M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteur. Pour des raisons analogues à celles que nous avons avancées sur l'amendement n° 1, et sans préjudice d'un travail législatif sur la soumission chimique, lequel est probablement nécessaire, cet amendement soulève plusieurs difficultés.
Ces difficultés tiennent tout d'abord à l'articulation de l'amendement avec l'article 226-14 du code pénal, qui prévoit la levée du secret médical en cas de « placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ». Or qu'est-ce la soumission chimique, sinon le placement dans un état de sujétion ? L'amendement nous semble donc satisfait par le droit en vigueur.
En outre, s'il était adopté, cet amendement, comme le précédent, risquerait de créer des difficultés opérationnelles lourdes. Pis, les dispositions qu'il tend à introduire sont susceptibles cette fois encore d'être censurées par le Conseil constitutionnel. À tout le moins, elles doivent être rédigées différemment, afin de bien cibler la spécificité de la soumission chimique.
Cette rédaction laisse entendre que c'est le médecin qui a administré la substance à la victime. Surtout, le renvoi à l'article 222-30-1 du code pénal pose problème. En effet, cet article vise les cas dans lesquels la substance en question est administrée en vue de commettre des violences sexuelles, ce que, par définition, le médecin ne peut pas savoir. Il peut constater que la victime a été droguée, mais il ne peut pas savoir à quelles fins, si c'est pour commettre des violences sexuelles ou pour obtenir de l'argent. En l'état, la réflexion ne nous semble donc pas totalement pas mûre.
C'est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement, dont les dispositions doivent être retravaillées.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Guillotin, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Véronique Guillotin. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec la commission. Je pense qu'il faut creuser la question de la levée du secret médical en cas de soumission chimique, l'article 226-14 du code pénal n'incluant pas ce cas.
Nous reviendrons sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi-cadre. Pour l'heure, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
L'amendement n° 10, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol et Narassiguin, M. Chantrel, Mmes Le Houerou et S. Robert, MM. Ros, Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de trois ans à compter de sa promulgation, le Parlement rend un rapport évaluant les effets de la présente loi. Ce rapport évalue notamment ses effets, d'une part, sur la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles et, d'autre part, sur la proportion des agressions sexuelles faisant l'objet d'une condamnation.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, cette proposition de loi instituait, de manière assez pertinente, une évaluation. En fait, le dispositif était quelque peu complexe : deux évaluations étaient prévues. Le présent amendement vise à n'en prévoir qu'une seule, au bout de trois ans.
Une telle évaluation, je le répète, est tout à fait pertinente, car, certains d'entre nous l'ont dit, nous ne savons pas très précisément quels seront les effets en termes de poursuites de l'introduction de la notion de consentement dans la loi, indépendamment de l'introduction de paramètres complémentaires.
En commission, on m'a dit ce que l'on dit toujours : « On ne peut pas demander la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement. » Aussi cet amendement tend-il à prévoir la réalisation d'un rapport évaluant les effets de la loi par le Parlement lui-même.
Je sais que l'on va me rétorquer que le Parlement n'a nul besoin d'une loi pour exercer un contrôle, puisque telle est sa mission. Il nous semble toutefois intéressant d'un point de vue pédagogique de prévoir un rendez-vous dans trois ans, afin d'évaluer la pertinence et les effets – nous avons ce soir souvent parlé d'effets de bord, etc. – des dispositions que nous aurons votées et de les affiner au mieux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Elsa Schalck, rapporteure. Cet amendement vise à prévoir l'établissement par le Parlement d'un rapport d'ici à trois ans, afin d'évaluer les effets de la présente proposition de loi. Nous avons eu à maintes reprises un débat sur le sujet des rapports.
Nous sommes évidemment favorables à l'évaluation de ce texte. Toutefois, cette disposition constitue ce que nous appelons un pur « neutron législatif » : le Parlement indique à lui-même ce qu'il devra faire dans trois ans…
Par ailleurs, la portée de l'amendement n'est pas claire : chaque chambre du Parlement devra-t-elle rédiger un tel rapport, ou celui-ci sera-t-il commun aux deux assemblées ? Je pense que le Parlement n'a pas besoin d'un amendement pour exercer ses prérogatives constitutionnelles de contrôle.
En outre, de toute évidence, cette disposition est dénuée de toute valeur normative, la loi, vous le savez, ne pouvant imposer au Parlement de produire des rapports.
Enfin, cela a été dit, telles qu'elles sont rédigées, les dispositions de cet amendement posent problème. Il faudra revoir les termes utilisés. Comment connaître « la proportion de plaintes déposées par rapport au nombre total d'agressions sexuelles », si ces dernières n'ont, par définition, pas donné lieu à un dépôt de plainte ? C'est une vraie difficulté.
Nous considérons que nous pourrons, même si cet amendement n'est pas adopté, réaliser des travaux d'évaluation de la présente proposition de loi en temps utile et présenter des résultats chiffrés complets.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Par principe, le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat sur cet amendement, qui vise le Parlement et non le Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Articles 2 et 3
(Supprimés)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les auteures de ce texte, les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, et à les remercier de leur initiative, ainsi que du travail qu'elles ont accompli.
Il était important dans le cadre de ce débat d'examiner ce qui se fait dans des pays dont le système juridique est comparable au nôtre et qui ont introduit la notion de consentement dans leur code pénal.
Pour ma part, j'ai vécu dans un pays, le Canada, qui a introduit il y a quelques années cette notion dans son code pénal. Or on n'y remet pas constamment en question la parole des victimes ; concrètement, on y a constaté une plus grande condamnation des viols et une meilleure protection des victimes.
Avec le temps, la loi a eu une véritable portée éducative, surtout pour celles et ceux qui sont chargés de recueillir les plaintes. C'est pourquoi il est fondamental de renforcer les moyens des forces de l'ordre et leur formation en matière d'accueil des victimes et d'accompagnement des dépôts de plainte. C'est une réelle problématique dans notre pays.
Je voterai avec conviction cette proposition de loi, qui vise à favoriser pleinement une meilleure éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, afin de mieux éduquer nos enfants et de passer d'une culture du viol à une culture du consentement dans notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous regrettons évidemment que nos propositions complémentaires n'aient rencontré aucun succès au Sénat. Sur ces sujets, le clivage gauche-droite est parfois moins perceptible, mais ce ne fut visiblement pas le cas ce soir.
Pour autant, comme je l'avais indiqué au nom de mon groupe lors de la discussion générale, nous voterons ce texte, par volontarisme. Nous ne savons pas s'il permettra d'améliorer la situation des victimes et de diminuer le nombre faramineux des infractions, mais, dès lors qu'il ne dégrade pas leur situation juridique, nous pensons qu'il est important de mettre toutes les chances de notre côté.
Je le répète, nous voterons ce texte, en attendant la suite de la procédure parlementaire.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, à l'issue de nos échanges, comme lors de la discussion générale, je m'interroge toujours.
Nous n'avons pas réellement parlé de l'accueil des plaintes, de leur traitement et de la sanction des violeurs. Nous sommes très loin du compte, bien en deçà du réel ! Pratiquement tous les intervenants l'ont reconnu : certes, la question du consentement est importante, mais celle des moyens, de l'écoute et de la reconnaissance de la plainte l'est tout autant. Le jour où l'ordre sera donné de traiter une plainte dès lors qu'elle est déposée, nous aurons avancé.
Vous noterez avec moi que le viol est la seule infraction – je ne suis pas juriste, mais j'ai rencontré nombre de praticiens du droit – qui conduit à s'interroger sur le consentement de la victime. Pourquoi donc ?
Je n'ai aucun doute sur la rigueur du travail qui a été réalisé. J'ai rencontré, moi aussi, des féministes, des associations, des femmes victimes de violences, des collectifs et des juristes. Il n'y a pas de consensus sur ce point. Tous les avis sont respectables, tous les raisonnements se tiennent, indépendamment des conflits et des débats qui ont lieu actuellement. Il est d'ailleurs perturbant d'avoir autant d'argumentations qui tiennent la route.
Il est dommage d'avoir tranché de cette façon, sans que tous les points de vue aient été respectés.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Silvana Silvani. Je n'ai pas terminé !
M. le président. Votre temps de parole est dépassé, j'en suis désolé.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons évidemment ce texte.
Son aboutissement est à la fois une victoire et le fruit d'un long travail et d'une mobilisation collective des mouvements féministes, des militantes, des associations, mais aussi des parlementaires. Je pense à nos collègues députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, ainsi qu'à notre collègue Mélanie Vogel, qui aurait aimé participer au débat sur ce texte.
L'inscription de la notion de consentement dans la loi introduit une précision juridique importante pour caractériser les faits de viol et d'agression sexuelle, mais elle est aussi un acte à la portée culturelle et symbolique particulièrement forte. Elle aura également un effet éducatif, notamment pour les personnes chargées de recueillir les plaintes des victimes, ce qui est important. Enfin, elle permettra de passer de la culture du viol à la culture du consentement.
Inscrire le consentement dans la loi, c'est affirmer que celui-ci est un élément central et indispensable des relations sexuelles. C'est aussi changer de regard.
Il s'agit d'une avancée, même si elle ne réglera pas tout. Nous devrons ensuite passer à la phase d'évaluation de ce texte, comme pour tous les autres.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Ce texte constitue une avancée importante pour ce qui concerne la définition du viol. La notion de consentement est enfin inscrite dans la loi. C'est une bonne chose. Tel était l'objectif initial de ce texte, et cette mesure est consensuelle dans cet hémicycle.
Nous avons néanmoins de légers regrets, car ce texte ne réglera pas tout, même si un important travail a été réalisé sur les violences sexuelles, le viol et le consentement. Nous avons parlé de la formation des professionnels, de l'accueil des victimes et de l'accompagnement pénal. J'ai également soulevé deux points juridiques particuliers au travers de mes deux amendements.
J'appelle désormais de mes vœux la poursuite de ce travail et je fais confiance au Gouvernement, comme à notre assemblée, pour que nous puissions aller plus loin, ensemble, sur ces problématiques.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 326 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l'adoption | 323 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue ce vote très clair du Sénat. Je remercie les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, présentes en tribune, qui ont permis cette construction transpartisane.
L'inscription du consentement dans la loi fait consensus, ce qui aurait dû être le cas depuis longtemps. Le texte envoie un signal très clair : il permettra une caractérisation du viol plus précise, une sanction plus adaptée des auteurs et une meilleure éducation dans notre pays.
Notre travail va se poursuivre, évidemment, dans le cadre d'un projet de loi global sur la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales. Je vous remercie toutes et tous très sincèrement ce soir. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Laurence Rossignol applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, il est minuit passé. Je vous propose de poursuivre nos débats pour examiner le point suivant prévu à notre ordre du jour.
Il n'y a pas d'observation ?...
Il en est ainsi décidé.
7
Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire
Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, présentée par Mme Nadège Havet, M. Michel Canévet et M. Yves Bleunven (proposition n° 319, texte de la commission n° 722, rapport n° 721).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi.
M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France étant un grand pays maritime, nous devons nous occuper des sujets liés à la mer, parmi lesquels figurent les questions halieutiques.
Je rappelle que les lois de décentralisation ont entraîné le transfert aux départements et aux communes d'un grand nombre de ports qui étaient auparavant gérés par l'État. Une seconde vague de transferts de ports aux régions, aux départements et, le cas échéant, aux communes a eu lieu en 2004, pour compléter les transferts précédents. La loi de 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui comprend un volet maritime, a créé la société portuaire permettant de gérer de façon spécifique un certain nombre de ports.
Je l'ai dit, la France est un grand pays maritime, mais elle n'a pas, hélas ! une activité maritime assez soutenue. D'autres après moi auront l'occasion de le répéter.
Paradoxalement, alors que nous possédons le deuxième espace maritime le plus étendu au monde, nous importons plus des trois quarts des produits de la mer que nous consommons. C'est tout à fait anormal ! Une réduction du format maritime halieutique est intervenue ces dernières décennies, particulièrement marquée en Cornouaille, dans le Finistère et à la pointe de la Bretagne.
La Bretagne est une région qui, traditionnellement, produisait l'essentiel de la pêche fraîche française. Elle continue d'être une place très forte. On compte ainsi des ports importants dans le Morbihan, à Lorient, par exemple, mais aussi dans les Côtes-d'Armor, à Erquy et à Saint-Quay-Portrieux, dans le Finistère, au Guilvinec, à Douarnenez, à Concarneau, à Audierne, à Saint-Guénolé, à Loctudy et à Roscoff, par exemple.
Toutefois, nous avons constaté une réduction du format de la production halieutique dans ces ports. Par exemple, en Cornouaille, une région qui représente l'essentiel de la pêche fraîche en France, le volume de production est passé entre 2004 et 2024 de 54 000 à 24 000 tonnes débarquées. Chacun mesurera l'évolution quantitative que cela représente.
Pourquoi rappeler ces chiffres ? Parce que la gestion portuaire, avec de telles évolutions, nécessite des modifications structurelles extrêmement fortes. Tel est le sens, justement, de ce texte.
De nombreux ports de pêche, en France, sont gérés par les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Ainsi de ceux du Finistère, avec la CCI métropolitaine Bretagne ouest.
Cependant, les conditions économiques ne sont plus réunies aujourd'hui pour que ces établissements publics de l'État, qui ont subi, au cours des dernières années, une réduction significative de leurs moyens financiers, puissent dégager les ressources leur permettant d'assurer une gestion correcte de ces infrastructures portuaires.
Par conséquent, les collectivités responsables de ces infrastructures ont dû imaginer d'autres dispositifs.
Or la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a créé un dispositif tout à fait adapté, la société portuaire, qui est actuellement utilisé pour la gestion de deux ports dans notre pays. Toutefois, je ne sais par quel mystère, la loi de 2006 prévoit que ce mode de gestion peut être utilisé pour les seuls ports décentralisés en 2004, et non pour ceux qui l'avaient été par les lois de décentralisation.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, ce texte vise tout simplement à rectifier ce qui semble être une incohérence. Selon nous, il est en effet logique que la gestion portuaire soit effectuée de façon adaptée, au moyen d'un outil spécialisé. Or la société portuaire nous semble être le dispositif idoine. Tel est le sens de ce texte, que nous souhaitons voir adopté ce soir.
Je remercie le Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte. En effet, il importe d'aller vite : un certain nombre de concessions arrivant rapidement à échéance, leur futur mode de gestion doit être opérationnel le plus tôt possible. Nous comptons sur le Gouvernement pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Nadège Havet, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cette nuit afin d'examiner la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.
Cette initiative parlementaire apporte une nouvelle brique au travail au long cours mené dans ce domaine par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, pour laquelle il importe d'identifier tous les leviers au service de la performance de nos ports, compte tenu des atouts maritimes de la France.
L'objectif constant de notre commission est, comme l'indiquait le titre du rapport d'information de notre ancien collègue Michel Vaspart, de « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale.
Pour cela, nous privilégions trois axes d'actions : améliorer la gouvernance du système portuaire ; renforcer l'attractivité et la compétitivité de nos ports ; accompagner le verdissement du secteur. Si nos précédents travaux portaient principalement sur l'organisation et le développement de nos grands ports maritimes, ce texte concerne plus particulièrement nos ports décentralisés, tout en gardant le cap fixé par ce triptyque.
En effet, l'on ne peut que souscrire à l'objectif sous-tendant cette proposition de loi : permettre aux autorités portuaires de tous nos ports décentralisés – soit 50 ports de commerce, 100 ports de pêche et halles à marée et 470 ports de plaisance – de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires, afin d'assurer leur exploitation dans de meilleures conditions.
Le modèle de société portuaire offre plusieurs avantages. Ainsi, il permet de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires. En participant directement au capital de ces sociétés, elles deviennent les actrices principales de la robustesse, de l'agilité et de la résilience de leur écosystème portuaire, un maillon essentiel et structurant de l'aménagement et de l'emploi de nos territoires côtiers.
La participation des collectivités dote ces sociétés portuaires d'une assise financière plus large, ce qui permet de préserver ou d'accroître le volume de leurs investissements et de rentabiliser leurs efforts en faveur de la transition technologique et écologique, tout en améliorant leur compétitivité.
Nos ports ont dû faire face à plusieurs chocs exogènes pénalisants : Brexit, Covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et, dernièrement, fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne pour protéger les dauphins communs des captures accidentelles.
La hausse des coûts, la baisse des ressources financières et l'augmentation des besoins en investissements pèsent sur les concessionnaires, qui exercent cette activité à leurs risques et périls. Si une indemnisation est envisageable, la fixation de son montant donne lieu à des négociations fastidieuses, sans que celui-ci compense pour autant toutes les pertes enregistrées par le concessionnaire.
La participation des collectivités permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations, ainsi que des négociations, et un renouvellement des contrats, sans que l'équilibre financier soit assuré aux dépens du concédant ou de l'effort d'investissement.
Ce modèle présente, en outre, d'évidents atouts par rapport aux autres options déjà à la disposition des collectivités. À la différence de la société publique locale (SPL), il permet aux chambres de commerce et d'industrie de participer à son capital. Ces dernières, concessionnaires historiques, apportent ainsi leur expertise, leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'international.
Contrairement au modèle de société d'économie mixte (SEM), il permet de bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Si les conditions du code de la commande publique sont remplies, le contrat de concession pourra être dispensé des procédures de mise en concurrence.
Le modèle de la société portuaire est déjà éprouvé et approuvé. Deux régions, à savoir la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine, l'utilisent pour la gestion des ports de Brest et de Bayonne. Pourtant, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, qui a permis de créer ce modèle, limite sévèrement le nombre de possibles bénéficiaires.
En effet, seuls les dix-huit ports – dix-sept en métropole et un en outre-mer – non autonomes et d'intérêt national dont la propriété et la compétence de gestion avaient été transférées par l'État aux collectivités territoriales et à leurs groupements en vertu de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, lors de l'acte II de la décentralisation, peuvent y recourir.
Il convient à présent de faire sauter ce verrou législatif, qui ne se justifie plus.
En effet, hormis les grands ports maritimes et quelques ports d'intérêt particulier relevant encore de l'État, les compétences de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes, ainsi que, pour certains d'entre eux, la propriété, ont été transférées aux collectivités territoriales par les lois de décentralisation de 1983 et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Par conséquent, lesdites collectivités doivent pouvoir, si elles le souhaitent, utiliser cet outil polyvalent.
Notre objectif, au travers de cette proposition de loi, n'est pas de supprimer ou de remplacer les autres modèles de gestion déjà cités. Il s'agit plutôt de permettre à l'ensemble des collectivités qui, après une étude des coûts et avantages des différents modèles et en fonction de leurs particularismes locaux, considéreraient le modèle de la société portuaire plus pertinent, d'y recourir.
Que prévoit ce texte dans sa version issue de la commission, adoptée à l'unanimité ?
Dans sa version initiale, l'article unique tendait à modifier l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006. Est ainsi supprimée la référence à l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui en limite le champ. Le texte clarifie et modifie les autres dispositions de l'article 35 de la loi de 2006 pour tenir compte de cette suppression. Enfin, il met à jour les références à des articles abrogés du code du travail.
Sur mon initiative, notre commission a modifié le texte pour assurer la cohérence du dispositif avec les exigences du droit européen de la commande publique, en veillant à ce que les opérations d'attribution et de modification des contrats de concession ne puissent être automatiquement dispensées des procédures de mise en concurrence. Ainsi, elles feront l'objet d'une appréciation au cas par cas du respect des conditions de la quasi-régie.
Mes chers collègues, voilà, brièvement présenté, le texte qui est soumis à votre suffrage ce soir. Je suis certaine que la souplesse de la proposition de loi, qui met à la disposition des collectivités territoriales un outil supplémentaire, répond aux attentes des acteurs de nos territoires.
Les auditions préparatoires que j'ai menées m'ont convaincue que c'est le cas dans un département que j'affectionne particulièrement, le Finistère, et plus largement partout où doivent être renouvelés et sécurisés les contrats de concession au cours des mois à venir.
Je termine mon propos en remerciant le ministre de sa disponibilité, de son écoute et de sa bienveillance à l'égard de cette initiative législative.
Plus largement, je remercie le Gouvernement, qui a inscrit le texte à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservée et qui a engagé la procédure accélérée. Cela témoigne de sa volonté de mener la navette parlementaire à son terme.
M. Pierre Jean Rochette. Excellent !
Mme Nadège Havet, rapporteure. Je forme le vœu que ce texte, après son adoption, ne reste pas en cale sèche. Puisse l'Assemblée nationale en reprendre rapidement la barre et l'amener à bon port ! (Sourires et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec satisfaction et plaisir que je m'exprime aujourd'hui devant votre assemblée pour soutenir cette proposition de loi défendue par Nadège Havet, Michel Canévet et Yves Bleunven.
Ce texte émane directement du terrain et des élus locaux, qui connaissent les ports, leurs enjeux, leurs défis et leurs potentialités. Il répond ainsi au besoin d'accéder à un outil de gouvernance portuaire performant et adapté aux réalités contemporaines, s'inscrivant dans une approche pragmatique du développement territorial.
Le modèle de société portuaire existe déjà et a fait ses preuves. Les régions Bretagne et Nouvelle-Aquitaine l'ont expérimenté avec succès, respectivement avec BrestPort et le port de Bayonne, cher Max Brisson. Ces expériences démontrent la pertinence de ce modèle de gouvernance, qui permet de concilier expertise publique et efficacité économique.
Néanmoins, cette proposition de loi constitue avant tout une mesure de simplification, pour élargir la boîte à outils à disposition de nos collectivités. Elle modernise et élargit le dispositif des sociétés portuaires, créé par la loi du 5 janvier 2006, comme vous l'avez rappelé, cher Michel Canévet.
À ces fins, est supprimée la limitation aux seuls dix-sept ports métropolitains visés par loi de 2004. En effet, cette restriction exclut, de fait, de nombreux ports décentralisés qui présentent pourtant des caractéristiques et des enjeux comparables à ceux des premiers.
Le texte permettra de renforcer la coopération entre les collectivités territoriales et les chambres de commerce et d'industrie, pour une gestion plus efficace des ports. Il s'inscrit parfaitement dans notre volonté de moderniser les outils de gouvernance, tout en préservant des liens avec ces partenaires historiques.
Je rappelle l'importance économique des ports décentralisés dans notre paysage maritime national. Ainsi, ces quelque 600 ports représentent 22 % du tonnage total de marchandises de notre pays, avec une contribution économique non négligeable : 600 millions d'euros de valeur ajoutée, 11 000 emplois directs et 27 000 emplois indirects.
Le modèle de société portuaire proposé à votre examen s'inscrit dans une volonté de développement des ports avec une vision de long terme, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves. Il permettra aux collectivités de faire partie des acteurs principaux du développement et de la résilience de leur écosystème portuaire.
Je tiens à vous rassurer : toutes les garanties sociales sont maintenues. Notre attachement au dialogue social et à la protection de l'emploi est total, cher Gérard Lahellec.
Cette proposition s'inscrit parfaitement dans notre politique des transports, qui est pragmatique, à l'écoute des territoires, respectueuse des équilibres sociaux et menée dans un objectif de simplification. Elle prolonge notre stratégie nationale portuaire de 2021, issue d'une large concertation.
Le consensus dégagé en commission, chère Nadège Havet, cher Jean-François Longeot, et l'absence d'amendements déposés, hormis celui du Gouvernement, qui est purement technique, puisqu'il vise seulement à lever des gages, témoignent de la maturité de cette initiative et de la qualité du travail parlementaire. Je tiens à vous en remercier.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter ce texte, qui offrira à nos collectivités un outil de gouvernance portuaire moderne, efficace et adapté aux défis contemporains, comme l'est le Sénat. (Applaudissements.)