M. Roger Karoutchi. Ah oui !
M. Yannick Jadot. Seulement 28 % des parlementaires de droite estimaient alors que le réchauffement climatique était une certitude scientifique, d'origine humaine, et que les désordres du climat étaient causés par l'effet de serre. Il s'agit là des fondements scientifiques de nos débats !
C'était en 2020. En 2025, avec 143 parlementaires d'extrême droite à l'Assemblée nationale, j'ose à peine imaginer quel serait le résultat d'une telle enquête auprès de ces partenaires de votre régression écologique. Je suis d'avance terrifié à la perspective d'une étude qui chercherait à établir votre perception du lien entre pesticides et santé. Au pays de Descartes et de Pasteur, comment accepter un tel recul de la raison, une telle négation de la science ?
Cette loi que vous vous apprêtez à voter est en vérité une loi trumpiste, (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) faite de déni scientifique et de rupture démocratique.
Oui, une loi de déni scientifique, lorsque vous réautorisez des pesticides interdits en niant leurs effets dramatiques sur la santé. Les néonicotinoïdes ne sont pas seulement des tueurs de pollinisateurs, dont dépendent 84 % des espèces végétales cultivées en Europe. Leurs conséquences sur la santé humaine, et d'abord sur celle des agriculteurs, sont établies : cancer de la prostate, lymphome, cancers pédiatriques, maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson, infections pulmonaires… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
D'ailleurs, votre réaction à propos de ces maladies en dit long. Et dire que nous entendions tout à l'heure un ministre de la santé affirmer qu'il n'y a pas de certitude sur les dégâts des pesticides sur la santé !
M. Rémy Pointereau. Il a raison !
M. Yannick Jadot. Vous vous inscrivez bien dans cette logique antiscience : des milliers de scientifiques et d'experts établissent ce lien et vous le niez. Merci de cette confirmation ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Déni scientifique, encore, lorsque vous attaquez la science et ses institutions, comme l'Anses et l'Inrae. Vous avez échoué, cette fois-ci, à soumettre leur agenda de travail aux intérêts de l'agrochimie, mais jusqu'à quand ? Vous avez humilié, mais échoué à saborder l'Office français de la biodiversité. Jusqu'à quand ?
M. Jean-Jacques Panunzi. Cela ne tardera plus !
M. Yannick Jadot. Madame la ministre, mes chers collègues, avec les mêmes arguments que ceux que vous brandissez sans cesse ici et à l'Assemblée nationale, vos prédécesseurs ont retardé l'interdiction du chlordécone et de l'amiante. Combien de morts depuis lors ? Combien de malades ? Combien de vies brisées ?
Ne soyez pas trop vite rassurés au motif qu'aucun responsable politique n'a jamais été condamné pour les décisions prises à l'époque. Les malades ne vous pardonneront pas et vous devrez rendre des comptes.
Et je ne parle pas des mégabassines en pleine canicule, en pleine sécheresse. (Exclamations sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Il n'y a pas d'eau magique, une eau qui existerait comme par enchantement et que l'on pourrait ponctionner parce qu'elle ne servirait ni pour les écosystèmes, ni pour l'eau potable. Cela n'existe pas. Ces mégabassines ne sont construites en outre que pour quelques dizaines d'irrigants.
Je ne parle pas des fermes-usines, bâties sans évaluation sanitaire et environnementale, pour à peine 3 % des éleveurs. À chaque fois, vos mesures profitent à une petite minorité de la profession, mais servent d'abord l'agro-industrie, l'agrochimie et l'agroalimentaire, au détriment de tous les autres.
Quel mépris, pardon, pour les paysans qui souffrent de revenus indignes, au nom desquels vous prétendez parler, mais qu'aucune mesure de cette loi ne vient aider ou soulager ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Pensez-vous sérieusement que le déni climatique et sanitaire va les aider, eux qui en sont les premières victimes ?
Quelle sera la prochaine étape ? Comme Donald Trump, interdirez-vous dans les documents officiels concernant l'agriculture les mots « cancer », « lymphome », « Parkinson », « suicide », « pollution », « souffrance animale » ou « agroécologie » ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, cette loi est une loi de rupture démocratique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Rien que ça !
M. Yannick Jadot. Les Français veulent une agriculture nourricière et de qualité, avec de nombreux paysans, une agriculture en accord avec la nature. Vous leur proposez la concentration, l'agrandissement, la chimie, l'obscurantisme scientifique, une agriculture contre la nature.
Combien de temps croyez-vous pouvoir encore bénéficier de leur soutien indéfectible ?
Vous avez choisi cette loi. Vous avez choisi de courir après l'extrême droite et la Coordination rurale. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous avez choisi de renforcer un modèle qui élimine 100 000 fermes par décennie. C'est votre modèle, celui qui laisse les agriculteurs sur le carreau, un modèle qui empoisonne les sols, l'eau et les organismes (Mêmes mouvements.).
M. Yannick Jadot. Alors, pour une minorité, pour l'agro-industrie, pour l'agrochimie et pour l'agroalimentaire, vous boirez le champagne ce soir,…
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue, c'est terminé.
M. Yannick Jadot. … mais tous les autres auront la gueule de bois ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, et conformément aux positions que nous avons tenues tout au long du débat, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous ne voterons pas ce texte, car il n'est qu'un leurre, une illusion de réponse à un problème réel.
Personne ne peut nier la crise structurelle que traverse l'agriculture française. De nombreux paysans ne parviennent pas à vivre de leur travail, la mondialisation déloyale met à mal plusieurs de nos filières et le changement climatique bouleverse les méthodes de production.
Je le déplore, mais ce texte n'améliorera en aucun cas les conditions de vie des agriculteurs. Rien, dans ses dispositions, ne garantit un revenu digne. Alors qu'il conviendrait de revoir les aides de la PAC et leurs modalités d'attribution, de mettre en place des clauses miroirs ou de réformer le foncier, il n'en est rien.
Le monde paysan ne mérite pas que l'on se serve de lui et de sa colère pour satisfaire les souhaits de l'ultraproductivisme chimique. (M. Laurent Burgoa s'esclaffe.)
L'argument fondé sur le mythe du « bon sens paysan », selon lequel les agriculteurs seraient les seuls à savoir ce qui est bon ou ne l'est pas, ne tient pas. Les slogans du type « Fichez-nous la paix ! » sont des cartes d'immunité faciles et simplistes qui noient le débat.
Ne nous faites pas passer pour ceux qui stigmatiseraient les agriculteurs : j'en ai été un, vous le savez, je connais la réalité du métier, ses difficultés, les satisfactions qu'il procure et les contraintes qu'il engendre. C'est un beau métier, exercé par des professionnels dévoués, mais le bon sens paysan n'existe pas. Dès lors, il faut élargir le débat.
L'idée selon laquelle ce texte ne concernerait que les agriculteurs est tout aussi fausse. Le débat agricole doit être un débat citoyen. Le monde paysan ne représente que 5 % des Français ; en ce sens, je ne peux me résoudre à ce qu'un seul syndicat et ses relais dictent leur vision à la société. L'agriculture est la clef de notre alimentation, de notre santé, de nos paysages, de notre biodiversité et de notre eau. Pour toutes ces raisons, chacun doit y prendre sa part.
Le plus dramatique dans cette initiative législative tient au danger majeur qu'elle représente pour l'environnement et la santé publique.
Ces derniers jours, des rassemblements d'opposition ont eu lieu dans toute la France. Peut-être ont-ils eu moins de résonance médiatique du fait qu'aucune permanence parlementaire n'ait été cassée ? Ils sont tout au moins des exemples criants de l'opposition de la société à ce projet. Personne ne veut le retour des pesticides.
Ce texte n'apporte pas de bonnes réponses ; pis, il contribuera à enfoncer un peu plus l'agriculture dans un modèle dépassé, incapable d'assurer sa viabilité à long terme. Ses dispositions consacrent une agriculture du passé, ultraproductiviste, chimique et tournée vers le gigantisme.
Sur le fond, nous ne distinguons que peu de motifs de satisfaction, pour ne pas dire aucun.
M. Laurent Duplomb. On a compris !
M. Jean-Claude Tissot. L'Anses échappe pour l'heure à une réforme qui l'aurait obligée à prioriser les homologations de produits phytosanitaires sur la base de critères économiques, mais la simple tentative d'affaiblir son indépendance témoigne de l'esprit général de ce texte.
Cette proposition de loi n'est qu'une succession de dispositions toxiques et rétrogrades : réautorisation des néonicotinoïdes, assouplissement des règles encadrant l'usage des pesticides, simplification du régime d'autorisation environnementale pour les élevages industriels, déclaration d'intérêt général majeur pour les mégabassines.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Jean-Claude Tissot. À ce stade avancé des débats, je souhaite relever des croyances qui ont été largement mises en avant, à commencer par le mythe de l'unité du monde agricole. Il a été insinué à plusieurs reprises que l'ensemble des agriculteurs souhaiteraient ce texte, ainsi que le retour des pesticides et des néonicotinoïdes.
M. Laurent Duplomb. Pas ceux de la Confédération paysanne, mais s'agit-il encore d'un syndicat agricole ?
M. Jean-Claude Tissot. C'est faux et archifaux. Ayez le courage de reconnaître que ce texte ne sert les intérêts que d'une minorité. Un pan entier de la profession s'insurge, mais celui-ci n'est ni considéré ni écouté.
Nous ne cessons de le répéter, et je l'ai encore fait cette après-midi en séance de questions d'actualité au Gouvernement, l'exposition aux pesticides est associée à la survenue de cancers chez les adultes comme chez les enfants, de maladies pulmonaires et de maladies neurodégénératives.
L'exposition des femmes enceintes est associée à une baisse du quotient intellectuel des nouveau-nés. Nous savons désormais que ces produits peuvent même être retrouvés dans l'eau de pluie, comme cela a été prouvé au Japon.
Chacun est libre d'interpréter les données scientifiques, c'est vrai, mais l'interprétation que certains d'entre vous font de ces faits vous responsabilise pour l'avenir : personne ne pourra dire qu'il ne savait pas, personne ne pourra dire que nous n'avions pas le recul nécessaire.
Dans dix, vingt ou trente ans, quand des générations entières subiront cancers et infertilité, vous serez les responsables. Vous devrez regarder vos enfants et vos petits-enfants dans les yeux et vous expliquer. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce n'est qu'une maigre consolation, mais, de notre côté, nous aurons notre conscience pour nous et nous aurons fait notre travail.
Un autre chemin est possible pour l'agriculture, soyez-en convaincus. Donnons-nous les moyens de changer de modèle et d'acter la transition agroécologique.
Comme je l'indiquais au début de mon propos, notre groupe votera résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
M. Vincent Louault. Et maintenant, un peu de tempérance ! (Sourires sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 1er novembre 2024, MM. Laurent Duplomb et Franck Menonville ont déposé leur texte pour tenter de répondre à la colère des agriculteurs. Je les en remercie.
Malgré les excès de la première version, je les ai rejoints après qu'ils ont accepté d'en modifier le titre, passant de la « lutte contre les entraves » à la nécessité de « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ».
Nous sommes partis bien seuls, pour finir avec au moins 180 cosignataires dans cette assemblée, qui nous ont fait confiance. Nous avons enfin reconnu la nécessité de nous saisir de cette occasion de réaliser des avancées juridiques pour améliorer et sauver nos filières françaises.
Que de chemin parcouru, mes chers collègues ! C'est une illustration du travail parlementaire et de notre capacité à travailler en bonne intelligence.
Ce texte apporte des solutions nécessaires, pragmatiques, strictement encadrées et mesurées. Il représente la prise de conscience de la difficulté de revenir sur des interdictions idéologiques, comme l'a rappelé madame la ministre, amplifiées par une instrumentalisation politique dont le seul objectif est de sauver des sièges électoraux. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Ce serait beaucoup plus facile en se rangeant du côté de la FNSEA, je vous le promets !
M. Vincent Louault. Les marchands de peur ont réussi à détourner l'opinion publique du vrai problème : dans dix ans, nous n'aurons plus assez d'agriculteurs pour nourrir les Français avec des produits sains et durables.
L'instrumentalisation politique, c'est faire croire que nous, agriculteurs, ne souhaitons pas un monde meilleur pour nos enfants. Imaginez dire à des gens qui vivent par et pour leur environnement qu'ils sont de méchants pollueurs, voire, comme nous l'avons entendu tout à l'heure, des assassins ! Il faut mettre un terme à ces caricatures !
Nous partageons tous le même constat concernant l'environnement, et les agriculteurs sont les premiers confrontés au changement climatique.
M. Daniel Salmon. Et au cancer !
M. Vincent Louault. Oui, nous voulons tous que nos enfants vivent dans un monde meilleur.
Pour autant, une ambition largement partagée ne peut se traduire par des interdictions guidées par l'émotion, par un détournement des études scientifiques à des fins politiques, et ce sans aucune étude d'impact socio-économique.
M. Jean-Claude Tissot. Et les scientifiques ?
M. Vincent Louault. Si nous n'avons plus d'agriculteurs, nos enfants vivront d'une nourriture massivement importée d'Asie ou d'Amérique du Sud, qui sont bien loin, pour le coup, de respecter nos normes environnementales.
Une telle ambition ne peut non plus se traduire par le blocage de toute innovation. Tous les jours, nous entendons vos peurs : peur des drones, peur des nouvelles technologies génomiques (NGT)… De votre côté de l'hémicycle, mes chers collègues de gauche, on a peur de tout !
M. Laurent Duplomb. Mais nous, nous n'avons pas peur de vous !
M. Vincent Louault. Qu'est-ce que l'interdiction idéologique ? C'est interdire aux agriculteurs d'utiliser des néonicotinoïdes, alors que leur usage dans les colliers pour chiens et chats ou pour tuer les punaises de lit et les fourmis ne dérange personne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) ; c'est interdire l'utilisation des drones en agriculture, mais les autoriser autour des villes pour protéger les populations des moustiques-tigres, sans parler des hélicoptères sur les zones humides du sud de la France ; c'est interdire l'utilisation des NGT, alors que l'on se félicite d'un prix Nobel pour la découverte du ciseau génétique ; c'est, enfin, interdire le stockage de l'eau, dire que les étangs sont des mégabassines…
M. Daniel Salmon. C'est une blague !
M. Vincent Louault. … et prétendre que stocker, c'est accaparer, alors même qu'il faudrait encourager l'installation de récupérateurs d'eau de pluie chez les particuliers.
Amalgames, excès, idéologie de la décroissance… Les agriculteurs n'en peuvent plus de toutes vos incohérences. Ils n'en peuvent plus de passer pour des méchants, alors qu'ils ont choisi ce métier pour le sens qu'il porte et non pour l'argent,…
M. Daniel Salmon. Nous aussi !
M. Vincent Louault. … pour vivre avec et pour la nature, dans le seul but d'assurer la sécurité alimentaire de ce pays.
Aujourd'hui, je vous remercie, mes chers collègues, de nous faire confiance. Je n'ai pas honte, bien au contraire, d'avoir participé à l'élaboration de ce texte.
En ma qualité de sénateur et d'agriculteur, il était de mon droit de travailler sur cette proposition de loi, n'en déplaise à certains. Imaginez les travaux parlementaires sur les textes relatifs à la justice sans la participation des sénateurs avocats, ou les débats sur la médecine ou la fin de vie sans la réflexion des sénateurs médecins.
Cessons de tout caricaturer et arrêtons, une bonne fois pour toutes, d'opposer agriculture et environnement. Nous avons entendu toutes ces âneries !
Mes chers collègues, je ne peux conclure mon propos sans saluer Mme la ministre de l'agriculture. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST et SER. – Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cela vous fait mal, mais ce n'est pas grave ! Son courage et sa constante liberté de parole n'ont pas toujours été faciles à tenir face à certains membres du Gouvernement.
M. Daniel Salmon. C'était la liberté de porter la parole de la FNSEA !
M. Vincent Louault. Le travail en CMP fut long, plus de cinq heures, mais il a permis des concessions de part et d'autre pour aboutir à un texte d'équilibre.
Un seul regret : nous passons à côté d'une véritable protection des zones humides. Ne classons pas 25 % de notre pays en zone humide, sans quoi nous finirions par devoir y inclure de nouveau le quartier du Marais, à Paris ! Cela, c'est pour vous, monsieur Jadot ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Nous voterons bien évidemment ce texte et nous pouvons nous applaudir et vous applaudir, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements précédemment adoptés par le Sénat.
J'ai été saisie de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe Les Républicains, la deuxième, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et, la troisième, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 335 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 232 |
Contre | 103 |
Le Sénat a adopté définitivement.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. Mme Anne-Sophie Patru et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, présentée par Mme Isabelle Florennes et plusieurs de ses collègues (proposition n° 300, texte de la commission n° 785, rapport n° 784).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Florennes, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Isabelle Florennes, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui est soumise à votre examen aujourd'hui est « essentielle » et « très attendue », pour reprendre les mots de Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT).
Je remercie les cosignataires de ce texte. Ces derniers étant issus de l'ensemble des groupes de notre assemblée, leur signature confère à ce texte un caractère transpartisan d'autant plus essentiel qu'il constitue la consécration d'une démarche inédite, j'oserais même dire historique, en matière de dialogue social entre les employeurs territoriaux et les organisations syndicales.
Conformément aux obligations instaurées par l'ordonnance du 17 février 2021 relative à la protection sociale complémentaire dans la fonction publique, cette proposition de loi permettra la transposition, sous forme législative, de l'accord collectif national du 11 juillet 2023, premier accord collectif conclu pour la fonction publique territoriale.
Celui-ci pose le principe de la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire en matière de protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance. Il fixe le montant de la participation minimale de l'employeur au financement de la protection sociale complémentaire en prévoyance à la moitié de la cotisation individuelle prévue au contrat ouvrant droit aux garanties minimales.
Fruit d'un processus de négociation collective long de dix mois, cet accord a été rendu possible par l'esprit de responsabilité dont chaque participant a su faire preuve, en ayant toujours comme objectif d'améliorer la protection des agents territoriaux, tout en préservant la capacité de l'action publique locale.
La généralisation de l'adhésion obligatoire à un contrat de prévoyance concerne 38 000 employeurs et 1,9 million d'agents, mais aussi toutes celles et tous ceux qui veulent travailler dans une collectivité locale. C'est donc un enjeu majeur pour l'attractivité de la fonction publique territoriale.
Dans un rapport publié en décembre dernier – Travailler dans la fonction publique : le défi de l'attractivité –, France Stratégie relève que 64 % des collectivités territoriales rencontrent des difficultés à recruter. Au regard de la baisse du nombre d'inscrits aux derniers concours de la fonction publique territoriale, il nous faut hélas ! constater que cette tendance se poursuit.
Afin d'attirer de futurs agents, il est donc plus que temps d'offrir aux fonctionnaires la possibilité d'adhérer à un contrat de prévoyance, comme le secteur privé le propose depuis plusieurs années.
En octobre 2023, la fonction publique d'État a pour sa part conclu un accord interministériel sur la prévoyance, transposé aussitôt dans la loi de finances pour 2024.
Si j'indiquais au début de mon propos que cette proposition de loi est très attendue, c'est parce que l'accord collectif national que j'évoquais a été conclu voilà deux ans entre la coordination des employeurs territoriaux (CET) et l'ensemble des organisations syndicales représentatives de la fonction publique territoriale.
L'énoncé de la liste des signataires de cet accord suffira à vous convaincre de son importance et de son caractère unique : l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'Association des maires ruraux de France (AMRF), l'Association des petites villes de France (APVF), l'Assemblée des départements de France (ADF), la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG) France urbaine, Intercommunalités de France, l'association Villes de France et le collège employeur du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Je salue les représentants présents en tribune de certaines de ces neuf institutions que compte la coordination des employeurs territoriaux.
Je salue également les représentants, eux aussi présents, de la Confédération générale du travail (CGT). Cette organisation syndicale est signataire de l'accord, de même que la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Force ouvrière (FO), la Fédération syndicale unitaire (FSU) ainsi que l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa).
Cette énumération des structures parties prenantes à l'accord montre qu'il s'agit sans nul doute d'un acte sensé, mesuré et calibré.
Comme je l'indiquais, la présente proposition de loi a pour objectif de donner une assise législative à l'accord collectif de 2023.
L'article 1er intègre au code général de la fonction publique la suppression du recours à la procédure de labellisation, tandis que l'article 2 prévoit la mise en place de l'obligation de généralisation des contrats de prévoyance.
L'article 3 définit la participation minimale des employeurs territoriaux à la complémentaire, en fixant ce montant à la moitié de la cotisation par l'employeur.
À l'article 4, je soutiendrai l'amendement n° 7 du Gouvernement visant à rétablir la version initiale du texte déposé par mes soins, laquelle sécurise les droits des agents territoriaux en fixant un cadre à la fois propice à une répartition équilibrée des risques et suffisamment concurrentiel pour optimiser l'effort de participation des employeurs. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, cet amendement vise à instaurer le pluralisme nécessaire à une concurrence saine et utile pour les collectivités, comme je le proposais. Tel est l'objet de l'article 4 et de l'amendement n° 7.
L'article 5 vise à instaurer, à titre transitoire, un régime dérogatoire pour les agents qui se trouveraient en arrêt de travail à la date de mise en œuvre du contrat collectif.
Il me paraît enfin raisonnable, comme le prévoit l'article 6, de reporter la date d'entrée en vigueur de la généralisation de ces contrats au 1er janvier 2029 afin de laisser aux collectivités un temps suffisant pour conclure de nouveaux contrats.
En conclusion, je tiens à remercier M. le ministre pour son engagement sur ce sujet, Mme le rapporteur pour son travail et l'ensemble des parties prenantes pour leurs actions en faveur de la fonction publique territoriale et de la protection de ses agents. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, pour commencer, de rappeler quelques chiffres qui illustrent les spécificités de la fonction publique territoriale : près des trois quarts du 1,94 million d'agents de cette fonction publique relèvent de la catégorie C ; 45 % de l'ensemble des agents territoriaux occupent des emplois dans la filière technique, qui se caractérisent par une plus forte pénibilité que les emplois d'autres filières ; la moyenne d'âge y est de 46 ans, soit trois ans de plus que dans la fonction publique d'État ; et le salaire médian y est de 1 947 euros, soit 600 euros de moins que dans la fonction publique d'État.
Ces particularités sont à l'origine d'une exposition plus forte non seulement aux risques d'incapacité de travail, d'invalidité, d'inaptitude ou de décès, mais également aux situations de précarité en cas d'arrêt de travail.
En effet, si un agent ne dispose pas d'une couverture complémentaire en matière de prévoyance, alors il ne bénéficie que des garanties de rémunération statutaires, soit un demi-traitement au bout de trois mois d'arrêt dans le cas d'un congé maladie. Or moins de la moitié des agents de la fonction publique territoriale sont aujourd'hui couverts par une protection complémentaire en matière de prévoyance.
Cette situation tient à plusieurs facteurs, dont le caractère facultatif de la participation de l'employeur comme de l'adhésion de l'agent aux contrats collectifs, une culture hétérogène de la prévention et une perception souvent lacunaire, y compris chez les agents eux-mêmes, des enjeux liés à la couverture du risque prévoyance.
Un décret de 2011 a certes prévu la possibilité, pour les collectivités territoriales, de participer au financement de la protection sociale complémentaire en santé et en prévoyance de leurs agents, qu'ils souscrivent à un contrat collectif ayant fait l'objet d'une convention entre la collectivité et un organisme d'assurance ou à un contrat individuel labellisé.
L'ordonnance du 17 février 2010 a ensuite renforcé le régime de protection sociale complémentaire des agents territoriaux, puisqu'elle a rendu obligatoire, à compter du 1er janvier 2025, la participation au financement de la protection sociale complémentaire en prévoyance. Cette participation a été fixée à 20 % d'un montant de référence, établi à 35 euros par le décret du 20 avril 2022. Depuis maintenant six mois, la participation obligatoire des collectivités locales en matière de prévoyance s'élève ainsi à 7 euros par mois et par agent.
Si l'ordonnance du 17 février 2021 a constitué une première étape, les employeurs territoriaux, réunis au sein de la coordination des employeurs territoriaux, et les organisations syndicales représentatives de la fonction publique territoriale ont souhaité aller plus loin. Ils ont ainsi lancé un processus national de négociation collective, qui s'est traduit par la conclusion d'un accord collectif national signé le 11 juillet 2023.
Cet accord a posé le principe de la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire en matière de protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance. Il a fixé le montant de la participation minimale de l'employeur à la moitié de la cotisation individuelle prévue au contrat ouvrant droit aux garanties minimales.
La généralisation de l'adhésion obligatoire aux contrats collectifs de prévoyance est en effet perçue comme une source d'optimisation à plusieurs titres.
Premièrement, en garantissant l'adhésion de tous les agents, le contrat collectif à adhésion obligatoire permet aux assureurs d'avoir une connaissance exhaustive de la population et, partant, des risques à couvrir. L'équilibre économique du contrat est de ce fait plus avantageux pour la collectivité comme pour les agents.
Deuxièmement, par la mutualisation maximale des risques, un tel contrat rend possible une meilleure couverture des agents territoriaux.
L'accord du 11 juillet 2023 ne peut toutefois être mis en œuvre en l'état, car certaines de ses dispositions appellent une transposition législative. Depuis juillet 2023, un texte législatif est donc attendu.
Tel est le contexte dans lequel, le 3 février 2025, notre collègue Isabelle Florennes a déposé cette proposition de loi.
Son article 1er tend à exclure le recours à la procédure de labellisation pour les contrats destinés à couvrir le risque prévoyance souscrits par les agents de la fonction publique territoriale. En conséquence, seuls les contrats collectifs seront éligibles à la participation financière des collectivités territoriales à la couverture prévoyance.
L'article 2 rend obligatoire l'adhésion des agents territoriaux aux contrats collectifs souscrits par leur employeur.
La combinaison des articles 1er et 2 instaure donc la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire en matière de prévoyance, telle que prévue par l'accord collectif national. Il reviendra à un décret en Conseil d'État de déterminer les cas de dispense d'adhésion à ce contrat.
La commission a adopté ces articles, modifiés par de simples amendements rédactionnels.
L'article 3 vise quant à lui à fixer le montant de la participation minimale des employeurs territoriaux à la complémentaire en prévoyance de leurs agents à la moitié du montant de la cotisation ou prime individuelle ouvrant droit au bénéfice des garanties minimales. Ce nouveau seuil, qui remplacera le taux minimal de 20 % que j'évoquais précédemment, traduit l'autre point essentiel de l'accord collectif national.
La modification des modalités de calcul comme du taux de participation de l'employeur paraît pertinente : d'une part, parce qu'il est davantage conforme à la réalité économique des contrats de prévoyance complémentaires de se fonder non pas sur un montant de référence défini par décret, mais sur la cotisation prévue au contrat ; d'autre part, parce que le relèvement de 20 % à 50 % du taux de participation contribuera à réduire le décalage important qui existe aujourd'hui entre le montant de la participation minimale de l'employeur – dont je rappelle qu'elle s'élève à 7 euros par mois et par agent – et le niveau de prime ou de cotisation permettant de couvrir les garanties minimales prévues par le décret du 20 avril 2022 qui s'établit en moyenne à 70 euros.
Ce décalage se traduit par un reste à charge élevé, ce qui n'est guère acceptable dès lors que l'agent doit obligatoirement souscrire à un contrat collectif.
Une telle mesure, très favorable aux agents, n'est naturellement pas sans conséquences sur les finances locales. Son coût total est évalué à 500 millions d'euros ; il convient toutefois de noter que ce chiffre inclut les efforts qui sont déjà fournis par les collectivités. Je rappelle à ce titre qu'un nombre non négligeable de collectivités territoriales et de centres de gestion ont d'ores et déjà négocié des accords collectifs locaux et conclu des contrats collectifs à adhésion obligatoire sur la base des stipulations de l'accord national.
La commission n'ignore pas non plus le contexte budgétaire marqué par l'augmentation de 12 points en quatre ans du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Ces contraintes ont conduit la commission à adopter, à l'article 6, le report au 1er janvier 2029 de l'entrée en vigueur de ce dispositif afin de lisser dans le temps l'effort demandé aux collectivités.
L'article 3 a été adopté par la commission après avoir été modifié par un amendement rédactionnel.
J'en viens à l'article 4, qui cristallise les débats au sein du monde mutualiste. Lors de l'examen des amendements, j'aurai l'occasion de revenir en détail sur les enjeux ayant motivé la rédaction adoptée par la commission.
Je souhaite toutefois rappeler sans attendre que les signataires de l'accord national collectif ont souhaité qu'en cas d'accord collectif à adhésion obligatoire, le nouvel organisme assureur prenne en charge les rechutes d'un arrêt de travail survenu avant la prise d'effet du contrat collectif.
Je précise aussi qu'en l'état du droit, et contrairement aux salariés du secteur privé, la prise en charge par l'organisme assureur avec lequel a été conclu un contrat collectif à adhésion obligatoire des suites d'états pathologiques survenus avant l'adhésion des agents au contrat visé n'est nullement garantie.
L'application de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dite loi Évin, aux cas de succession de contrats collectifs est actuellement source de contentieux qui se traduisent, pour les agents concernés, par des retards substantiels dans leur indemnisation lorsque deux organismes assureurs se renvoient la responsabilité de la prise en charge.
Il est enfin nécessaire de prévoir explicitement l'application de l'article 4 aux cas de succession entre un contrat individuel et un contrat collectif afin de parer aux interprétations qui pourraient être faites par certains organismes d'assurance, interprétations qui pourraient in fine desservir les agents.
Se fondant sur l'ensemble de ces considérations, la commission a adopté une rédaction de l'article 4 plus précise que la rédaction initiale. Celle-ci permet d'ancrer la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur le droit à prestation en cas de succession de contrats.
Ce faisant, l'objectif de la commission est bien de garantir aux agents la reprise de leurs droits en cas d'adhésion à un contrat collectif obligatoire.
L'article 5 vise à instaurer, à titre transitoire, un régime dérogatoire pour les agents se trouvant en arrêt de travail à la date de mise en place du premier contrat collectif à adhésion obligatoire. Pour ces agents, l'adhésion à ce contrat ne sera obligatoire qu'au bout de trente jours consécutifs d'exercice de leurs fonctions. Dans l'intervalle, ils pourront soit souscrire au contrat collectif, soit continuer de souscrire un contrat individuel labellisé de prévoyance. Dans tous les cas, ils bénéficieront de la participation financière de leur employeur dans les mêmes conditions que les agents ayant souscrit au contrat collectif à adhésion obligatoire.
Cet article traduit un point de l'accord collectif national. Il a été adopté par la commission après avoir été modifié par un amendement de précision.
L'article 6 détermine le régime d'entrée en vigueur des dispositions du texte. Dans sa version initiale, l'entrée en vigueur des dispositions des articles 1er à 3 était fixée au 1er janvier 2027 au plus tard. L'article 6 comportait en outre deux dispositions spécifiques visant les contrats collectifs en cours.
La commission a jugé peu réaliste le calendrier proposé par le texte initial, au regard du retard pris non seulement dans le dépôt, mais aussi dans l'inscription à l'ordre du jour des travaux du Parlement de l'examen ce texte, et compte tenu des délais inhérents à ce dernier, d'autant que la procédure accélérée n'ayant pas été engagée par le Gouvernement, une deuxième lecture devra probablement avoir lieu.
Afin de laisser le temps aux employeurs et aux organisations syndicales de préparer la mise en œuvre des dispositions relatives à la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire, mais également de tenir compte des prochaines échéances électorales locales, la commission a reporté au 1er janvier 2029 l'entrée en vigueur du texte pour les collectivités qui ne disposent pas, à l'heure actuelle, de contrats collectifs en complémentaire prévoyance. Elle a également adapté en conséquence les dispositions visant les contrats collectifs en cours.
L'article 7 vise enfin à assurer la recevabilité financière du texte. Je ne doute pas que le Gouvernement, qui a déjà eu l'occasion d'indiquer qu'il soutenait ce texte, lèvera le gage.
Cette proposition de loi constitue un préalable indispensable à la mise en œuvre des dispositions de l'accord national collectif.