Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a été dit et beaucoup a été caricaturé. Nous avons tous une responsabilité face à un contexte géopolitique qui engendre de plus en plus d'ingérences étrangères, de désinformation et d'instabilité. La force de notre pays, c'est l'audiovisuel public et tous ceux qui ont fait le choix d'y travailler pour que notre pays demeure une grande démocratie et pour permettre à tous de s'élever grâce à ce patrimoine commun.

La seule ambition de ce texte est de permettre à l'audiovisuel public de se battre à armes égales pour répondre aux enjeux qui lui font face. La seule ambition de ce texte, c'est de donner à l'audiovisuel public les moyens de jouer pleinement son rôle et de s'adresser à tous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen de cette proposition de loi intervient à un moment décisif, alors que les fondations mêmes de notre modèle audiovisuel sont mises à l'épreuve par des bouleversements profonds, qu'ils soient technologiques, économiques ou culturels.

Ce texte n'est ni une réforme technique ni un ajustement marginal : il s'inscrit dans une histoire longue, celle des grandes mutations du secteur audiovisuel, où se succèdent, depuis la création de la RTF à la Libération, le démantèlement de l'ORTF en 1974, l'avènement des radios libres en 1981, la création de Canal+, première chaîne payante, la privatisation de TF1 ou le passage de trois à six chaînes dans les années 1980, l'arrivée de la TNT et l'ouverture à plus de vingt-cinq chaînes au début des années 2000, la fusion de France 2, France 3, France 4 et France 5 dans une société unique, France Télévisions, puis le passage aux box numériques, à la VOD, l'explosion des plateformes numériques, la démocratisation des smartphones et, aujourd'hui, la domination croissante des réseaux sociaux.

Dans le même temps, nous sommes passés du walkman au lecteur CD, puis à l'iPod, à Deezer et à Spotify. À chaque époque, il a fallu s'adapter. À chaque génération, il a fallu répondre à une rupture.

Aujourd'hui, la révolution numérique à laquelle nous assistons est d'une tout autre ampleur. Cette rupture systémique touche tout à la fois aux modes de distribution, à la création, à l'édition des programmes et aux défis de l'intelligence artificielle dans un écosystème devenu globalisé.

Il est donc de la responsabilité du législateur de donner au service public les moyens de se transformer pour s'adapter aux défis immenses qui l'attendent. Telle est précisément la raison d'être de cette proposition de loi déposée par notre collègue Laurent Lafon, dont je salue l'esprit d'initiative, la clairvoyance et la ténacité, et appuyée par la détermination de Mme la ministre Rachida Dati.

Je le sais, beaucoup de nos concitoyens, et certains aussi parmi vous, mes chers collègues, s'interrogent. Pourquoi maintenir l'audiovisuel public dans un monde saturé de chaînes privées, de contenus numériques gratuits, d'accès illimité à l'information ? Pourquoi le réformer et, surtout, pourquoi continuer de le défendre ?

L'audiovisuel public n'est pas un luxe républicain, il est un pilier de notre démocratie.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Cédric Vial, rapporteur. Dans un monde où l'information est omniprésente, mais souvent biaisée, déformée ou instrumentalisée, l'existence d'un pôle de médias indépendant, rigoureux, impartial et pluraliste est une garantie de stabilité et une condition de notre souveraineté culturelle et nationale.

Lors de la pandémie de covid, de la crise des « gilets jaunes », de la guerre en Ukraine ou des périodes électorales, à chaque fois l'audiovisuel public a été là pour expliquer sans hystériser, pour informer sans céder à la caricature. Je ne dresse pas là un tableau idéal ; il y a bien sûr des dérapages, des voies et des besoins d'amélioration, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.

Aujourd'hui, l'audiovisuel public compte un grand nombre de succès. Les Français ne s'y trompent pas. Selon un sondage récent pour La Croix, seuls 12 % d'entre eux estiment que l'existence d'un service public audiovisuel est une mauvaise chose.

Radio France est aujourd'hui le leader incontesté du podcast et ses antennes connaissent de véritables succès d'audience.

France Télévisions rassemble encore, chaque année, plusieurs des plus fortes audiences nationales et propose des programmes populaires et d'autres plus exigeants ou confidentiels.

L'Institut national de l'audiovisuel (INA) est également un fleuron de notre service public, avec une politique innovante d'éditorialisation de ses archives qui rencontre un public grandissant.

France Médias Monde promeut la francophonie et porte une vision française de l'actualité dans un monde en profonde mutation.

Pourtant, il ne s'agit pas de sanctuariser l'existant. Si l'audiovisuel public est indispensable, il faut aussi dire les choses clairement : il doit être profondément réformé pour faire face aux trois défis et enjeux de notre époque.

Il y a d'abord un enjeu numérique : la télévision linéaire perd du terrain chaque année au profit des plateformes, qui sont en train de révolutionner les modes de distribution, comme en attestent encore très récemment les accords passés entre TF1 et Netflix ou France Télévisions et Amazon Prime.

Les jeunes regardent de moins en moins la télévision ; ils consomment plutôt des contenus en streaming et en podcast et s'informent sur TikTok, Meta ou YouTube, souvent sans filtre, ni vérification, ni médiation. Ces nouveaux usages sont non pas seulement ceux d'une génération, mais aussi ceux des usagers de demain : la plupart des revenus publicitaires se concentrent désormais sur les géants du web, qui profitent d'une asymétrie de notre réglementation à leur profit.

Ensuite, l'enjeu est économique et culturel. En France, le secteur audiovisuel et cinématographique représente 260 000 emplois et 12,6 milliards d'euros de valeur ajoutée, soit plus que l'industrie automobile. C'est à notre modèle culturel que nous le devons, que l'on appelle aussi « exception » culturelle : il permet à notre pays, malgré son poids démographique, de jouer dans la cour des grands dans le secteur du cinéma, de la fiction, de l'animation ou du documentaire grâce aux aides à la création et à la production indépendante, dont le plus gros contributeur est l'audiovisuel public. Ce modèle est stratégique pour notre souveraineté culturelle et industrielle.

Enfin, les enjeux touchent à la concurrence. Partout en Europe, les médias publics se réorganisent. En France, les groupes privés se restructurent et se consolident, investissent massivement dans le numérique. Les plateformes se transforment, se diversifient et se développent. Les technologies évoluent. Ces signaux ne sont que les premiers d'une redéfinition complète de notre écosystème, devenu international, au sein duquel nos réglementations nous protègent autant qu'elles peuvent nous freiner. Pendant ce temps, notre audiovisuel public, malgré ses talents et ses réussites, reste fragmenté, cloisonné et ralenti par des structures inadaptées aux défis qui s'imposent à lui. Il est temps d'agir.

La création de France Médias, telle que proposée au travers de ce texte, répond à ce besoin d'adaptation et de clarté. Il s'agit non pas d'une fusion brutale, mais de la création d'une société de tête, chargée de construire et de piloter une stratégie commune, légère dans sa forme, mais forte dans sa vision. Elle rassemblera France Télévisions, Radio France, l'Institut national de l'audiovisuel ainsi que – je le souhaite et nous en débattrons tout à l'heure, mes chers collègues – France Médias Monde, sans effacer leurs identités et, surtout, sans diluer leurs missions. Elle permettra de mutualiser des fonctions support, d'éviter des doublons et de libérer des moyens pour renforcer les missions éditoriales et mettre le paquet sur le numérique.

Ce nouveau pilotage rendra la gouvernance plus cohérente. Nous avons précisé à nouveau la composition du conseil d'administration de la holding et renforcé le rôle de contrôle interne des administrateurs, afin de garantir l'impartialité de l'information, mais aussi le respect des règles d'éthique et de déontologie dans la préparation des programmes. Le conseil d'administration sera doté d'un président exécutif avec un mandat clair, nommé de manière indépendante par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui devra respecter une procédure transparente tout en garantissant la confidentialité des candidatures pour en favoriser la qualité.

Les évolutions que nous vous proposons permettront également de renforcer le contrôle du Parlement sur les orientations qui seront assignées au conseil d'administration par l'intermédiaire des conventions stratégiques pluriannuelles (CSP).

Elles visent aussi à garantir un meilleur usage de l'argent des contribuables. La dotation à l'audiovisuel public est désormais garantie par la loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public que nous avons adoptée l'année dernière, sur l'initiative du Sénat.

En rationalisant les moyens, en simplifiant les processus et en coordonnant les politiques numériques, nous pouvons obtenir des économies de gestion, comme l'ont montré plusieurs rapports, notamment le rapport d'information de nos collègues Karoutchi et Hugonet, dans les pas desquels nous nous inscrivons.

Nous proposons non pas une fusion administrative, mais une réforme fondée sur la raison, véhicule d'une ambition partagée : il s'agit de rendre le service public plus lisible, plus agile et plus fort.

Notre société est traversée par des sentiments contradictoires envers le service de l'audiovisuel public

Ceux qui ne l'aiment pas préfèrent ne rien changer, le laissant s'étioler et espérant ainsi le voir disparaître. Ceux qui affirment l'aimer l'aiment tel qu'il est ou, devrais-je dire, tel qu'il était, au point qu'ils refusent, eux aussi, tout changement, comme si l'immobilisme était une forme de fidélité. Comme l'aurait dit Jean Ferrat, ils l'aiment à perdre la raison ; or c'est justement la raison et notre responsabilité qui nous commandent d'agir en créant les conditions pour que l'audiovisuel public continue de remplir ses missions.

J'espère que nos débats seront à la hauteur de cette ambition et de cet enjeu. Voter cette réforme revient non pas à soutenir l'audiovisuel public d'hier, mais à bâtir celui de demain. C'est défendre une information fiable dans un monde incertain, c'est soutenir l'emploi, la culture et l'innovation, c'est répondre aux défis du numérique, du pluralisme et de notre souveraineté culturelle, c'est souhaiter un audiovisuel public qui inspire confiance, capable de parler à tous les Français et de rester un bien commun.

Je l'affirme sans provocation : oui, le Sénat est une chambre conservatrice et de traditions, mais il est étonnant de voir que, sur ce sujet, c'est la gauche qui incarne le conservatisme quand la droite et le centre assument une volonté réformatrice et progressiste. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. Éric Kerrouche. Bien sûr…

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Très bien !

M. Cédric Vial, rapporteur. Mes chers collègues, cette réforme n'est ni de droite ni de gauche. (Marques d'ironie sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme Laurence Rossignol. Elle est populiste !

M. Yan Chantrel. Elle est trumpiste !

M. Cédric Vial, rapporteur. Elle est républicaine, stratégique et nécessaire. Elle est de notre temps, tout simplement ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Exception d'irrecevabilité

M. le président. Je suis saisi, par Mmes de Marco et Ollivier, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus, Dantec, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle (n° 825, 2024-2025).

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Evelyne Corbière Naminzo applaudit également.)

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, pourriez-vous préciser à la représentation nationale au nom de quelle urgence vous vous êtes sentie obligée d'inscrire à l'ordre du jour ce texte, qui vient tout juste d'être rejeté par l'Assemblée nationale, en fin de session extraordinaire ? La navette parlementaire ne pourra pas se terminer avant l'automne prochain. Pourquoi tordre le bras des parlementaires et corseter notre droit d'amendement en précipitant à ce point cette discussion ?

J'y insiste : depuis six mois, le Gouvernement navigue à vue, subissant des initiatives parlementaires plus ou moins heureuses ou surfant sur celles-ci, puis, à l'approche de l'été, il se précipite pour accélérer l'examen de certains textes sans que l'on comprenne les raisons de cette urgence.

Hier, nous examinions la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, tripatouillage électoral mal ficelé qui ne permet pas de se pencher sur le sujet principal : la répartition des compétences entre mairie centrale et arrondissements, et les moyens budgétaires.

Aujourd'hui, c'est d'une réforme à la truelle de l'audiovisuel public qu'il s'agit pour mettre ce dernier sous tutelle politique et raboter encore ses moyens.

Ces deux propositions de loi du bloc central ont connu un parcours parlementaire chaotique, ce qui témoigne de leur qualité douteuse. De fait, elles ne sont accompagnées d'aucune étude d'impact malgré les conséquences considérables qu'elles emportent.

Ces deux propositions de loi ont un point commun : votre capacité, madame la ministre, à être candidate à la mairie de Paris. Quelle est l'urgence sinon celle de votre propre ambition ? Vous me l'accorderez : pour la défense de l'intérêt général, on repassera ! Vos contraintes de calendrier nous réunissent aujourd'hui, avec la complicité de la majorité sénatoriale faisant fi des droits les plus évidents des parlementaires.

Reprenons ce calendrier. Lundi 30 juin, la proposition de loi est rejetée sans débat à l'Assemblée nationale, signe de sa piètre qualité. Mardi 1er juillet après-midi, nous apprenons que le texte sera examiné en commission au Sénat le jeudi 3 juillet au matin. L'échéance pour le dépôt d'amendement est fixée au mercredi 2 juillet, à 18 heures. Mercredi 2 juillet, la conférence des présidents confirme la dérogation au délai de deux semaines prévu entre l'examen en commission et celui en séance, s'appuyant sur le premier alinéa de l'article 17 bis de notre règlement. Cette décision survient après l'expiration du délai de dépôt des amendements de commission.

M. Lafon a usé de ses prérogatives pour déroger aux deux jours ouvrés entre l'expiration du délai de dépôt d'amendement et la réunion de la commission de la culture, sans quoi les sénateurs n'auraient pas pu amender le texte en commission. Avouez que nous marchons sur la tête !

Dans sa décision n° 2015-712, le Conseil constitutionnel a pourtant considéré « que la faculté reconnue au président de la commission saisie au fond de fixer un autre délai pour le dépôt des amendements doit permettre de garantir le caractère effectif de l'exercice du droit d'amendement […] ; qu'il appartiendra au président de la commission de concilier cette exigence avec les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. »

Pourquoi massacrer ainsi notre droit d'amendement et la sincérité du débat ? En l'occurrence, le problème est que le président de la commission, M. Lafon, est juge et partie : cette proposition de loi, qui végète depuis 2023, est la sienne. Il fut un temps où le Sénat s'enorgueillissait de sa capacité à bien faire la loi, à trouver des compromis et à respecter les droits de l'opposition.

M. Roger Karoutchi. Avant que vous ne soyez là !

M. Guillaume Gontard. Ce temps est révolu. Depuis juin 2022 et l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, la majorité sénatoriale règne sans partage dans le but d'instaurer un rapport de force permanent entre les droites, encore aggravé par l'entrée des Républicains au Gouvernement.

Aux macronistes l'Assemblée, aux Républicains le Sénat et aux autres le spectacle d'un socle qui n'a rien de commun et d'un gouvernement qui a tout d'un poulet sans tête !

Le débat n'existe plus entre nous. La majorité sénatoriale court après l'extrême droite, tolère à peine la discussion et laisse ses rapporteurs constituer sous nos yeux un musée des horreurs : lois climaticides, de casse sociale, islamophobes et de répression des libertés publiques, au mépris assumé de la Constitution.

Dans le cas présent, haro sur le service public de l'audiovisuel ! La dérive a débuté dès l'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence de la République. En 2017, après un documentaire sur le financement de sa campagne, l'intéressé qualifiait l'audiovisuel public de « honte » de la République. Depuis, les scandales et soupçons de corruption et de conflit d'intérêts ont émaillé tous les gouvernements, jusqu'à la ministre sur le banc aujourd'hui. Même la gestion de notre assemblée est loin d'être irréprochable. Avec autant d'affaires, le journalisme d'investigation vous dérange…

Ainsi s'enchaînent les pressions des droites contre la présidente de France Télévisions, les saisines sans fondement de l'Arcom, les procès bâillons, les attaques sur les plateaux contre des journalistes ou les demandes d'éviction des présentateurs du journal de 20 heures lorsqu'ils ne sont pas assez révérencieux. Voilà en réalité le fondement de votre socle commun : la détestation de la presse libre et indépendante.

Je dois concéder que la méthode est bien rodée. Une première étape a été franchie en 2022 avec la fin de la redevance audiovisuelle, remplacée par l'allocation d'une fraction de la TVA. Cet impôt forfaitaire était inégalitaire, mais le remplacer par une taxe non progressive n'est pas un progrès. Surtout, ce changement de financement met l'audiovisuel public à la merci du Parlement et du Gouvernement.

À ce titre, le financement a baissé de 776 millions d'euros depuis 2017. Madame la ministre, vous citez la BBC comme source d'inspiration, mais sachez qu'elle dispose d'un budget deux fois plus élevé !

Ces contraintes budgétaires empêchent les journalistes de faire correctement leur travail. Entre 2012 et aujourd'hui, le nombre d'équivalents temps plein (ETP) est passé à France Télévisions de 10 500 à 8 800, soit autant de journalistes, de techniciens, de monteurs et de mixeurs en moins. Les formats les plus chers sont les premiers touchés.

D'abord, il en a été ainsi de la couverture locale. La fusion de France 3 et de France Bleu a abouti à constituer une entité à l'identité incohérente, à manquer de matériel et à supprimer 50 % des journaux locaux dans les matinales. Vous assurez vouloir reconquérir l'audience populaire, mais vous sacrifiez l'actualité de proximité dont cette audience est friande. Les journalistes, pour leur part, ont des zones toujours plus grandes à couvrir avec moins de postes. Ils restent pendant des années dans le « précariat » concernant leur planning ou leur statut de pigiste. Comment fournir une information de qualité dans ces conditions ?

Ensuite, les contraintes budgétaires ont frappé la couverture internationale. Alors que l'actualité géopolitique nécessite un solide réseau de correspondants, celui-ci est réduit à peau de chagrin. France Télévisions compte quatre fois moins de bureaux à l'étranger que la BBC, son bureau Afrique a même été supprimé en 2016. Mes chers collègues, vous qui vous alarmez des sentiments antifrançais, ne démembrez pas France Médias Monde : excluez cette structure de la holding !

Enfin, la grande victime de votre saignée sera l'investigation. Vérifier ses sources, mener des recherches, protéger des témoins : par nature, cette activité suppose des moyens importants. Sans la cellule investigation de Radio France, aurions-nous eu connaissance des scandales des eaux de Nestlé, des Uber Files et des Pandora Papers, parmi tant d'autres ?

Le risque de disparition de l'investigation dans l'audiovisuel public est réel. Des émissions comme Cash Investigation ou Complément d'enquête sont réalisées par des entreprises externes, qui doivent passer par un guichet unique pour proposer des documentaires d'investigation à France Télévisions, groupe qui, depuis le rachat de Canal+ par Vincent Bolloré, a un monopole sur ce créneau. Aussi, pour obtenir des contrats, les réalisateurs excluent certains sujets ou certaines informations. En 2022, lors d'une audition de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias en France, un syndicat d'auteurs-réalisateurs de documentaires affirmait que 60 % de ces professionnels s'autocensuraient.

La muselière financière que vous mettez sur la bouche des journalistes fait taire les voix les plus critiques. Comme le disait Thomas Sankara à la tribune de l'ONU en 1984, « je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage. »

Cette pression financière ne vous suffit pas. Votre texte mettra encore davantage les médias publics sous tutelle politique en les réunissant dans une holding dirigée par un PDG unique, au nom, bien sûr, de l'efficacité et des économies. Pourtant, d'après les estimations, les besoins immobiliers, la convergence des moyens d'information et l'alignement des rémunérations induits par la holding coûteront au moins 150 millions d'euros.

Votre véritable motivation est donc le contrôle politique de l'information. D'ores et déjà, la censure se renforce. Mme Lapix vient d'être remerciée, ses questions étant jugées trop dérangeantes. L'an dernier, avant les élections européennes, le directeur de l'information de France Télévisions a demandé aux magazines d'investigation du groupe un moratoire sur les portraits de responsables politiques. Entraver l'information des citoyens en pleine période électorale, il fallait oser !

Avec cette proposition de loi, vous voulez planter le dernier clou dans le cercueil de l'indépendance des médias publics. Nous imaginons sans peine l'avenir de nos chaînes si vous y parvenez : des interviews complaisantes avec le pouvoir, des plateaux réunissant quelques « toutologues » naviguant en taxi entre les studios de l'Ouest parisien sans connaître le reste du pays et des émissions de divertissement abrutissantes, soit, en somme, le modèle des chaînes privées, où les milliardaires contrôlent toujours plus étroitement l'information.

Madame la ministre, nous ne vous laisserons pas faire. Depuis la révolution de 1789, la liberté d'expression est une valeur fondamentale de notre République, affirmée dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. À ce titre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 84-181, a élevé le pluralisme de la presse au rang d'objectif de valeur constitutionnelle : « l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ».

Notre cap est celui-ci : puisque nous aimons l'audiovisuel public, nous ferons tout pour envoyer votre réforme dans les poubelles de l'histoire ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l'avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Je m'estime heureux de savoir déjà que le débat porte sur l'audiovisuel public, car, à écouter le tableau que vous avez décrit, monsieur Gontard, j'ai eu l'impression d'entendre une fiction !

Mme Audrey Linkenheld. Même pas !

M. Cédric Vial, rapporteur. Premièrement, vous évoquiez la difficulté à déposer des amendements. Pourtant, 380 l'ont été, contre une centaine lors de l'examen du texte en première lecture dans cet hémicycle, alors même que la rédaction actuelle, rejetée par l'Assemblée nationale, n'est pas une surprise : il s'agit du texte du Sénat que nous avons adopté voilà deux ans.

Mme Cécile Cukierman. Il y a eu des élections depuis !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La commission a amendé le texte entre-temps ! Il ne faut pas mentir !

M. Cédric Vial, rapporteur. Deuxièmement, vous parliez de la proposition de loi organique comme si elle mettait le financement de l'audiovisuel public à la main du politique. C'est l'inverse ! Même si le Parlement vote les abondements lors de l'examen du projet de loi de finances comme pour toute autre politique publique, ce texte garantit que les variations infra-annuelles sont précisément mises à l'écart du politique. Comme vous avez pu le constater, des crédits ont été gelés cette année, mais le financement de l'audiovisuel public n'a pas changé d'un euro, pour la première fois depuis la suppression de la redevance.

Troisièmement, vous parliez de la gêne qu'aurait pu occasionner la fusion de France 3 et de France Bleu, mais celle-ci n'a pas encore eu lieu ! Vous dénoncez donc la situation actuelle et, par cette réforme, nous souhaitons justement accorder de nouveaux moyens et décider d'une nouvelle stratégie pour ces antennes. (Mme Sylvie Robert s'exclame.) Garantir la proximité des services est notamment un enjeu.

J'y insiste : vous critiquez ce qu'il se passe actuellement dans les rédactions de France Télévisions, ou plutôt ce que vous jugez qu'il s'y passe, et non pas ce qui adviendra à la suite de l'adoption de cette réforme. Pour renoncer à un changement, vous prenez pour argument des dysfonctionnements que vous jugez néfastes. À tout le moins, votre propos ne m'a pas semblé convaincant.

Après l'adoption de cette réforme, des membres de l'Arcom seront nommés de manière indépendante au sein des conseils d'administration. L'un d'entre eux aura la responsabilité de veiller à l'impartialité de l'information – l'Arcom s'en charge déjà – et un autre aux règles d'éthique et de déontologie dans la définition des programmes. Cette mesure répond donc en partie aux dysfonctionnements que vous dénoncez.

L'avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission de la culture, l'autre, du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 354 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 99
Contre 241