IV. LA POLITIQUE DE LIBERALISATION DES MONOPOLES PUBLICS
La
poursuite du processus de libéralisation de industries de réseau
anciennement sous monopole public constitue un des principaux axes de la
politique de la concurrence menée par les pouvoirs publics sous
l'impulsion de la Commission Européenne.
Pour la Commission Européenne, l'ouverture des secteurs liés
à la société de l'information ou à la production et
distribution de l'énergie constituent des facteurs déterminants
de la compétitivité de l'industrie européenne et, par voie
de conséquence, du dynamisme du marché unique. Cette politique
vise dans cette perspective à un développement de l'innovation
technique et à la création de nouveaux emplois stables et
durables.
Votre rapporteur pour avis estime que cet objectif ne peut être
atteint que dans le respect des compétences des services
d'intérêt économique général et de leur
rôle pour la promotion de la cohésion sociale et territoriale.
Elle insiste sur la nécessité d'une libéralisation
maîtrisée et graduelle des marchés de l'énergie,
c'est-à-dire assurant l'égalité d'accès des usagers
comme la sécurité des réseaux. Elle approuve donc la
démarche du Gouvernement, qui a obtenu au Conseil Européen de
Stockholm fin mars 2001 que la date butoir de 2005 fixée par la
Commission européenne pour la libéralisation des marchés
de l'énergie ne soit pas retenue, estimant que la libéralisation
n'est pas une fin en soi et ne doit pas compromettre la qualité du
service.
En mars 2001, la Commission Européenne a présenté
au Parlement européen un projet de directive visant l'ouverture totale
des marchés du gaz et de l'électricité à la
concurrence d'ici 2005
tout en voulant protéger les
intérêts des consommateurs. Ce projet repose sur un calendrier en
trois étapes :
- au 1
er
janvier 2003, toutes les entreprises doivent
disposer de la liberté de choix du fournisseur
d'électricité ;
- au 1
er
janvier 2004, toutes les entreprises doivent
bénéficier de la liberté de choix pour le fournisseur de
gaz ;
- en 2005, enfin, il est prévu que tous les consommateurs
européens « sans exception » pourront choisir leurs
fournisseurs d'électricité et de gaz, au sein d'un vrai
marché intérieur européen.
Afin d'assurer une véritable concurrence, la Commission préconise
un accès non-discriminatoire des consommateurs et des producteurs
concurrents aux réseaux de transmission et de distribution de gaz et
d'électricité. A cet effet, elle propose que la gestion des
réseaux de transmission et de distribution d'électricité
et de gaz soit juridiquement séparée des actes de production et
de vente.
En outre, chaque Etat membre devra disposer d'un
« régulateur » national, indépendant de
l'administration, qui aura pour rôle de fixer en particulier les tarifs
et les conditions d'accès aux réseaux de transmission de gaz et
d'électricité, de prévenir toute distorsion de concurrence
et d'assurer la transparence du marché.
Afin d'éviter que l'ouverture des marchés de gaz et
d'électricité ne se fasse aux dépens du consommateur, la
Commission veillera à ce que soit assuré l'équilibre entre
l'offre et la demande et à lancer, si nécessaire, des offres
publiques pour la création de nouvelles capacités de production
de gaz et d'électricité. Elle souligne que la notion de service
public implique en « droit à l'énergie pour
tous » et elle indique que les précédentes mesures de
libéralisation dans le domaine de l'énergie ont
entraîné une baisse des prix d'environ 20 % chez les Etats
membres.
1. Le secteur du gaz naturel
Le
Gouvernement a adopté, le 17 mai 2000, un projet de loi de
modernisation du service public du gaz et de développement des
entreprises gazières
transposant la directive marché
intérieur du 22 juin 1998.
Ce projet de loi définit , tout d'abord, le contenu du service public du
gaz, ses missions, les clients qui en bénéficient, les
opérateurs qui en sont chargés ainsi que les modalités de
son financement. Il prévoit une ouverture maîtrisée du
marché du gaz naturel à la concurrence qui repose sur la
définition des « clients éligibles », le
contrôle des conditions d'accès au réseau et la
préservation des contrats d'approvisionnement à long terme,
lorsque celle-ci est justifiée.
Afin d'assurer la qualité de la fourniture de gaz et la
sécurité des approvisionnements, le texte précité
dispose que des autorisations seront délivrées aux fournisseurs
de gaz par le ministre chargé de l'énergie et que les pouvoirs
publics pourront assurer la diversification des approvisionnements, pour
éviter toute dépendance excessive par rapport à un
fournisseur.
La régulation transparente du marché du gaz suppose, selon le
même projet de loi :
- que le Gouvernement déterminera les choix des politiques
énergétiques et les missions de service public sous le
contrôle du Parlement ;
- qu'une commission de régulation commune à
l'électricité et au gaz sera chargée d'assurer le respect
des règles de concurrence sur le marché;
- que les collectivités locales concédantes de la
distribution joueront pleinement leur rôle.
Malgré le souhait de votre Commission des Affaires économiques
que la directive gaz -dont le délai-limite de transposition était
fixé au 10 août 2000- soit transposée à
temps, le Gouvernement a choisi en avril 2001 de reporter encore la
discussion du projet de loi de transposition de la directive gaz.
Cette décision lui a valu une sanction annoncée par la Commission
Européenne, laquelle a saisi la Cour de Justice de Luxembourg contre la
France pour non-transposition. La décision de la Cour exigeant un
à deux ans, la transposition par la France de la directive pourrait
finalement n'avoir lieu qu'après les élections de 2002. Votre
Commission déplore que des considérations électorales
handicapent l'achèvement du marché intérieur du gaz et la
création de conditions de concurrence équitables.
A titre personnel, votre rapporteur pour avis espère que ce répit
sera mis à profit pour affiner le dispositif mis au point par la
France : d'une part, elle souhaite distinguer l'ouverture du marché
du gaz à la concurrence de la privatisation éventuelle de Gaz de
France. D'autre part, elle souhaite que la propriété des
réseaux de transport de gaz reste entre les mains de l'Etat et ne soit
pas transférée à l'entreprise pour sauvegarder la
sécurité d'approvisionnement.
2. Le secteur de l'électricité
Le
processus de libéralisation des monopoles nationaux s'est traduit en
2000 dans le secteur de l'électricité par la transposition de la
directive du 16 décembre 1996 relative au marché
intérieur de l'électricité
et ainsi par l'ouverture du
marché de l'électricité français à la
concurrence.
Fruit de neuf années de négociations, qui ont permis aux
partisans du maintien de l'obligation de service public -au premier rang
desquels votre Haute Assemblée, par la voix de sa commission des
affaires économiques- de corriger les propositions très
libérales initialement émises par la Commission, la directive du
19 décembre 1996 se veut un texte de compromis.
Deux ans après l'entrée en vigueur de la directive
(le 19 février 1999), la part du marché ouverte
à la concurrence doit être au moins égale à la
consommation communautaire moyenne des clients de plus de 40 Gwh par an
(environ 25 à 26 % du marché européen, soit
400 sites éligibles en France). Trois ans après 1997 (2000),
ce seuil est abaissé à 20 Gwh (environ 28 % du
marché, soit 800 sites éligibles en France) et six ans plus
tard (2003) à 9 Gwh (plus de 30 % du marché, soit
3.000 sites en France). La Commission est chargée d'examiner la
possibilité d'une nouvelle ouverture du marché neuf ans (2006)
après l'entrée en vigueur de la directive. Elle prévoit,
en outre, que les Etats pourront bénéficier d'un régime
transitoire afin de faire face aux
« coûts
échoués »
correspondant aux engagements ou aux
garanties d'exploitation accordées avant l'entrée en vigueur de
la directive, lesquels risquent de n'être pas honorés, à
cause de ce texte.
Chaque Etat membre est tenu d'atteindre les résultats que prescrit la
directive, selon les modalités qu'il souhaite. Les critères qui
permettent de définir les clients
« éligibles » sont laissés à son
appréciation (hormis pour les consommateurs de plus de 100 Gwh par
an, qui sont automatiquement éligibles, dès le
19 février 1999). De même, le mode de régulation
est laissé à l'appréciation des Etats, la directive
prenant acte de la diversité des modèles nationaux en la
matière et n'imposant que l'existence d'une autorité
indépendante des parties pour régler les litiges.
La directive du 19 décembre 1996 prévoit que les Etats membres
désignent ou demandent aux entreprises propriétaires de
réseaux de désigner un gestionnaire du réseau de transport
(GRT) qui doit s'abstenir de toute discrimination entre les utilisateurs, en
particulier si ce gestionnaire dépend d'un opérateur ayant des
activités de production. C'est pourquoi ce GRT doit être
indépendant -au moins sur le plan de la gestion- des autres
activités non liées au réseau de transport, s'il reste
intégré au sein d'une entreprise qui produit de
l'électricité.
La directive institue au profit des Etats un droit d'accès à la
comptabilité des entreprises de production, de transport et de
distribution et prévoit l'établissement de comptes
séparés entre les diverses branches d'activité afin
d'éviter les discriminations, les subventions croisées, et les
distorsions de concurrence.
La transposition de la directive est effective depuis plus d'un an, la
loi
n° 2000-108 relative à la modernisation et au
développement du service public de l'électricité
étant entrée en vigueur le 10 février
dernier
.
4(
*
)
La Commission
de régulation de l'électricité estime qu'en
juin 2001, sur 1.300 sites éligibles, environ 71 ont choisi un
opérateur concurrent d'EDF. Les volumes concernés
représentent 8 % du marché ouvert. Les clients
éligibles les plus importants ont pu bénéficier d'une
baisse significative de leurs coûts d'approvisionnement
énergétique (15 % voire plus).
Votre commission des affaires économiques et son rapporteur,
M. Henri Revol
5(
*
)
, ont,
tout en souscrivant aux objectifs de la directive, regretté, lors de
l'examen de ce projet de loi, une transposition a minima de la directive, sans
réelle vision stratégique.
Votre commission a estimé que la directive était
interprétée stricto sensu, contrairement à la
stratégie adoptée par les plus importants de nos partenaires.
Elle a considéré que le degré d'ouverture du marché
proposé et le statut du GRT proposé reflétait une attitude
protectionniste. Elle a également jugé que le projet de loi
transmis au Sénat comportait des mesures de nature à entraver les
échanges d'électricité, dans un esprit totalement
contraire à la directive ainsi que des mesures anti-économiques
telles que l'institution d'une taxation des autoproducteurs
d'électricité.
Votre rapporteur pour avis estime quant à elle, à titre
personnel, que ces dispositions ont ouvert la voie à une
« marchandisation » de l'électricité et
à la banalisation d'un bien de « première
nécessité » et, donc, essentiel à la vie
quotidienne des usagers-citoyens.
Elle relève notamment que de graves crises électriques sont
intervenues récemment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en
Suède, ce qui atteste des dangers d'une libéralisation mal
maîtrisée. Ainsi, la Californie, Etat le plus peuplé et le
plus riche des Etat-Unis, précurseur dans l'ouverture de son secteur
électrique à la concurrence, a connu de fréquentes
ruptures d'approvisionnement, de fortes augmentations de prix et la faillite
des deux principaux distributeurs de l'Etat. Dans son rapport
d'activité 2000, la Commission de Régulation de
l'Electricité analyse cette crise : faute d'avoir pris en compte
l'adéquation entre l'offre et la demande d'électricité et
faute d'avoir investi suffisamment en moyens de production et en
infrastructures de réseau de transport, le mode d'ouverture du
marché électrique californien a produit des effets opposés
aux objectifs recherchés -baisse des tarifs et amélioration de la
qualité de service au consommateur final-. Votre Rapporteur pour avis
s'en inquiète et demeure vigilante.
3. L'ouverture du marché des services postaux
Le
mouvement d'ouverture du marché des services postaux, engagé
à l'initiative des instances européennes, s'était traduit
en 1999 par la transposition en droit français de la directive du 15
décembre 1997 d'harmonisation du secteur postal, au sein de la
loi
n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire.
Le texte de transposition a abrogé tout d'abord le
périmètre traditionnel du monopole de La Poste. Le
service
universel postal
est défini au nouvel article L. 1 du Code des
Postes et Télécommunications. Il garantit, à tous les
usagers, « de manière permanente et sur l'ensemble du territoire
», en application des principes de continuité et
d'égalité, des services postaux «répondant à
des normes de qualité déterminées », à des
« prix abordables » pour tous les utilisateurs.
Le service universel ainsi défini est fondé sur le service public
postal actuel, garant de la cohésion sociale et de l'aménagement
du territoire, et présentant deux types d'assurances pour
l'usager : d'une part, en terme d'accessibilité aux services
(densité des points de contacts, nombre de jours de distribution, tarifs
abordables), et de qualité de service et, d'autre part, en terme
d'étendue de l'offre de prestations, lettres et colis, envois
recommandés et à valeur déclarée.
Ce service universel postal comprend les envois postaux d'un poids
inférieur ou égal à 2 kg, les colis postaux jusqu'à
20 kg, les envois recommandés, les envois à valeur
déclarée.
Le service universel postal fait partie intégrante du service public des
envois postaux, qui comprend également le service public du transport et
de la distribution de la presse.
La Poste est désignée comme le prestataire du service universel.
Elle est, en conséquence, soumise aux dispositions de l'article 14 de la
directive relative à la comptabilité analytique des prestataires
du service universel postal : comptabilités distinctes des
secteurs réservés et non réservés d'une part et des
services faisant ou non partie du service universel d'autre part; règles
de répartition des coûts, notamment communs, entre services
réservés et non réservés; notification à la
Commission européenne et vérification des systèmes de
comptabilité analytique employés.
Le décret
n° 2001-122 du 8 février 2001 relatif au cahier des
charges de La Poste prévoit la mise en place d'une telle
comptabilité analytique pour la Poste.
Pour financer ses obligations de service universel, le texte attribue à
La Poste, comme services réservés : les services nationaux et
transfrontières d'envoi de correspondance, y compris le publipostage,
d'un poids inférieur à 350 grammes et dont le prix est
inférieur à cinq fois le tarif applicable à un envoi de
correspondance du premier échelon de poids de la catégorie
normalisée la plus rapide.
Le montant du chiffre d'affaires des services réservés
s'élèverait, en conséquence, à environ 44,9
milliards de francs (soit les trois-quarts du chiffre d'affaires courrier) ; le
courrier transporté par La Poste concerné par l'ouverture
à la concurrence représenterait 1,3 milliard de francs, soit 2,2
% du chiffre d'affaire total des envois postaux, compte tenu des
activités déjà soumises à la concurrence.
Votre commission observe que le « choc concurrentiel » subi par La
Poste reste limité et souligne que l'opérateur doit maintenant se
préparer à celui -beaucoup plus sérieux- envisagé
pour 2003. Depuis la publication du rapport d'information, rédigé
par le Président Gérard Larcher «
Sauver la
Poste : devoir politique, impératif économique
6(
*
)
», en octobre 1997,
votre commission ne cesse de réclamer la discussion d'une grande loi
d'orientation postale
, qui assure l'avenir de La Poste et tienne compte de
l'évolution du secteur et du droit communautaire.
Votre rapporteur pour avis estime, quant à elle, que la mise en
oeuvre de cette directive est lourde de danger pour l'avenir du service public
de la Poste, qu'elle souhaite voir garanti.
Le Gouvernement, dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financer déposé au printemps,
annonçait des garanties concernant le service public postal, mais ce
projet n'est pas inscrit à l'ordre du jour prévisionnel du
Sénat.
La transposition de la directive n° 97/67/CE du 15
décembre 1997 relative à la libéralisation du secteur
postal devrait être achevée par les articles 3 et 4 de ce projet
de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financer
(DDOEF), déposé au Sénat le 30 mai 2001.
Les dispositions contenues dans le DDOEF traduisent la volonté du
Gouvernement de garantir durablement les acquis du service public postal, tout
en fournissant aux acteurs du secteur des bases objectives et transparentes
pour exercer leurs activités.
Sans reprendre l'ensemble des définitions de la directive mais dans un
souci de lisibilité du texte, le projet de loi définit les envois
postaux (article L.1). Il est précisé que le ministre
chargé des postes prépare et met en oeuvre la
réglementation des activités postales, notamment les
règles d'exécution du service universel, et en contrôle
l'application (articles L.4 et L.4-1).
Le système d'autorisation permettra aux prestataires de services en
concurrence de disposer d'un cadre d'exercice de leur activité clair et
durable, fondé sur des procédures transparentes non
discriminatoires, proportionnées et reposant sur des critères
objectifs ; il apportera également aux consommateurs des garanties
sur les modalités de prestation de ces services (articles L.5 et L.5-1).
Le non respect des obligations des prestataires de services ou la fourniture
par eux de renseignements erronés seront sanctionnés.
Les dispositions pénales sont actualisées pour être mises
en conformité avec le nouveau code pénal (articles L.17 et 18).
L'article L.20 renforce le contrôle du respect du domaine
réservé à La Poste. Les nouvelles modalités
pratiques de ce contrôle permettront de poursuivre de manière
efficace les atteintes aux domaines d'activités exclusivement
réservés à La Poste.
Votre rapporteur pour avis s'inquiète de la négociation
communautaire en cours pour la révision du périmètre des
services réservés.
La Commission européenne a, en effet, proposé le 30 mai 2000 des
mesures visant à ouvrir à la concurrence, d'ici à 2003, un
pan important du marché des services postaux. Sur la base de nouvelles
propositions qui seraient discutées avant la fin 2004, une autre partie
du marché serait également ouverte à la concurrence d'ici
à 2007. Cette approche par étapes pour l'achèvement du
marché intérieur des services postaux maintiendra les garanties
existantes afin d'assurer un service postal universel dans toute l'Union.
Ces propositions ont été présentées à la
demande du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 qui a
invité la Commission à accélérer la
libéralisation des services. La Commission propose en particulier
d'étendre l'éventail des services que les États membres
doivent ouvrir à la concurrence aux lettres de plus de 50 grammes (la
limite de poids actuelle est de 350 grammes), aux lettres de moins de 50
grammes dont le prix représente au moins deux fois et demie le
coût d'une lettre ordinaire (la limite de prix actuelle est de cinq fois
le coût d'une lettre ordinaire), à tout le courrier sortant
destiné aux autres États membres et à tout le courrier
exprès. La proposition présentée aurait eu pour effet
d'ouvrir quelque 20 % du marché postal de l'Union européenne
à la concurrence, contre 3 % en vertu de la directive postale en vigueur.
La proposition visait à faire en sorte que l'ouverture du marché,
prévue en 2003, fût suffisante pour générer la
concurrence sans nuire au service universel ni à l'équilibre
financier des prestataires du service universel. Pour y parvenir, l'ouverture
du marché proposée touchait tous les segments du marché
postal (par la réduction des limites de poids et de prix pour les
services pouvant être réservés), mais concernait en
particulier les segments déjà ouverts, de fait, à la
concurrence (c'est-à-dire le courrier transfrontière sortant).
Sur la base de cette proposition, les États membres auraient pu encore
maintenir un domaine réservé représentant, en moyenne, 50
% des recettes que les prestataires du service universel tirent des services
postaux. Actuellement, une moyenne de 70 % de leurs recettes proviennent des
services réservés. Toutefois, comme certains États membres
ont déjà ouvert à la concurrence une part de leur
marché postal plus grande que ce que propose la Commission, l'impact de
cette proposition sur l'ouverture du marché devait varier d'un
État membre à l'autre.
Enfin, la proposition améliorait la clarté et la
sécurité juridiques du cadre réglementaire existant, en
définissant clairement les services spéciaux, qui ne peuvent
être réservés, et en imposant l'application des principes
de transparence et de non-discrimination aux tarifs spéciaux.
Une étape ultérieure était proposée pour ouvrir
davantage le marché postal à la concurrence. Cette étape
aurait pris effet le 1er janvier 2007. Des propositions précises
devaient être présentées par la Commission avant le
31 décembre 2005, à l'issue d'un réexamen du secteur
axé sur le maintien du service universel dans un cadre concurrentiel.
Le Parlement européen s'est prononcé en séance
plénière le 11 décembre 2000 sur la proposition de
directive, adoptée dans le cadre de la procédure de
codécision
et a
adopté une série
d'amendements demandant notamment
:
- la suppression de la notion de
services spéciaux
;
- la fixation de nouvelles limites, plus larges, de poids et de prix des
services réservés à
150 grammes et quatre fois
le tarif de base ;
- la
suppression
de l'étape de libéralisation de
2007
tout en demandant à la Commission européenne de
présenter une
évaluation
de l'état du secteur
postal avant le 31 décembre 2003 ;
- le report au 31 décembre 2004 de la
date limite de
transposition
de la nouvelle directive ;
- la prise en compte des
différences géographiques
et
du coût, variable, du service universel selon les configurations
géographiques de chaque Etat membre ;
- la mise en valeur du principe
d'adaptation
du service universel
aux évolutions technologiques.
Le Sénat a, quant à lui, adopté, le
14 décembre dernier, une résolution sur la proposition de
directive de le Commission, estimant que le processus de
libéralisation engagé devait, au travers
du service universel
postal
institué par l'Union européenne, garantir la
pérennité des principes du service public postal, notamment la
péréquation tarifaire et l'adaptabilité des
missions ; le Sénat jugeait que cette pérennité ne
saurait être garantie si
la viabilité économique de La
Poste, opérateur public du service public, n'était pas
assurée
, notamment par
des réformes de structure.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que votre commission considérait
que, si elle était retenue en l'état, la proposition de directive
de la Commission pourrait menacer l'équilibre financier de La Poste, car
celle-ci supporte encore, en propre,
le coût de missions
d'intérêt général ne pouvant plus être
financées par les seuls revenus de ses activités
. C'est dans
ce contexte, que la résolution du Sénat demandait au Conseil,
que :
- les services réservés aux prestataires de service
universel englobent les envois de correspondance intérieure et les
envois de correspondance transfrontière sortante qui sont soit d'un
poids inférieur à 150 grammes, soit d'un prix
inférieur à trois fois le tarif public applicable à un
envoi de correspondance du premier échelon de poids de la
catégorie la plus rapide ;
- les services spéciaux soient clairement définis comme des
services à haute valeur ajoutée n'interdisant d'aucune
façon l'adaptabilité du service universel et son possible
élargissement à des prestations tendant à se banaliser au
fur et à mesure de l'évolution du secteur postal.
Une nouvelle proposition a été présentée par la
Commission le 21 mars 2001, ne retenant qu'une partie des amendements
votés par les députés européens, la Commission
rejetant les amendements les plus importants (portant sur les services
spéciaux, le périmètre du domaine réservé et
le calendrier de révision de la directive).
Le
Conseil européen « Télécom » du
15 octobre dernier a finalement abouti à un accord politique
.
L'accord porte sur
une libéralisation en trois
étapes
: 2003, 2006 et l'« étape
décisive » en 2009. Pour ce qui est de
l'
« étape décisive »
, la Commission
procèdera à une étude prospective destinée à
évaluer, pour chaque Etat membre, les incidences de l'achèvement
du marché intérieur des services postaux sur le service
universel. Sur la base des conclusions de cette étude,
la Commission
présentera, avant le 31 décembre 2006, un rapport au
Parlement européen et au Conseil assorti d'une proposition confirmant,
le cas échéant, la date de 2009 pour
« l'achèvement » (selon les termes du relevé
de conclusions du Conseil, c'est-à-dire la libéralisation totale)
du marché intérieur des services postaux, ou
«
définissant une autre étape
»
à la lumière des conclusions de l'étude
.
L'échéancier de libéralisation -repris ci-après-
prévoit une décision du Parlement européen et du Conseil,
conformément à la procédure de codécision, avant la
fin de 2007 pour confirmer «
l'étape
décisive
» de libéralisation.
CALENDRIER DE LA LIBÉRALISATION POSTALE
|
Courrier ordinaire |
Publipostage |
Courrier transfrontalière sortant |
01/01/2003 |
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
01/01/2006 |
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
30/06/2006 |
Etude prospective de la Commission (évaluation des incidences que l'achèvement du marché intérieur des services postaux pourrait avoir sur le service universel dans chaque Etat membre) |
||
31/12/2007 |
Décision du Parlement européen et du Conseil confirmant l'étape décisive |
||
01/01/2009 |
Etape décisive |
(*) Dans
les cas où cela est nécessaire pour assurer la prestation du
service universel, par exemple, quand certaines activités postales ont
déjà été libéralisées ou à
cause des caractéristiques spécifiques propres aux services
postaux dans un Etat membre.
Cette position commune appelle deux commentaires.
Dans le court terme, une large enveloppe de services réservés
est préservée, comme le demandait la délégation
française, ce dont se réjouit, à titre personnel, votre
rapporteur pour avis.
Votre commission souligne toutefois que ce
« répit » dans le rythme de la libéralisation
ne vaut que s'il est utilisé pour engager une modernisation du cadre
d'activité postal.
Dans le moyen terme, et c'est une différence de taille par rapport
à la proposition initiale de la Commission,
l'horizon de la
libéralisation totale est désormais clairement
affiché
, même si les négociations ont finalement permis
d'exclure toute automaticité. Votre rapporteur pour avis
s'inquiète de cet affichage, qui menace, à ses yeux, la survie du
service public postal de qualité, dont le rôle est essentiel pour
l'aménagement du territoire. Il convient de ne pas remettre en cause les
principes qui fondent le service public postal, et en particulier
l'égalité d'accès des usagers, la
péréquation tarifaire, la qualité et la continuité
des services ainsi que la maîtrise nationale des réseaux postaux.
La proposition de directive doit encore être soumise en deuxième
lecture au Parlement européen.
*
* *
Alors
que son rapporteur pour avis lui proposait un avis favorable, la Commission des
Affaires économiques, qui a examiné ce rapport le mercredi 14
novembre 2001, a émis un avis défavorable à l'adoption des
crédits consacrés à la consommation et à la
concurrence, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2002.