je tiens à répondre à votre reproche selon lequel nous n'accepterions jamais d'amendements de l'opposition. Je vous rappellerai tout de même que, dans un texte précédent, qui portait justement sur le contrôle coercitif, nous avons adopté vos propres amendements sur la circonstance aggravante du viol.
Mme Laurence Rossignol. C'était les amendements de M. Darmanin !
Mme Elsa Schalck, rapporteure. Vous les souteniez !
J'en viens à cet amendement n° 7, qui vise la communauté de vie et le mariage. Je ne reviens pas sur les différents arguments déjà développés sur la limitation de l'appréciation du juge dans un sens potentiellement défavorable aux victimes.
Par ailleurs, à l'instar du consentement donné à la pratique de la prostitution, qui ne présume en rien le consentement spécifique au rapport sexuel – cet argument vous a été présenté par Dominique Vérien –, le consentement civil obtenu dans le cadre tant du mariage que du pacte civil de solidarité (Pacs) ne présume pas non plus le consentement aux relations charnelles.
Par ailleurs, autre élément important, la définition du viol et des autres agressions sexuelles couvre déjà ces hypothèses et permet déjà aux juges de qualifier de viol des relations sexuelles au sein d'un couple, qu'il s'agisse de concubins, de partenaires de Pacs, de personnes ne vivant pas ensemble ou de personnes mariées. Cela existe malheureusement : c'est le viol conjugal.
Prévoir explicitement le cas du mariage et toutes les hypothèses que j'ai décrites priverait le juge de sa liberté d'appréciation.
Madame Rossignol, lorsque nous avons eu le débat que vous évoquez, il était question de modifier le code civil. Comme nous l'avons rappelé lors de la discussion générale, la présente proposition de loi est un texte interprétatif. Ne brouillons pas notre débat en modifiant des dispositions du code civil.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la rapporteure, je vous ai écoutée avec intérêt, et je n'ai rien compris à votre raisonnement.
Faisons simple : considérez-vous que le devoir conjugal existe, ou non ? Vos refus réitérés, ici, au Sénat, d'inscrire nos propositions dans le code civil ou le code pénal montrent que, pour vous, le devoir conjugal existe. (Mme la présidente de la commission des lois proteste.) Ne confondez pas, et je sais que vous ne le faites pas, le viol conjugal et le devoir conjugal.
Ensuite, vous parlez de loi interprétative. Sachez que l'on ne parle pas de loi interprétative, mais de dispositions interprétatives, ce qui veut dire que, dans un même texte, il peut y avoir des dispositions interprétatives pour l'application de mesures antérieures et d'autres dispositions qui sont considérées comme n'étant pas interprétatives et ne sont pas d'application immédiate. Votre argument n'est donc pas opérant.
Je retiendrai simplement que le Sénat ne veut pas que soit inscrit dans un texte que le devoir conjugal n'existe pas.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cela n'a rien à voir !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Évidemment, nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Madame Rossignol, madame de La Gontrie, je crois que vous devriez relire l'article 215 du code civil. Il parle non pas de devoir conjugal, mais de communauté de vie. Ce sont les magistrats, et non pas la loi, qui sont à l'origine de cette construction prétorienne instaurant le devoir conjugal.
À ce moment-là, il faut modifier l'article 215 du code civil en disant que la communauté de vie n'impose pas des relations sexuelles obligatoires entre époux.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela revient au même !
M. Francis Szpiner. Toutefois, je ne vois pas comment, à l'occasion d'un texte d'objet pénal sur la répression du viol, nous pourrions modifier aujourd'hui l'article 215 du code civil.
De surcroît, madame Rossignol, vous parlez également, à juste titre, des concubins et des partenaires de Pacs, entre autres. Mais alors, il faudrait déposer des amendements spécifiques dans ce sens.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n'est pas brillant…
M. Francis Szpiner. Pour ma part, je suis favorable à la suppression de cette notion de devoir conjugal, mais il faut le faire dans le cadre d'une réforme de l'article 215 du code civil, en précisant que la Cour de cassation a commis une erreur en procédant à un ajout qui n'était pas prévu par le législateur. En tout état de cause, il ne me semble pas possible de voter votre amendement ce soir.
Mme Laurence Rossignol. Je l'avais proposé dans un autre cadre, mais il n'a pas été accepté !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Assumez votre position, chers collègues de la majorité sénatoriale !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté ici sur la position du Gouvernement.
Nous n'avons pas pu examiner les amendements la dernière fois, car ils ont été jugés irrecevables. Il n'y a pas eu de débat. Personne n'a voté ou rejeté ces propositions. Ce n'est pas le Gouvernement qui décide de la recevabilité, ni d'ailleurs les rapporteurs : c'est tout simplement l'application de la Constitution.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous parlons du Sénat et non de vous, madame la ministre !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Très bien, mais je veux simplement préciser que, si des amendements n'ont pas été examinés dans le passé, c'est pour cause d'irrecevabilité, ce qui n'est pas la même chose qu'un rejet.
Madame Rossignol, l'amendement que vous proposez aujourd'hui vise non pas le code civil, mais le code pénal. Or l'ambiguïté que vous évoquez n'est pas dans le code pénal, qui ne reconnaît pas le moindre devoir conjugal. Au contraire, le viol conjugal existe en droit, donc il n'y a pas d'ambiguïté du droit pénal.
Nous devons sans doute travailler sur le code civil, mais cela excède le cadre de notre débat de ce soir. Il ne doit plus y avoir aucun doute : la France ne reconnaît pas le principe du devoir conjugal. Et je pense pouvoir dire que le Sénat et l'Assemblée nationale sont alignés sur cette question.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas le Sénat !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Toutefois, ce n'est pas en visant le code pénal que nous y parviendrons. Il faut mener une autre réflexion, sur le droit civil, et je ne doute pas de l'engagement des rapporteures à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je comprends votre raisonnement, madame la ministre, mais quand je propose un amendement au code civil, on me dit qu'il n'est pas recevable !
Monsieur Szpiner, j'ai déposé l'amendement suivant à la faveur d'un débat précédent, voilà quelques semaines : « Le premier alinéa de l'article 215 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : "Cette communauté de vie n'implique pas d'obligation de relations sexuelles entre les époux." »
Je n'arrive jamais à passer la porte qui va de la commission à l'hémicycle, donc je la contourne. Comme Mme la ministre est apparemment d'accord sur le fond et qu'elle prépare actuellement un projet de loi plus global, j'espère que ma proposition y sera reprise, s'il est un jour discuté.
Et puisque mes collègues de la majorité sénatoriale s'offusquent qu'on les soupçonne de ne pas être d'accord, qu'ils utilisent le temps parlementaire dont ils disposent pour déposer une proposition de loi reprenant cet amendement au code civil – c'est ainsi que nous légiférons en ce moment –, et nous la soutiendrons. Prenez l'initiative, mes chers collègues, puisque vous semblez gênés !