B. DES AVANCÉES CONSIDERABLES OUVRANT DES NEGOCIATIONS PERILLEUSES
1. Le contenu parfois ambigu de l'accord obtenu à Doha
Après avoir failli échoué sur les
dossiers de
l'agriculture et de l'environnement, les 142 pays membres de l'OMC sont
finalement parvenus à un accord pour lancer un nouveau cycle de
négociations commerciales multilatérales, désigné
sous le nom de «
Doha Development Agenda
»
-programme de développement de Doha-. Cet accord a toutefois
été obtenu
au prix d'ambiguïtés qui exigeront une
grande vigilance
durant le déroulement des négociations
à venir.
L'Union européenne peut s'estimer satisfaite des
avancées obtenues
sur plusieurs points figurant dans le mandat
confié au négociateur européen, par les Etats membres, le
26 octobre 1999, et déjà valable pour la conférence de
Seattle.
a) Philosophie générale de l'accord
Il
prévoit un cycle assez large,
visant à la fois la
libéralisation et la régulation
. Le mandat européen
était, en effet, de lancer un cycle global combinant la poursuite de la
libéralisation des échanges et le renforcement des règles
pour une gouvernance mondiale. Ces deux volets paraissaient d'autant plus
indissociables que la contestation de la « mondialisation »
et la problématique du développement avaient pris une ampleur
nouvelle depuis Seattle.
Ainsi, le texte inclut dans la négociation la définition de
règles multilatérales
pour des domaines encore mal
couverts par les accords de Marrakech (1994), notamment l'investissement
et la concurrence, ce qui n'était pas à l'ordre du jour à
Seattle. Il propose aussi un renforcement des règles de l'OMC (notamment
pour assurer le règlement des différends et la transparence des
marchés publics).
L'accord prend en compte les préoccupations des pays en
développement
, notamment par des mesures facilitant la mise en
oeuvre des précédents accords signés en 1994 à
Marrakech, au terme du cycle de négociations d'Uruguay ouvert en 1987
mais également par une promesse de négociations anti-dumping
à laquelle les Etats-Unis ont finalement consentie. Il
préserve également les accords préférentiels entre
l'Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique),
dont l'enjeu pour le commerce de la banane et du thon est crucial.
En vue des prochaines négociations et afin d'améliorer
l'accès aux marchés des pays les moins avancés (PMA),
l'Union européenne a proposé
l'initiative « Tout
sauf les Armes »
: le Conseil européen a, le
26 février 2001, adopté le règlement qui permettra
à la Communauté d'accorder en 2009 à l'ensemble des
produits originaires des PMA une pleine franchise de droits et de quotas. Le
nouveau règlement permet d'accorder un accès en franchise de
droits et de quotas à tous les produits industriels, y compris les
textiles, et agricoles en provenance des PMA sans aucune exclusion. Il
prévoit une libéralisation totale pour la banane, le sucre et le
riz, sur la base d'un régime transitoire d'ouverture progressive,
s'échelonnant de 2006 à 2009 selon les produits.
Par comparaison, en l'état actuel, les Etats-Unis excluent plusieurs
secteurs ou produits industriels -textile, habillement et chaussures,
montres, verres, acier, articles de cuir, certains produits
électroniques- et soumettent nombre de produits agricoles à
contingents (viande, lait et dérivés, sucre, chocolat, jus
d'orange, tabac, fromages, légumes, arachides, plantes). Le Japon
n'exclut plus que quelques produits industriels (cuir et fourrure pour
habillement et certains tissus de soie, de laine et de coton), ainsi qu'un
produit agricole : le riz. Des produits tels que les bananes, le cacao, le
café, les céréales et le vin demeurent soumis à des
pics tarifaires.
L'Union européenne peut se féliciter de ce que le texte
adopté à Doha plaide pour une multilatéralisation de
l'initiative européenne « Tout sauf les armes ».
Au cours du cycle à venir qui, conformément à sa
proposition, inclura cette question, l'Union européenne plaidera
également pour une
meilleure prise en compte des difficultés
de mise en oeuvre des accords de l'OMC par les pays en
développement
. Les pays en développement relèvent des
difficultés d'application des accords suivants: l'accord antidumping,
l'accord sur les subventions et les droits compensateurs, les normes sanitaires
et phytosanitaires, l'accord sur les obstacles au Commerce, l'accord sur les
mesures relatives à l'investissement liées au commerce, la
propriété intellectuelle, l'évaluation en douane... Ils
contestent aussi l'asymétrie entre les droits et les obligations
prescrites dans ces accords, notamment dans le cas de l'agriculture et du
textile.
Concernant le textile
, l'intransigeance américaine à Doha,
face à l'Inde, a évité à l'industrie textile
française une accélération de l'ouverture des
marchés développés aux exportations des PVD de textile et
habillement. Le calcul des quotas a été transmis au Comité
pour le commerce des marchandises, qui devra rendre ses conclusions avant le
31 juillet 2002.
L'accord sur les textiles et vêtements (ATV) entre, au
1
er
janvier 2002, dans une troisième phase de
libéralisation des échanges. Les pays exportateurs, estimant que
cet accord n'est pas appliqué effectivement par les pays
développés, qui usent, selon eux, de mesures de sauvegarde ou
d'autres instruments de restriction de l'accès au marché,
souhaitaient renégocier l'accord. Ceci ne manquait pas
d'inquiéter
l'industrie textile française, d'autant que la
date du 1
er
janvier 2002 est aussi celle de l'entrée de
la Chine à l'OMC et que la Commission européenne négocie
actuellement, en marge de l'OMC et dans une perspective essentiellement
politique, un accord avec le Pakistan lui offrant un accès
privilégié pour ses produits
. Le commissaire européen
Pascal Lamy présente, en effet, comme « arme de
paix » un projet de relèvement de 15 % des quotas et
d'annulation des droits pour les produits textiles pakistanais (en
échange, les producteurs européens devraient se voir offrir un
accès plus facile au marché pakistanais, aujourd'hui
protégé par des droits d'entrée supérieurs à
30 %, en moyenne).
Or cette proposition n'a fait l'objet d'aucune
étude d'impact préalable, ce qui préoccupe les industriels
français du textile
, qui estiment qu'elle menacerait 25 ou
30.000 emplois en Europe ;
en outre, elle conduirait à
détourner les flux d'importations européennes de textile des pays
du Maghreb
, avec lesquels l'Union européenne entretient
traditionnellement des rapports privilégiés. L'impact d'un accord
avec le Pakistan se ferait donc sentir aussi sur l'autre rive de la
Méditerranée.
Le textile européen s'inquiète encore de la
non-réciprocité dans l'accès aux marchés, de
certaines dispositions de l'accord sur la propriété
intellectuelle (TRIPS) -qui autoriseraient des copies par les PVD des
modèles européens- et de l'encadrement, prévu par l'accord
de Doha, des mesures anti-dumping en 2005 et 2006.
Enfin, l'Union européenne a obtenu l'engagement d'un dialogue sur le
renforcement de l'assistance technique aux pays en développement
pour favoriser leur intégration dans le système commercial.
Le renforcement de l'assistance technique est, en effet, nécessaire
à une mise en oeuvre effective des accords de l'OMC par l'ensemble des
pays en développement, notamment sur les points suivants : normes
sanitaires et phytosanitaires, obstacles techniques au commerce,
évaluation en douane et propriété intellectuelle.
Désormais, le « cadre intégré » en
faveur des PMA, qui associe les six organisations internationales les plus
compétentes en matière d'assistance technique liée au
commerce, sert de cadre directeur aux stratégies d'intégration du
commerce dans les politiques de développement. Les programmes
d'intégration s'inscrivent dans une stratégie cohérente de
développement, avec les Programmes de réduction de la
pauvreté (PRSP) de la Banque mondiale. Les stratégies nationales
de développement doivent être déclinées en
programmes définis par les PMA eux-mêmes en fonction de leurs
besoins. C'est à la rénovation du « cadre
intégré » qu'appelle l'Union européenne.
b) L'accès aux médicaments
Ce
point, qui était, dans un premier temps l'une des nombreuses pommes de
discorde sur la mise en oeuvre des accords existants, a pris un poids tel qu'un
texte séparé lui a été consacré et a
été retenu par les membres de l'OMC réunis à Doha.
En réponse aux difficultés de mise en oeuvre des accords ADPIC
(portant sur les droits de la propriété intellectuelle qui touche
au commerce) -TRIPS en anglais-, dénoncées depuis Seattle par les
PVD,
l'accord en autorise une interprétation souple, permettant aux
Etats confrontés à des pandémies de produire des copies de
traitements brevetés
. Ainsi, conformément au souhait de
l'Union européenne, l'OMC reconnaît que les règles
commerciales doivent tenir compte des questions de santé publique et de
souveraineté politique.
Un aspect central de ce débat a concerné les licences
obligatoires
: constituant des exceptions au droit des brevets, les
licences obligatoires permettent à un Etat de priver
momentanément le détenteur d'un brevet de son droit exclusif sur
ce dernier en raison d'une épidémie et de faire fabriquer le
médicament concerné par le producteur de son choix sans le
consentement du détenteur du brevet.
En garantissant le respect de la propriété intellectuelle, les
accords ADPIC visent à permettre et encourager le financement
privé de la recherche, ce qui est un acquis majeur. Toutefois, les
dispositions exceptionnelles autorisant les pays pauvres à
délivrer des licences obligatoires ne paraissent pas accessibles,
en pratique : en effet, ces pays ne disposant généralement pas de
capacités de production sur leur sol, la possibilité de
délivrer des licences obligatoires ne leur serait utile que s'ils sont
autorisés à faire appel à un producteur étranger et
à réimporter sans droits ces médicaments.
La difficulté était de trouver le point d'équilibre entre
la protection par les brevets de la propriété intellectuelle et
l'accès des PVD aux médicaments en cas d'épidémies.
Voulant exploiter les potentialités de l'accord ADPIC pour la production
de médicaments génériques ou l'importation
parallèle de médicaments, les PVD demandaient plus de souplesse
dans le droit des brevets en cas d'urgence médicale. Avocats de cette
souplesse maximale, l'Afrique du Sud, le Brésil et l'Inde demandaient
une libre conduite de leurs politiques de santé (notamment de leur
programme anti-Sida), qui ne les expose pas à une condamnation par
l'OMC. Conformément à leur souhait, « rien dans
l'accord ADPIC n'empêche les membres de prendre des mesures pour
protéger la santé publique ». Les Etats-Unis et la
Suisse, qui comptent de grands laboratoires, ont donc consenti à une
certaine flexibilité, ce que l'émergence du bioterrorisme
-récente épidémie d'anthrax et besoin américain de
se fournir en antibiotique approprié à moindre coût- a sans
doute facilité.
c) L'agriculture
Le
projet de déclaration, proposé à la veille de la
Conférence de Doha par le Président du Conseil
Général de l'OMC, l'Ambassadeur Harbinson, retenait un objectif
d'élimination des subventions à l'exportation, reposant sur
l'idée d'une « marchandisation » de l'agriculture,
inacceptable, notamment pour la France, et reprenait la revendication du groupe
de Cairns -qui comprend le Canada, l'Australie et autres grands pays
exportateurs agricoles hors USA et Union Européenne-. D'autres
difficultés tenaient à la référence à une
réduction substantielle des soutiens internes, à l'absence de
progrès sur la protection des indications géographiques et
à la place trop modeste accordée à la
multifonctionnalité de l'agriculture (celle-ci ayant une fonction plus
large que seulement commerciale : protection de l'environnement,
aménagement du territoire, sûreté alimentaire,
bien-être des animaux).
L'Union européenne a été offensive sur le dossier
agricole, car elle pouvait se targuer d'avoir plus qu'appliqué les
accords de Marrakech -réduction des droits de douane, des soutiens
internes et des subventions à l'exportation- en mettant en oeuvre la
réforme de la PAC dans le respect de l'agenda 2000. Ainsi ,
l'Europe est déjà plus ouverte que ses partenaires aux produits
des PVD (20 milliards de dollars d'importations pour les Etats-Unis,
33 milliards de dollars pour l'Europe).
L'Union européenne a finalement obtenu à Doha un
résultat conforme au mandat de 1999
:
- le texte fixe un agenda et un calendrier, sans préjuger des
résultats : une formule diplomatique a permis de satisfaire l'Union
Européenne comme le groupe de Cairns et les Etats-Unis. La formule
prévoit que « s'appuyant sur les travaux accomplis à ce
jour et sans préjuger du résultat des négociations, les
pays s'engagent à des négociations globales visant
à : des améliorations substantielles de l'accès aux
marchés ; des réductions, en vue de leur retrait progressif,
de toutes formes de subventions à l'exportation ; et des
réductions substantielles du soutien interne ayant des effets de
distorsion des échanges. » Si l'expression
« retrait » -« phasing out »- demeure,
le texte n'impose pas la suppression des subventions à l'exportation au
terme du cycle de Doha -la suppression devenant ainsi un objectif de
très long terme-. Comme le souhaitait l'Union européenne, la
direction des négociations est donnée, et non pas son point
d'arrivée, ce qui permettra de déterminer la position
européenne dans les négociations à venir en fonction du
rythme de réforme de la PAC. Ainsi, l'Europe peut maîtriser le
rythme des évolutions à venir ; en outre, elle compte bien
que les restitutions européennes ne soient pas seules remises en cause.
Enfin, la signification exacte du terme « substantielles »
-qualifiant les réductions de soutiens internes- sera
déterminée par la négociation à venir, sur laquelle
il conviendra d'être vigilant ;
- dans le texte, la spécificité de l'agriculture, fortement
contestée à Seattle, est confortée. Les
préoccupations traditionnelles (accès au marché, soutien
interne, soutiens à l'exportation) sont équilibrées par la
prise en compte -ne serait-ce que par la mention qui en est faite- des
préoccupations non commerciales, qui ont déjà donné
lieu à l'ouverture, au sein de l'OMC, à des travaux techniques,
portant sur la sécurité sanitaire des aliments, le
développement rural, le bien-être des animaux, l'environnement,
les indications géographiques, ou encore la qualité des
produits ;
- sur les indications géographiques, l'accord prévoit une
avancée importante : la négociation d'un système
multilatéral d'enregistrement et de notification des indications
géographiques, pour les vins et spiritueux. En outre, il est
prévu de commencer la discussion devant conduire à l'extension de
ce registre à d'autres produits.
d) L'environnement
L'Union
européenne a obtenu l'ouverture de négociations sur les relations
entre les règles de l'OMC et les accords mondiaux sur l'environnement
(AME) et, dans deux ans, éventuellement sur d'autres sujets. Il s'agit
de la première intégration de l'environnement dans la
négociation commerciale internationale, mais elle ne sera effective que
si les accords internationaux sur l'environnement sont signés et
ratifiés par l'ensemble de la communauté internationale
(notamment par les Etats-Unis, qui n'ont pas signé le protocole de Kyoto
de décembre 1997 sur les changements climatiques ni celui sur la
biosécurité, qui autorise à refuser l'importation d'OGM au
titre du principe de précaution). En effet, les Etats-Unis ont obtenu
que les conclusions des négociations sur l'environnement ne soient
applicables qu'aux membres de l'OMC signataires des traités
environnementaux.
Cette avancée sur l'environnement apparaît, de ce fait,
essentiellement symbolique.
En butte à l'opposition conjointe des Etats-Unis et des PVD, qui se
satisfont de la flexibilité des règles actuelles, l'Union
européenne a dû, par ailleurs, renoncer à inscrire dans
l'accord l'éco-étiquetage, qui se trouve renvoyé au
Comité sur le commerce et l'environnement, ainsi que l'examen du
principe de précaution. Il est seulement fait référence,
en écho aux travaux sur le principe de précaution menés
depuis Seattle, au droit des membres de définir le niveau de protection
qu'ils jugent approprié en matière de santé, de
sécurité et d'environnement.
e) Les règles concernant l'investissement et la concurrence
Sur ces
deux dossiers, une approche en deux temps a été retenue,
rassurant les PVD. Après une phase de clarification des besoins, des
négociations seront lancées -comme le souhaitait l'Union
européenne-, dont les modalités seront décidées par
consensus à la cinquième conférence ministérielle
(dans deux ans).
En ce qui concerne l'investissement, l'Union souhaite un cadre accordant une
protection adéquate aux investissements étrangers, assurant
transparence et non-discrimination et permettant l'accès au
marché pour les secteurs offerts. L'enjeu, en matière de
concurrence, est de définir des principes communs à tous les
membre pour éviter le contournement des engagements de
libéralisation par des pratiques anti-concurrentielles.
En revanche, l'Union Européenne n'a pu obtenu satisfaction en
matière de normes sociales
: l'opposition farouche des PVD -qui
redoutent un protectionnisme déguisé derrière les normes
sociales- a empêché le texte d'aller au-delà d'une simple
référence aux travaux de l'Organisation Internationale du Travail
et d'un rappel de la déclaration de Singapour en 1996, engageant les
membres de l'OMC à « observer les normes fondamentales du
travail internationalement reconnues ». L'ambition européenne,
qui se heurte au désintérêt américain et à
l'hostilité des PVD, serait, à terme, de créer un forum
permanent entre l'OMC et l'OIT.
Mais le désaveu de l'Europe sur ce dossier doit être mis en regard
d'autres avancées sociales, qui sont à souligner : la
protection des « services publics » reste assurée
par l'accord sur les services ; la possibilité de choisir un niveau
élevé de protection en matière de santé, de
sécurité et d'environnement est ouverte; la banalisation des
échanges agricoles est écartée; les considérations
relatives au développement ont progressé .
2. Les enjeux des futures négociations portant sur les services
Les
services n'ont pas été un sujet de discorde à la
conférence de Doha, alors qu'ils appartiennent, au même titre que
l'agriculture, aux négociations de « l'agenda
incorporé » -c'est-à-dire dans le prolongement du cycle
d'Uruguay-. Cette discrétion, sur un secteur d'un poids
économique pourtant considérable, peut s'expliquer par deux
raisons majeures.
D'une part, du point de vue européen, ce sujet représente une
question offensive puisque l'Union européenne a déjà
largement libéralisé ses services
et peut ainsi faire valoir
ses intérêts -sous réserve du maintien de
l'exception
culturelle
pour les services audiovisuels, ce qui semble un souci largement
partagé-.
D'autre part, le périmètre de la négociation est
maîtrisé du seul fait que celle-ci fonctionne par
liste
positive
, conformément à l'accord général sur
le commerce des services (AGCS). Ce principe a notamment permis, jusqu'à
présent, de
préserver les services publics
d'éducation, de santé et de transport ferroviaire.
Pourtant, il conviendra, au cours des négociations qui s'annoncent, de
veiller à ce que le renforcement des disciplines sur la
réglementation intérieure, ainsi que sur les subventions, ne
permette à l'OMC de remettre en cause l'existence ou le fonctionnement
des « services publics », tels qu'entendus en France.
L'Union Européenne a proposé de porter la négociation
sur ses intérêts sectoriels, à savoir
notamment :
- les
services de télécommunications
: l'Union
propose leur libéralisation sur la base d'engagements d'accès au
marché et de traitement national et dans le respect des principes
pro-concurrentiels du « document de
référence ». Elle considère, comme les
Etats-Unis, que le développement du commerce électronique passe
par la libéralisation d'une grappe de services liés aux
télécommunications (services informatiques, services de paiement
en ligne, services de publicité, services de livraison exprès).
En revanche, alors que les Etats-Unis plaident aussi pour la privatisation des
opérateurs de télécommunications, la France
considère que ce sujet ne relève pas de l'OMC, tant que la
propriété du capital n'affecte pas l'accès au
marché ;
- les
services financiers
(banque, assurance, titres
financiers) : l'Union européenne, qui a un intérêt
offensif évident dans ce secteur du marché unique
représentant 7 % du PIB communautaire, met en avant l'importance,
dans le contexte du développement du commerce électronique, des
prestations transfrontières et de la consommation à
l'étranger, qui ont jusqu'à présent fait l'objet d'offres
limitées. Elle souligne la complémentarité entre une
libéralisation des services financiers et l'existence d'un cadre
réglementaire adapté et efficace, notamment en matière
prudentielle ;
- les
services de tourisme
: déjà largement
libéralisés, ces services font encore l'objet de quelques
limitations, dans les secteurs de la restauration, des agences de voyage ou de
guides touristiques. L'Union européenne propose l'élimination de
ces limitations ;
- les
services de transport
: contrairement aux Etats-Unis,
qui veulent préserver le transport maritime et le transport
aérien, l'Union européenne propose la libéralisation de
ces secteurs. En matière de transport maritime, l'Union
européenne, qui représente 30 % de la capacité de la
flotte mondiale des navires de commerce, est forte des règles
unifiées dont elle s'est dotée et qui comportent très peu
de barrières à l'activité des prestataires
étrangers. En matière de transport aérien, elle souhaite
même élargir le champ de l'AGCS à d'autres services que
ceux inclus dans le champ (vente et commercialisation, systèmes
informatisés de réservation, maintenance des aéronefs).
Les intérêts économiques français sont importants
dans ce domaine, compte tenu du positionnement d'Air France comme compagnie et
comme prestataire de services. En revanche, la France -à l'instar des
Etats-Unis- n'est pas favorable à l'inclusion des droits de trafic dans
le champ de l'AGCS, privilégiant des accords bilatéraux
fondés sur la réciprocité. En matière de transport
terrestre, l'Union a limité sa proposition à quelques secteurs et
modes précis (transport international routier, réparation et
maintenance et location de véhicules commerciaux avec chauffeur) ;
- les
services postaux et de courrie
r : l'Union
européenne propose une libéralisation progressive des
activités postales n'entrant pas dans le champ du secteur
réservé aux opérateurs monopolistiques, afin que l'OMC ne
puisse remettre en cause le service universel. Sa proposition de classification
des services postaux va dans ce sens. Dans ce contexte, un point de convergence
se dégage entre les propositions européennes et les propositions
américaines de libéralisation des services de livraison
exprès, totalement ouverts à la concurrence dans la pratique,
pour autant que la définition de ces services soit suffisamment
précise pour ne pas risquer d'affecter le monopole de la poste sur une
partie des services postaux ;
-
les services énergétiques
: tout en appelant
à leur libéralisation -dans la limite de l'acquis communautaire-,
l'Union européenne rappelle les impératifs de
sécurité des approvisionnements et de protection de
l'environnement ainsi que les spécificités du nucléaire,
qui doit rester en dehors du champ de l'AGCS.
Parallèlement, des discussions se poursuivent entre membres de l'OMC
pour préciser le contenu de la classification des secteurs, dans les
domaines -tels qu'énergie, services postaux et services
environnementaux- où elle se révèle obsolète ou
insuffisante. Les travaux continuent également depuis l'entrée en
vigueur de l'AGCS sur les sujets n'ayant pas fait l'objet d'un accord au terme
du cycle d'Uruguay : disciplines sur les subventions, sauvegardes et
marchés publics, réglementation intérieure.
- les
services professionnels
(à savoir les professions
libérales : avocats, experts-comptables...) : en
matière de services juridiques, les Etats-Unis souhaitent obtenir une
libéralisation des conditions d'entrée des avocats
américains dans les sociétés civiles professionnelles
d'avocats en Europe, afin que leurs avocats puissent se dispenser à
l'avenir d'une inscription à un barreau en Europe. La France a
limité son offre de libéralisation en limitant notamment au
domaine du droit international l'exercice des avocats étrangers en
France ;
- les
services environnementaux
(traitement des eaux ou des
déchets...): les entreprises françaises disposent de solides
positions sur ce marché (Vivendi est au 2ème rang, la Lyonnaise
des eaux au 4ème), dont la croissance annuelle prévue dans les
années à venir est de 8 %. Désireuse de permettre le
développement de la libéralisation de ce marché dans un
cadre juridique sûr, l'Union européenne a déposé une
nouvelle proposition de classification des services environnementaux, plus
complète, comportant en particulier la distribution de l'eau. La
libéralisation effective des services environnementaux passe
également par la mise en place de disciplines relatives aux
marchés publics de services.
3. Opportunités ouvertes par l'adhésion prochaine de la Chine à l'OMC
La
conférence ministérielle de Doha restera aussi celle qui aura
entériné l'accord en vue de l'adhésion formelle de la
Chine à l'OMC, quinze ans après la demande chinoise. Cette
adhésion sera effective dès 2002, après ratification de
l'accord par le Parlement chinois.
Les listes d'engagements établissent l'ensemble des droits
d'accès au marché que la Chine devra accorder. Des
dérogations provisoires -pour cinq ans- doivent faciliter
l'intégration de la Chine dans le système commercial mondial.
Pour l'Union européenne, l'entrée de la Chine représente
l'opportunité d'un marchés nouveau de 1,3 milliard de
consommateurs, alors que ses propres engagements envers la Chine n'ont
quasiment pas changé. En effet, l'Union européenne accordait
déjà à la Chine la
clause de la nation la plus
favorisée
, avant même que les membres de l'OMC ne s'y trouvent
tenus par l'accord sur l'adhésion de la Chine. Toutefois, elle va devoir
supprimer les derniers contingents tarifaires
qu'elle appliquait
à la Chine, portant
sur les textiles, les chaussures et la vaisselle
en céramique et en porcelaine.
En contrepartie, il sera possible,
jusqu'en 2008, de recourir à une mesure de sauvegarde spécifique
pour faire face aux importations préjudiciables de textiles chinois.
Jusqu'à douze ans après l'adhésion, des mesures de
sauvegarde propres à certains produits permettront de corriger l'afflux
d'importations chinoises portant atteinte (ou menaçant de porter
atteinte) aux entreprises communautaires concurrentes.
De nombreuses opportunités s'offrent aux entreprises
communautaires
:
- produits industriels
: suppression progressive des
contingents et réduction des droits de douane de 17% à 9% en
moyenne. Les droits appliqués aux produits du secteur des technologies
de l'information, à la bière, aux jouets et aux meubles seront
supprimés. D'autres secteurs exportateurs européens vont
bénéficier de la libéralisation : automobile, chimie,
alcools, cosmétique, cuir, textile, chaussures, pierre,
céramique, verrerie, machines et appareils... ;
- produits agricoles
: réduction des droits à
une moyenne de 10 % d'ici 2005 sur les 60 produits les plus
exportés par l'Union européenne et élimination, au niveau
national, de toutes les subventions agricoles à l'exportation pour les
producteurs chinois ;
- droits commerciaux et libéralisation des monopoles d'Etat sur
les échanges :
droit, pour les entreprises
étrangères, de commercialiser et distribuer librement leurs
produits en Chine, trois ans après l'adhésion ; ouverture
aux importateurs privés des secteurs du pétrole, des engrais et
de la soie ;
-
services
: investissements étrangers ouverts
progressivement dans l'assurance (d'ici 3 ans pour l'asurance-vie), les
télécommunications (téléphonie mobile, notamment),
la distribution, les banques (ouverture totale d'ici 3 ans envers la
clientèle entreprises et cinq ans pour les particuliers) , les
services professionnels, le tourisme.
La
conformité de la législation et des institutions
commerciales chinoises aux règles de l'OMC
sera assurée par
les engagements chinois relatifs au traitement national (interdiction de
discrimination envers les produits importés), aux conditions en
matière d'investissements, à la protection des droits de
propriété intellectuelle, aux subventions à l'exportation,
aux marchés publics et aux instruments de défense commerciale.