II. LA PERSISTANCE DE NOMBREUX DIFFÉRENDS COMMERCIAUX ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L'UNION EUROPEENNE
Les Etats-Unis et l'Union européenne sont, chacun l'un pour l'autre, le partenaire commercial le plus important : en 2000, 18,5 % des importations et 23,6 % des exportations européennes sont liées aux Etats-Unis, tandis que 18 % des importations et 21,3 % des exportations américaines sont liées à l'Europe. L'excédent commercial en faveur de l'UE tend à s'accentuer depuis 1996 pour atteindre 36 Mds d'euros en 2000. Le commerce des services prend de plus en plus d'importance (hausse de 50 % en valeur entre 1995 et 1999).
1. Cas offensifs pour l'Union européenne
L'Union
européenne est actuellement opposée aux Etats-Unis dans
plusieurs contentieux dont la majorité concernent l'utilisation
d'instruments de défense commerciale (antidumping, droits compensateurs
et mesures de sauvegarde) ou l'existence de subventions
. La violation des
droits de propriété intellectuelle constitue également une
source importante de litiges transatlantiques. La menace de la mise en oeuvre
de la réglementation sur les sanctions tournantes (carrousel) reste
présente. Enfin, le contentieux « Bananes » a fait
l'objet d'un règlement amiable, en avril dernier, tandis que le
différend relatif à l'interdiction de la viande de boeuf
traitée avec des hormones de croissance fait toujours l'objet de
sanctions commerciales.
L'Union Européenne s'oppose aux Etats-Unis sur plusieurs dossiers
épineux révélant des divergences d'appréciation des
règles commerciales multilatérales. Elle choisit le plus souvent
de les soumettre à l'organe de règlement des différends de
l'OMC, lorsque la négociation bilatérale échoue.
a) L'utilisation de procédures unilatérales
Les
autorités américaines se réservent la possibilité
de recourir à des procédures unilatérales (sections 301 et
301 Spéciale contre les pratiques commerciales déloyales, section
Super 301 relative aux problèmes de propriété
intellectuelle), dont l'usage fragiliserait le mécanisme de
règlement des différends de l'OMC.
Suite à une plainte déposée par les Communautés
européennes pour contester la
Section 301
, le groupe
spécial a confirmé la nécessité d'une autorisation
de l'Organe de règlement des différends avant la mise en oeuvre
de toute mesure de rétorsion. Il a reconnu que la Section 301 violait
dans son principe les règles de l'OMC et a estimé que les
Etats-Unis avaient pris l'engagement international de se conformer aux
règles de l'OMC (dans le « Statement of Administrative
action »), soumis par le Président au Congrès et
approuvé par ce dernier.
La nouvelle
réglementation « carrousel »
-adoptée par le Congrès américain en mai 2000- autorise
les Etats-Unis à modifier unilatéralement la nature des sanctions
commerciales qui ont été initialement autorisées par
l'ORD. Ces dispositions peuvent s'appliquer aux mesures de rétorsions
mises en oeuvre dans le cadre des contentieux « Bananes »
et « Hormones ». L'Union européenne a
décidé, en juillet 2000, qu'elle demanderait
l'établissement d'un Groupe spécial si les Etats-Unis venaient
à mettre en oeuvre cette réglementation. L'accord du 10 avril
2001 intervenu entre les Etats-Unis et l'Union européenne dans le cadre
de l'affaire « Bananes » a réduit néanmoins
la pression qui pesait sur l'administration américaine pour mettre en
oeuvre des sanctions tournantes.
b) L'utilisation des instruments de politique commerciale : mesures anti-dumping et droits compensatoires
La
portée limitée de la procédure d'extinction des droits
compensateurs et des droits antidumping constitue un obstacle pour les
entreprises européennes. La longueur de la durée des droits
pénalise notamment les secteurs de la nitrocellulose industrielle
(depuis 1983), des tôles revêtues en acier (depuis 1993) et des
fils machines en acier inoxydables (depuis 1994).
Depuis le 1
er
janvier 1995 et dans le cadre de la
procédure de règlement des différends de l'OMC, les
instruments défensifs de politique commerciale (antidumping,
anti-subventions et sauvegarde) des Etats-Unis ont été
examinés par 11 groupes spéciaux, dont 2 constitués
à l'initiative de la Communauté européenne.
Une plainte a été engagée par les Communautés
européennes et le Japon pour contester
la législation
antidumping
des Etats-Unis de 1916. Le groupe spécial puis l'organe
d'appel ont conclu à l'incompatibilité de la loi
américaine avec certaines dispositions antidumping des accords
de l'OMC. Le délai raisonnable accordé par arbitrage aux
Etats-Unis pour la mise en oeuvre des recommandations de l'Organe de
règlement des différends expirait le 26 juillet 2001.
L'Organe de règlement des différends a néanmoins
accepté, sur demande des Etats-Unis, de prolonger ce
délai jusqu'au 31 décembre 2001.
Dans le domaine des
mesures compensatoires
, et suite à une
plainte des Communautés européennes, l'imposition par les
Etats-Unis de droits compensateurs sur les importations de certains produits en
acier en 1994, 1995 et 1996 a été jugé, par l'organe
d'appel, incompatible avec les dispositions de l'Accord sur les subventions et
les mesures compensatoires.
A la demande de 11 membres de l'OMC, dont les Communautés
européennes, des consultations ont eu lieu pour examiner
l'amendement
Byrd
d'octobre 2000. A la demande de 9 de ces Membres, dont les
Communautés européennes, un groupe spécial a
été établi par l'organe de règlement des
différends, en date du 23 août 2001. Les co-plaignants
contestent, au regard des accords de l'OMC, cet amendement qui charge les
autorités douanières américaines de verser aux
producteurs, à l'origine d'une plainte ou l'ayant soutenue, le montant
des droits anti-dumping ou des droits compensateurs.
c) Les biais du régime fiscal des entreprises américaines exportatrices
Les
Etats-Unis permettent à des entreprises de nombreux secteurs (machines
électriques et non-électriques, chimie, aéronautique,
agriculture...) de délocaliser une partie de leurs
bénéfices liés à des exportations dans des
structures fiscales, dites FSC -Foreign Sales Corporation
(sociétés de vente à l'étranger)-,
implantées la plupart du temps dans des paradis fiscaux, puis de
rapatrier ces revenus sans payer d'impôt. L'Organe d'appel a
confirmé le 24 février 2001, les conclusions du rapport du
Groupe spécial selon lesquelles le régime FSC constitue une
subvention à l'exportation prohibée par l'Accord sur les
subventions et sur les mesures compensatoires et par l'Accord sur
l'agriculture. Le délai raisonnable de mise en conformité avait
été initialement fixé au 1er octobre 2000.
Les Etats-Unis et l'Union européenne ont signé, le
29 septembre 2000, un accord de procédure aux termes duquel
l'Union européenne s'engageait à ne pas demander l'autorisation
de prendre des sanctions commerciales tant qu'un Groupe spécial ne
s'était pas prononcé sur la mise en conformité du
régime FSC.
La loi sur le remplacement du régime FSC a été
signée par le Président Clinton le 15 novembre 2000.
Le
rapport du Groupe spécial sur la mise en oeuvre a confirmé, en
août 2001, que la loi sur le remplacement du régime FSC
était incompatible avec les dispositions de l'Accord
sur les
subventions et sur les mesures conservatoires et de l'Accord sur l'agriculture.
Les Etats-Unis peuvent faire appel de la décision au plus tard le
19 octobre 2001. Il sera automatiquement mis fin à la suspension de
la procédure d'arbitrage sur le montant des sanctions lorsque le rapport
du Groupe spécial sur la mise en oeuvre (ou de l'Organe d'appel) sera
adopté par l'ORD. L'arbitre devra alors rendre une décision dans
les 60 jours.
d) Les restrictions liées au principe d'extraterritorialité
Le Congrès a adopté en 1996 des textes visant à faire pression sur les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis pour les amener à infléchir leur politique à l'égard de Cuba, de l'Iran et de la Libye, et à isoler davantage ces pays, déjà soumis à embargo américain. L'Union condamne la portée extraterritoriale de ces législations restrictives aux échanges et aux investissements avec les pays soumis à embargo américain (loi Helms-Burton qui vise les échanges des pays tiers avec Cuba, loi d'Amato qui étend l'embargo commercial aux investissements réalisés par des sociétés non américaines dans le domaine des hydrocarbures avec l'Iran et la Libye). L'Union européenne a adopté rapidement un règlement « anti-embargo » en novembre 1996 pour protéger les opérateurs européens contre les effets extraterritoriaux de ces législations. Récemment, l'Union a déploré la décision du Congrès américain, en date du 27 juillet 2001, de prolonger pour une durée de cinq ans l'embargo commercial établi par la loi d'Amato.
e) Les lacunes dans la protection des droits de propriété intellectuelle
Malgré l'existence d'un système de protection des
droits de propriété intellectuelle complet et rigoureusement
appliqué, les difficultés suivantes ont été
identifiées :
- lacunes dans la protection des droits moraux et des droits
connexes :
certains établissements américains sont
exemptés du paiement de droits pour la diffusion d'oeuvres musicales
européennes
. Dans le cadre d'une plainte déposée au
titre du « règlement sur les obstacles au commerce »
(ROC), le Comité ROC a déféré cette exemption
devant l'organe de règlement des différends. Celui-ci a
confirmé que l'essentiel des dispositions en cause était
contraire aux obligations de l'accord ADPIC de l'OMC. Les recommandations du
groupe spécial sont en phase de mise en oeuvre par les Etats-Unis, le
processus devant être achevé avant le 31 décembre
2001 ;
- restriction dans la protection des marques et des noms
commerciaux (affaire « Pernod Ricard- Havana
Club ») : les Communautés européennes et leurs
Etats membres ont contesté, devant l'organe de règlement des
différends, l'article 211 de la loi générale du
21 octobre 1998. Cette législation empêche, sous certaines
conditions, l'enregistrement ou le renouvellement des marques commerciales
identiques ou similaires à celles se rapportant à des entreprises
ou des avoirs confisqués par le gouvernement cubain le
1er janvier 1959 et elle interdit aux tribunaux des Etats-Unis de
reconnaître une revendication de droits sur une telle marque. Le groupe
spécial a conclu que le refus d'accès aux tribunaux constituait
une violation de l'accord ADPIC de l'OMC. La Commission européenne a
d'ores et déjà annoncé qu'elle avait l'intention de faire
appel de ce rapport en raison d'une interprétation trop stricte par le
Groupe spécial de certaines dispositions de l'Accord ADPIC ;
- circulation de produits contrefaits (notamment dans les secteurs de la
parfumerie et de la maroquinerie) et
présence d'usurpations
d'appellations de vins français.
Certains vins (Champagne, Moselle,
Sauternes, notamment) sont en effet pénalisés par la circulation
d'appellations usurpées dites semi-génériques. Des
discussions entre l'Union européenne et le Gouvernement américain
sont actuellement en cours afin d'obtenir un accord global sur
l'élimination des usurpations de vins.
2. Cas défensifs
L'Union européenne se trouve en position d'accusée sur plusieurs dossiers agricoles.
a) Le contentieux « Hormones »
A la
suite d'une procédure entamée devant l'OMC par les Etats-Unis et
le Canada, la réglementation communautaire interdisant l'utilisation
d'hormones de croissance dans la production de viande bovine a
été jugée le 19 août 1997 non conforme
à l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l'OMC. Cette
décision a été confirmée en appel le
16 janvier 1998, mais avec des nuances suffisantes pour laisser
à la Communauté la possibilité de conduire une nouvelle
évaluation des risques, destinée à justifier le maintien
de son interdiction. Ne disposant que d'un délai de 15 mois, la
Communauté n'a pu achever à temps les dix-sept études
scientifiques qu'elle avait lancées. Aussi l'Organe de règlement
des différends de l'OMC a-t-il autorisé, à compter du
29 juillet 1999, les Etats-Unis et le Canada à appliquer des
mesures de rétorsion sur certains produits exportés par la
Communauté. Se traduisant par des droits de douane de 100 %, ces
mesures portent sur 116,8 millions de dollars d'exportations
communautaires pour les Etats-Unis et sur 7,7 millions de dollars pour le
Canada. Les principaux produits français touchés sont la
moutarde, le roquefort, les oignons, les colles et adhésifs, la
chicorée torréfiée, le foie gras, les boyaux et vessies
d'animaux, le chocolat et les truffes. La France subit à elle seule
24 % des sanctions américaines.
Votre rapporteur pour avis
déplore cette situation, qui pénalise nombre de nos
producteurs.
Sur la foi des analyses examinées par le Comité scientifique sur
les questions vétérinaires intéressant la santé
publique, la Commission a adopté le 5 mai 2000 une proposition
d'amendement de la directive « Hormones », visant à
interdire définitivement l'oestradiole et à autoriser
provisoirement cinq autres hormones.
Cette proposition doit être approuvée par le Conseil et par le
Parlement européen. Dans cette attente, l'Union européenne avait
pris des contacts informels avec les Etats-Unis pour juger de leur
intérêt à accepter la transformation des mesures de
rétorsions en compensations tarifaires pour les importations
américaines de viande bovine non traitée aux hormones. La crise
de l'ESB, associée à la longueur du délai
nécessaire aux industriels américains pour mettre en place une
production de viande non traitée, a fait disparaître l'espoir d'un
règlement amiable de ce litige.
La réussite de la mise en oeuvre de l'accord amiable intervenu dans le
contentieux « bananes » a toutefois permis de relancer, le
26 juillet 2001, les discussions avec les Etats-Unis en vue d'un accord
sur des compensations tarifaires provisoires.
b) Le contentieux « Bananes »
Après une condamnation en 1997, et une première
révision en 1998, le régime communautaire d'importation, de vente
et de distribution de bananes avait, à nouveau, été
condamné le 6 avril 1999, à l'initiative de l'Equateur
et avec le soutien des Etats-Unis et des principaux pays producteurs
d'Amérique latine. La réservation d'un contingent aux pays ACP,
ainsi que le système d'attribution des licences, qui favorisait de facto
les opérateurs communautaires, ont été jugés
contraires aux règles de l'OMC. Après arbitrage sur le niveau des
rétorsions, l'ORD a autorisé les Etats-Unis à appliquer
des sanctions commerciales à hauteur de 191,4 millions de dollars
à compter du 19 avril 1999, et l'Equateur à hauteur de
201,6 millions de dollars à compter du 18 mai 2000. La
Commission européenne a cherché à mettre en place un
système d'administration sous un régime contingentaire acceptable
par les plaignants.
Ce contentieux a trouvé un règlement politique le
10 avril 2001 par la signature d'un accord entre les Etats-Unis et
l'Union européenne
aux termes duquel les Etats-Unis ont suspendu,
à compter du 1
er
juillet 2001, l'imposition de
droits de douane majorés tandis que l'Union européenne
introduisait un régime d'importation fondé sur les certificats
antérieurs (première étape). La deuxième
étape, prévue par l'accord susvisé, qui devrait aboutir
à l'obtention, par l'Union européenne, d'une dérogation
article XIII du GATT94 nécessaire à la gestion du contingent C
réduit pour les bananes ACP jusqu'au 31/12/05, est en cours
d'élaboration.