Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord, moi aussi, remercier Mme Cukierman et ceux de vos collègues qui ont fait le choix de déposer cette proposition de loi. Je veux les remercier, car ce texte porte sur un sujet fondamental, qui sera également évoqué à l’Assemblée nationale, celui de notre avenir industriel, en particulier de la sidérurgie.

Je veux aussi remercier M. le rapporteur pour la qualité de son argumentation et pour avoir posé très clairement et rationnellement un certain nombre d’éléments sur un sujet qui a fait l’objet de débats parfois passionnés. C’est le cas – on le comprend – chaque fois que nous parlons de notre industrie et des hommes et des femmes qui la font vivre partout sur le territoire.

Cette « industrie des industries » qu’est la sidérurgie est celle dont on voit les œuvres partout : dans nos routes et nos rails, nos ponts et nos usines, nos villes et nos armées. Elle soutient nos infrastructures, elle irrigue toutes nos chaînes de valeur et, derrière elle, ce sont des usines, des hommes, des femmes et des territoires qui façonnent la France industrielle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi part d’un constat que nous avons tous fait : celui des difficultés profondes que traverse l’industrie sidérurgique européenne et, plus gravement, comme l’a rappelé M. le rapporteur, la filière historique des hauts fourneaux.

Ces difficultés tiennent à plusieurs causes très bien identifiées.

D’abord, la demande européenne et mondiale en recul entraîne des surcapacités massives. Nous produisons aujourd’hui plus d’acier que nous n’en consommons et les débouchés se contractent. Je songe notamment aux secteurs de la construction et de l’automobile, tous deux en crise et dont dépend la filière sidérurgique.

Ensuite, nous faisons face à une concurrence déloyale, avec des aciers asiatiques subventionnés qui arrivent sur notre continent à des prix artificiellement bas : le rapport des prix entre notre acier et le leur est de 1 à 3, et il est de 1 à 5 ou de 1 à 6 avec l’acier américain. Mais certains pays asiatiques qui ne pratiquent ni le dumping ni la subvention à l’extrême sont dans le même rapport de prix que nous. Cela montre bien qu’il existe une problématique spécifique de dumping avec certains pays asiatiques, à laquelle nous pouvons apporter des réponses – j’y reviendrai.

Enfin, le coût de production européen est tiré vers le haut par les prix de l’énergie, une fiscalité souvent trop lourde et le prix de la décarbonation. La décarbonation est inévitable à long terme, mais l’Europe a décidé de la mener la première, en faisant le choix lucide d’agir dès maintenant.

Ces réalités économiques suscitent de l’angoisse chez nos concitoyens, partout dans les territoires : la peur de la fermeture, la crainte du déclassement, l’incertitude qui plane sur l’avenir. Je connais cette détresse, car je suis moi-même élu d’un département qui, par le passé, a été confronté à des accidents industriels majeurs, tels que la fermeture de l’usine Kodak. Et c’est pourquoi ce débat a toute sa place dans cette assemblée.

Pour autant, la réponse apportée par le texte n’est pas la bonne. La nationalisation – n’en faisons pas une affaire d’idéologie – peut, dans certains cas, être une solution. Elle n’a d’ailleurs jamais été l’apanage d’un camp politique. La France y a ainsi eu recours à plusieurs reprises : ce fut le cas pour EDF, pour Atos, ou encore pour Alcatel Submarine Networks. La puissance publique a repris la main dans ces secteurs, non pour masquer une difficulté, mais pour protéger une infrastructure critique.

Or la situation d’ArcelorMittal n’entre pas dans ce cadre. Car, ici, nationaliser, ce n’est pas sauver, mais différer, traiter les symptômes sans s’attaquer aux causes. Pis encore, nationaliser ne ferait que poser de nouveaux défis à l’entreprise. Comme l’a très bien expliqué M. le rapporteur, en France, ArcelorMittal fonctionne comme un réseau intégré, avec des sites qui dépendent des fournisseurs et des clients du groupe partout dans le monde. Si l’on nationalise seulement la partie française, on brise ce réseau : les clients partent, les concurrents en profitent, la compétitivité s’effondre et l’on favorise les investissements étrangers.

Nationaliser ArcelorMittal reviendrait à placer l’entreprise sous perfusion publique, sans pour autant régler les problèmes qui minent la filière : la concurrence mondiale faussée, la faiblesse de la demande européenne et le déficit de compétitivité. Aucune de ces difficultés ne disparaîtra avec la nationalisation.

Les pertes, en revanche, deviendraient celles de l’État, et, donc, celles du contribuable. Une nationalisation reviendrait, pour le dire simplement, à essayer de gagner du temps pour perdre beaucoup d’argent.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les exemples britannique et italien sont cités à juste titre. Encore faut-il aller jusqu’au bout du raisonnement : outre-Manche, British Steel coûte 700 000 livres de pertes par jour au contribuable britannique. En Italie, le cas d’Ilva illustre un autre écueil : après des années de blocages et d’incertitudes, l’État italien peine encore à trouver un repreneur capable de relancer durablement l’activité – car, si l’on nationalise, ce n’est que temporairement, dans l’attente d’une reprise. Je ne crois pas que ce soit le modèle que nous souhaitons adopter.

Notre devoir est de préserver la vitalité industrielle des sites, une vitalité qui passe par des projets industriels. Si notre priorité est bien de protéger les salariés, leurs emplois, leurs compétences, leurs trajectoires professionnelles, il faut apporter des solutions structurelles à des problèmes structurels.

En réalité, le cœur du sujet réside dans la compétitivité. Le Gouvernement en tient compte en proposant, dans le cadre du projet de loi de finances, une baisse de 1,3 milliard d’euros de cet impôt de production que l’on appelle la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). C’est 1,3 milliard d’euros que nos entreprises n’auront plus à dépenser en impôts, mais qu’elles pourront réinvestir.

Car la compétitivité, c’est aussi cela : investir pour innover, décarboner, former les équipes, faire évoluer les compétences. C’est d’ailleurs tout l’enjeu autour des investissements déjà effectués par ArcelorMittal dans ses sites français, ainsi que des investissements que le groupe a annoncés et que nous soutenons. Cela étant, la volonté d’ArcelorMittal d’investir 1,2 milliard d’euros pour la construction d’un four électrique à Dunkerque reste conditionnée à l’existence d’un marché européen véritablement protégé du dumping et à celle d’un mécanisme de taxation carbone aux frontières réellement appliqué.

Mesdames, messieurs les sénateurs, laissez-moi dissiper un doute : la survie de la sidérurgie européenne se jouera d’abord à Bruxelles, et pas en France dans le cadre d’un décret de nationalisation, parce que le défi est avant tout européen. Tel est le sens du travail que nous menons pour faire vivre une véritable défense commerciale et une préférence européenne concrète.

Les deux lignes de force qui guident notre action sont un plan d’urgence pour l’acier européen et une taxe carbone aux frontières réellement efficace.

D’une part, la France bataille pour que l’Union européenne mette en place un plan d’urgence sur l’acier face au dumping asiatique. Ce plan, que nous avons obtenu, repose sur une clause de sauvegarde, un terme technique qui recouvre une réalité très simple, celle de quotas d’importation. Dit autrement, au-delà d’un certain seuil, des droits de douane de 50 % seront appliqués aux importations d’acier étranger.

Nous avons gagné sur le principe, mais le combat doit se poursuivre : la France se bat pour que ces mesures soient pleinement opérationnelles dès le 1er janvier 2026. Nous ne sommes pas seuls, puisqu’une dizaine de pays réunis dans l’Alliance européenne de l’industrie lourde soutiennent cette position. Nous sommes pleinement mobilisés sur ce dossier. Dès ma prise de fonction, je me suis d’ailleurs entretenu avec le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, et je serai à Bruxelles dans les prochains jours.

D’autre part, la France lutte pour une taxe carbone aux frontières qui fonctionne réellement, une taxe qui mette à égalité les sidérurgistes européens, qui paient le carbone, avec leurs concurrents étrangers, qui ne le paient pas… Là encore, nous avançons, mais nous devons rester combatifs pour que ce mécanisme ne puisse pas être contourné.

Nous avons arraché ces avancées, parce que nous croyons à une Europe industrielle, une Europe qui protège ses usines, ses emplois et ses savoir-faire. Et nous continuerons à nous battre pour que ces mesures soient adoptées rapidement par le Parlement européen comme par le Conseil.

Non, la nationalisation n’est pas la solution. Mais cela ne veut pas dire que nous nous interdisons d’agir : nous soutenons la décarbonation des procédés ; nous finançons les technologies nouvelles ; nous défendons la réciprocité commerciale ; et nous renforçons la compétitivité de notre industrie. Nous mobilisons donc tous les leviers pour que nos usines restent en France et que leurs salariés aient un avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ArcelorMittal n’est pas à vendre. Surtout, l’indépendance ne se décrète pas par un rachat : elle résulte d’une stratégie industrielle. Je veux le dire simplement : sauver une entreprise, c’est lui donner un futur, et non la mettre sous perfusion. Et, ce futur, nous le construirons par la compétitivité, l’investissement, et grâce à la cohérence de notre action européenne.

Je salue la position de la commission des finances sur cette proposition de loi. Je la partage pleinement, et j’appelle le Sénat à la suivre. (M. le rapporteur et M. Marc Laménie applaudissent.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Discussion générale (suite)

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Mise au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques. Lors des scrutins publics nos 14 et 15 portant sur la proposition de loi visant à garantir la qualité des services de gestion des déchets, Mme Viviane Malet souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.

Mes chers collègues, je vais suspendre la séance ; elle sera reprise à quatorze heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national
Article 1er

Nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe ArcelorMittal, malgré des fonds propres colossaux et la perception d’aides publiques massives, a annoncé en avril dernier la suppression de centaines d’emplois en France, ainsi que le report de ses investissements dans la modernisation et la décarbonation de son outil industriel.

Face à une forme de cynisme de la part de ce groupe, face à la crise structurelle qui frappe la sidérurgie européenne, dans un contexte d’urgence climatique absolue, et face aux menaces directes qui pèsent sur nos emplois et notre souveraineté, la présente proposition de loi du groupe communiste, cosignée par l’ensemble des groupes de gauche et les écologistes, est d’une importance majeure et répond à une impérieuse nécessité.

La modernisation des outils de production, leur électrification notamment, est incontournable si nous voulons respecter nos engagements climatiques en matière de transition. Les trois sites français de production d’acier appartenant à ArcelorMittal, à Dunkerque, Fos-sur-Mer et Florange, représentaient, en 2019, 24 % des émissions de CO2 de l’industrie en France et 4,5 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire national.

En 2023, dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone et en vue de décarboner les sites les plus émetteurs, le groupe ArcelorMittal a signé un contrat de transition écologique avec l’État français, avec pour premier objectif, d’ici 2030, de réduire de 35 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2015, et pour second objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

La puissance publique a proposé de subventionner la décarbonation de l’outil de production à hauteur de 850 millions d’euros, soit environ la moitié des besoins d’investissement. Cette aide a été autorisée par la Commission européenne le 20 juillet 2023, mais le revirement d’ArcelorMittal a entraîné le report de ces investissements et remet en cause, de fait, notre stratégie climatique.

Ce qui garantira, demain, l’emploi industriel dans notre pays, c’est la transformation de l’outil de production – il faut le dire –, via notamment l’électrification des hauts fourneaux. Il n’y aura pas de transition écologique sans emplois industriels ni d’industrie sans transition écologique.

La filière de l’acier est hautement stratégique. Nous ne pouvons accepter que son avenir en France et en Europe dépende uniquement de décisions erratiques, sans aucune logique de planification ni vision d’avenir. Oui, la sidérurgie est une composante majeure de notre souveraineté industrielle, essentielle entre autres à la défense, aux infrastructures critiques et à la transition énergétique.

Face à la menace qui pèse sur l’ensemble de la filière de l’acier européen, la Commission européenne a enfin amorcé un virage protectionniste en proposant de doubler les droits de douane sur l’acier de 25 % à 50 %, tout en diminuant de moitié les quotas d’acier étranger pouvant être importés sans surtaxe dans l’Union européenne. Il s’agit d’un début de réveil salutaire.

Oui, en effet, il y a urgence. La filière européenne est menacée par la surproduction mondiale, dopée par la concurrence déloyale chinoise : 150 000 emplois sont ainsi menacés en Europe.

La présente proposition de loi ne relève donc pas d’un choix idéologique : elle résulte d’une vision pragmatique qui s’articulera parfaitement avec le virage pris au niveau européen. Elle vise à préserver nos capacités industrielles et l’emploi, comme l’a fait le gouvernement britannique.

Le texte tend à garantir que les actifs d’ArcelorMittal en France – c’est-à-dire les sites de Dunkerque, de Fos-sur-Mer, et de Florange ainsi et que toute autre installation jugée essentielle – soient reconnus comme des biens d’intérêt général relevant de notre souveraineté industrielle.

Cette proposition de loi est un premier pas essentiel, qui doit en outre s’inscrire dans une démarche plus globale et multisectorielle. Nous devons protéger l’ensemble des entreprises stratégiques d’intérêt national ou européen.

Nous devons aussi mettre fin à la passivité de l’État face aux décisions unilatérales des multinationales. Nous devons reprendre en main notre destin et bâtir notre stratégie industrielle.

Pour sauvegarder les aciéries, pour leur permettre de réussir à passer le cap de la décarbonation, pour faire advenir une souveraineté industrielle réelle, loin des incantations et de la soumission au marché, pour favoriser la planification des emplois, des filières et des savoir-faire, vous l’aurez compris, nous voterons ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avouons-le d’emblée, il est bien difficile pour n’importe quel habitant des Bouches-du-Rhône, et, donc, pour chacun des parlementaires de ce département, d’être insensible aux questions touchant à l’avenir d’ArcelorMittal.

Il en va de même de toutes les régions françaises qui ont subi les crises causées par le recul de nos capacités de production dans le domaine sidérurgique, ainsi que les cortèges de licenciements qui ont plongé nombre de familles dans la difficulté et ont contraint des villes à s’engager dans des conversions interminables et aléatoires.

Se désintéresser de ce sujet reviendrait à faire preuve de désinvolture quand on sait que la filière sidérurgique, à Fos-sur-Mer, représente 4 000 emplois. Une telle attitude serait d’autant plus condamnable que cette implantation industrielle, deuxième site sidérurgique français, est le fruit d’une histoire qui serait bien trop longue à retracer ici.

Le secteur sidérurgique fait aussi l’objet, pour les années à venir, d’importantes perspectives d’investissement liées à la décarbonation, car nous devons nous adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Il est aussi au cœur de ce que l’on appelle notre souveraineté économique.

C’est pourquoi je partage les interrogations et inquiétudes qui ont conduit à l’élaboration du texte que nous examinons aujourd’hui. Elles sont légitimes et appellent une attention particulière.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de vous faire part de ma perplexité. « Nationalisation » : pour des oreilles bercées par les douces rengaines du libéralisme, il s’agit d’un gros mot. Pour d’autres, en revanche, le terme est un totem scandé lors de chaque discussion où il est question de maîtrise de nos politiques industrielles.

Dans le cadre des échanges qui ont précédé le rejet de ce texte par la commission des finances, j’ai eu la désagréable impression de revivre un film, si je puis m’exprimer ainsi, qui a suscité bien des querelles lors du quinquennat de François Hollande. C’est fort regrettable, et je crains que nous ne donnions le spectacle d’élus ravivant ad nauseam la querelle des Anciens et des Modernes.

À l’heure où l’exécutif et le Parlement sont en quête de milliards pour lutter contre une dette qui fragilise notre pays, nous sommes en présence d’un cas d’école avec cette proposition de loi relative à la situation d’ArcelorMittal. Chacun affûte ses arguments : les auteurs du texte ont raison de tirer la sonnette d’alarme de l’emploi ; le rapporteur, lui, n’est pas en reste, puisqu’il rappelle que toute réponse doit être apportée au niveau européen si l’on veut protéger le secteur sidérurgique.

Hélas, je crains que cela ne soit insuffisant pour calmer l’inquiétude des sidérurgistes qui peuvent estimer que, derrière cet argument, se cache l’antienne du « ce n’est pas nous, c’est Bruxelles ! »…

Je reste convaincue que les passes d’armes convenues autour du terme « nationalisation » nous font passer à côté d’un point essentiel : les 200 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises et les quelque 300 millions d’euros dont a bénéficié ArcelorMittal en 2023. Ces aides sont nécessaires. Soit ! Mais si le coût d’une nationalisation est pharaonique, celui des aides publiques versées aux entreprises, sans l’assurance de préserver durablement notre souveraineté, sans la garantie du maintien de l’emploi, le tout accompagné du chantage permanent exercé par celles-ci – je fais référence à l’article du journal Le Monde de ce matin –, l’est tout autant.

Il faut évaluer ces aides publiques, les réglementer et légiférer pour mieux les contrôler. Il convient de savoir à quels investissements elles contribuent, quels emplois elles permettent de créer ou de préserver, quelles stratégies elles encouragent. Il s’agirait là d’une démarche plus fructueuse. Il importe aussi de rappeler aux entreprises bénéficiaires, qui licencient abusivement en jouant de leur position, la célèbre saillie de Margaret Thatcher : « I want my money back ! »

Cela étant, je voterai pour ma part contre ce texte. Mes collègues du groupe du RDSE useront, eux, de leur liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet.

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier les membres du groupe CRCE-K d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de leur espace réservé, un texte d’ailleurs cosigné par les membres d’autres groupes.

En effet, la question de l’industrialisation de la France est absolument majeure, et ce débat va nous donner l’occasion de réfléchir à l’avenir de notre industrie, plus particulièrement à l’avenir du secteur sidérurgique.

Mon groupe n’est pas opposé aux nationalisations. J’en veux pour preuve que nous avons approuvé la nationalisation intégrale d’EDF l’an passé. Certes, nous aurions préféré que les personnels puissent acquérir une part plus significative du capital de l’entreprise – disons-le clairement – pour tirer les fruits de son expansion, mais nous ne sommes pas par principe opposés à un tel processus. Cet engagement témoigne de notre attachement à un État fort, qui se préoccupe des véritables facteurs de croissance économique dans les territoires, c’est-à-dire, ici, de nos filières énergétiques, qui sont cruciales pour notre industrie.

Le groupe Union Centriste est particulièrement sensible au sort de la filière sidérurgique. On le sait en effet, en 1951, l’Europe s’est construite, pour le plus grand bien de tous, sur les bases de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). C’est à partir de cette organisation et de ses quelques pays fondateurs que s’est forgé l’esprit européen et que s’est développée l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui. Cela montre bien l’importance de l’acier et explique notre intérêt pour cette question.

Comme l’a très bien expliqué le rapporteur, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale : d’un côté, la production mondiale d’acier est largement excédentaire, ce qui nous expose à un problème de compétitivité ; de l’autre, ArcelorMittal, acteur non négligeable de la filière sidérurgique, emploie 15 000 salariés en France sur une quarantaine de sites différents. On sait que la filière sidérurgique est indispensable pour l’industrialisation de notre pays : doit-on pour autant, face à toute nouvelle difficulté, envisager la nationalisation des entreprises fragilisées, c’est-à-dire proposer systématiquement que l’État en prenne seul la direction ?

Nous estimons qu’il faut y réfléchir à deux fois avant de s’engager dans une telle voie. En effet, nous pourrions être amenés à engager des montants considérables, alors même que nous sommes dans l’obligation de réduire nos dépenses publiques.

Face à un déficit public colossal, nous n’avons pas d’autre choix que de réduire nos dépenses, contrairement à ce que soutiennent certains de nos collègues députés – on le voit bien en ce moment – qui veulent toujours taxer davantage. Nous estimons au contraire que le levier de l’impôt doit être mobilisé avec mesure, car la surtaxation conduit inévitablement à l’indécision des acteurs économiques, qui hésitent alors à investir et à s’engager en faveur du développement du pays. C’est pourtant indispensable : la croissance de la France passera notamment par la reconnaissance de la valeur travail – il faut se retrousser les manches pour faire de la France un pays prospère dans lequel chaque habitant puisse vivre heureux.

Avant d’envisager la nationalisation d’ArcelorMittal et, donc, d’investir massivement, malgré le risque que fait courir le recours systématique à la puissance publique, devenue une sorte de « panier sans fond » pour sauver les entreprises déficitaires, il nous faut bien réfléchir. (Mme Catherine Belrhiti approuve.) On s’expose, sinon, à un certain nombre de désillusions : je pense à la hausse des déficits et, donc, à la possible incapacité de l’État à mener, demain, des politiques publiques, un rôle auquel nous tenons bien évidemment tous. Soyons prudents à ce sujet !

Monsieur le ministre, les membres du groupe Union Centriste sont particulièrement sensibles à la question de la réindustrialisation de la France. Nous espérons, puisque vous avez été nommé il y a quelques jours, que vous pourrez mener une action déterminée en la matière. Nous en avons bien besoin ! La tâche ne sera pas facile, il faut bien le reconnaître.

Les entreprises doivent pouvoir gagner en compétitivité et, donc, être davantage performantes au niveau international. Cela implique, selon nous, de baisser les charges. Nous espérons donc que des propositions en ce sens seront formulées lors de l’examen du projet de loi de finances.

Quoi qu’il en soit, la majorité des membres du groupe Union Centriste ne soutiendront pas la nationalisation d’ArcelorMittal.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de nos collègues communistes visant à nationaliser les actifs français de l’entreprise ArcelorMittal.

Le texte prévoit tout simplement que l’État rachète les actifs français d’une entreprise sidérurgique mondiale. Une fois l’État devenu propriétaire, il deviendrait aussi sidérurgiste au travers d’une société publique que nos collègues proposent de baptiser « Société Nationale de l’Acier ».

Bien que l’idée paraisse surprenante, elle n’est pas nouvelle. Dans les années 1980, en France, les communistes ont poussé leurs alliés socialistes à cette même politique de nationalisation. À l’époque, l’industrie sidérurgique était en situation de surcapacité de production au niveau mondial, ce qui a provoqué une chute du cours de l’acier et l’arrêt de nombreux hauts fourneaux.

Après que le secteur a été sous perfusion publique durant plusieurs années, François Mitterrand a décidé de le nationaliser en 1982. Treize années plus tard, lorsque l’entreprise Usinor-Sacilor est reprivatisée, l’État sidérurgiste n’a pas pu empêcher les transformations que la filière a connues à l’échelon mondial.

En quelques années, dans ce secteur, le nombre de salariés est passé de 95 000 à 38 000 en France, et la productivité a tout simplement doublé. La « casse sociale » que les socialistes voulaient éviter a malgré tout eu lieu. Sans compter que cette politique nous a coûté extrêmement cher : en vingt ans, 100 milliards de francs de subventions publiques ont été engloutis, dont 80 milliards de francs pour un accompagnement social en complet décalage avec les besoins de l’économie de l’époque. Des départs anticipés à 55 ans, voire à 50 ans, ont été rendus possibles ; l’État a payé des congés de formation de deux ans : il a ainsi diminué le temps de travail d’ouvriers qui étaient pourtant en âge de produire.

Voici ce qui nous attend, mes chers collègues, si nous essayons de reconduire une telle politique publique. D’abord, la nationalisation va nous coûter une somme exorbitante dont nous ne disposons pas. L’Institut La Boétie, le think tank des Insoumis, estime que cette nationalisation ne nous coûterait que 4 milliards à 6 milliards d’euros : une bagatelle à l’époque où nous sommes ! Ensuite, il nous faudra investir massivement pour rénover l’appareil de production sidérurgique, pour faire en sorte qu’il pollue moins à l’avenir, en passant du charbon à l’électricité. Enfin, il nous faudra de toute façon payer la facture sociale que la rénovation de l’appareil productif engendrera. Si mes calculs sont bons, nous aurons en quelque sorte payé trois fois au lieu d’une…

L’examen de cette proposition de loi intervient dans un contexte tout à fait similaire à celui des années 1970 et 1980. La Chine produit des quantités pharaoniques d’acier très pollué, ce qui entraîne une surproduction mondiale.

Les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences : le cours de l’acier plonge – il a presque été divisé par deux depuis octobre 2021 – et de nombreux hauts fourneaux sont éteints.

Nous sommes, finalement, dans une situation identique. Il nous faut, de plus, prendre en compte les impératifs climatiques, puisque la sidérurgie est l’industrie la plus polluante de France, bien que nous produisions un acier bien plus « vert » que celui de nos amis chinois.

Notre pays ne dispose ni d’importants gisements, ni d’une énergie à bas coût, et encore moins d’une main d’œuvre quasiment gratuite. Ces atouts, l’URSS en bénéficiait, mais elle a tout de même échoué. Le résultat du dirigisme économique soviétique, nous le connaissons : l’industrie sidérurgique a englouti des milliards de roubles au détriment des autres secteurs, comme l’alimentation. Cette industrie a pollué plus et produit moins que ses concurrentes, pour une qualité inférieure.

L’alternative que nous devons résoudre est simple : soit nous utilisons des milliards fictifs pour nous approprier par la force une entreprise qui n’est pas à vendre, soit nous utilisons cet argent à bon escient, au service de notre souveraineté industrielle.

L’industrie sidérurgique française a, comme le reste de l’industrie, besoin de protection contre les distorsions de concurrence, notamment celles dont bénéficient les aciers chinois. Il lui faut retrouver de la compétitivité grâce à une fiscalité équivalente à celle dont bénéficient ses concurrents mondiaux et nous devons l’accompagner dans le verdissement de sa production par des investissements publics très ciblés.

Tels sont les véritables enjeux qui s’imposent à nous et auxquels nous devons apporter une réponse.

Cette réponse est attendue par les salariés d’ArcelorMittal comme par ceux de l’entreprise Novasco dans le Nord, la Loire et la Moselle, dont la situation particulièrement préoccupante m’a été rapportée par ma collègue Marie-Claude Lermytte.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires s’opposeront à l’adoption de cette proposition de loi qui obéit, selon eux, à une logique d’un autre temps.