Je pense au retrait des titres de séjour des parents lorsque leur enfant constitue une prétendue menace pour l'ordre public.

Je pense encore à la possibilité d'enfermer des enfants dans des unités familiales de rétention.

Ces mesures sont aussi inhumaines qu'inefficaces.

Les atteintes répétées au droit du sol à Mayotte depuis plusieurs années n'ont en rien endigué les flux migratoires ni amélioré la situation de l'île. Les droits fondamentaux ne peuvent être bafoués au nom de la lutte contre l'immigration et cette tâche ne peut dispenser l'État d'investir dans les services publics à Mayotte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà notre ambition : l'égalité de la République, l'égalité des chances, l'égalité des droits, l'égalité sociale, y compris quand on vit à Mayotte ou quand on y est né.

La CMP a permis des avancées notables, à commencer par la fin de la territorialisation des titres de séjour, demande largement partagée par les élus mahorais. Cette mesure d'exception bloquait trop de jeunes à Mayotte, piégés et sans solution pour étudier ou se former hors de l'île.

Je salue également la suppression par la CMP de l'article 19, qui permettait des expropriations dérogatoires. Cette victoire du Parlement, dans un contexte où les Mahorais font déjà face à une forte insécurité foncière, impose au Gouvernement de se conformer au droit commun en la matière.

De fait, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter de la situation du logement à Mayotte, où la moitié de la population vit dans des bidonvilles non raccordés, sans eau potable ni assainissement ou électricité.

En guise de réponse, le projet de loi facilite les destructions de bidonvilles, sans obligation pour l'État de reloger les familles. Il est pourtant évident que ces destructions ne résoudront en rien la crise du logement !

La lutte contre l'habitat indigne doit impérativement passer par une grande mobilisation de l'État pour la construction des logements sociaux qui font cruellement défaut à Mayotte. La reconstruction ne doit pas seulement obéir à l'urgence immédiate ; elle doit aussi être pensée en considérant l'avenir. C'est l'anticipation qui doit commander un tel projet de loi.

À cet égard, quelle part du texte aura été consacrée à l'adaptation au changement climatique ? Mayotte demeure impréparée à des phénomènes tels que les puissants cyclones que nous connaissons désormais ou la montée des eaux. Les dernières grandes marées ont pourtant provoqué d'importantes inondations. Rappelons que 80 % des constructions de l'archipel sont situées en zone littorale.

Nous regrettons que le projet de loi pour la refondation de Mayotte soit une occasion manquée de propulser ce territoire dans la transition énergétique, en le faisant bénéficier du développement des énergies renouvelables comme le solaire photovoltaïque.

Si la création d'une chambre d'agriculture et d'une chambre de la pêche va dans le bon sens, la grande précarité alimentaire que connaissent de nombreux Mahorais rend nécessaire de doter Mayotte de tous les moyens d'atteindre l'autonomie alimentaire. Il faut renforcer et diversifier les filières locales pour rompre avec la dépendance croissante de l'île aux importations de produits transformés de faible qualité.

Là où 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, où au moins un habitant sur deux a moins de 20 ans et où le Smic est toujours inférieur de 400 euros par rapport à la métropole, nous serons très attentifs à ce que l'alignement des prestations sociales promis par ce projet de loi soit bien effectif en 2031. Nous resterons tout aussi attentifs à ce que les promesses de construction d'écoles et d'un second hôpital soient tenues et traduites en engagements concrets, chiffrés, dans chaque loi de finances.

Le groupe CRCE-K s'abstiendra sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et votera pour le projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, Mayotte est une île exceptionnelle.

Oui, par sa nature luxuriante, ses mangroves profondes, ses lagons turquoise, ses récifs coralliens, ses tortues marines, ses forêts primaires, l'archipel de Mayotte est exceptionnel. C'est un trésor de biodiversité, un patrimoine naturel rare, qui devrait faire la fierté de la République.

Avant même le passage du cyclone Chido, ce patrimoine était déjà fragile et menacé par les effets conjoints du changement climatique, de l'urbanisation incontrôlée ou encore du plastique, qui a envahi ses côtes.

Aujourd'hui, dans ce projet de loi de refondation comme, d'ailleurs, dans la loi d'urgence, on en fait trop peu. Il n'y figure aucune stratégie de résilience écologique adaptée aux réalités insulaires de Mayotte. Quels enseignements tirons-nous de ce cyclone ?

Monsieur le ministre, vos projets de loi successifs ne répondent pas aux attentes des écologistes que nous sommes. Vous auriez pu proposer une réponse à la hauteur de l'exception, une réponse qui anticipe les prochaines fureurs climatiques et qui protège la faune et la flore, d'une richesse incroyable.

Le peuple mahorais, lui aussi, est exceptionnel. Il résiste. Malgré les ravages du cyclone, les toitures arrachées, le manque d'eau, les Mahorais trouvent la force de reconstruire, de s'entraider, de tenir debout. Ils sont résilients, mais combien de temps pourront-ils l'être encore ?

Mayotte est aussi, aujourd'hui, un territoire d'exception au sein même de notre République, par son niveau de pauvreté, par le manque criant d'accès aux droits, par les mesures dérogatoires que l'État y impose. Fin du droit du sol, multiplication des expulsions, violence administrative, contrôles au faciès, état d'urgence permanent : à Mayotte, le droit commun ne s'applique plus. L'île est devenue un laboratoire sécuritaire où l'on teste des lois que l'on n'oserait jamais appliquer ailleurs en France.

La commission mixte paritaire vient de le confirmer, en validant plusieurs dispositions régressives et profondément préoccupantes : le retrait du titre de séjour aux parents dont les enfants sont accusés de troubler l'ordre public, sans jugement individuel, dans une logique de punition collective que nous jugeons indigne ; une restriction supplémentaire de l'accès à la nationalité française par l'ajout de nouveaux justificatifs pour les enfants nés à Mayotte, affaiblissant encore le droit du sol déjà restreint sur l'île ; une accélération des démolitions de bidonvilles, dans un contexte où les solutions de relogement sont quasi inexistantes, au mépris du droit au logement et de la dignité humaine.

Autrement dit, la CMP entérine une refondation à double visage avec, certes, quelques avancées – je pense à la revalorisation du Smic ou encore aux investissements –, mais aussi un durcissement sécuritaire, une logique d'exclusion sociale, un renforcement des mesures dérogatoires. Alors que la situation appelle des réponses sociales, écologiques et humaines fortes, vous répondez par la répression.

Mayotte est française, mais elle est traitée comme une sous-France. Cette réalité est insupportable. Elle dit quelque chose de plus large sur la manière dont notre République oublie, relègue, exclut, sur la façon dont nous parlons d'universalité tout en pratiquant l'exception. Je crois en notre République, en l'État de droit, en ce qui fait que la France est exceptionnelle. Je ne veux pas d'exception sur son territoire.

La République est une et indivisible ou elle n'est pas ! Si nous voulons qu'elle soit vivante et vivace en métropole, elle doit aussi l'être à Mayotte. Il faut y garantir l'accès aux services publics, à la justice sociale, à la dignité humaine. Mayotte a besoin de plus de République : la vraie, celle qui soigne, celle qui protège, celle qui respecte.

C'est pourquoi, en responsabilité, nous voterons contre ce texte. Nous voterons, en revanche, en faveur du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes enfin arrivés à la fin du processus d'examen du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Ce texte était très attendu par la population après la catastrophe du cyclone Chido, qui a frappé lourdement notre archipel voilà maintenant près de sept mois.

J'avais exprimé très clairement mes principales revendications au début des discussions sur ce projet de loi : la suppression de l'article 19, qui instaurait un système dérogatoire du droit commun pour les expropriations ; la fin des cartes de séjour territorialisées ; la mise en œuvre de la convergence sociale dans des délais plus courts.

Il faut reconnaître que des avancées réelles ont été obtenues après des débats parlementaires parfois tendus avec le Gouvernement.

Nous avons obtenu la suppression de l'article 19 relatif aux expropriations, la fin des cartes de séjour territorialisées, dans un délai que j'estime trop long – en 2030 –, mais le processus est engagé. Sur la convergence sociale, une avancée limitée a été actée : l'augmentation du Smic dès 2026. Le bilan est, pour reprendre une expression célèbre, « globalement positif », notamment pour ce qui concerne les revendications prioritaires.

Je note aussi que, parmi les trente amendements que j'avais déposés sur le rapport annexé, c'est-à-dire le document de programmation, seize ont été retenus.

Pour ces raisons, je voterai le projet de loi. Toutefois, j'émets des réserves sur les dispositions qui limitent les droits fondamentaux des personnes et qui constituent des atteintes à nos principes républicains relatifs aux libertés publiques et aux droits de l'homme.

Je comprends les raisons qui conduisent les collègues de mon groupe à s'abstenir. D'autant que, s'agissant des dispositions censées permettre de lutter contre l'immigration clandestine, vous me permettrez de douter de leur efficacité. À l'occasion de la rédaction d'un rapport que j'ai publié, intitulé Mayotte : 25 ans de lutte contre l'immigration clandestine, j'ai pu mesurer l'échec de telles mesures. Vous avez été destinataire de ce bilan, monsieur le ministre d'État, et je vous invite à le lire très attentivement, car il s'appuie sur des données publiques non contestables.

Faire des lois c'est très bien, les évaluer c'est encore mieux. Il est indispensable de procéder à cette évaluation à Mayotte, un territoire atypique de la République dont les réalités sociales, culturelles, économiques et religieuses spécifiques sont très souvent incomprises par les administrations centrales.

Mayotte n'est pas lisible pour les fonctionnaires d'État, qui reproduisent de bonne foi des politiques publiques applicables dans l'Hexagone. Il nous appartient – nous, parlementaires élus de ces territoires – de faire remonter nos spécificités et d'ajuster les lois à ces réalités.

Enfin, je voudrais terminer mon propos par une alerte concernant la mise en œuvre de la programmation contenue dans le rapport annexé.

Nous serons très mobilisés sur le suivi des mesures et des moyens déployés, lequel doit se faire en toute transparence. L'administration se doit d'être exemplaire lors de la transmission des rapports et des données. Je déplore qu'il ait fallu, lors de la préparation de ce projet de loi, écrire trois courriers pour obtenir des données et réclamer plusieurs fois la transmission de rapports... Vous le savez, monsieur le ministre d'État, la défiance de la population mahoraise envers les autorités publiques est très importante. Or cette pratique de non-transmission des documents ne fait que l'alimenter.

Le suivi de l'application de cette loi doit être exemplaire. Elle représente sans doute la dernière chance de redonner confiance à la population mahoraise envers l'action publique, après la catastrophe du cyclone Chido.

Je vous demande, monsieur le ministre d'État, ainsi qu'au Gouvernement, d'être à la hauteur des enjeux de ce territoire. Faites tout pour ne pas décevoir la population mahoraise, très meurtrie après le passage de ce cyclone. Pour notre part, nous resterons très vigilants, voire très exigeants quant à l'application de cette loi. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Vote sur l'ensemble du projet de loi

M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 351 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 244
Pour l'adoption 228
Contre 16

(Le projet de loi est adopté définitivement.) (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc de la commission.)

Vote sur l'ensemble du projet de loi organique

M. le président. Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 352 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 278
Pour l'adoption 278

Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi organique.

La parole est à M. le ministre d'État.

M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je souhaite vous exprimer ma reconnaissance, car je suis très fier de l'adoption de ces projets de loi.

Je pense avant tout à Mayotte et aux Mahorais, lesquels attendent aujourd'hui plus que jamais, avec beaucoup d'exigence, la mise en œuvre de ces textes. Vous pouvez compter sur mon implication totale dans le suivi de ces mesures et je sais pouvoir compter sur le soutien du Sénat à cet égard.

Je vous remercie. Encore une fois, vous avez toute ma reconnaissance. (MM. Marc Laménie et Pierre-Antoine Levi applaudissent.)

4

Emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social

Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire sur un porjet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social (texte de la commission n° 839, rapport n° 838).

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire (CMP), réunie mardi soir sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social, est parvenue à un texte commun.

Celui-ci est conforme à la ligne tracée par la majorité sénatoriale : assurer une transposition fidèle et complète des mesures de l'accord national interprofessionnel (ANI) nécessitant l'intervention du législateur.

En effet, le respect de la parole des partenaires sociaux imposait aux deux rapporteurs de ce texte de se limiter à la stricte retranscription des mesures contenues dans l'accord. Le Gouvernement s'y était engagé, le Parlement y a veillé, jusque très tard hier soir. Nous aboutissons à un texte qui a d'ores et déjà été salué par l'ensemble des partenaires sociaux.

Sans revenir sur le parcours des négociations, qui ont été menées par les partenaires sociaux jusqu'à la fin du mois de juin, ce qui nous a conduit à travailler dans un temps contraint, nous pouvons tout d'abord nous féliciter de constater que le dialogue social interprofessionnel ait été renoué et que les ANI se multiplient.

J'en profite pour souligner de nouveau que le travail de retranscription du Gouvernement a été salué par tous les partenaires sociaux auditionnés et que nous avons collectivement pu démontrer notre attachement au paritarisme. Je vous remercie sincèrement, madame la ministre, d'avoir travaillé en ce sens.

J'ajouterai une note plus personnelle : nous tenons à remercier nos collègues députés, Stéphane Viry et Nicolas Turquois, qui ont pleinement partagé notre philosophie. Cet esprit de fidélité à la parole des partenaires sociaux nous a conduits à revenir sur certaines évolutions intervenues à l'Assemblée nationale.

Les thèmes de la négociation de branche instaurée par l'article 1er, relatif à l'emploi et au travail des salariés expérimentés, ont ainsi été modifiés. Deux d'entre eux ont été rendus facultatifs, et non plus obligatoires, afin de correspondre à la lettre de l'ANI.

De même, à l'article 2, la mobilisation du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu) a été replacée parmi les thèmes abordés sur une base facultative lors des négociations d'entreprise.

L'article 4 crée un contrat de valorisation de l'expérience afin de faciliter le recrutement de demandeurs d'emploi senior, dans la droite ligne du CDI « senior » défendu par la majorité sénatoriale – un petit clin d'œil à notre ami René-Paul Savary... Afin de correspondre à la volonté exprimée par les signataires de l'ANI, et conformément au texte adopté par le Sénat, la CMP a réduit de deux ans à six mois le délai de carence avant la réembauche d'un salarié par l'employeur.

Enfin, nos travaux se sont concentrés sur la transposition de l'ANI en faveur des reconversions et transitions professionnelles, conclu le 25 juin dernier, et donc examiné par la seule Assemblée nationale. Pour cela, nous avons innové durant la préparation de la CMP en réunissant par trois fois, avec nos corapporteurs de l'Assemblée nationale, l'ensemble des organisations patronales et syndicales signataires. Ces auditions nous ont permis de faire évoluer le texte afin d'assurer une plus grande fidélité à l'accord.

Concernant l'article 10, qui a trait aux dispositifs de reconversion professionnelle à la main des employeurs, nous avons précisé que le régime du licenciement économique ne trouvait pas à s'appliquer dans le cas d'une rupture d'un commun accord avec le salarié.

Par ailleurs, dans leur ANI du 25 juin dernier, les partenaires sociaux ont aussi souhaité modifier le pilotage du projet de transition professionnelle (PTP), dispositif à l'initiative du salarié. Ils ont donc prévu de transférer les fonds issus des contributions des employeurs de France Compétences vers l'association paritaire Certif Pro. Cette dernière serait chargée de répartir les fonds entre les associations régionales « Transitions Pro » (ATpro), en lieu et place de l'opérateur de l'État.

L'article 12, introduit par l'Assemblée nationale, visait à transposer ces dispositions et nous a posé davantage de difficultés. S'il reconnaissait une existence légale à l'instance paritaire Certif Pro, il ne lui donnait pas directement le pilotage du financement du PTP. Il créait plutôt une commission paritaire au sein de France Compétences, selon un schéma quelque peu baroque. De manière unanime, cet article ne convenait pas aux partenaires sociaux.

Le texte issu des travaux de la CMP s'est rapproché des dispositions prévues dans l'ANI. Nous avons décidé que Certif Pro serait compétente pour arrêter la répartition des fonds, ainsi que pour définir les règles, critères et priorités de prise en charge des PTP. France Compétences devrait ensuite gérer opérationnellement les flux financiers en fonction des décisions de l'instance paritaire. Il n'a toutefois pas été possible d'aller plus loin en CMP, en raison des règles de recevabilité des initiatives parlementaires au titre de l'article 40 de la Constitution.

Fort heureusement, l'amendement du Gouvernement, examiné aujourd'hui, parachève cette transposition en retenant le pilotage exact souhaité par les partenaires sociaux. Je remercie Mme la ministre de rester ainsi fidèle à l'esprit dans lequel ce texte a été présenté et discuté depuis quelques semaines.

En définitive, le travail conduit par le Sénat, dans le respect de la philosophie de l'article L. 1 du code du travail, illustre une fois encore que, lorsque la démocratie sociale et la démocratie parlementaire se conjuguent, l'intérêt général s'en trouve grandi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Philippe Mouiller, mesdames les rapporteures, chères Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec, mesdames, messieurs les sénateurs, après une lecture très constructive dans chacune des deux chambres, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.

L'économie générale du projet de loi est bien connue : il s'agit de la transposition législative des trois accords du 14 novembre 2024 portant sur l'assurance chômage, l'emploi des travailleurs expérimentés et le dialogue social.

Depuis son adoption par le Sénat, début mai, d'autres éléments ont été intégrés au texte. Comme nous l'anticipions, et pour perdre le moins de temps possible, il a ainsi pu prendre en compte les résultats de deux autres négociations : la négociation paritaire sur l'assurance chômage du 27 mai dernier et, comme nous l'avions évoqué ensemble, l'ANI du 25 juin dernier sur les transitions et les reconversions professionnelles. Ces dispositions sont intégrées respectivement à l'article 9 bis, pour l'assurance-chômage, et aux articles 10, 11 et 12, pour les transitions et reconversions professionnelles.

Ces cinq accords, intervenus en neuf mois, nous autorisent à nous réjouir de la vitalité du dialogue social et du sens des responsabilités dont ont fait preuve les partenaires sociaux dans un contexte politique difficile. Je tiens aussi à souligner la très large représentativité de ces accords.

Nous avons veillé – j'en remercie en particulier le Sénat – à ce que ce projet de loi transcrive fidèlement la volonté et les intentions des partenaires sociaux. Depuis novembre dernier, et de manière très intense pour les récents accords, de nombreux échanges ont permis d'associer pleinement les partenaires sociaux. Il me semble important de préciser que ces échanges préparatoires ont eu lieu avec toutes les organisations représentatives.

Nous avons veillé, également, à ce que les rapporteurs soient étroitement associés tout au long de la procédure. Je tiens à remercier très chaleureusement les deux rapporteures du Sénat, Frédérique Puissat et Anne-Marie Nédélec, avec lesquelles j'ai échangé hier encore par téléphone. Leur travail, leur investissement et leur écoute ont joué un rôle important et permis de faciliter les choses.

Par rapport au texte dont nous avons débattu en mai dernier, une disposition nouvelle concerne l'assurance chômage.

L'article 9 bis intègre l'accord signé le 27 mai 2025 pour revoir certains paramètres du mécanisme de bonus-malus créé en 2019. Cette disposition législative ajuste le dispositif pour le recentrer, en excluant notamment du champ du dispositif les fins de contrats pour inaptitude ou faute lourde.

En mai, quand vous avez été saisis de ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, la négociation sur les transitions et les reconversions était en cours et nous ne savions pas si elle aboutirait. Nous l'espérions, mais nous n'avions aucune certitude. Un accord est intervenu le 25 juin, à quelques jours de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale. La mobilisation des partenaires sociaux et des services du ministère ont permis que ce résultat puisse être pris en compte.

Portant sur les transitions et les reconversions professionnelles, les article 10, 11 et 12 permettront trois avancées très concrètes, dont nos salariés et nos entreprises pourront se saisir rapidement.

La première consiste en la création d'un dispositif unique de reconversion, interne ou externe – au lieu de deux auparavant –, à la main de l'entreprise, et un dispositif de transition à la main du salarié.

La seconde avancée permet de mieux cibler et de mieux orienter les projets de transition professionnelle initiés par des salariés vers les métiers qui comptent, qui assurent une insertion professionnelle et qui sont les plus rémunérateurs.

La troisième avancée repositionne l'entretien professionnel afin de permettre un suivi des compétences et du parcours professionnel du salarié.

Ces trois avancées, qui permettent de mieux répondre aux restructurations économiques, seront aussi utiles aux entreprises en bonne santé qui doivent apporter des réponses à l'usure professionnelle de leurs salariés en leur permettant de changer de métier en milieu de carrière.

Les nouvelles dispositions relatives aux transitions et aux reconversions professionnelles complètent les avancées intervenues en faveur de l'emploi des seniors et s'intègrent dans notre stratégie en faveur de l'emploi des 50 ans et plus. Ainsi posons-nous, les unes après les autres, les briques qui doivent permettre leur maintien dans l'emploi et faciliter leur recrutement au même titre que n'importe quel salarié.

Ces évolutions législatives sont d'autant plus importantes qu'elles interviennent à un moment où les fondamentaux de notre économie se transforment rapidement sous le coup des grandes transitions et où nous devons mieux accompagner les salariés, les entreprises et les territoires touchés par des restructurations afin d'assurer une meilleure continuité professionnelle et salariale.

Sur la gouvernance relative à la gestion et la répartition des fonds du PTP, nous faisons le choix d'être fidèles à l'accord trouvé par les partenaires sociaux au sein de l'ANI. J'en suis personnellement très heureuse et je tiens à vous en remercier de nouveau, mesdames les rapporteures.

L'ajout de cette disposition n'a pas pu s'opérer en CMP en raison des règles de recevabilité financière. Aussi, le Gouvernement a déposé un amendement que j'aurai l'honneur de présenter dans quelques minutes.

Le Parlement a joué lui aussi son rôle pour assurer une transcription loyale des différents accords.

Sous réserve de l'adoption de l'amendement du Gouvernement qui sera discuté dans quelques minutes, je vous invite à adopter le texte établi par la commission mixte paritaire.

Je n'ai qu'un regret : l'examen des conclusions de la CMP à l'Assemblée nationale n'aura lieu qu'en septembre. Ce délai retarde d'autant la promulgation de la loi, quand ces outils sont attendus par nos salariés et nos entreprises. Je regrette ce temps perdu, alors que les partenaires sociaux ont joué le jeu et tenu les délais, tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames les rapporteures.

Nous avons bien travaillé ensemble, pour les entreprises et les salariés de ce pays. Nous nous retrouverons cet automne pour d'autres rendez-vous importants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes les rapporteurs et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue d'abord sur les éventuels amendements, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :

projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social

TITRE Ier

RENFORCER LE DIALOGUE SOCIAL SUR L'EMPLOI ET LE TRAVAIL DES SALARIÉS EXPÉRIMENTÉS