Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le troisième projet de loi, depuis 2022, d’approbation des comptes de la sécurité sociale, qui porte sur l’exercice 2024. Comme l’année dernière, la commission des finances, saisie pour avis, est opposée à l’adoption de ce texte.
La situation financière de la sécurité sociale ne cesse de s’aggraver, alors même que la crise sanitaire comme la crise inflationniste ont cessé de produire des effets en 2024. Ainsi, le déficit total de la sécurité sociale s’élève à 15,3 milliards d’euros, essentiellement porté par la branche maladie, à hauteur de 13,2 milliards d’euros, et par la branche vieillesse, à raison de 5,6 milliards d’euros. Le déficit total s’est aggravé de 4,5 milliards d’euros par rapport à 2023, soit une hausse de 30 %.
Or l’état des comptes de la sécurité sociale devrait malheureusement continuer à se dégrader dans les années à venir, avec un déficit de 24 milliards d’euros en 2028. Les nouveaux réalistes devront agir, madame la rapporteure générale…
Le déficit élevé est lié, en 2024, à des recettes moins élevées que prévu et, surtout, à des dépenses en hausse de 33 milliards d’euros par rapport à l’année précédente. Je le dis à l’attention de ceux qui parlent toujours d’austérité : nous en sommes très loin !
D’abord, les recettes sont inférieures de 3,9 milliards d’euros aux prévisions présentées par le Gouvernement lors du PLFSS pour 2024, à l’automne 2023 donc. En particulier, les recettes de TVA ont été surestimées de 2,4 milliards d’euros. Une telle erreur dans les prévisions de recettes n’est pas acceptable et questionne quant à la fiabilité des prévisions. Cela vaut également, bien sûr, pour le budget de l’État comme celui de la sécurité sociale.
Ensuite, les dépenses sont en hausse de 5,3 % par rapport à 2023. Nous sommes loin de la rigueur : avec une telle hausse, couplée à celle de la masse salariale de l’État, de 6 %, pour 2024, nous sommes bien loin d’un budget rigoureux…
Le déficit de la branche maladie est particulièrement inquiétant. Ainsi, l’Ondam a atteint 256,4 milliards d’euros, en augmentation de 27,3 % depuis 2019. Cette hausse est liée dans une large mesure au Ségur de la santé. Comme vous le savez, les hausses de la rémunération du personnel médical n’ont pas été financées par de nouvelles recettes, alors qu’elles ont entraîné 13,4 milliards d’euros de dépenses chaque année depuis leur mise en œuvre en 2020, ce qui est à rapporter au déficit global, qui atteint 15,3 milliards d’euros.
La branche retraite est l’autre grand acteur du déficit de la sécurité sociale. Son déficit devrait s’élever à 6,2 milliards d’euros en 2025 et à 8,9 milliards d’euros en 2028. La revalorisation de 5,3 % des pensions de retraite explique en grande partie la hausse des déficits en 2024.
Le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), d’un montant de 3 milliards d’euros, est également responsable. Il représenterait encore 2,2 milliards d’euros en 2025, confirmant ainsi une amélioration de la situation, grâce à la hausse des cotisations payées par l’employeur de 1 point en 2024 et de 3 points par an entre 2025 et 2028.
Je tiens à souligner l’impact qu’a eu le mécanisme de compensation démographique généralisée, dit aussi compensation généralisée vieillesse, sur les comptes de la CNRACL. En 2024, la caisse a encore versé 456 millions d’euros à ce titre. Au total, elle a contribué pour près de 100 milliards d’euros constants depuis 1974. Une révision des règles du mécanisme de compensation démographique vieillesse doit absolument être envisagée, madame la ministre.
L’explosion des déficits de la sécurité sociale implique, bien entendu, une hausse très forte de la dette sociale, qui s’élève à 157,1 milliards d’euros en 2024 et atteindrait 202 milliards d’euros en 2028. Elle est encore supportée en majeure partie par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).
Toutefois, sans une nouvelle loi organique, aucun nouveau transfert de dette à la Cades n’est possible à partir de 2025. Les déficits sont donc supportés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui ne dispose pourtant pas des mêmes facilités d’endettement à long terme que la Cades. Cette situation n’est donc pas pérenne.
Pour autant, il est surtout urgent de réduire structurellement les déficits de la sécurité sociale, afin d’éviter la poursuite de l’accumulation de la dette.
Enfin, la fiabilité des comptes de la sécurité sociale est sujette à caution. La Cour des comptes a en effet refusé, pour la troisième année consécutive, de certifier les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Dans ces conditions, la commission des finances estime opportun de rejeter le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024. (M. Marc Laménie applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (M. Pascal Savoldelli applaudit.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente aujourd’hui le troisième projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale.
Pour l’année 2024, cette photographie des comptes de la sécurité sociale révèle un déficit de 15,3 milliards d’euros, soit plus que le montant envisagé initialement, mais moins que le budget révisé dans le cadre du projet de loi de financement de la sociale pour 2025.
Selon le Gouvernement, ce déficit constitue une situation alarmante. La Cour des comptes, quant à elle, juge la situation financière de la sécurité sociale très préoccupante, son financement n’étant plus assuré à terme, à moins d’adopter des « mesures vigoureuses de redressement ».
Certes, mais qui doit prendre ces mesures, sinon le Gouvernement, qui s’alarme des effets de sa propre politique ?
La dramatisation des déficits de la sécurité sociale est systématiquement utilisée depuis la création des lois de financement de la sécurité sociale pour justifier les coupes budgétaires futures. Déjà, en 1995, l’état calamiteux de nos finances publiques justifiait le lancement du plan Juppé, du nom du Premier ministre d’alors.
Le déficit invoqué cette année pour justifier les prochaines mesures d’austérité représente 2,3 % des dépenses de la sécurité sociale. Ce n’est pas parce qu’il est inférieur au plafond de 3 % du PIB fixé par le traité de Maastricht qu’il faut s’en satisfaire pour autant !
Le déficit de la sécurité sociale s’explique par une hausse des dépenses de 1,1 milliard d’euros, mais c’est surtout la baisse de recettes, d’un montant de 3,7 milliards d’euros, qui en est la cause.
Le dérapage des comptes de la sécurité sociale provient donc de recettes moindres, en particulier les recettes de TVA. Celles-ci sont en effet inférieures de 2,2 milliards d’euros par rapport aux prévisions.
Le Gouvernement avait pourtant affirmé que, face à ce gouffre financier, la seule réponse à la désindexation des prestations sociales en 2026 ou à la réduction des dépenses des personnes souffrant d’une affection de longue durée (ALD) serait d’instaurer une TVA dite sociale.
Selon nous, la TVA sociale constitue l’impôt le plus inégalitaire, puisqu’elle frappe indifféremment tout un chacun, quel que soit son niveau de revenu. Elle est acquittée de la même façon par une aide-soignante que par Bernard Arnault, qui gagne pourtant des millions d’euros.
La TVA sociale est l’impôt le plus injuste, car elle va encore baisser le pouvoir d’achat des salariés qui n’en peuvent plus, qui se lèvent tôt pour aller travailler, qui ne cessent de se serrer la ceinture.
Surtout, la TVA sociale, cette vieille marotte de la droite et du Medef (Mouvement des entreprises de France), existe déjà !
Depuis 2019, le président Macron a réalisé le fantasme du patronat en remplaçant les exonérations du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) par la suppression définitive des cotisations à la charge des employeurs, compensée par les recettes de TVA. Ainsi, 50 milliards d’euros de TVA compensent les exonérations de cotisations patronales, soit plus de la moitié des 80 milliards d’euros d’exonérations annuelles.
Rappelons que, sur ces 80 milliards d’euros, 5,5 milliards d’euros d’exonérations et 3,3 milliards d’euros d’exemptions de cotisations pour les primes et les heures supplémentaires n’ont pas été compensés à la sécurité sociale. Cela représente 8,8 milliards d’euros en 2024.
En d’autres termes, plus de la moitié du déficit pour 2024 serait résorbée par l’État s’il respectait le principe de compensation posé par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite Veil.
Je tiens à le souligner, le déficit de la sécurité sociale a été organisé sciemment par les gouvernements successifs, en asséchant les recettes des caisses via la multiplication des exonérations. Les coupables sont ceux-là mêmes qui alertent aujourd’hui sur les déficits alarmants.
Le redressement vigoureux des comptes de la sécurité sociale passe, selon nous, par une baisse des exonérations de cotisations et la mise à contribution des revenus financiers.
Le Sénat a eu l’occasion de garantir 20 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires pour le budget de l’État en adoptant la taxe Zucman. Je rappelle qu’il s’agit d’un impôt de 2 % sur le patrimoine des ultrariches. Pourtant, la droite sénatoriale s’y est opposée.
En conclusion, le groupe CRCE-K votera contre ce texte, comme il s’est opposé au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
J’en profite pour interroger la majorité sénatoriale sur la différence entre le rejet d’un texte et l’adoption d’une motion. L’an dernier, la commission des affaires sociales a déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) pour 2023, car la Cour des comptes n’avait pas certifié les comptes de la branche famille et de la Cnaf.
Cette année encore, elle n’a pas certifié les comptes de la branche famille. En outre, les indicateurs d’évaluation ne sont toujours pas respectés. Malgré tous ces éléments, vous n’avez pas déposé de motion, mes chers collègues.
Mme Pascale Gruny. Ce n’était pas nécessaire…
Mme Cathy Apourceau-Poly. Au mois d’octobre prochain, la sécurité sociale, créée par Ambroise Croizat et Georges Buisson, fêtera ses quatre-vingts ans. L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 permettra de clarifier les intentions du Gouvernement.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Allez-vous prononcer l’oraison funèbre de notre modèle de protection sociale ou célébrer, à nos côtés, les quatre-vingts ans de la sécurité sociale ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour la troisième année consécutive, le Parlement examine l’exécution budgétaire de la sécurité sociale.
La situation serait alarmante, nous dit-on, avec un déficit et une trajectoire budgétaire quasiment hors de contrôle. Voyons ce qu’il en est.
Parlons tout d’abord du déficit et, pour une fois, commençons par les recettes. Selon la Cour des comptes, le différentiel de près de 5 milliards d’euros entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le Placss provient, pour 77 %, de moindres rentrées de TVA, ce qui atteste de l’instabilité de ce mode de financement.
En effet, la TVA sociale existe déjà. Elle est supposée compenser les exonérations à la charge de l’employeur, qui ont quadruplé depuis 2019, passant de 1 % à 8 % des recettes des comptes sociaux.
La Cour des comptes révèle que, à la faveur de la transformation du CICE en exonérations, la fraction de TVA prévue en guise de compensation se révèle régulièrement insuffisante. Oubliée, la loi Veil !
Une part des exonérations est sous-compensée à la sécurité sociale. Cela provoque en 2024 un manque à gagner de 5,5 milliards d’euros. Cumulée depuis 2019, la sous-compensation atteint 18 milliards d’euros. Ce coût est essentiellement supporté par l’Acoss, ce qui contribue à sa crise de liquidité.
L’année 2019 marque aussi la non-compensation des heures supplémentaires, qui coûte plus de 2 milliards par an à la branche retraite. Son déficit, d’un montant de 5,6 milliards d’euros en 2024, correspond, à hauteur de 84 %, au cumul de la sous-compensation des exonérations et de la non-compensation de plusieurs niches sociales.
Depuis 2019 – décidément ! –, les exemptions nettes d’assiette explosent. Entre 2019 et 2023, celles-ci ont augmenté de 8 milliards d’euros, alors que le déficit de la sécurité sociale n’augmentait que de 6 milliards d’euros sur cette même période.
On observe aujourd’hui des dépenses dynamiques pour plusieurs branches de la sécurité sociale. Elles sont liées non seulement au vieillissement de la population, à la chronicité des maladies et à l’innovation thérapeutique, mais aussi aux nécessaires mesures nouvelles qui augmentent tendanciellement partout en Europe.
Non seulement de nouvelles recettes ne sont pas collectées pour faire face à ces dépenses, contrairement à ce qui se faisait par le passé, mais l’attrition des recettes est organisée, planifiée et accélérée, notamment depuis 2019, provoquant ainsi une rupture dans les ressources. C’est ce d’aucuns nomment la « politique des caisses vides ».
Bien sûr, des mesures favorisant l’efficience et l’efficacité des dépenses sont légitimes et nous les demandons : lutte contre les rentes de situation, exigences de profitabilité des opérateurs financiarisés, lutte contre le travail dissimulé, ruptures de parcours, etc. Il faut également pointer l’insuffisant pilotage par la qualité des soins, le manque de suivi des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et la nécessité de mener une politique ambitieuse de prévention dans un cadre pluriannuel.
La régulation des dépenses est conduite depuis plusieurs exercices, mais les mesures nouvelles sont totalement gagées sur des mesures d’économies de la dépense.
Au-delà des mesures nouvelles, financées par une baisse en valeur des dépenses, il est aussi requis de réaliser des économies sur la dynamique mécanique des dépenses.
Pour rappel, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) tend à s’élever à plus de 4 %, hors mesures nouvelles. Ainsi, son blocage à 2,9 % revient à exiger un tiers d’économies supplémentaires !
Concernant les retraites, je conteste les chiffres que vous évoquez : brasser les dizaines de millions est un peu malhonnête. Les dépenses sont bel et bien maintenues à 14 % du PIB, ce qui est rendu possible par la baisse relative des pensions et l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, alors que le décrochage des recettes recoupe celui du déficit.
En conséquence, la Cour des comptes souligne l’existence, depuis 2019 – toujours 2019 –, d’un différentiel de 0,5 point de PIB en moyenne entre les dynamiques des dépenses et celles des ressources.
L’année 2019 marque bien l’instauration d’une politique des caisses vides délibérée, qui a profondément chamboulé non pas la société, mais la trajectoire des comptes sociaux.
D’après le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), « la maîtrise des dépenses ne saurait que difficilement suffire à ramener les branches les plus en difficulté à l’équilibre. La question du pilotage des recettes doit donc nécessairement être traitée ».
Enfin, il convient de distinguer le déficit structurel du déficit conjoncturel lié à la crise covid, qui sature la Cades – celle-ci ne peut contenir d’éventuels déficits conjoncturels – et aliène 18 milliards annuels à son remboursement. Sans ce fardeau, la sécurité sociale ne présente pas de déficit structurel.
Pas de recettes pour faire face au Ségur, pas plus que pour répondre à la crise sanitaire exceptionnelle, aux mesures nouvelles et à la régulation des dépenses délétères, quand il s’agit de compenser l’attrition des recettes que vous avez causée :…
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Raymonde Poncet Monge. … depuis 2019, les choix politiques déstructurent la trajectoire budgétaire de la sécurité sociale de façon accélérée.
Le groupe GEST ne peut les cautionner et votera donc contre ce projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier. (Mme Isabelle Briquet applaudit.)
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour la troisième année consécutive, le Sénat s’apprête sans doute à rejeter le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, comme l’a fait l’Assemblée nationale avant lui.
Si nous abordions ce texte par son aspect technique, l’absence de certification des comptes de la Cnaf et de la branche famille, comme les années précédentes, légitimerait à elle seule ce rejet.
Toutefois, ce texte a une dimension politique. La situation est alarmante, la Cour des comptes parle d’une trajectoire « hors de contrôle ».
La sécurité sociale frôlait l’équilibre en 2018 et en 2019. Pourtant, son déficit s’est creusé de manière vertigineuse depuis la crise sanitaire. Si le covid pouvait expliquer un déficit historique entre 2020 et 2022, les années suivantes ont confirmé que ce déséquilibre s’installait durablement.
En 2024, le déficit s’élève à 15,3 milliards d’euros, soit près de 5 milliards d’euros supplémentaires par rapport aux prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale.
La suite s’annonce encore pire : 22 milliards d’euros de déficit prévus en 2025, 24 milliards d’euros en 2028 et 25 milliards d’euros en 2029.
Face à cette situation, votre gouvernement n’a présenté aucune stratégie de retour à l’équilibre. Il laisse filer les déficits et les mots qu’il emploie peinent à masquer son inaction.
Ce creusement est dû à une forte progression des dépenses – de l’ordre de 5,3 % en 2024 –, mais aussi à un essoufflement des recettes. Un tel déséquilibre met en péril notre modèle social, qui fête cette année ses quatre-vingts ans.
Le déficit de la sécurité sociale n’est pas une fatalité : c’est la résultante de choix, le fruit d’une politique d’appauvrissement méthodique des recettes et d’exonérations massives de cotisations. Ainsi, il manque plus de 5 milliards d’euros de compensation pour l’année 2024.
En outre, nous déplorons l’absence de transfert annuel de charges de l’État à la sécurité sociale via la Cades – on parle tout de même de 13 milliards d’euros – et un laxisme concernant les indus, qui représentent près de 10 milliards d’euros chaque année.
Reprenons les exonérations de cotisations. La part des cotisations dans le financement de la sécurité sociale a fondu de 82 % en 1993 à 48 % aujourd’hui. Le rapport Bozio-Wasmer l’a démontré : les exonérations de cotisations sociales ont un effet très limité sur l’emploi ; en revanche, elles pèsent lourd sur les comptes publics.
Pire encore, ces exonérations créent une trappe à bas salaires. En 2023, plus de 17 % des salariés étaient payés au Smic – un record depuis trente ans – et 60 % d’entre eux, il faut le noter, étaient des femmes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
M. Bernard Jomier. Cette smicardisation est liée à un système qui décourage toute revalorisation salariale, alors que, dans notre pays, le travail ne paie pas assez et paie même de moins en moins. Voilà huit ans que le Gouvernement encourage une société d’héritiers et de rentiers en lieu et place d’une société du travail.
Tout récemment, madame la ministre, vous avez accusé les salariés français d’être davantage en arrêt maladie que leurs voisins allemands : quinze jours en France, contre dix à douze jours en Allemagne. Vous le savez, vous vous êtes fondée sur une étude erronée et tronquée. (Mme la ministre manifeste son scepticisme.)
Que proposez-vous pour financer notre modèle social ? Une TVA sociale, injuste par excellence, qui pénalise les plus modestes ? Une taxe Vautrin sur les mutuelles – encore une –, qui touchera en premier lieu les retraités, les malades chroniques et les plus fragiles ? Une année blanche, qui promettra à ceux qui perçoivent des revenus leur permettant à peine de survivre des fins de mois toujours plus angoissantes et des temps encore plus durs ?
Alors que votre socle commun a massivement refusé la mise en place de la taxe Zucman, vous frapperiez les plus modestes.
Comment le Gouvernement pourrait-il être crédible en refusant de faire contribuer les ménages les plus aisés et les héritiers, alors qu’il sollicite en permanence les ménages les plus modestes ? Il n’y a aucun réalisme économique derrière tant d’injustice sociale. Les Français ne l’accepteront pas et votre gouvernement perdra toute capacité à faire accepter ses mesures.
Précipiter le pays dans la réduction des moyens des plus modestes, dans une logique de réduction des consommations et de l’activité économique ne répond à aucun réalisme économique.
Face au constat de la dégradation chronique des comptes de la sécurité sociale, des solutions existent. Le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) est clair : un retour à l’équilibre est possible. Toutefois, un tel redressement ne pourra être envisagé que sur plusieurs années. En effet, il nécessite une vision de long terme, un pilotage pluriannuel des dépenses sociales, qui s’appuie sur des prévisions réalistes.
L’Ondam, conçu comme un outil de maîtrise des dépenses de santé, est devenu un indicateur sans portée réelle. Pour la cinquième année consécutive, il est dépassé. La dérive est structurelle. Il est donc temps d’adopter une autre politique.
Nous devons reconstruire notre engagement des dépenses et notre système de santé autour de trois piliers.
Premier pilier : la prévention. Il s’agit de mieux soigner en amont, en agissant notamment sur les consommations à risque et les facteurs environnementaux. Par ailleurs, nous devons faire confiance aux acteurs professionnels pour construire des parcours de soins en la matière.
Deuxième pilier : le virage territorial. Nous avons tout intérêt à développer un pilotage local des moyens avec les professionnels, les hôpitaux, les élus, les usagers et l’État, en définissant les priorités selon les besoins de santé de la population.
Il faut repenser la cohérence de la carte sanitaire et de l’organisation territoriale des soins. En effet, le mitage dramatique de celle-ci doit beaucoup à la pénurie de médecins, mais aussi à l’absence de cohérence et de confiance dans les acteurs territoriaux.
Troisième pilier : la lutte contre la financiarisation du soin. Il faut stopper les logiques de rentabilité qui coûtent cher, qui minent la qualité et l’égalité d’accès aux soins, qui transforment nos prélèvements obligatoires en pensions de retraite pour Américains ou Australiens.
Qu’a fait votre gouvernement en ce domaine, si ce n’est attendre la publication d’un rapport ? Il ne demande rien aux acteurs financiers, pendant qu’il suspend des accords conventionnels et brise la confiance avec les professionnels de santé. En annulant des revalorisations prévues par contrat, il compromet notre capacité à aborder collectivement la question de l’efficience des moyens alloués à la santé.
De nouvelles orientations doivent guider les prochains budgets. Pour l’heure, le Gouvernement attend la fin de la session parlementaire pour présenter ses annonces budgétaires et éviter tout débat et tout risque de censure. C’est une méthode opaque, qui consiste à contourner le débat démocratique et qui compromet l’adhésion des Français.
Mes chers collègues, nous refusons cette logique du renoncement. Il est possible de redresser les comptes sociaux, à condition de retrouver le sens de la responsabilité politique et de la justice sociale et fiscale.
Ce n’est pas ce qui a été fait depuis huit ans et, si nous n’empruntons pas une meilleure voie demain, nous laisserons notre système de sécurité sociale partir à la dérive. Nous ne pouvons certainement pas nous y résoudre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, 15,3 milliards d’euros : c’est le montant du déficit de la sécurité sociale en 2024, soit presque 5 milliards d’euros de plus que le déficit prévu par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Les prévisions de déficit pour les prochaines années sont encore plus préoccupantes : 22 milliards d’euros en 2025 et 24 milliards d’euros en 2026.
Il est difficile de discuter du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale en s’en tenant strictement à ce texte, sans évoquer l’année n+1.
Je partage en partie ce qui a pu être dit en commission : il est logique que les dépenses augmentent de façon constante, à cause du vieillissement de la population, de l’explosion des maladies chroniques, des innovations thérapeutiques et, tout simplement, de l’inflation et de l’indexation de certaines prestations, notamment les retraites, qui ont augmenté de 14 milliards d’euros cette année.
Si nous laissons les dépenses filer de façon incontrôlée, il nous faudra perpétuellement chercher de nouvelles sources de financement. Notre modèle ne peut pas continuellement être financé par la dette.
Du côté des recettes, les choses sont relativement simples : la sécurité sociale est essentiellement alimentée par les cotisations et contributions issues du travail. Davantage de travail lui assurerait donc plus de recettes.
Afin d’augmenter la part de la population au travail, nous avons adopté il y a peu un texte sur l’emploi des seniors. C’était indispensable, alors que le taux d’emploi des 60-64 ans dans notre pays n’est que de 38 %, contre plus de 50 % dans l’Union européenne. La réévaluation du taux d’emploi de ces personnes assurerait 5,8 milliards d’euros de cotisations retraite supplémentaires.
Au-delà du sujet des seniors, je suis certain que, à l’automne prochain, nous aurons l’occasion de discuter de différentes modalités pour augmenter les recettes sociales par davantage de travail. Je rappelle que nous travaillons moins que nos voisins européens : 1 670 heures par an, contre 1 790 heures en moyenne dans l’Union européenne.
Travailler dix minutes de plus par semaine rapporterait 2,5 milliards d’euros chaque année. Cela permettrait de financer la prise en charge de la dépendance, appelée à continuer d’augmenter.
Dans le même temps, il conviendrait de trouver de nouvelles sources de financements, afin de baisser, en contrepartie, les contributions qui pèsent sur le travail. Augmenter la TVA sociale de 1 point permettrait de dégager 11 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Je rappelle au passage que le taux de TVA s’élève à 21 % en Espagne, à 22 % en Italie et à 25 % au Canada.
Aujourd’hui, les intérêts de la dette française explosent, jusqu’à atteindre 80 milliards d’euros, alors qu’ils s’élevaient à moins de 40 milliards d’euros en 2019. Nous le voyons bien, l’État ne peut participer davantage au financement de la sécurité sociale.
Du côté des dépenses, on ne peut pas se satisfaire des 18 milliards d’euros d’indus versés en 2023, 8,1 milliards d’euros n’ayant pas été détectés. La fraude affaiblit notre modèle social, pas seulement d’un point de vue financier.
Par ailleurs, on ne peut que regretter que l’Ondam soit systématiquement largement dépassé. Il l’a été en 2024 – de 1,5 milliard d’euros –, il le sera de nouveau en 2025. À cet égard, dans un avis rendu la semaine dernière, le comité d’alerte sur le respect de l’Ondam annonçait un risque de dérapage de plus de 1,3 milliard d’euros.
On peut toujours décider de créer de nouvelles taxes, mais cette démarche risque de se révéler contre-productive. Je ne prendrai qu’un seul exemple. En 2018, nous avons institué une taxe sur les yachts de plus de 30 mètres. Selon les prévisions, elle devait rapporter à l’État 10 millions d’euros par an ; en 2024, elle n’a pourtant permis que de collecter 20 000 euros, car il ne reste plus que quatre yachts en France. C’est caricatural !
Augmenter le taux des cotisations pour suivre le rythme des dépenses mettrait en difficulté les entreprises, qui sont déjà soumises à un record de contributions à l’échelon européen.
Tout en conservant le départ à la retraite à 64 ans – en tenant compte de l’aménagement qui, je l’espère, aura été défini par les partenaires sociaux –, nous devons mieux contrôler nos dépenses et trouver plus de recettes qui ne pèsent pas sur le travail. C’est ainsi que nous pourrons préserver la sécurité sociale, colonne vertébrale de la République, et garantir l’égal accès aux soins dans tous les territoires.
Pour reprendre les mots d’un éminent responsable politique socialiste aujourd’hui disparu, la mère de toutes les batailles, c’est l’inégalité sociale. Selon moi, la perte de la sécurité sociale serait la plus grande des inégalités.
Enfin, que ferons-nous du déficit de 22 milliards d’euros l’année prochaine et de 25 milliards d’euros en 2029 ? Dès cette année, le déficit devient déjà supérieur à la capacité annuelle d’amortissement de la Cades.
L’endettement de l’Acoss, qui gère la trésorerie de la sécurité sociale, créera un risque de crise de liquidité lorsqu’il atteindra 70 milliards d’euros. Ce sera bien le cas en 2027. Très concrètement, certaines prestations pourraient ne plus être versées.
Mes chers collègues, jusqu’à quel montant les déficits doivent-ils se cumuler avant que nous décidions collectivement de faire les choix qui s’imposent pour préserver la sécurité sociale pour tous ? Comme l’a dit la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, soyons réalistes !
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)