Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Olivier Henno applaudit également.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024 fait apparaître un déficit supérieur aux prévisions initiales. Il est dû, en grande partie, à une surestimation des recettes et à une hausse des dépenses via le dépassement de l’Ondam.
Permettez-moi de m’attarder sur la branche maladie et l’Ondam, ainsi que sur la réforme du financement à l’hôpital.
En 2024, les dépenses relevant du champ de l’Ondam ont atteint 256,4 milliards d’euros, contre 247,8 milliards d’euros en 2023. Si le dépassement de fin d’exercice est assez limité cette année, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, l’Ondam qui a été fixé lors du vote de la loi initiale de financement de la sécurité sociale est encore dépassé, et ce pour la cinquième année consécutive.
Nous avons refusé de voter l’Ondam pour 2024, ne l’estimant ni crédible ni sincère. Force est de constater que les résultats nous donnent une nouvelle fois raison.
Quant à la Cour des comptes, elle estime que l’année 2024, pourtant marquée par une inflation faible, est « une occasion manquée de retour à une maîtrise de l’exécution de l’Ondam ». C’est également une occasion manquée de maîtriser les dépenses de soins de vie.
En outre, l’Ondam pour 2024, qui devait être inférieur à l’Ondam pour 2023 – lui-même inférieur à l’Ondam pour 2022, en raison de la résorption des dépenses de crise –, lui est finalement supérieur.
Ce dépassement, entièrement lié au sous-objectif « Dépenses de soins de ville », n’est ni compréhensible ni justifiable. En effet, aucun événement exceptionnel ne l’explique, contrairement aux années précédentes.
La branche maladie, dont 80 % des dépenses reposent sur l’Ondam, est à elle seule responsable d’une grande partie du déficit. En 2024, son déficit s’élève à 13,2 milliards d’euros, pour un déficit total de 15,3 milliards d’euros, si l’on inclut le fonds de solidarité vieillesse.
Il convient de noter que la branche maladie continue de porter le poids de la crise sanitaire. En 2024, les dépenses engagées à la suite du Ségur de la santé auront coûté 13 milliards d’euros.
Depuis 2019, nous observons une hausse structurelle des dépenses de l’Ondam : alors que celles-ci avaient progressé de 5 % entre 2017 et 2019, elles ont augmenté de 23,7 % entre 2019 et 2024.
Pour mémoire, ainsi que M. le ministre l’a rappelé, en 2019, l’Ondam s’élevait à 200 milliards d’euros. En 2024, il atteint 256,4 milliards d’euros, soit 56,4 milliards d’euros de plus. Malgré les moyens supplémentaires engagés, qui sont très importants, notre système de santé est toujours en crise. Certes, il faut prendre en compte l’inflation et le Ségur de la santé, mais tout de même…
L’an passé, à cette même tribune, j’ai insisté sur la nécessité de renforcer les mécanismes de suivi infra-annuel. Il nous faut, avec l’appui du comité d’alerte sur le respect de l’Ondam, disposer de prévisions toujours plus solides. Le groupe Les Républicains salue à cette occasion l’appel de cette instance à redoubler de vigilance sur les dépenses de soins de ville pour 2025. D’ores et déjà, nous ne pouvons que nous inquiéter des perspectives de dépassement de l’Ondam pour 2025.
Par ailleurs, comme l’a annoncé la rapporteure générale, je souhaite faire un point sur l’application de la réforme du financement des activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), adoptée lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Nous avons en effet soutenu cette réforme qui vise à diminuer la part de la tarification à l’activité en créant un financement plus équilibré entre la tarification et les dotations sur des objectifs de santé publique et pour des missions spécifiques. Force est de constater que les faits confirment les réserves que la commission des affaires sociales a exprimées sur le calendrier et les modalités d’application de la réforme.
Ainsi, toutes les fédérations hospitalières regrettent l’absence de mise en œuvre opérationnelle à ce stade. Je m’inquiète tout particulièrement de l’avancée de la réforme du financement des activités de radiothérapie et de dialyse, qui, de l’aveu même des fédérations hospitalières, ne pourra pas être correctement mise en œuvre le 1er janvier 2026.
Si de nombreux chantiers ont été lancés, tous restent inachevés. Nous ne pouvons que regretter un manque criant de hiérarchisation : il entraîne des incertitudes pour les établissements de santé, lesquels doivent agir dans un contexte financier critique. Le déficit des établissements publics atteindrait en effet 3 milliards d’euros sur l’année écoulée.
Il ne suffit pas de changer la pancarte et de lancer des chantiers pour annoncer que la réforme du financement des hôpitaux est en cours. Il est plus que temps que le Gouvernement réalise des études d’impact permettant de mieux anticiper les effets de la réforme selon les paramètres choisis et qu’un calendrier réaliste des chantiers prioritaires soit adopté.
Enfin, il paraît nécessaire de prévoir dès maintenant les modalités d’évaluation et de révision des paramètres de la réforme afin d’assurer une visibilité aux établissements de santé.
Mes chers collègues, les hôpitaux publics ont enregistré un déficit de près de 3 milliards d’euros à la fin de l’année 2024. Nous ne cessons, de projet de loi de financement de la sécurité sociale en projet de loi de financement de la sécurité sociale, de demander des efforts aux secteurs du médicament et des dispositifs médicaux. La question des ruptures de stock de médicaments n’est toujours pas réglée.
Ces constats doivent orienter les choix politiques à venir et nous inciter à rester conscients des défis et de l’exigence qui nous attendent à l’aube de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
Le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2024. Ce n’est pas un renoncement, c’est une désolation. Notre attachement à la sécurité sociale nous oblige. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale est un moment important de la vie parlementaire.
Il s’agit non pas d’un simple exercice comptable, mais d’un temps fort de transparence et de vérité budgétaire. C’est aussi, pour la représentation nationale, l’occasion de prendre pleinement la mesure de l’état de nos comptes sociaux, d’en débattre sereinement et de faire vivre le contrôle démocratique de la gestion de notre protection sociale.
Pourtant, force est de constater que, jusqu’à présent, aucun projet de loi de ce type n’a été adopté, ni en 2023 ni en 2024. Notre pays ne peut se satisfaire de ces rejets systématiques, car, au-delà des clivages, nous partageons un impératif commun : la vérité des comptes et la soutenabilité de notre modèle de solidarité.
Le bilan pour l’année 2024 révèle un déficit de 15,3 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes obligatoires, soit un peu moins que les 18 milliards d’euros anticipés, mais bien plus que les 10 milliards d’euros que nous avions collectivement envisagés lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Ce déficit s’explique en grande partie par la dépense croissante des branches maladie et vieillesse, sur fond de ralentissement de l’inflation. En effet, cette dernière, revenue à des niveaux plus modérés, n’a pas suffi à corriger les déséquilibres, car les dépenses ont continué de croître, notamment en raison des revalorisations fondées sur l’inflation passée.
Cela étant, nous ne pouvons détourner le regard des prévisions les plus alarmistes. Le déficit pourrait atteindre 22 milliards d’euros en 2028 si nous ne prenons pas les mesures nécessaires. En outre, les dépenses de santé ont bondi de 56 milliards d’euros depuis 2019 et les pensions de retraite ont également augmenté, notamment en raison de leur revalorisation de 5,3 % le 1er janvier dernier, alimentant principalement cette dynamique. Ces dépenses correspondent à des choix sociaux forts, mais nécessitent des financements clairs, durables et assumés.
Comme vous l’avez évoqué, madame la ministre, la non-certification des comptes de la branche famille demeure une source de préoccupation pour la Haute Assemblée, en raison des incertitudes qui pèsent sur la fiabilité des données. Nous estimons toutefois qu’elle ne remet pas en cause la sincérité de ce Placss.
Dans un tel contexte, il ne nous semble pas envisageable de rejeter le texte pour des raisons purement politiques. Il ne s’agit pas de se prononcer pour ou contre une politique passée ; il s’agit de prendre acte d’une réalité, de tirer collectivement les leçons de nos déséquilibres et de préparer l’avenir.
Oui, des défis immenses se dressent devant nous : vieillissement de la population, baisse préoccupante de la natalité, progression des dépenses d’autonomie, tension sur le financement des retraites et de la santé. Le solde de la branche vieillesse est fortement dégradé. L’excédent de la branche famille, qui semblait rassurant, est en réalité soutenu artificiellement par une baisse des naissances.
Que faire dans ces conditions ? Certainement pas attendre que le vent tourne, masquer la réalité par des jeux d’écriture, des transferts de charges entre caisses ou de nouvelles taxes. Non, la réponse doit être plus ambitieuse et plus courageuse : rétablir nos comptes sociaux est une nécessité, une exigence. C’est un enjeu de souveraineté nationale, car une protection sociale financée par la dette n’est pas une protection durable, c’est une illusion.
En 1945, quand nous avons bâti ce système, personne n’imaginait qu’il deviendrait lui-même une source de dette. Les textes budgétaires de 2026 et ceux des prochaines années devront permettre un redressement significatif des finances publiques. Cela impliquera des réformes profondes, structurelles, exigeantes, mais nécessaires, dans le but non pas de fragiliser notre modèle social, mais de le sauver et de garantir aux générations futures un droit non pas fictif, mais réel à la santé, à la retraite, à la solidarité.
Dans cet esprit, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) votera en faveur du texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le troisième projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. Ce type de texte est une innovation issue de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui vise à renforcer le rôle du Parlement dans le suivi de l’exécution budgétaire.
L’approbation des comptes n’est ni une absolution ni un blanc-seing. C’est une photographie, forcément imparfaite, mais utile. Le groupe RDSE reste attaché à cet exercice de transparence, car le Parlement doit pouvoir contrôler l’utilisation de l’argent public. C’est là le fondement de la démocratie.
L’intérêt de ce texte réside dans ce qu’il révèle, mais aussi dans les interrogations qu’il suscite. Le tableau présenté cette année est préoccupant. Le déficit des régimes obligatoires de base du fonds de solidarité vieillesse atteint 15,3 milliards d’euros en 2024, soit une aggravation de plus de 4 milliards d’euros par rapport à 2023.
La dynamique observée entre 2021 et 2023 s’est interrompue et, selon les projections de la commission des comptes de la sécurité sociale, ce déficit pourrait approcher les 22 milliards d’euros en 2025 et même dépasser les 24 milliards d’euros à l’horizon de 2028.
La Cour des comptes, dans le rapport qu’elle a rendu au mois de mai dernier, va encore plus loin, parlant d’une trajectoire « hors de contrôle ». Elle alerte sur le risque d’une crise de liquidité si des mesures correctrices ne sont pas rapidement engagées.
Il ne s’agit plus de simples petits écarts conjoncturels ; c’est la soutenabilité du financement de notre protection sociale qui est engagée. Toutes les branches ne sont pas concernées de la même manière : sans surprise, les branches maladie et vieillesse concentrent l’essentiel du déficit.
La situation de la santé est préoccupante. Les déserts médicaux s’étendent, les hôpitaux manquent de soignants, les urgences sont débordées, nous subissons une pénurie de médicaments. Dans le même temps, le déficit de la branche maladie s’élève à 13,1 milliards d’euros.
L’Ondam, qui devait croître de 3,2 %, a été dépassé pour la cinquième année consécutive. L’effet covid ne permet plus d’expliquer cette augmentation : c’est la dépense ordinaire qui dérive.
L’avis rendu la semaine dernière par le comité d’alerte sur le respect de l’Ondam est préoccupant. Il pointe un risque sérieux de dépassement de l’objectif pour 2025, dont l’ampleur serait supérieure au seuil fatidique de 0,5 %.
La certification des comptes constitue un autre sujet d’inquiétude. Pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes n’a pas certifié les comptes de la branche famille, car elle est dans l’incapacité de se prononcer sur la justesse des données.
La situation de l’Urssaf Caisse nationale appelle également notre vigilance. Sa dette, qui atteint 49 milliards d’euros, pourrait franchir le plafond autorisé dès 2026, ainsi que Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales l’a souligné. Ce signal inédit doit être pris au sérieux, car il met en lumière un risque de liquidité systémique qui ne peut être ignoré.
Je réaffirme ici notre attachement à la sécurité sociale, véritable pilier de notre pacte républicain. Comme le rappelait Pierre Laroque, son principal artisan, la protection sociale est non pas une charge, mais un investissement dans l’avenir de notre société. Elle n’est pas un fardeau, elle est une promesse qui, pour vivre encore demain, exige responsabilité, courage et lucidité.
Les déséquilibres actuels ne pourront être corrigés par de simples ajustements techniques. Si nous voulons préserver cet acquis essentiel, il faut engager une réforme structurelle d’ampleur, refuser les dérives financières chroniques autant que les coups de rabots mécaniques, sortir des injonctions contradictoires entre ambition sociale et sincérité budgétaire.
Saurons-nous dégraisser le mammouth administratif de la santé ? Serons-nous capables de trouver de nouvelles recettes ? Aurons-nous l’imagination et le courage nécessaires pour répondre aux demandes de nos populations et à celles des soignants et rééquilibrer les comptes ?
La sécurité sociale fêtera ses quatre-vingts ans au mois d’octobre prochain. Elle fut créée dans l’élan de la Libération, à une époque où notre pays avait peu de moyens, mais beaucoup d’ambition collective. À nous d’être à la hauteur de cet héritage. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2024 nous offre une double opportunité : exercer notre devoir de contrôle parlementaire sur la sincérité et la qualité des comptes publics, mais aussi poser un regard lucide sur les difficultés systémiques qui fragilisent notre modèle social.
Je salue bien évidemment le travail de Mme la rapporteure générale et des rapporteurs des branches, dont les travaux contribuent à expliciter ce texte technique.
Commençons par souligner les évolutions positives que nous constatons. Elles concernent principalement la forme, mais elles ne sont pas anecdotiques.
Nous saluons en particulier l’amélioration significative de la qualité des annexes, en particulier des rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss). Ceux-ci, désormais plus lisibles, permettent une lecture plus opérationnelle des effets réels des politiques menées. L’amélioration de la lisibilité et de la cohérence des indicateurs est la bienvenue.
De même, l’annexe relative aux niches sociales que la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale impose d’évaluer de manière approfondie tous les trois ans commence à trouver sa place. Certes, cette mise en œuvre reste partielle et le rythme de l’évaluation demeure inégal, mais nous devons reconnaître que de véritables progrès ont été réalisés. Nous avons appelé de nos vœux une telle dynamique lors de l’examen des projets de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) précédents, nous sommes satisfaits de constater que nos alertes ont été entendues.
Ces avancées participent à une meilleure information du Parlement et, plus largement, des citoyens sur l’utilisation des ressources sociales, ainsi que sur l’efficacité des dispositifs mis en place. Elles constituent un préalable indispensable à tout pilotage réformateur des comptes sociaux.
Élisabeth Doineau, Mme et M. les ministres ont déjà abordé le sujet, mais je tiens à insister à mon tour sur le recouvrement des indus frauduleux dans la branche famille, plus particulièrement à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Ce sujet technique est en réalité un marqueur puissant des limites actuelles de notre politique sociale et budgétaire, notamment en ce qui concerne le pilotage.
En effet, l’incapacité de la Cour des comptes à certifier les comptes de la branche famille pour la deuxième année consécutive n’est pas un simple incident comptable. C’est un signal d’alarme, qui met en cause la fiabilité même de l’information budgétaire sur laquelle nous sommes censés fonder notre vote. Comment, dans ces conditions, valider un texte sans avoir la garantie que les chiffres qu’il contient sont sincères ?
Ces dysfonctionnements se doublent d’un problème d’efficacité. En 2023, le montant total des indus frauduleux et non frauduleux dans la branche famille s’élève à 4,2 milliards d’euros – excusez du peu ! Pourtant, seuls 400 millions d’euros d’indus frauduleux ont été détectés et seuls 300 millions d’euros ont été mis en recouvrement, soit moins de 10 % du volume total.
Cette disproportion témoigne d’un déficit structurel de notre capacité à prévenir et à corriger les fraudes. Le problème ne cesse de s’aggraver. Le nombre d’indus frauduleux liés à l’allocation aux adultes handicapés, en hausse de 558 % entre 2020 et 2024, a explosé. Pour ceux qui sont liés à la prime d’activité, l’augmentation atteint 144 %. Il est évident que le système actuel ne permet pas un traitement suffisamment rapide ni homogène des situations frauduleuses.
La procédure de qualification d’une fraude, lourde, nécessite de réunir trois éléments : la violation de la loi, l’intentionnalité et l’obtention indue des allocations. Les délais sont ainsi allongés. Résultat, il faut en moyenne 20 mois pour traiter un indu frauduleux, contre 4,4 mois pour un indu non frauduleux. Cette différence n’est pas acceptable.
Par ailleurs, les disparités territoriales sont choquantes. Les taux de recouvrement varient de 50,7 % à 94,6 % selon les caisses d’allocations familiales, soit un écart de 44 points. Ces écarts nuisent à la crédibilité de l’action publique et alimentent le sentiment d’injustice.
Pour autant, le rapport coût-efficacité du dispositif reste favorable. En 2023, les 3 336 équivalents temps plein mobilisés pour les contrôles ont permis de récupérer en moyenne 3,1 millions d’euros chacun, avec un ratio de 53 euros recouvrés pour 1 euro investi. Il s’agit donc non pas d’un problème de volonté, mais bien d’un problème d’organisation, de moyens et de pilotage.
Je formule donc trois recommandations structurantes, à la croisée de la rigueur budgétaire et de l’équité sociale.
Premièrement, il faut harmoniser les pratiques territoriales et professionnaliser les acteurs. Cela implique de renforcer l’accompagnement des caisses d’allocations familiales (CAF) les moins performantes, mais aussi de créer une certification obligatoire des gestionnaires de fraude et d’organiser des formations continues.
Deuxièmement, nous devons accélérer la modernisation informatique. Le déploiement du nouveau système Corali enrichi d’outils de data mining est essentiel. L’intégration de solutions d’intelligence artificielle doit aussi être envisagée pour accroître l’efficacité de la détection.
La modernisation doit aller de pair avec une révision des seuils économiques : nous préconisons de rehausser le seuil en deçà duquel les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale sont autorisés à abandonner la mise en recouvrement de leurs créances, actuellement fixé à 1,27 % du plafond mensuel de sécurité sociale en vigueur, à 5,3 %, soit 209 euros.
Troisièmement, il faut étudier l’extension du dispositif de solidarité à la source, généralisé à partir de mars 2025 pour le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité. Préremplir les données des allocataires permet de prévenir les erreurs et les fraudes. Étendre ce mécanisme à d’autres prestations renforcerait la fiabilité des comptes et la transparence des droits.
Ces propositions s’inscrivent dans un contexte plus large de fragilité des comptes sociaux. Ainsi que cela a été indiqué, le déficit global de la sécurité sociale s’élève à 15,3 milliards d’euros, dont 13,8 milliards d’euros concernent la seule branche maladie. Ce chiffre reflète un double échec : une dérive des dépenses et une surestimation chronique des recettes. La moins-value de 3,7 milliards d’euros de recettes, dont 2,2 milliards d’euros sont dus à de moindres recettes de TVA, traduit une perte de maîtrise. Ces chiffres ne sont pas abstraits, ils signalent l’échec des logiques de pilotage.
Le Haut Conseil des finances publiques a lui-même pointé, au mois d’avril dernier, le trop grand optimisme des hypothèses gouvernementales. Sans doute la chaîne de prévision, de programmation et de maîtrise doit-elle être reconsidérée.
La Cnaf continue quant à elle d’accuser un taux d’erreur résiduel élevé, la Cour des comptes soulignant une dégradation continue de la qualité de ses comptes depuis 2020. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les montants en jeu sont massifs et que les ménages les plus vulnérables sont les premiers concernés.
Nous devons cesser de considérer les textes de certification comme de simples formalités. Ils doivent redevenir ce qu’ils sont censés être : un moment de vérité budgétaire et de responsabilité politique.
En conséquence, bien que les progrès formels de la qualité des documents soient réels, notamment en ce qui concerne les annexes et les Repss, ils ne peuvent faire oublier que la sincérité des comptes de la branche famille n’est toujours pas garantie et que le déficit social continue de se creuser.
Le groupe Union Centriste, fidèle à sa ligne de responsabilité, ne peut donc pas voter en faveur du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2024.
Il ne s’agit pas d’un rejet de principe. Ce refus est l’expression d’une exigence de rigueur, de sincérité et d’efficacité dans la gestion de notre protection sociale. Nous appelons à un sursaut pour restaurer la confiance des citoyens, garantir l’équité entre allocataires et remettre nos comptes sociaux sur une trajectoire soutenable. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Corinne Bourcier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous examinons le troisième projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, dont l’objectif affiché est d’améliorer la transparence, l’information et la qualité du débat avant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’exercice suivant.
Malgré d’incontestables améliorations depuis les exercices précédents, la commission des affaires sociales a considéré à juste titre que les lacunes du Placss 2024 demeuraient trop importantes pour permettre son adoption.
Il est ainsi constaté un déficit plus important que prévu, qui repart à la hausse notamment en raison de la revalorisation des prestations indexées, mais aussi à cause de recettes moindres, notamment de TVA, les prévisions reposant sur l’hypothèse optimiste d’une croissance des recettes supérieure à celle de leur base taxable.
Plus généralement, les travaux de la commission des affaires sociales ont démontré une inquiétante absence de maîtrise des comptes sociaux. Sans nouvelles mesures, la situation continuera de se dégrader, même si l’on retient les hypothèses de croissance du Gouvernement, pour atteindre un déficit proche de 25 milliards d’euros en 2029.
Comme l’année dernière, le rapport comprend des contributions des rapporteurs des branches. Je me suis naturellement penchée sur la branche vieillesse, pour laquelle la Cour des comptes maintient ses réserves, mais mentionne des progrès. Ainsi, une prestation de retraite sur dix attribuées à d’anciens salariés comporte une erreur financière, contre une sur huit en 2023.
Cette année, j’ai souhaité approfondir la question des inégalités de pension de retraite entre les femmes et les hommes. La Cour des comptes avait en effet insisté sur la nécessité de renforcer l’équité inter- et intragénérationnelle dans les paramètres de notre système de retraite.
Je me réjouis tout d’abord de la réduction progressive de l’écart de pension entre les hommes et les femmes. Il était de 54 % pour la génération née en 1930 ; il est de 37 % en 2021. Cette réduction est le fait d’une meilleure insertion des femmes sur le marché du travail, d’une hausse de leurs qualifications et, bien sûr, de leurs rémunérations.
Pour autant, l’éducation des enfants incombe encore prioritairement aux femmes. À ce rôle s’ajoute désormais dans notre société vieillissante celui d’aidant familial, ce qui les conduit souvent à opter pour une activité à temps partiel.
Vous le savez, mes chers collègues, le niveau des pensions de retraite des régimes de base et du régime général dépend à la fois du revenu d’activité et de la durée d’assurance validée. Le recours au temps partiel atténue ainsi la durée de cotisation et amoindrit le revenu perçu, surtout lorsque l’on y recourt en fin de carrière, au moment où le revenu d’activité est le plus élevé.
Ces réalités sociales expliquent qu’en 2021 les femmes représentaient 73 % des bénéficiaires du minimum contributif du régime général et 56 % des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ces deux mécanismes leur garantissant un revenu minimum.
Les écarts de pension de retraite contribuent à la paupérisation des femmes, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. Fort heureusement, des mécanismes visent à corriger ces inégalités, comme la pension de réversion, dont 88 % des bénéficiaires sont des femmes, ou encore les droits familiaux pour compenser l’éducation des enfants dans le calcul des pensions de retraite.
S’il faut se féliciter de la réelle plus-value de ces mécanismes, rappelons toutefois que les inégalités de carrière entre les sexes pénalisent les femmes dans l’accès aux dispositifs du départ anticipé à la retraite et du cumul emploi-retraite, tous deux renforcés lors de la réforme des retraites du 14 avril 2023.
En effet, la carrière fragmentée des femmes constitue un obstacle à la validation de la durée d’assurance légale ouvrant droit aux dispositifs de départ anticipé à la retraite pour carrière longue, même si elles ont commencé à travailler tôt. Les femmes sont surreprésentées parmi les retraitées en situation de cumul emploi-retraite ayant les pensions les plus modestes.
En ma qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, je ne peux qu’encourager à poursuivre les efforts afin d’atteindre l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes qui, je le rappelle, s’étend aux retraites.
J’ai ainsi formulé trois propositions en ce sens.
La première consiste à privilégier le recours à la majoration de pension sur la validation de trimestres pour compenser les pertes de trimestres et de salaires liées aux interruptions de carrière.
Les deux suivantes s’inscrivent dans une réforme du dispositif de départ anticipé à la retraite, afin que le temps partiel y soit mieux pris en compte et que les trimestres de majoration pour l’éducation des enfants soient comptabilisés dans la durée d’assurance requise pour pouvoir bénéficier de ce dispositif.
En attendant la concrétisation de ces propositions, le groupe Les Républicains votera contre le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2024. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)