Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. Je ne vois pas pourquoi une journée de solidarité de la part des actionnaires serait une blague.

Mme Stéphanie Rist, ministre. Personne n'a dit cela !

Mme Anne Souyris. Cela semble certainement beaucoup plus raisonnable que d'imposer, tout à coup, au débotté, des journées supplémentaires de travail, sans dialogue avec personne.

La question de la solidarité des actionnaires, qui n'a pas encore été posée, est bien plus sérieuse, et j'aimerais que nous nous en saisissions de manière réfléchie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. La CSA est fort modeste, puisqu'elle représente 0,4 % de la taxe sur les employeurs ; elle est donc supportable. Je précise également qu'elle est collectée et versée.

Je voudrais revenir sur l'augmentation d'une heure de la durée hebdomadaire de travail. Il convient de reconnaître, quand on annonce une grande avancée, un grand compromis, que nous allons le payer.

En France, heureusement, une grande partie des travailleurs – pas tous, cependant – sont mensualisés. Si vous offrez aujourd'hui un emploi d'infirmière payé 2 000 euros par mois pour 35 heures de travail hebdomadaire, rien ne vous empêchera, demain, de proposer le même poste pour 36 heures de travail.

De surcroît, la durée du travail n'est pas une obligation ; il s'agit simplement du seuil à partir duquel sont déclenchées les heures supplémentaires. Par conséquent, celui qui, demain, pour le même poste, travaillera 36 heures mensualisées au lieu de 35, se verra privé, en plus, de la rémunération de l'heure supplémentaire.

Ainsi, à l'exception du SMIC, qui est horaire, il n'existe aucune obligation. Par conséquent, bien des heures deviendront gratuites, ce qui n'équivaudra pas à une journée, puisqu'une heure par semaine, sur 45 semaines travaillées, représente bien plus…

Il me semble donc que les actionnaires doivent, eux aussi, apporter une contribution gratuite.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Qu'est-ce qu'un actionnaire ? C'est une personne qui investit dans une entreprise. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Laurence Rossignol. Un salarié aussi !

M. Patrick Kanner. 100 milliards d'euros de dividendes !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C'est la définition d'un actionnaire, mes chers collègues.

Vous ne pensez qu'aux actionnaires du CAC 40, ceux qui perçoivent une grande partie des bénéfices, les milliardaires. Pour ma part, je vous parle de la majorité d'entre eux, c'est-à-dire des petits actionnaires. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Ainsi, un actionnaire apporte des moyens pour qu'une entreprise puisse se créer, se développer, mettre en œuvre des projets d'avenir. Toutes les sociétés ne versent pas des dividendes très importants, mais je sais très bien que ce sont celles qui le font que vous ciblez.

Pour ma part, je connais beaucoup de petits actionnaires. Comment les mettriez-vous à contribution ?

S'agissant du fond de votre proposition, vous faites reposer votre raisonnement sur les revenus que celle-ci pourrait rapporter. Or le cadre n'en est pas très bien défini, et c'est là le problème. Vous avez demandé si nous étions au concours Lépine. Non, tel n'est pas le cas : il faut être précis et proposer un dispositif qui puisse fonctionner et être compris par l'ensemble de nos concitoyens, ce qui n'est pas le cas de votre mesure.

Vous exposez une idée, que je respecte. D'ailleurs, il n'est pas certain que les actionnaires refuseraient de participer à une journée de solidarité. Toutefois, en l'occurrence, cet amendement est inapplicable ; d'où notre avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1151.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 1662 rectifié, présenté par Mmes Conconne et Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol, Rossignol, Artigalas et Bélim, MM. Cardon, Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Espagnac, MM. Féraud et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin et P. Joly, Mme Linkenheld, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron, Ros, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 12 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La section XVIII du chapitre III du titre premier de la première partie du code général des impôts est ainsi rétablie :

« Section XVIII

« Contribution additionnelle à la charge de certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif

« Art. 235 ter ZB. – I. – Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles gérés par un organisme de droit privé à but lucratif sont assujettis à une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés dont le taux varie en fonction du niveau de leur rentabilité financière.

« La contribution additionnelle correspond à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219 du présent code, au titre du dernier exercice clos.

« Elle est égale à 20 % de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature, lorsque le résultat net de l'établissement est supérieur à 10 % du montant des capitaux propres de l'entreprise. Le taux est porté à 30 % lorsque le résultat net est supérieur à 15 % des capitaux propres.

« Pour les redevables qui sont placés sous le régime prévu à l'article 223 A ou à l'article 223 A bis, la contribution est due par la société mère. Elle est assise sur l'impôt sur les sociétés afférent au résultat d'ensemble et à la plus-value nette d'ensemble définis aux articles 223 B, 223 B bis et 223 D, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature.

« II. – La contribution est établie, contrôlée et recouvrée comme l'impôt sur les sociétés avec les mêmes garanties et les mêmes sanctions.

« III. – Le produit de la contribution est affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie définie à l'article L. 223-6 du code de la sécurité sociale. »

La parole est à Mme Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne. Je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 1662 rectifié est retiré.

Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1158, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky, est ainsi libellé :

Après l'article 12 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Une contribution spécifique est prélevée sur les revenus générés par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif, dont le taux et l'assiette sont définis par décret. Les recettes sont directement affectées à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Cet amendement tend à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif. Depuis la publication du livre Les Fossoyeurs par le journaliste Victor Castanet, les dysfonctionnements de la gestion de ces établissements ont été mis en lumière.

Personnels précarisés, résidents délaissés, subventions publiques détournées : autant de comportements répréhensibles, indignes de la prise en charge de nos aînés et qui posent la question de l'existence d'un secteur lucratif dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Cet amendement vise à mettre à contribution les dividendes des Ehpad privés à but lucratif, au bénéfice des Ehpad publics et privés non lucratifs.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 1319 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

L'amendement n° 1664 est présenté par Mme Le Houerou, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Lubin, Poumirol, Rossignol, Artigalas et Bélim, MM. Cardon, Chaillou et Chantrel, Mme Conway-Mouret, M. Darras, Mme Espagnac, MM. Féraud et Gillé, Mme Harribey, MM. Jacquin et P. Joly, Mme Linkenheld, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, MM. Montaugé, Pla et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron, Ros, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 12 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Il est institué une contribution assise sur le résultat fiscal des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés à but lucratif, déterminé conformément aux dispositions du code général des impôts. Le taux, les modalités de liquidation et les règles de recouvrement de cette contribution sont fixés par décret. Son produit est intégralement versé à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l'amendement n° 1319.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le scandale Orpea a montré que de grands groupes privés ont joué sur les forfaits soins et hébergement pour détourner des fonds publics. L'État a ainsi réclamé 55 millions d'euros à Orpea – c'était un minimum –, des sommes qui ont manqué à la sécurité sociale et à la branche autonomie, dont la trajectoire est déficitaire.

Prévenir les dérives du secteur privé lucratif dépend du contrôle mis en œuvre contre les détournements, une condition indispensable si l'on veut recouvrer les sommes sur le résultat fiscal des Ehpad.

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour présenter l'amendement n° 1664.

M. Simon Uzenat. Cet amendement vise à créer une contribution assise sur le résultat fiscal des Ehpad privés à but lucratif, au profit des Ehpad publics.

Comme nos collègues l'ont rappelé, Victor Castanet, dans son livre, a fait la lumière sur les pratiques scandaleuses du groupe Orpea, lesquelles, malheureusement, sont observées encore aujourd'hui dans bien des structures privées. Je pense, notamment, au rationnement des couches et de la nourriture ou au fait de laisser des personnes âgées plusieurs heures sans soins d'hygiène, sans oublier l'absence de douche pendant des jours, voire des semaines, en pleine période estivale.

Pendant ce temps-là, les profits ont explosé : entre 2008 et 2018, les dividendes versés par Orpea ont été multipliés par vingt, passant de 4 millions d'euros à 80 millions d'euros.

Malheureusement, Orpea n'est pas le seul groupe concerné. Ainsi, sur le temps long, entre 1985 et 2015, le nombre global de places en Ehpad a augmenté de 85 %, bondissant de 560 % dans le seul secteur privé lucratif.

En outre, lorsque nous comparons ce dernier secteur au public, les ratios sont édifiants, puisqu'il comporte 23 % de personnel soignant en moins tout en imposant des coûts en hausse de 44 % pour les familles, ce qui est absolument insupportable pour nombre d'entre elles, à plus de 2 600 euros par mois en moyenne.

Nous proposons donc de surtaxer les Ehpad privés à but lucratif pour aider les Ehpad publics et lutter contre la financiarisation de services essentiels, dont nos aînés et leurs familles sont les premières victimes.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Stéphanie Rist, ministre. Nous avons déjà eu ce débat. J'émets un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.

M. Patrick Kanner. Madame la rapporteure générale, madame la ministre, sur un sujet aussi important que celui de l'équité de l'offre de soins et d'accueil dans notre pays, vos réponses me semblent quelque peu rapides. Peut-être le véhicule législatif vous paraît-il inadéquat ?

Au problème des Ehpad publics, j'ajouterai celui des Ehpad gérés par le secteur associatif non lucratif, qui rencontrent aujourd'hui les mêmes difficultés, partout en France. Il faudrait donc imaginer un dispositif de solidarité entre ces structures, toutes financées, entre autres, par des deniers publics, y compris les Ehpad privés à but lucratif.

Il s'agit aussi d'alléger la charge financière qui pèse sur les départements, lesquels, au travers de l'aide sociale, sont contributeurs des Ehpad publics et associatifs.

Ce véhicule législatif ne vous plaît peut-être pas, mais la problématique est réelle ; je trouve donc quelque peu anormales les réponses trop rapides apportées à la proposition que nous défendons au nom du groupe socialiste.

Mme Pascale Gruny. On a déjà eu le débat !

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.

M. Simon Uzenat. Peut-être avons-nous déjà débattu de ces questions, mais aujourd'hui, lorsque nos personnes âgées – nous en avons, toutes et tous, dans nos familles – connaissent une situation de dépendance, ce qui peut aussi arriver quand on est très jeune, il s'agit d'un drame, pour elles comme pour leur famille.

C'est le cas en particulier quand vous n'avez d'autre choix que d'accepter une place dans une structure privée à des prix prohibitifs, quand l'ensemble des enfants et des proches se saignent pour permettre l'accueil de cette personne devenue dépendante, sans autre solution pendant des mois, si ce n'est des années…

Le simple fait d'entendre les réponses laconiques de Mme la rapporteure générale et de Mme la ministre est choquant, non pas tant pour nous que pour ces personnes âgées et leurs familles.

Encore une fois, comme vous l'avez tous reconnu, mes chers collègues, il faut des ressources nouvelles. Nous proposons des pistes, dont les présents amendements font incontestablement partie.

Les acteurs privés ont leur place, mais à condition d'être respectueux des personnes âgées et de leur famille. En réalité, ils emmagasinent des profits sur la détresse de familles qui n'ont pas d'autre choix, faute de solutions publiques à des prix avantageux, ou sur la détresse de millions de concitoyens qui, aujourd'hui, redoutent de finir leur vie seuls, loin de chez eux, dans un lieu inadapté à leur situation de dépendance, faute de moyens.

Nous savons donc bien qu'il s'agit de sujets lourds, qui réclament des financements, et qu'il faudrait une loi Grand Âge, laquelle n'arrive toujours pas. Chaque fois que nous évoquons ce sujet, la décence commanderait au moins de prendre en compte des vécus absolument dramatiques.

Face aux très nombreux témoignages que nous recevons toutes les semaines, nous ne pouvons, bien évidemment, rester insensibles. Au contraire, il faut tout faire pour proposer des solutions. Cet amendement, travaillé avec notre collègue Jean-Luc Fichet, en fait partie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour explication de vote.

Mme Corinne Féret. Je vais présenter un argument complémentaire en faveur de cet amendement. Nous proposons d'instaurer une contribution sur les bénéfices réalisés par des établissements privés à but lucratif, mon collègue ayant bien rappelé les besoins considérables auxquels nous devons satisfaire, ce que nous ne faisons pas encore, pour prendre correctement nos aînés en charge.

En effet, des établissements privés à but lucratif tirent une part importante de leurs revenus de financements publics, puisque des forfaits soins leur sont versés par les ARS, tandis que les départements apportent leur concours au titre de la dépendance. En somme, c'est l'argent de la solidarité nationale qui leur permet de fonctionner. Or nombre d'entre eux réalisent des bénéfices significatifs.

La question de la juste répartition de ces profits se pose donc tout à fait légitimement. Quand la puissance publique contribue aussi massivement à un modèle économique, il est tout à fait normal qu'une part des bénéfices revienne au financement du bien commun, en l'occurrence de la branche autonomie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.

Mme Anne Souyris. Je suis frappée par une chose : quand il s'agit de taxer les malades au travers de franchises ou de ponctionner la retraite des personnes âgées, cet hémicycle est pour.

En revanche, quand il s'agit de faire payer, en fonction de leurs bénéfices, des grands groupes qui, non seulement ont maltraité les personnes âgées, mais encore, au travers de la financiarisation de la santé, pillent la sécurité sociale, soudainement, ce n'est pas possible ! Il n'y a même pas d'explication ; nous recevons juste un avis défavorable.

Il y a tout de même un problème de responsabilité politique. Je le demande de nouveau : où est la droite sociale ?

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour explication de vote.

M. Gérard Lahellec. Comme l'indiquait à l'instant notre collègue Kanner, le problème se pose partout en France. Toutefois, étant issu des Côtes-d'Armor, un département à dominante rurale, j'observe que l'essentiel de nos Ehpad, sur place, sont publics ou associatifs.

Pourquoi ? Parce que ce qui détermine la solvabilité de ces établissements, c'est le niveau des retraites. Or dans notre ruralité, la majorité des retraités sont issus de l'agriculture. Je puis vous assurer que les efforts du département, en limitant à 10 % l'augmentation du coût journalier , ont eu un effet terrible sur le reste à charge pour les familles.

Par conséquent, l'on ne peut ignorer les plus nécessiteux, qui sont aussi les plus nombreux. Je ne sais si la ressource que nous proposons suffira – ce n'est sûrement pas le cas – à résoudre l'ensemble du problème, mais nous faisons œuvre de solidarité, raison pour laquelle nous la voterons sans réserve.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je n'ai pas la réponse à la question de ma collègue Anne Souyris, qui voulait savoir où était passée la droite sociale. Je crains que nous ne la cherchions encore un certain temps…

Notre débat doit reposer sur un constat : depuis les années 1960 et 1970, le partage de la valeur entre le capital et le salariat a évolué constamment, par différents mécanismes, en faveur du capital. Nous le savons parfaitement. Or une grande partie des problèmes que nous évoquons en matière de déficit de la sécurité sociale tient au fait que celle-ci, avant tout, est adossée à la valeur créée par le salariat et par l'ensemble des travailleurs.

Premièrement, lorsque nous parlons des Ehpad et de l'investissement financier de groupes privés dans ces établissements, nous sommes au cœur de ce sujet. En effet, l'une des raisons de l'évolution du partage de la valeur réside aussi dans les très petits salaires qui se sont généralisés dans la prestation de services, bien plus que dans l'industrie. En d'autres termes, ces groupes réalisent d'autant plus de bénéfices qu'ils s'appuient un système de salaires particulièrement bas.

Deuxièmement, je ne dis pas que ces groupes font toujours un mauvais travail. En effet, s'ils accomplissent un bon travail, ils obtiennent des résultats et réalisent des bénéfices. Je ne confonds absolument pas cette situation avec les scandales précédemment mentionnés.

En revanche, si ces groupes réalisent des bénéfices, c'est aussi parce qu'il existe un système de sécurité sociale dont ils bénéficient pleinement, étant donné qu'ils s'adressent à des personnes en perte d'autonomie. En réalité, ils bénéficient donc deux fois d'un système qui a évolué en faveur du capital.

Par conséquent, taxer leur résultat est parfaitement approprié, surtout au moment où l'on demande un effort important à l'ensemble de la société, compte tenu de l'état des finances publiques. Cette proposition est donc particulièrement légitime.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Bien sûr que ce débat est légitime : personne n'oserait dire le contraire.

Je veux tout d'abord vous répondre, monsieur le président Kanner. C'est la troisième fois que nous abordons ce sujet. Néanmoins, vous n'étiez pas présent lorsque nous l'avons évoqué précédemment.

M. Patrick Kanner. C'est pour cela que je suis venu vous entendre maintenant !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Chaque fois que nous examinons une contribution ou une taxe, il est proposé d'en réduire le produit ou de la supprimer.

Nous avons donc déjà eu ce débat, et nous l'aurons de nouveau à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances. Pour autant, je veux vous apporter quelques réponses.

La question que vous soulevez nous touche tous. Nous vivons dans le même monde : nous connaissons tous des personnes âgées, y compris dans nos propres familles – ce sont parfois nos propres parents ! –, auxquelles il faut trouver un établissement susceptible de les accueillir.

Le sujet n'est donc pas prégnant uniquement pour la gauche. Il se pose à tous, sans nuance, et suscite une grande émotion.

Les projets d'Ehpad à but lucratif sont moins nombreux, à cause des scandales qui ont éclaté. Et c'est tout à fait logique : ce qui a été décrit est tout simplement insupportable. Il est donc vrai que le secteur en a pris un coup…

Ces révélations, d'ailleurs, ont été plus ou moins bien vécues par le personnel. Pensons aussi à ces salariés, qui ne sont pas tous auteurs de maltraitance, et qui ne bénéficient pas tous des superprofits dégagés par ces groupes.

Mme Laurence Rossignol. Ils n'en voient pas la couleur !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous sommes bien d'accord.

Ce débat n'a donc rien de nouveau.

Environ 33 % de ces établissements sont en difficulté. La proportion est peut-être moins élevée dans le secteur public, mais la baisse du nombre de projets d'établissements est bien une réalité, liée à cette actualité.

Je souhaiterais que notre débat soit plus nuancé. Le musée du Luxembourg accueille actuellement une exposition d'œuvres de Pierre Soulages. Tout semble tellement noir, ici, que l'on se demande s'il est bon de rester dans ce pays ! J'en suis quelque peu heurtée. Finalement, pendant l'examen du PLFSS, l'exposition Soulages, c'est aussi dans cet hémicycle !

M. Dantec se demandait où est passée la droite sociale depuis les années 1970. Pour ma part, j'ai parfois l'impression d'entendre des discours tirés du XIXe siècle – les patrons contre les ouvriers ! (M. Ronan Dantec lève les bras au ciel.) Nous avons tout de même un peu évolué depuis Émile Zola et Victor Hugo ! (Protestations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n'est pas ce que nous disons !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Je vous invite à réécouter nos débats, car c'est bien l'impression que l'on en retire. Faisons preuve d'un peu de nuance. (M. Vincent Capo-Canellas et Mme Nadia Sollogoub applaudissent.)

Nous aimons notre pays. Dans l'ensemble, nos concitoyens se comportent très bien. Mais il faut aussi que l'économie fonctionne pour que notre pays dégage des revenus et que chacun puisse s'épanouir.

Nous n'avons pas les mêmes orientations économiques ni politiques. Je comprends que vous soyez un peu frustrés que nous n'acceptions pas vos amendements, mais c'est le choix de la majorité.

Mme Laurence Rossignol. Ce n'est pas nous qui sommes frustrés !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Ce choix, vous avez aussi dû le faire à l'époque où vous étiez majoritaires, au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Stéphanie Rist, ministre. Mon intention était de faciliter l'avancée du débat : puisque nous avions déjà eu cette discussion, je n'ai pas cru nécessaire de développer l'avis du Gouvernement. Veuillez m'en excuser.

Les auteurs de ces amendements souhaitent instituer une contribution, en partant du postulat qu'un Ehpad lucratif risquerait de mal utiliser ses ressources.

J'ai rappelé les risques inhérents à la financiarisation. Nous nous sentons tous concernés par ce sujet. Des lois ont d'ailleurs été récemment votées pour la combattre.

Désormais, les Ehpad devront mettre en œuvre une comptabilité analytique, qui fera l'objet d'une attestation d'un commissaire aux comptes et qui retracera notamment l'utilisation des fonds publics.

En outre, l'intégralité du budget des Ehpad sera soumis au contrôle de l'inspection générale des affaires sociales, de l'inspection générale des finances et de la Cour des comptes. Si les excédents ne sont pas justifiés, il sera possible de réduire les dotations.

Enfin, nous avons augmenté le montant des sanctions applicables aux Ehpad, qui sont passées de 1 % à 5 % du chiffre d'affaires.

Ainsi, des mesures ont été prévues pour répondre au risque que soulèvent ces amendements, auxquels je suis donc défavorable.

Par ailleurs, il est ici question d'un secteur dont la rentabilité moyenne est de 4 % à 5,5 %. Les articles suivants du PLFSS nous donneront l'occasion de parler de secteurs dont la rentabilité atteint 25 % à 30 %. Il faudra là encore se montrer vigilants.

Mme Émilienne Poumirol. Nous le serons !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1158.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je ne peux m'empêcher de répondre aux arguments de Mme la rapporteure générale : sa réponse me semble située à des années-lumière de notre débat !

Revenons, si vous le souhaitez, au temps d'Émile Zola : la sécurité sociale n'existait pas, non plus que cet accord, rassemblant la droite jusqu'aux communistes, pour une mutualisation adossée à un salariat, auquel des droits avaient été garantis, de même que des revenus en augmentation. Revenons à Zola : mais alors, le débat n'est plus le même.

Madame la ministre, la réponse que vous nous avez apportée est très éloignée de nos propos. Permettez-moi de m'expliquer.

Dans un monde où le partage de la valeur entre salariat et capital n'est plus le même, quand on observe un résultat financier capitalistique, lié à un environnement où l'argent public joue un rôle clé au travers de la mutualisation de la sécurité sociale, et dans un contexte de tension financière, nous proposons d'établir une contribution sur ce revenu. Il ne s'agit en rien de rendre plus difficile l'exploitation des établissements !

Selon nous, une telle mesure correspond à la vision que partageait, autrefois, la droite sociale : il était normal qu'une partie des profits générés bénéficie à l'environnement dont ceux-ci provenaient. De cette manière, tout le monde était gagnant.

Or, à cette époque du gagnant-gagnant, vous proposez aujourd'hui d'opposer un système qui fait, d'un côté, des gagnants, et de l'autre des perdants : les gagnants sont les détenteurs du capital, et les perdants les salariés, notamment les plus modestes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous ne sommes plus au XIXe siècle, certes, mais il est un domaine dans lequel nous revenons en arrière. Pour une fois, je n'ai pas de chiffres à vous donner, mais dans son excellent livre Le capital au XXIe siècle, Thomas Piketty explique que nous revenons peu à peu aux inégalités patrimoniales du siècle précédent !

Je vous ai donné des chiffres plus tôt : Thomas Piketty montre bien la place que prend l'héritage patrimonial dans les revenus et les transmissions. Or cela n'est ni plus ni moins que le modèle d'une société de rente !

En refusant nos propositions, vous contribuez finalement à nous faire sortir de la société du XXe siècle, dans laquelle, dès lors que l'autofinancement était possible, on ne prélevait pas de dividendes pour investir. Aujourd'hui, il y a directement un arbitrage entre les dividendes et les investissements : si les résultats ne sont pas au rendez-vous, on puise dans les réserves des grands groupes !

Ainsi, si l'on s'en tient aux inégalités patrimoniales, nous revenons bien au siècle précédent.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour explication de vote.

M. Gérard Lahellec. En défendant cet amendement, je veux aussi défendre Pierre Soulages. (Sourires.) Tout d'abord, je veux rappeler qu'il y a de la lumière dans l'œuvre de Soulages : il y en a même beaucoup !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Gérard Lahellec. Ensuite, il y a chez Soulages une volonté de dépassement, qu'il désignait sous l'expression d'« Outrenoir », ce qui n'éteint d'ailleurs pas la lumière… (Mme Cathy Apourceau-Poly sourit.)

Mes chers collègues, la différence entre Soulages et nous, c'est que lui est parvenu à opérer ce dépassement, et que nous n'y sommes pas encore tout à fait. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.