III. UN DROIT DE LA CONCURRENCE MODERNISÉ
1. Les avancées nationales : nouveau code des marchés publics et loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE)
Un code réformé des marchés
publics
qui améliorera le fonctionnement de la concurrence
Un certain nombre de dispositions issues de la réforme du code des
marchés publics, contenue dans le décret n° 2001-210 du
7 mars 2001, devraient faciliter le jeu et le respect des
règles de la concurrence notamment en visant à limiter les
ententes.
Il s'agit tout d'abord des
règles relatives aux groupements
d'entreprises
: le nouveau code réaffirme le principe de la
liberté de groupement, mais rappelle également le respect des
règles relatives à la liberté des prix et à la
concurrence. Les groupements, qui peuvent favoriser l'accès des PME
à la commande publique, constituent en même temps l'un des
supports privilégiés des ententes dans les marchés
publics.
C'est pourquoi deux nouvelles mesures ont été prévues :
l'interdiction de modifier la composition du groupement entre la remise des
candidatures et la remise des offres, ainsi que la possibilité
d'interdire la présentation par une entreprise d'offres à
plusieurs titres. Ces dispositions visent à restreindre la
possibilité de voir circuler des informations entre les
différents offreurs et donc à freiner l'incitation aux ententes.
Les dispositions relatives à
l'allotissement
sont
également de nature à améliorer le fonctionnement de la
concurrence et donc l'efficacité de la commande publique.
Il en est ainsi de l'interdiction pour les entreprises de présenter des
offres variables selon le nombre de lots. Cette mesure garantit aux
entreprises, quelle que soit leur taille, une égalité de
traitement lors de l'examen de leurs offres. Elle est aussi de nature à
accroître, à terme, la concurrence et à diversifier
l'offre.
Il en est également ainsi de l'interdiction des marchés
d'entreprise de travaux publics (METP), marchés associant construction
d'un ouvrage et exploitation d'un service. Cette mesure favorise l'accès
des PME à la commande publique, les METP n'étant accessibles
qu'aux grandes entreprises.
Enfin, il convient de signaler, au titre de l'amélioration de la
concurrence, le
nouveau mode de computation des seuils
permettant de
déterminer la procédure applicable. Il ne sera désormais
plus possible pour une collectivité de raisonner par fournisseur et de
fractionner ainsi ses achats pour échapper aux règles de mise en
concurrence.
La modernisation du droit de la concurrence par la loi
sur les
nouvelles régulations économiques
Au terme de treize ans d'application du droit de la concurrence fondé
sur l'ordonnance du 1
er
décembre 1986, il est
apparu nécessaire de le moderniser pour assurer une meilleure
régulation de la concurrence.
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques comporte des dispositions relatives au
droit de la concurrence qui modifient substantiellement le Livre IV du code du
commerce. L'objectif de la réforme est de systématiser le
contrôle des concentrations, de renforcer la lutte contre les pratiques
anticoncurrentielles -qui affectent le fonctionnement du marché- et les
pratiques commerciales restrictives de concurrence- qui restreignent celle-ci
sans affecter le marché-, c'est-à-dire qui affectent simplement
la relation contractuelle entre le fournisseur et le distributeur :
-
poursuivre efficacement les pratiques anticoncurrentielles
dans
le respect des droits de la défense, et les sanctionner
sévèrement : pour assurer le respect des droits de la
défense, la procédure devant le Conseil de la concurrence
sépare clairement les phases d'instruction, dont la
responsabilité incombe désormais au rapporteur
général (saisine d'office, désignation des rapporteurs,
recours à des experts, utilisation des pouvoirs de visite et de saisie,
notification des griefs et du rapport...) et la phase de jugement, qui
relève de la formation collégiale du Conseil. Le rapporteur
général est aussi l'initiateur d'une procédure innovante :
la transaction, qui permet, lorsque les entreprises en cause ne contestent pas
la réalité des griefs et s'engagent à modifier leurs
comportements, de statuer suivant une procédure
accélérée. Le plafond des sanctions est alors
réduit de moitié.
La loi institue également un dispositif de
clémence
,
inspiré du droit communautaire et des Etats-Unis, en prenant en compte
une double réalité : l'intention de certaines entreprises de
sortir d'une entente à laquelle elles étaient jusque là
parties et l'apport à la manifestation de la vérité que
permet une telle intention. Pour que le mécanisme de la clémence
fonctionne, le texte garantit une exonération partielle ou totale de la
sanction, proportionnée à l'apport de l'entreprise à
l'établissement de l'infraction.
La loi organise également un renforcement des pouvoirs d'enquête
des agents de la DGCCRF en vue de faciliter la constatation d'infractions en
train de se commettre et leur confère une compétence territoriale
nationale.
Enfin, le plafond des sanctions est relevé de 5 % à
10 % du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise (ou le
groupe auquel elle appartient si ses comptes sont consolidés) au niveau
mondial, et non plus seulement en France.
-
systématiser le contrôle des concentrations
et le
rendre plus transparent
: le dispositif est complètement
refondu pour établir des règles procédurales
homogènes et claires et suivre l'évolution des marchés et
des législations des autres pays et de l'Union européenne. Les
principes du contrôle restent identiques : le critère demeure
celui de l'atteinte à la concurrence (notamment par création ou
renforcement d'une position dominante) et les pouvoirs ministériels sont
inchangés (autorisation simple, avec engagements, sous conditions, ou
interdiction, le cas échéant après avis du Conseil de la
concurrence).
Les grandes innovations sont d'ordre procédural
: la notification
devient obligatoire, préalable à l'opération et suspensive
(avec possibilité de dérogation) au-delà de seuils
désormais définis uniquement en chiffres d'affaires (chiffre
d'affaires mondial de 150 millions d'euros pour l'ensemble des entreprises en
cause, au moins deux entreprises réalisant en France un chiffre
d'affaires supérieur à 15 millions d'euros). Ceci évite la
difficulté, inhérente aux seuils en parts de marché, de
définir, préalablement à la notification, des
marchés pertinents.
Les délais d'examen en première phase sont raccourcis de deux
mois à cinq semaines, sous réserve que le dossier de notification
soit complet : pour plus de sécurité, les entreprises pourront
venir présenter leur opération à la DGCCRF avant la
notification. En revanche, en cas d'engagements proposés par les
entreprises, ce délai pourra être repoussé à trois
semaines après réception de ces engagements, afin de mieux les
étudier.
La deuxième phase, qui implique la saisine du Conseil de la concurrence,
est, elle aussi, enserrée dans des délais qui précisent le
temps imparti à chacun des intervenants, y compris en cas de proposition
d'engagements.
La réforme s'appliquera aux opérations irrévocablement
engagées après la publication du décret d'application et
donnera lieu à l'établissement de lignes directrices dans un
proche avenir.
-
prévenir et sanctionner les pratiques commerciales
restrictives de concurrence :
le législateur a
créé une Commission d'examen des pratiques commerciales, instance
de dialogue entre les différents maillons de la chaîne, du
producteur au distributeur, et à laquelle participeront également
des parlementaires, des magistrats, des fonctionnaires et des
personnalités qualifiées. Elle rendra des avis et des
recommandations, ainsi qu'un rapport -public- au gouvernement et au parlement
et pourra ainsi promouvoir de bonnes pratiques.
La loi définit plus précisément les pratiques
discriminatoires et abusives, comme les procédés visant à
obtenir des avantages, notamment financiers, sans contrepartie aucune ou
manifestement disproportionnée, comme la participation des fournisseurs
aux acquisitions réalisées par les distributeurs. Afin de mieux
traiter les abus contractuels qui n'affectent pas le fonctionnement du
marché,
le fait, pour un opérateur, d'abuser de la relation de
dépendance dans laquelle il tient son partenaire engagera sa
responsabilité.
Le législateur a aussi mis un frein à
des pratiques anormales, telles le bénéfice rétroactif
d'avantages non prévus initialement ou le paiement d'un droit
d'accès au référencement avant toute commande :
désormais, de telles clauses sont nulles de plein droit.
Le ministre de l'économie, qui avait déjà un pouvoir
d'action devant le juge civil ou commercial, peut demander la nullité
des clauses ou contrats illicites, la répétition de l'indu, et,
novation du texte, le prononcé d'une amende civile d'un maximum de 2
millions d'euros.
Enfin la loi sur les nouvelles régulations économiques a
été l'occasion de transposer en droit français la
directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de
paiement dans les transactions commerciales
. Elle prévoit notamment
que, dans le silence du contrat, le délai de paiement ne pourra
excéder 30 jours et que des pénalités de retard, dont le
taux d'intérêt sera égal au taux de la banque centrale
européenne majoré de 7 points de pourcentage, s'appliqueront sans
mise en demeure préalable.
Votre rapporteur pour avis se félicite de ces diverses
avancées juridiques, qui ne manqueront pas d'améliorer la
régulation de la concurrence, y compris pour la commande publique
(qui représente 9 % du PIB).
Elle attire cependant l'attention
sur la charge accrue de travail qui en résultera pour le Conseil
national de la Concurrence et pour la DGCCRF et appelle le Gouvernement
à renforcer leurs moyens respectifs
, faute de quoi
l'efficacité du CNC et de la DGCCRF se trouverait entamée.
2. La révision en cours des règlements communautaires
Il
s'agit de deux chantiers importants relatifs aux concentrations et aux
pratiques concurrentielles. Avant de les évoquer, plusieurs autres
avancées du droit communautaire de la concurrence doivent être
relevées :
Les nouveaux règlements d'exemption en matière d'accords
horizontaux
Après l'adoption le 22 décembre 1999 d'un règlement
général d'exemption concernant les accord verticaux entre
distributeurs et fournisseurs, la Commission européenne a adopté
le 29 novembre 2000 de nouveaux textes en matière d'accords entre
entreprises concurrentes, dénommés accords horizontaux. Il s'agit
de deux règlements d'exemption concernant les accords de
spécialisation et les accords de recherche développement, et de
lignes directrices relatives à différents types d'accords de
coopération entre entreprises. Ces règlements sont directement
applicables en France.
Les communications de la Commission interprétant le droit des
concentrations communautaires
Une nouvelle procédure simplifiée d'examen des dossiers de
notification des opérations de fusions a été mise en place
en septembre 2000 à la suite de l'adoption d'une communication de la
Commission, précédée d'une large consultation des Etats
membres. La Commission peut dès lors prendre des décisions en
forme simplifiée dans les affaires ne soulevant pas a priori de
problèmes de concurrence. De même, la Commission a entrepris de
synthétiser dans une communication adoptée en décembre
2000 sa pratique en matière d'engagements.
Les règlements d'exemption relatifs aux aides d'Etat
La Commission a adopté en décembre 2000, dans un souci
d'accroître la transparence pour les entreprises et d'alléger les
procédures, trois règlements d'exemption par catégorie
pour les aides d'Etat en faveur des PME, les aides à la formation et les
aides de
minimis
3(
*
)
. Ces
catégories d'aides, régies précédemment par de
simples lignes directrices, sont désormais dispensées de
notification préalable à la Commission et pourront être
directement accordées par les États membres, davantage
impliqués dans le suivi des aides d'Etat que par le passé.
L'encadrement des aides d'Etat en matière d'environnement
En matière d'aides d'Etat, la Commission a adopté en
décembre 2000 un nouvel encadrement des aides d'Etat en matière
d'environnement visant à clarifier l'application du principe
« pollueur-payeur », à renforcer le caractère
incitatif des aides en faveur de l'environnement et à prévoir un
dispositif spécifique pour les aides aux énergies renouvelables.
La révision du règlement sur les concentrations :
réticence française à un abaissement des seuils de
compétence
Après avoir remis un rapport au Conseil des ministres en
juillet 2000, conformément au règlement sur les
concentrations, la Commission européenne a entamé un processus de
révision du règlement. Elle prévoit l'élaboration
d'un Livre vert à l'automne 2001 et a consulté les Etats
membres sur les points qui feront l'objet d'une révision. A cette fin,
elle a transmis un
premier document d'orientation en juillet 2001
qui donne un aperçu de l'ampleur de la révision.
Celle-ci porterait principalement sur la baisse des seuils permettant de
définir la compétence de la Commission afin de résoudre
les inconvénients de la multinotification dans plusieurs Etats membres,
sur les procédures de renvoi entre autorités de la concurrence
nationales et communautaire (articles 9 et 22) et sur les délais de
dépôt des engagements susceptibles de remédier aux
problèmes de concurrence nés de l'opération.
La France -comme plusieurs autres Etats membre- s'oppose à une baisse
des seuils de compétence de la Commission car elle se refuse à
voir les contrôles nationaux des concentrations marginalisés.
Le Livre vert, une fois la consultation achevée, deviendra un Livre
blanc contenant des propositions de la Commission. Celles-ci seront ensuite
soumises au Conseil des ministres de l'Union européenne en vue d'une
discussion au cours de l'année 2002, et d'une adoption à la
majorité qualifiée.
La réforme du règlement n° 17 relatif aux
pratiques anti-concurrentielles : soutien français à cette
modernisation de la procédure
Le règlement du Conseil n° 17 est un texte de
procédure, qui contient les règles d'application des articles 81
et 82 du traité. Il date de 1962 et la Commission a engagé son
adaptation aux réalités économiques contemporaines.
La Commission a engagé en 1999 une consultation sur un Livre Blanc en
vue de réformer le règlement du Conseil n° 17 de 1962,
qui organise un contrôle administratif (sur la base de notifications) et
centralisé des restrictions de concurrence. Ce contrôle consiste
à accorder a priori des dérogations à l'interdiction des
ententes lorsque leur bilan économique est positif. Il a montré
ses limites car il s'avère très lourd, bureaucratique,
coûteux et inefficace pour traiter des restrictions les plus
néfastes à la concurrence. En effet, les décisions
importantes de la Commission n'ont pas été adoptées sur la
base de notifications préalables, mais à la suite de plaintes ou
d'enquêtes lancées à son initiative. La Commission propose
de remplacer le système de notification préalable par un
système décentralisé, très proche dans son principe
du système français. Il reposerait sur le contrôle a
posteriori des pratiques : leur conformité à
l'article 81§3 serait constatée a posteriori par les tribunaux
et les autorités nationales chargées d'appliquer le droit de la
concurrence.
La France estime que cette décentralisation de la procédure
est imposée par le principe de bonne administration
: d'une
part, la Commission est encombrée de notifications, le plus souvent
inutiles ; d'autre part, la dissémination d'une culture de la
concurrence en Europe crée les conditions d'une application
décentralisée du droit communautaire de la concurrence, passant
par une application complète des articles 81 et 82 du Traité
par les juridictions et autorités nationales de la concurrence.
Une plus grande efficacité, en termes de protection de la concurrence,
en est attendue au bénéfice des consommateurs du marché
intérieur. Pour les entreprises, un tel système aura l'avantage
de supprimer une contrainte bureaucratique, mais impliquera une
responsabilisation accrue. Elles devront, en effet, plus souvent évaluer
elles-mêmes leurs accords. Pour les projets posant des questions
nouvelles et complexes, il sera possible que la Commission rende un avis. La
décentralisation ne doit pas signifier, en effet, une renationalisation
de la politique nationale de la concurrence.
La Commission a transmis une proposition de règlement au Conseil fin
septembre 2000
. Certains aspects de la proposition de la Commission
paraissent aller au-delà d'une simple réforme de la
procédure, et notamment l'article 3, qui préconise une
application exclusive du droit communautaire pour les affaires qui affectent
les échanges entre les Etats membres. Du point de vue des
autorités françaises, cette disposition est de nature à
remettre en cause certains équilibres institutionnels de la politique
nationale de la concurrence, ce qui ne paraît pas nécessaire.
Aujourd'hui, il est possible d'appliquer parallèlement ou
alternativement le droit national de la concurrence et/ou le droit
communautaire. C'est le principe de la primauté du droit communautaire
qui règle les éventuels conflits entre les deux droits. Cela
signifie concrètement qu'une autorité nationale peut faire
application de son droit interne, avec l'autonomie décisionnelle que
cela implique, à une affaire qui affecterait les échanges entre
les Etats membres. Pourquoi recourir au droit national dans de tels cas ?
Parce que, par exemple,
le droit national comporte des dispositions plus
sévères que le droit communautaire, qui assurent une protection
plus efficace de la concurrence, ou des jurisprudences qui répondent de
façon efficace aux problèmes spécifiques du marché
national.
Demain, si l'article 3 devait être retenu -il l'a déjà
été par le Parlement européen le
6 septembre 2001-, toutes les affaires qui seraient susceptibles
d'affecter le commerce entre les Etats membres se verraient appliquer le droit
communautaire de la concurrence de façon exclusive. Dans un
marché de plus en plus intégré, notamment avec
l'introduction de l'euro et du commerce électronique, il y a fort
à parier que le droit communautaire deviendrait quasiment le seul droit
de la concurrence applicable dans l'Union et que le droit national se
réduirait à une peau de chagrin. Il resterait cantonné aux
affaires d'importance locale ou régionale. Ainsi, le droit national
perdrait une grande partie de sa portée et l'autorité nationale
serait privée de moyens d'action adéquats pour lutter contre
certaines pratiques. La législation française de concurrence
sanctionne par exemple l'abus de dépendances économique,
législation qui protège tout particulièrement les PME,
mais qui n'a pas d'équivalent en droit communautaire.
Votre
rapporteur pour avis invite donc le Gouvernement à refuser cet
article 3, afin d'éviter l'harmonisation forcée du droit et
de la politique de concurrence en Europe, qui semble prématurée.
Elle soutient, en revanche, la décentralisation de la
procédure
, car elle estime que la défense des consommateurs
gagnerait à être assurée par les autorités
françaises et que la cohérence juridique s'en trouverait accrue,
le droit boursier et le droit des sociétés restant, pour l'heure,
du domaine national.
Enfin, elle ne cache pas son intérêt pour les suggestions dont
s'est récemment fait l'écho la presse de renforcer
l'efficacité de la politique de la concurrence
en :
- séparant les fonctions d'instruction des dossiers et de décision
- dotant la Commission d'un pouvoir d'instruction et d'enquête
- attribuant le pouvoir de décision à une instance
européenne nouvelle, qui gagnerait en légitimité à
être un collège des présidents des autorités de
concurrence nationales. La cohérence entre les politiques nationale et
européenne serait ainsi confortée.