M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme O. Richard, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

.... - Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende le fait de solliciter, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle sans avoir pu les obtenir, de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est un mineur de quinze ans.

La parole est à Mme Olivia Richard.

Mme Olivia Richard. Annick Billon a très bien dressé l'état des lieux de la prostitution des mineurs. Je ne le répète donc pas.

Quand on parle de prostitution des mineurs, on parle d'exploitation sexuelle des mineurs et de traite. Alors que le Parlement européen a adopté hier une proposition relative à de directive sur la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, il paraît important d'en parler dans cette enceinte.

De quoi s'agit-il ?

Tout d'abord, 87 % des victimes sont de nationalité française. Cela ne signifie pas que c'est plus grave : je dis cela pour casser les clichés. L'ensemble du territoire est touché. Il s'agit d'un proxénétisme de proximité avec de petites structures qui font aussi du trafic de drogue – c'est la même criminalité –, et non, comme on pourrait l'imaginer, de réseaux internationaux.

Ensuite, tous les profils sont touchés : cela concerne aussi les CSP+ et pas seulement les enfants bénéficiant de l'aide sociale à l'enfance. Certaines relations sexuelles tarifées ont lieu au domicile des parents. On parle d'ailleurs de prostitution logée : cela ne se passe plus dans la rue. C'est de plus en plus digitalisé. Les faits se déroulent dans les Airbnb et les gamines peuvent être trimballées d'un endroit à l'autre, voire dans toute la France et en Europe.

Ce phénomène est donc totalement invisible et il y règne une très grande violence. Celles qui ont participé aux travaux de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qui ont donné lieu au rapport d'information intitulé Porno : l'enfer du décor savent ce que sont les viols d'abattage. On met des années à en sortir. Personne n'est indemne. Il faut lutter contre ce dispositif. Or la réponse pénale n'est pas à la hauteur.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. L'adoption de l'amendement n° 12, qui tend à supprimer la clause Roméo et Juliette, reviendrait à considérer que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de 15 ans constitue un viol.

Cette clause, ajoutée par l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce qui allait devenir la loi du 21 avril 2021 et entérinée par la suite par le Sénat, vise à ne pas criminaliser systématiquement les histoires sincères entre un mineur et un très jeune majeur.

Cette solution a notamment été préconisée par le Conseil d'État, dans un avis rendu sur la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Selon cette instance, une telle clause permet de ne pas criminaliser des comportements tout à fait consentis. Le Conseil d'État se référait notamment à une relation entre deux mineurs de 14 ans et de 17 ans et demi, qui se poursuivrait jusqu'à la majorité du second : celui-ci se trouverait alors immédiatement passible d'une poursuite pour viol.

N'oublions pas que les mineurs ne peuvent ester en justice : ce sont les parents qui portent plainte. Imaginons les situations qui pourraient découler de la suppression de la clause Roméo et Juliette, notamment si le jeune majeur ne plaît pas aux parents de la jeune fille.

Mme Laurence Rossignol. L'esprit de mai 1968 souffle ici ! (Sourires.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cette clause issue de la loi du 21 avril 2021 nous paraît donc équilibrée. Elle assure la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, tout en préservant les amours adolescentes d'une criminalisation automatique inopportune.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 12.

L'amendement n° 5, quant à lui, vise à qualifier de viol le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans, et cela sans condition d'âge pour l'auteur.

Actuellement, ces faits sont punis de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, aux termes de l'article 225-12-1 du code pénal. La modification qu'il est proposé d'apporter au texte soulève plusieurs difficultés juridiques, qui tiennent tant à son principe qu'à ses conséquences.

Sur le principe, l'adoption de cet amendement reviendrait à criminaliser le recours à la prostitution d'un mineur de plus de 15 ans d'une manière détournée, en assimilant cette infraction au crime de viol. Or, pour les raisons que je viens d'exposer, cette solution emporte un risque d'inconstitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel ne tolère en matière répressive l'existence d'une présomption de culpabilité qu'« à titre exceptionnel ».

Quant aux conséquences de cette évolution, elles induiraient un tassement infondé des peines encourues pour des faits similaires : solliciter et accepter d'un mineur des relations sexuelles en échange d'une rémunération serait puni de cinq ans d'emprisonnement ; les obtenir, de quinze ans.

J'ajoute que cette rédaction criminaliserait le rapport sexuel tarifé entre deux mineurs, dans la mesure où aucune condition d'âge n'est prévue.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 5.

L'amendement n° 6 rectifié tend à opérer une coordination en cas d'adoption de l'amendement précédent. Par conséquent, parce qu'elle est défavorable à l'amendement précédent, la commission émet un avis défavorable.

Dès l'examen du texte en commission, nous avons discuté avec Mmes Annick Billon et Olivia Richard de l'objet des amendements nos 15 rectifié et 16 rectifié.

Selon nous, ce problème, qui a été signalé par la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), résulte davantage d'une mauvaise application de l'article 225-12-2 du code pénal que d'une mauvaise rédaction. Certains parquets engageraient ainsi des poursuites sur le mauvais fondement pénal : plutôt que de poursuivre pour viol, comme le veulent la lettre et l'esprit de la loi du 21 avril 2021, ils poursuivent pour recours à la prostitution avec une circonstance aggravante.

Si nous partageons les inquiétudes d'Annick Billon et d'Olivia Richard à ce sujet, nous jugeons qu'il convient de veiller à la bonne application de la loi, plutôt que de la modifier. Je me fais le relais de cette demande de circulaire, qui permettrait d'apporter les précisions nécessaires sur la prostitution des mineurs.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait des amendements nos 15 rectifié et 16 rectifié. Certes, il s'agit d'amendements d'appel, mais ils visent des sujets très importants.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je propose que les questions touchant à la très mal nommée clause Roméo et Juliette soient traitées dans le cadre du groupe de travail sur les violences sexuelles.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Non, cela ne renvoie pas la question aux calendes grecques, madame de La Gontrie ! Les travaux sont en cours et nous nous sommes encore réunis cette semaine.

S'il faut aller plus loin pour garantir que, avant 15 ans, quelles que soient les circonstances, aucune relation sexuelle n'est tolérée, je suis favorable à ce qu'un tel débat soit ouvert, ce qui permettra d'éclaircir certains points. Mais tout cela est très éloigné des questions du consentement et du viol qui nous occupent aujourd'hui.

Peut-être faudrait-il réinterroger la clause Roméo et Juliette dans le cadre plus global de la lutte contre toutes les formes de violences sexuelles et l'inclure plus clairement dans les débats qui sont les nôtres aujourd'hui.

En matière de lutte contre le système constitutionnel, aujourd'hui, la loi n'empêche évidemment pas que puissent être engagées des poursuites à l'encontre de personnes qui imposeraient à des mineurs de moins de 15 ans des rapports tarifés. Heureusement !

D'ailleurs, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle s'intéresse bien à la question des majeurs, mais aussi à celle des mineurs, puisque l'explosion à laquelle on assiste concerne d'abord les mineurs, en s'appuyant sur leur fragilité et la vulnérabilité propre à cet âge ; elle est également le fruit des plateformes, qui brouillent les repères des adolescentes et des adolescents et qui trouvent dans cette classe d'âge de nouvelles proies, encore plus vulnérables et plus accessibles.

Catherine Vautrin et moi-même sommes en train de finaliser la rédaction du décret sur la question des mineurs. Nous le signerons dans les prochains jours. Il vise à garantir la pleine application de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle, pour toutes les problématiques spécifiques liées aux mineurs, notamment dans le cadre de l'ASE dont il a été fait mention tout à l'heure.

Il s'agit bien entendu de l'une de nos préoccupations majeures. Des rappels ont été adressés au préfet de manière à garantir la pleine application de la loi de 2016 et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle.

Il s'agit avant tout de garantir la pleine application et l'effectivité de la loi et de la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Le décret devrait y concourir. La mobilisation de l'État sur ce sujet et les questions qui ont été soulevées y contribuera également. Je souhaite que l'on puisse ouvrir plus largement ce débat, afin d'avancer, mais l'examen de ce texte ne me paraît pas le meilleur vecteur.

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait des amendements nos 12, 5 et 6 rectifié ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Je regrette vraiment que l'amendement n° 5 visant à qualifier de viol l'achat de services sexuels sur des mineurs de 15 à 18 ans ne soit pas retenu par le Sénat.

Madame la rapporteure, vous avez rappelé que le Conseil constitutionnel exigeait des circonstances exceptionnelles pour admettre que l'infraction soit constituée par la commission des faits.

Je considère que, aujourd'hui, la prostitution des mineurs, compte tenu de l'ampleur qu'elle prend et du drame qu'elle représente pour les enfants et leur famille, constitue une situation exceptionnelle pour la France. Je suis prête d'ailleurs à défendre devant le Conseil constitutionnel la dimension exceptionnelle de cette catastrophe sanitaire et générationnelle qu'est l'augmentation de la prostitution des mineurs.

Je formulerai une remarque. Il est vrai que la prostitution des mineurs concerne toutes les catégories sociales, mais il est vrai également que ce sont dans les foyers de l'ASE que se recrutent les mineurs. Très vulnérables, ceux-ci viennent alimenter les réseaux de proxénètes, qui sont d'ailleurs parfois des réseaux de proximité. Pensez-vous vraiment que, dans ces foyers, si des mineurs se livrent à la prostitution, les éducateurs peuvent faire la différence entre ceux qui ont moins de 15 ans, qui seraient alors victimes de viol, et les autres ?

Que disent les professionnels ? Vous ne parlez que du juge, de façon presque incantatoire. Pour ma part, je parle de la réalité concrète de la prostitution des mineurs.

Pour qu'un mineur puisse comprendre qu'il est victime de prostitution et de viol, il faut prononcer le mot de viol. Il ne comprend pas la notion de proxénétisme, car le proxénète, c'est un copain, un cousin, peut-être même un amoureux. En revanche, il sait ce qu'est un viol. Je le répète, pour aider le mineur à sortir de la prostitution, il faut prononcer le mot de viol.

Par conséquent, je suis tout à fait désolée que le Sénat rejette aujourd'hui cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. Madame la ministre, nous connaissons votre détermination à mettre en œuvre la stratégie de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle. Bien sûr, il faut sortir les mineurs de la prostitution, mais toute relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans, que celle-ci soit tarifée ou pas, est un viol.

C'est pourquoi nous demandons une circulaire de politique pénale. Ainsi, les poursuites seront fondées sur les dispositions de la loi Billon. Qu'il s'agisse ou non de prostitution, que la relation soit tarifée ou pas, c'est un viol.

Il y va de l'autorité de la chose votée. Nous votons des dispositions qui ne sont pas appliquées, ce qui est intolérable, surtout lorsque cela concerne des enfants de moins de 15 ans.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Aux termes de loi de 2021, toute relation entre un adulte et un mineur est un viol et un crime. On n'interroge pas son consentement, on n'interroge pas la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

La loi n'empêche pas les poursuites, nous dites-vous, madame la ministre. Nous en sommes d'accord, je l'ai d'ailleurs rappelé en présentant l'amendement n° 15 rectifié. Pour autant, nous demandons que les qualifications soient les bonnes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dans certaines juridictions, ces faits sont qualifiés d'agressions sexuelles et non de viols. Il faut absolument remédier à ce problème.

J'ai annoncé qu'il s'agissait d'un amendement d'appel. Je vais tenir ma parole et le retirer. Toutefois, je veux absolument que l'on ait la garantie que cette circulaire sera adressée, pour que, enfin, ces agressions soient qualifiées pour ce qu'elles sont, à savoir des viols.

Je retire donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 rectifié est retiré.

La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.

M. Francis Szpiner. J'ai été l'avocat de l'association La Voix de l'enfant. Nous nous sommes battus pour que soit érigé le principe suivant : en dessous de 15 ans, on ne peut pas consentir. Face à de telles situations, le parquet ne peut pas transiger et doit engager des poursuites criminelles.

Mme Rossignol a posé une véritable question, mais la solution qu'elle propose n'est pas la bonne. En effet, l'âge de la majorité sexuelle a donné lieu à un important débat. Fallait-il la fixer à 13 ans, 14 ans ou 15 ans ? Au-delà de cette borne, on considère que les autres sont majeurs sexuellement. Si la criminalisation des viols était retenue, la lourdeur de la procédure criminelle serait telle que les tribunaux en seraient engorgés.

En revanche, dans la mesure où il s'agit d'un phénomène véritablement inquiétant, je serais favorable à une aggravation de la peine.

Mme Laurence Rossignol. On ne peut pas aggraver les peines de personnes qui ne sont pas poursuivies !

M. Francis Szpiner. Pardonnez-moi, mais on doit poursuivre les clients et considérer que celui qui sollicite les faveurs sexuelles d'une mineure dans le cadre de la prostitution se rend coupable d'un tel délit et doit encourir une telle peine. C'est valable également pour les proxénètes, avec des peines assorties de circonstances aggravantes – pluralité de personnes venant de l'étranger, etc.

Pour ma part, je suis pour une répression des clients, car elle sera plus pédagogique. En revanche, la criminalisation engorgerait le système. (Mme Laurence Rossignol proteste.) La qualification de crime aboutirait à une correctionnalisation, ce qui sera bien pire !

Madame Rossignol, vous posez un vrai problème, car la prostitution des mineurs connaît une augmentation considérable, mais c'est sur l'angle de la clientèle et non sur celui de la qualification de viol qu'il faut agir.

En revanche, je suis tout à fait d'accord : il faut que soit adressée une circulaire et que le parquet soit très clair. On ne transige pas sur la qualification : quand on a moins de 15 ans, on ne peut pas consentir, donc c'est un viol.

Mme Olivia Richard. Je retire l'amendement n° 16 rectifié !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 16 rectifié bis, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 16 rectifié.

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Articles 2 et 3 (début)

Après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après le 3° bis de l'article 222-24, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'il est commis sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

2° Après le 10° de l'article 222-28, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; »

3° Après le 7° de l'article 222-30, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Lorsqu'elle est commise sur une personne dont l'état d'ivresse ou l'emprise de produits stupéfiants est apparente ou connue de l'auteur ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Après avoir travaillé près d'une année et auditionné plus de cent personnes dans le cadre de la mission gouvernementale sur la soumission chimique, Sandrine Josso et moi-même avons remis un rapport de 230 pages formulant 50 recommandations, dont 15 ont été jugées prioritaires et appelées à être mises en œuvre dès cette année.

La toute première de ces recommandations vise à reconnaître la vulnérabilité chimique comme une circonstance aggravante pour les infractions de viols et d'agressions sexuelles.

En effet, il convient de faire la distinction entre la soumission chimique, qui suppose l'administration à une victime d'une substance à son insu, et la vulnérabilité chimique. Dans ce dernier cas, la victime consomme de manière volontaire une substance, souvent de l'alcool ou un stupéfiant, sans en mesurer nécessairement les effets, par exemple une altération temporaire de son discernement dont pourrait profiter l'agresseur. Mon propos porte essentiellement sur la vulnérabilité chimique.

La soumission chimique figure déjà dans la liste des circonstances aggravantes des infractions sexuelles. En revanche, ne sont pas visées les situations où la victime est en état de vulnérabilité chimique, c'est-à-dire lorsqu'elle a elle-même consommé de l'alcool ou des stupéfiants, très souvent du cannabis, et que l'auteur des faits tire parti de cette altération du discernement, qui est souvent temporaire, pour commettre une agression sexuelle.

Aussi, afin de mieux appréhender cette réalité et de répondre à l'augmentation continue des faits, cet amendement vise à inscrire explicitement la vulnérabilité chimique parmi les circonstances aggravantes applicables aux infractions de viols et d'agressions sexuelles.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Dans le prolongement du rapport de Sandrine Josso et Véronique Guillotin, cet amendement vise à intégrer à la loi une circonstance aggravante sexuelle.

Dominique Vérien et moi-même tenons tout d'abord à remercier nos collègues de l'important travail qu'elles ont accompli sur le sujet sensible et complexe de la soumission chimique.

Cela a été rappelé, le législateur est déjà intervenu sur ce sujet, notamment en créant dans la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes l'article 222-30-1 du code pénal, qui réprime « le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes, afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle ».

Le sujet qui nous est soumis est légèrement différent, puisque l'amendement vise non pas la soumission chimique, mais les cas où la victime s'est alcoolisée ou droguée de son propre fait.

En pratique, la disposition prévue par cet amendement pose de réelles difficultés.

D'une part, et c'est heureux, notre droit permet déjà l'aggravation du quantum encouru lorsque la victime est ivre ou sous l'emprise de stupéfiants. En d'autres termes, l'amendement est satisfait par le droit en vigueur.

D'autre part, et il s'agit d'un élément important, l'ivresse et l'emprise de stupéfiants, au sens pénal, ne sont pas des réalités biologiques stables. Elles varient en fonction des personnes et des situations. Les juges retiennent la notion d'ivresse manifeste, attestée par des indices extérieurs montrant que la personne concernée n'est pas en possession de ses moyens. Cet état est en tout point assimilable à la vulnérabilité déjà visée par le code pénal.

Ce point est extrêmement important, car il se cumule avec un principe essentiel : la loi pénale est d'interprétation stricte.

Si nous adoptions cet amendement ainsi rédigé, nous ne protégerions pas les victimes, bien au contraire : nous ouvririons la voie à d'interminables débats sur le point de savoir si la victime était réellement ivre ou droguée. Il faudrait prendre en compte la morphologie de la victime. Nous en arriverions à une situation dont nous ne voulons précisément pas : le débat se focaliserait sur la victime et sur son comportement.

Plus encore, et ce sera mon dernier point, cette situation est porteuse d'un risque constitutionnel. En effet, si la loi permet au juge d'incriminer le même fait sur deux fondements différents, elle porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Alors que nous modifions le code pénal, c'est un élément qu'il faut prendre en compte.

Ce sujet étant important, nous serions tous rassurés d'entendre le Gouvernement s'engager et nous dire qu'il va inscrire à l'ordre du jour de nos travaux, éventuellement dans le projet de loi-cadre, un texte spécifique sur la soumission et la vulnérabilité chimiques.

La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la sénatrice, permettez-moi tout d'abord de saluer le travail remarquable que vous avez réalisé dans le cadre de cette mission avec Sandrine Josso. Nous étions d'ailleurs ensemble il y a peu de temps chez vous, à Nancy, où nous avons rencontré ceux qui travaillent sur le terrain et qui permettent de faire progresser l'appréhension des psychotraumatismes liés aux violences sexuelles, en particulier l'inceste.

L'objectif du Gouvernement est de reprendre une grande partie des propositions et des recommandations de votre rapport. En ce qui concerne cet amendement en particulier, le Gouvernement s'en remettra d'ailleurs à la sagesse du Sénat.

Au-delà, notre volonté est d'adopter une approche systémique de la soumission et de la vulnérabilité chimiques, en abordant à la fois la formation des professionnels et le soutien aux associations et au secteur médico-social, afin de développer les bons réflexes en matière de détection et de repérage et d'améliorer la capacité à appréhender les preuves.

À cet égard, je travaille avec le ministre de la santé, Yannick Neuder, pour renforcer les moyens des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs). Il s'agit de permettre aux victimes d'être reconnues comme telles, parce que les détections auront pu être réalisées. Nous avançons aussi sur le renforcement de notre arsenal juridique.

C'est pourquoi l'intégralité de vos propositions a été communiquée au groupe de travail sur le projet de loi-cadre, afin que nous puissions mener une réflexion globale sur cette question. Croyez bien que vos propositions ne resteront pas lettre morte, bien au contraire. Nous nous sommes largement engagés à en reprendre un certain nombre.

En attendant, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, je dois vous faire part de ma stupéfaction.

Ce rapport a été demandé par le Gouvernement à l'une de nos collègues ici présente, membre de la majorité sénatoriale, et à notre collègue députée Sandrine Josso, dont nul n'ignore ce qu'elle a subi.

Après des mois d'un travail très sérieux et d'auditions, alors qu'il est aujourd'hui possible de transcrire la première des préconisations de ce rapport dans la proposition de loi – tout le monde sait de quoi nous parlons, ou faut-il que je le rappelle ? –, le Sénat s'apprêterait à refuser de voter cet amendement ce soir ? Je ne sais pas si vous mesurez réellement la portée de ce que vous êtes en train de décider, mes chers collègues.

Certes, la rédaction doit peut-être être améliorée. Mais ne sera-t-il pas possible de le faire en commission mixte paritaire ? Ne pas voter cet amendement ce soir est un acte politique grave, me semble-t-il, de la part du Sénat, compte tenu de la situation que nous connaissons ici et qui n'est à ce jour toujours pas réglée.

Mes chers collègues, je vous encourage donc vivement à voter cet amendement.

M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Véronique Guillotin. Je remercie ma collègue de l'énergie qu'elle a mise à défendre cet amendement.

Je pense que cette proposition ne tombera pas dans l'oubli. Pour ma part, je vais retirer mon amendement, comme je m'étais engagée à le faire.

En revanche, je souhaite que les deux mesures législatives que nous avons recommandées dans notre rapport sur la soumission chimique soient reprises. La question de la soumission chimique doit être examinée à 360 degrés. Sandrine Josso et moi ne lâcherons rien sur ce sujet.

Je vous fais confiance, madame la ministre, en espérant ne pas me tromper.

Mme Annick Billon. Très bien !

Mme Véronique Guillotin. Je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J'en reprends le texte, monsieur le président !

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié, présenté par Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 1.

Je le mets aux voix.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mmes M. Carrère et Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Guiol, Mme Jouve, M. Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 3° de l'article 226-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative au fait d'avoir administré à une personne, à son insu, une substance dans les conditions mentionnées à l'article 222-30-1 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que la victime n'est pas en mesure de se protéger en raison de l'altération temporaire de son discernement ou du contrôle de ses actes par un tiers. Le médecin ou le professionnel doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ; ».

La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Cet amendement a pour objet la levée du secret médical. Il vise à ajouter à la liste des situations dans lesquelles ce secret peut être levé les cas de soumission et de vulnérabilité chimiques, qui ne sont pas clairement indiqués dans la loi à ce jour.