M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (M. Laurent Burgoa applaudit.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’enjeu que représente ArcelorMittal est éminemment stratégique pour notre industrie ; notre collègue Arnaud Bazin, dont je salue la qualité du rapport, l’a rappelé.
L’industrie, et en particulier l’industrie lourde, connaît depuis plusieurs décennies des turbulences et des fermetures qui affectent durement nos territoires. C’est en connaissance de cause que je vous en parle, car je suis élue en Moselle, dans un bassin minier et sidérurgique autrefois prospère où les nombreuses fermetures de sites ont occasionné de graves souffrances pour les populations locales.
Je souhaite, du fait de mon ancrage territorial au cœur du bassin sidérurgique lorrain, vous parler en particulier du site ArcelorMittal Florange.
L’usine sidérurgique de Hayange-Florange est un immense complexe sidérurgique situé dans la vallée de la Fensch et pourvoyeur de près de 4 000 emplois.
Vous vous souvenez certainement de la visibilité médiatique dont ont bénéficié les hauts fourneaux de Florange lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Lorsque le ministre Arnaud Montebourg avait mis sur la table le sujet de la nationalisation, le front syndical n’était pas uni à cet égard ; je me souviens notamment de la prise de position de la CFE-CGC du site, qui y était opposée. En mai dernier, le coordinateur de ce syndicat au sein d’ArcelorMittal a maintenu cette position, arguant que cette entreprise était par trop intégrée au marché européen et mondial.
La nationalisation ratée, en 1981, d’Usinor, l’ancêtre d’ArcelorMittal, a marqué les esprits.
Concernant cette proposition de loi, il faut regarder la réalité en face. Nous sommes confrontés à un déséquilibre du marché de l’acier en Europe, avec une baisse de la demande européenne couplée à une concurrence féroce des aciers importés. On observe, par ailleurs, une spécialisation dans les aciers automobiles haut de gamme, alors que le marché de l’automobile est fluctuant, ainsi qu’une concurrence de l’offre mondiale – l’acier chinois à bas coût, par exemple, bénéficie de la situation –, et un manque d’investissement dans l’outil industriel.
Passer d’un actionnariat privé à un actionnariat public n’aura aucun impact sur les grands équilibres commerciaux du monde. Comment espérer, en cette période économique et financière perturbée pour la France, que l’État puisse investir massivement ?
Les auteurs de cette proposition de nationalisation voudraient apporter « la » solution. Cependant, n’oublions pas qu’ArcelorMittal est une multinationale qui répond à des enjeux de profitabilité et de rentabilité sur un marché concurrentiel.
Quelques jours après l’annonce par la Commission européenne de son plan acier, ArcelorMittal annonçait la suppression de centaines d’emplois en France. Le 17 septembre dernier, le groupe se retirait d’un projet de construction d’une usine de production de chaux vive à Dunkerque, replongeant le site dans l’incertitude. Enfin, nous avons appris avant-hier que les syndicats étaient appelés à se prononcer, le 7 novembre prochain, sur un plan social visant à supprimer 636 postes.
D’un côté, l’entreprise doit faire face à des enjeux financiers ; de l’autre, il convient que les pouvoirs publics répondent aux enjeux humains et sociaux occasionnés par cette situation. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Un État stratège, avec une vision pluriannuelle et organisée à l’échelle nationale, pourrait apporter une réponse. C’est par une vision globale et de long terme que nous maintiendrons la pérennité des sites. Bien que la décarbonation soit un horizon souhaitable, tâchons, par exemple, de ne pas « surnormer ». Le groupe du Parti populaire européen (PPE), au Parlement européen, dénonce à juste titre depuis des années un poids normatif excessif pesant sur l’industrie européenne, ce qui la fragilise dans le cadre d’un marché global.
C’est aussi à l’échelle européenne que nous pouvons trouver des solutions.
La Commission européenne a proposé, au début du mois d’octobre, un mécanisme de réduction des quotas d’importation en franchise de douane, ainsi que le rehaussement à 50 % des droits hors quotas. C’est un bon début, même si cela aurait dû être fait plus tôt.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d’une proposition de loi ambitieuse sur le papier, mais périlleuse dans les faits : elle vise la nationalisation des actifs d’ArcelorMittal en France.
Ses auteurs veulent, disent-ils, garantir la souveraineté industrielle, sauver des emplois et accélérer la transition écologique. Qui pourrait être contre ces objectifs ? Mais encore faut-il choisir les bons outils. Or cette proposition de loi, malgré les intentions affichées, emprunte une voie qui n’est ni réaliste, ni efficace, ni responsable. Soyons lucides : elle est juridiquement fragile, économiquement intenable et politiquement contre-productive.
D’abord, sur le plan juridique : nationaliser n’est pas interdit par la Constitution, à condition que cela réponde à une nécessité publique impérieuse. Mais ici, quelle est l’urgence ?
ArcelorMittal est une entreprise solide qui emploie 15 000 personnes en France, autant qu’il y a cinq ans. Elle investit, parfois trop lentement sans doute, mais elle le fait. Sa situation n’est pas celle d’EDF en 2023, confrontée à une crise énergétique majeure. La « nécessité publique impérieuse » n’est donc pas démontrée. Et si l’on y ajoute une indemnisation incertaine, puisque l’on veut en déduire les aides publiques reçues, le risque de censure constitutionnelle est avéré.
Sur le plan économique, c’est encore plus clair : nationaliser les seuls sites français d’un groupe mondial reviendrait à créer un monstre économique non viable. ArcelorMittal fonctionne à l’échelle internationale : le minerai vient du Brésil et du Canada, la transformation se fait en France et au Luxembourg, la vente en Allemagne, en Italie ou ailleurs. Isoler la partie française reviendrait à couper le moteur du reste du véhicule.
En conséquence, cette nationalisation aurait pour effet d’affaiblir la rentabilité de cette entreprise, et l’État se retrouverait seul à financer des pertes structurelles et à porter le coût colossal de la décarbonation, soit entre 5 milliards et 8 milliards d’euros. Et pour quel résultat ? Un acier « vert » aujourd’hui invendable, faute de clients prêts à en payer le prix.
Ensuite, politiquement, cette proposition de loi envoie un très mauvais signal : quel investisseur étranger voudra encore s’implanter en France si, demain, on peut décider de nationaliser unilatéralement ses sites ? Cette logique de défiance relève non pas du patriotisme économique, mais du repli industriel, et elle ruinerait tous les efforts que nous faisons depuis des années pour rendre la France attractive et compétitive.
Mme Cécile Cukierman. On voit ça…
M. Stéphane Fouassin. Je veux aussi rappeler quelques points d’histoire.
Le Royaume-Uni a nationalisé sa sidérurgie dans les années 1960. Résultat : des milliards engloutis, une productivité en berne, des fermetures d’usines et des dizaines de milliers d’emplois perdus.
Chez nous, la nationalisation d’Usinor-Sacilor dans les années 1980 a certes permis d’éviter la faillite, mais elle a coûté très cher et s’est terminée par une privatisation en 1995, avant la création d’Arcelor.
Alors oui, ArcelorMittal doit faire plus pour ses salariés, pour ses sites, pour la décarbonation. Oui, les aides publiques pourraient être conditionnées à des engagements fermes. Mais la réponse au problème posé réside non pas dans l’étatisation pure et simple, mais dans le dialogue, la transparence, la régulation et l’investissement conjoint dans l’industrie de demain.
En somme, cette proposition de loi n’est pas une bonne solution : elle flatte l’émotion, mais ignore la réalité économique. Si elle était adoptée, elle fragiliserait notre crédibilité industrielle et notre sécurité juridique, tout en coûtant des milliards aux contribuables. C’est pourquoi le groupe RDPI votera contre ce texte.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous n’en doutions pas !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Mme Audrey Linkenheld applaudit.)
Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE-K d’avoir pris l’initiative de ce débat consacré à l’avenir de la filière sidérurgique française et, plus largement, à la question de notre souveraineté industrielle.
Parler d’acier, c’est parler de ce que nous sommes : une Europe forgée dans le feu des hauts fourneaux, une France bâtie sur le travail industriel et la fierté ouvrière. Rappelons-le, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, fondée en 1951, fut le socle du projet européen. Elle liait la production d’acier et de charbon non seulement pour reconstruire nos économies, mais aussi pour garantir la paix.
Soixante-dix ans plus tard, la sidérurgie européenne traverse une crise importante. Entre 2014 et 2023, la production d’acier sur notre continent a chuté de 20 %, entraînant la perte de 8 % des emplois directs du secteur. L’Europe ne représente plus que 6,8 % de la production mondiale, contre plus de 9 % il y a dix ans, tandis que l’Asie concentre désormais près de 74 % des volumes produits.
Cette érosion tient à trois causes majeures : le ralentissement de la construction et de l’automobile, qui absorbent plus de la moitié de la demande d’acier européenne ; le coût de l’énergie, quatre fois plus élevé qu’aux États-Unis pour le gaz et deux fois plus qu’en Chine pour l’électricité ; et enfin la surcapacité mondiale, entretenue par la Chine qui produit plus de la moitié de l’acier mondial et pratique un dumping via des pays tiers.
C’est dans ce contexte qu’ArcelorMittal a annoncé la suppression de plus de 600 emplois en France, menaçant l’avenir de ses quarante sites. Et ce, après avoir réalisé 718 millions d’euros de bénéfices au cours du seul premier trimestre 2025, perçu 298 millions d’euros d’aides publiques, qui s’ajoutent aux 850 millions d’euros déjà versés par la France, et distribué 9 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires depuis 2020.
Comment accepter qu’un groupe ayant bénéficié de la solidarité nationale se comporte comme un investisseur opportuniste, sans égard pour l’emploi, les territoires ou les engagements pris ? Je pense aujourd’hui aux salariés de Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire, aux familles, aux sous-traitants, à ces territoires entiers suspendus à des décisions prises à des milliers de kilomètres d’ici.
De nombreuses propositions sont aujourd’hui sur la table : nationalisation des sites stratégiques, mise sous gestion publique temporaire, prise de participation de l’État, ou encore conditionnement strict des aides publiques. Ces pistes, proposées par différentes forces politiques et par les organisations syndicales, méritent toutes d’être examinées sans tabou.
Mes chers collègues, nous considérons sur ces travées que le grand péché de notre époque est d’avoir cru que le marché pouvait tout structurer, en tout temps, en tout lieu et en toute matière. Nous ne sommes pas hostiles à l’économie de marché, mais nous affirmons que l’État doit faire respecter la parole donnée, garantir la continuité industrielle, redevenir un stratège, et non pas demeurer un spectateur.
Après la nationalisation des Chantiers de l’Atlantique et la reprise en main d’EDF, cette proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national nous invite à tirer les leçons de plusieurs décennies d’aveuglement industriel et de désarmement public. Elle nous offre, en réalité, l’occasion de rouvrir un débat de fond : celui du rôle de l’État dans la planification et la défense de nos intérêts stratégiques, parmi lesquels figure l’acier.
Face à des multinationales qui s’affranchissent de toute responsabilité territoriale, il faut des règles, des contreparties, des conditions. Les aides publiques doivent être conditionnées à des engagements clairs et opposables en matière d’investissement, d’emploi et de décarbonation.
Au-delà du cas d’ArcelorMittal, c’est la cohérence même de notre politique industrielle qu’il faut interroger. Depuis vingt ans, la France navigue d’un plan à l’autre – France Relance, France 2030 –, sans jamais définir de stratégie claire sur ce qu’elle veut produire, où, et comment.
Bien entendu, la réponse doit aussi être européenne. Après des années de naïveté, l’Union semble enfin décidée à défendre son industrie sidérurgique face à la concurrence déloyale. La clause de sauvegarde sur les importations va dans le bon sens, mais elle ne saurait suffire. L’Europe doit désormais s’armer d’une stratégie industrielle claire et ambitieuse.
Cela implique d’imposer une réciprocité normative : tout produit entrant sur le marché européen doit respecter les mêmes règles sociales, environnementales et sanitaires que celles qui sont imposées à nos entreprises. Cela implique aussi de réserver une part de la production locale dans les marchés publics européens, à l’image de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain.
La désindustrialisation n’a pas seulement fragilisé notre économie. Elle a transformé nos territoires, fracturé nos sociétés, nourri le sentiment d’abandon et la défiance politique. Dans ces bassins où l’usine faisait lien social, la fermeture d’un site, c’est souvent la fermeture d’un avenir. C’est pourquoi la réindustrialisation n’est pas un objectif économique : c’est un impératif social et territorial.
Mes chers collègues, nous le savons tous ici, la discussion que nous entamons aujourd’hui ne tranchera pas le débat qui peut nous opposer, à gauche ou à droite de cet hémicycle. Pour autant, je considère que cette proposition de loi peut nous permettre de retrouver l’esprit qui, un temps, nous a rassemblés autour de choix stratégiques pour la souveraineté et l’indépendance de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sidérurgie mondiale est en crise : la production d’acier dépasse largement la demande, la croissance chinoise s’essouffle, mais Pékin continue de subventionner massivement ses aciéries et, aux États-Unis, les politiques protectionnistes de Trump ont fermé des débouchés entiers.
Pendant que d’autres planifient, protègent, la France semble avoir choisi la passivité. ArcelorMittal, géant privé aux profits colossaux, joue avec notre outil industriel comme on déplace des pions sur un échiquier.
Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis des années, ArcelorMittal ferme, réduit, délocalise. Présidents et ministres se succèdent sur des sites menacés, oubliant que derrière les mots « restructuration », « plan social », « rationalisation », il y a des visages : ceux de Dunkerque, Florange, Gandrange, Hayange, Reims, Denain… La liste est loin d’être exhaustive. Des femmes et des hommes qui, depuis des décennies, forgent le métal de notre pays et que Mittal s’apprête, une fois encore, à reléguer dans le silence des friches au travers de 636 suppressions de postes en France, dont 400 dans la production.
Je rappelle qu’ArcelorMittal dispose de 17,6 milliards d’euros de fonds propres, qu’entre 2021 et 2024 ce groupe a dégagé 32,6 milliards de dollars de bénéfices et redistribué 13,2 milliards de dollars aux actionnaires. En France, en 2023, il a perçu 392 millions d’euros d’aides publiques, tout en continuant à exercer un véritable chantage à l’emploi.
Cette situation n’est pas une anomalie : c’est le produit d’un modèle dans lequel les aides publiques servent à enrichir les actionnaires sans aucune contrepartie sociale, industrielle ou environnementale. Le rapport du Sénat sur les aides publiques aux entreprises l’a démontré : 211 milliards d’euros sont distribués chaque année aux entreprises sans contrôle ni conditions.
Alors, que l’on ne vienne pas nous dire que « l’argent n’existe pas » ! Il existe, il circule, mais il nourrit la rente plutôt que la production, en laissant des déserts économiques et sociaux. Et ainsi, l’État finance la casse de notre outil productif et accepte que des secteurs aussi stratégiques que la sidérurgie soient soumis aux seuls impératifs financiers d’un groupe privé. Ce secteur est stratégique, comme en a conclu un rapport du Sénat en 2019, car l’acier est la fondation de notre économie – pensons à l’automobile, au nucléaire, à l’aéronautique !
Pis, lorsque les hauts fourneaux ferment, ce ne sont pas seulement notre souveraineté et la continuité des chaînes de valeur qui se brisent ; ce sont des vies, des familles, des identités territoriales. Qui sait quelle est la vie des jeunes de la vallée de la Fensch, maintenant que les hauts fourneaux y sont éteints ? Qui agit contre le déracinement ou le kilométrage à rallonge pour accéder à l’emploi, après avoir versé une larme en lisant les romans de Nicolas Mathieu ?
C’est pourquoi la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national s’impose comme une réponse de bon sens aux défis industriels, sociaux et environnementaux que nous devons affronter collectivement.
La sidérurgie française est à un carrefour historique : soit elle disparaît progressivement, victime de la financiarisation et de la concurrence déloyale, avec des conséquences dramatiques pour nos emplois, l’environnement et notre souveraineté ; soit elle renaît, portée par une vision publique qui lie écologie, indépendance nationale et justice sociale.
En ce sens, la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal serait non pas un retour en arrière, mais une réponse moderne aux défis du XXIe siècle : décarboner sans désindustrialiser, produire sans précariser, innover sans dépendre. C’est une décision nécessaire pour que la France demeure une nation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Thomas Dossus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur un texte d’une importance capitale pour notre industrie, pour notre territoire et pour des milliers de familles : la nationalisation d’ArcelorMittal.
À Denain, dans le Valenciennois, dans tout le bassin sidérurgique du Nord, l’histoire de l’acier est celle de nos vies, de nos luttes et de notre dignité. Nous savons ce que représente cette filière, ce que sa désindustrialisation a coûté à nos concitoyens : des usines fermées, des savoir-faire perdus, des villes entières frappées par le chômage et la précarité.
Depuis des années, aucun investissement sérieux n’a été consenti, alors même que nous parlons d’une entreprise essentielle à notre souveraineté industrielle, confrontée à des concurrents étrangers qui, eux, ne sont soumis à aucune contrainte environnementale ou sociale.
Alors oui, nationaliser peut apparaître, à première vue, comme un acte fort, un acte de souveraineté, un geste de reconquête industrielle. Mais un tel acte n’a de sens que si l’État s’y engage avec lucidité, avec stratégie, et surtout avec la volonté de rendre des comptes à la Nation. Or, dans sa rédaction actuelle, ce texte ne garantit rien de cela.
Il s’agit ici d’une nationalisation sans cap, sans direction claire, sans garantie pour nos ouvriers ni pour nos territoires. Une nationalisation qui pourrait, demain, n’être qu’un rachat à perte, une nouvelle aventure technocratique où l’État deviendrait actionnaire passif d’un géant sans boussole.
M. Ian Brossat. Donc on ne fait rien…
M. Joshua Hochart. C’est pourquoi le Rassemblement national ne peut soutenir ce texte.
Nous ne rejetons pas l’idée que l’État puisse reprendre la main sur des actifs stratégiques. Bien au contraire, nous avons toujours défendu une politique industrielle ambitieuse, prévoyant que la puissance publique joue pleinement son rôle protecteur. Mais cette reprise doit être guidée par une logique de souveraineté et d’efficacité, non par une logique idéologique ou opportuniste, comme nous avons souvent pu l’observer dans le passé.
M. Ian Brossat. Le porte-parole du Medef !
M. Joshua Hochart. Le Nord n’a que trop souffert des promesses non tenues. Nos territoires ne veulent plus de symboles, ils veulent des actes concrets. Notre industrie a besoin d’un État fort, pas d’un État figurant. Car, pour nous, la défense de l’acier français est non pas une posture, mais un devoir ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il y a une différence entre vos propos et vos tracts !
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’arcelormittal situés sur le territoire national
Article 1er
Afin de garantir la souveraineté industrielle dans le secteur sidérurgique, reconnu comme essentiel à la défense, aux infrastructures critiques et à la transition énergétique, ainsi que la protection des emplois et des compétences, les sites industriels d’ArcelorMittal situés en France, identifiés comme stratégiques pour l’industrie sidérurgique et la transition énergétique, sont nationalisés.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, sur l’article.
Mme Mireille Jouve. Le groupe du RDSE souscrit pleinement à la nécessité d’apporter une réponse rapide et concrète aux salariés d’ArcelorMittal, aujourd’hui confrontés à un plan social. Cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRCE-K a le mérite d’alerter et de proposer une solution à l’échelle de la loi. Cependant, notre groupe estime que la nationalisation envisagée, bien qu’inspirée par une intention louable, serait particulièrement coûteuse pour les finances publiques, sans garantir la pérennité de l’entreprise à long terme.
Le véritable enjeu réside dans une concurrence internationale structurellement déséquilibrée, face à laquelle seule une réponse européenne serait efficace. Mais dans l’immédiat, deux urgences doivent être traitées et relèvent du pouvoir réglementaire : le maintien de l’emploi et la décarbonation de la production.
Nous estimons qu’une prise de participation de l’État via l’Agence des participations de l’État (APE) ou Bpifrance constitue une piste efficace. Cette solution, plus modérée en termes de coûts, permet à l’État d’intervenir sur les décisions stratégiques, d’une part, pour s’opposer à des suppressions d’emploi et, d’autre part, pour accompagner la transition énergétique des sites.
Dans une logique européenne, la France pourrait également impulser un rapprochement des activités Europe d’ArcelorMittal par une entrée concertée au capital avec d’autres États membres.
Le groupe du RDSE invite donc le Gouvernement à prendre toute sa part de responsabilité dans ce dossier, non pas au travers d’un geste symbolique, mais par une stratégie d’intervention économique claire, ciblée et cohérente au service de sa politique industrielle.
Enfin, je souhaite rappeler que les entreprises sidérurgiques européennes les plus performantes sont souvent celles dans lesquelles l’État ou les salariés participent activement aux décisions stratégiques. L’exemple de l’entreprise suédoise SSAB en est une illustration,…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Mireille Jouve. … soit un modèle de gouvernance équilibré alliant compétitivité, transition écologique et responsabilité sociale. Je nous invite à méditer cet exemple.
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, sur l’article.
Mme Audrey Linkenheld. Je souhaite, moi aussi, intervenir sur cet article 1er qui concerne très précisément la nationalisation des actifs d’ArcelorMittal. Et je veux remercier, à mon tour, le groupe communiste, sa présidente ainsi que l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui sont présents pour l’examen de ce texte, en particulier celles et ceux dont le département accueille des sites directement touchés par l’annonce des suppressions de postes chez ArcelorMittal.
Comme j’avais eu l’occasion de le dire lorsque cette annonce est tombée, je pense plus particulièrement au site de Dunkerque, où plusieurs centaines de postes doivent être supprimés, à celui de Mardyck, à d’autres sites du Nord, et plus largement des Hauts-de-France.
Merci au groupe communiste d’avoir braqué de nouveau le projecteur sur ce sujet douloureux, à quelques jours à peine de l’ouverture d’un délai dans lequel les salariés et leurs organisations syndicales devront répondre à l’annonce de ce plan social.
Cette proposition de loi, et tout particulièrement son article 1er, a l’immense mérite de proposer des solutions à l’échelle nationale, ce qui relève de la mission du Parlement français.
Plusieurs solutions sont possibles. La nationalisation en est une et il est important que nous puissions en débattre, notamment pour relayer la parole des salariés.
Cela a été dit, nous faisons face à une concurrence importante, principalement asiatique et très souvent déloyale. Au-delà des questions nationales, il nous faudra aussi revenir sur la question européenne.
Des solutions ont été esquissées : des solutions commerciales – par exemple, des quotas d’importation – et des solutions de régulation au travers des marchés publics.
Je considère, pour ma part, que la question du capital pourrait également être posée à l’échelle européenne. En effet, l’emploi est un sujet non pas seulement français, mais aussi européen : des emplois seront détruits dans d’autres États membres. Peut-être faudrait-il, à l’avenir, réfléchir à une européanisation ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas de chance, monsieur le ministre, le journal économique auquel vous avez accordé une interview et dans lequel la présente proposition de loi fait l’actualité indique que le nouveau baromètre des ouvertures et des fermetures des sites industriels en France, lequel est réalisé par les services de Bercy – donc ni par L’Humanité ni par le parti communiste ! – « confirme les ratés de la politique de réindustrialisation ». Je cite toujours : « Au premier semestre, le pays a vu presque deux fois plus de fermetures d’usines – 82 – que d’ouvertures – 44. »
Vous dites dans cette interview que vous allez mobiliser les préfets. En effet, tout le monde a bien compris ici qu’il s’agissait seulement, en l’occurrence, d’un problème de lourdeur administrative (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)… Ce n’est pas très sérieux, monsieur le ministre !
Je vous ai également entendu relater en partie ce qui s’est déroulé au sein de la Commission européenne. Dont acte. Il n’y a rien à dire, pas de commentaires à faire…
Vous avez simplement oublié de préciser avant – mais sans doute n’aviez-vous pas le temps ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) – que cette situation était liée à celle du marché européen de l’acier : 18 000 emplois directs supprimés dans la sidérurgie en 2024 au sein de l’Union européenne, et 150 000 autres emplois menacés d’ici à 2030 !
Bien évidemment, il faut tenir compte de la concurrence chinoise et des droits de douane américains. Vous dites que la politique des droits de douane a fait augmenter de 20 % les cours de l’acier à l’échelle mondiale. Dont acte.
Vous ajoutez que la Commission propose de diminuer de moitié les quotas d’acier étranger pouvant être importé sans surtaxe, et de doubler, de 25 % à 50 %, les droits de douane sur l’acier.
Je souhaite donc vous poser la question suivante, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, et vous, chers collègues de droite qui avez tous exposé votre désaccord sur notre proposition de loi sans formuler aucune proposition alternative,…
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            
                                                            

