4. Un nouveau partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales
Les difficultés récurrentes de l'Etat à assumer ses responsabilités ont conduit les collectivités territoriales à participer de plus en plus à la politique de protection du patrimoine qu'il soit ou non protégé. Cette tendance n'a pas été infléchie à la suite de la création de la fondation du patrimoine par la loi du 2 juillet 1996, institution d'un genre inédit qui semble peiner à remplir les missions ambitieuses que les textes lui attribuent.
Or, cette implication croissante des collectivités ne s'est pas accompagnée d'une décentralisation des compétences : en effet, les textes en vigueur, et en particulier la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, attribue à l'Etat, et à lui seul, les compétences nécessaires pour en assurer la protection.
Certes, des avancées ponctuelles ont pu être accomplies dans le sens d'une association des collectivités aux décisions.
On citera ainsi la création en 1983, dans le cadre de la décentralisation des compétences d'urbanisme, des zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) qui permettent non seulement un partage de responsabilité entre l'Etat et les communes mais également d'adapter les périmètres de protection aux caractéristiques du patrimoine local. Jusqu'à présent, cet instrument très lourd à mettre en place n'a pas encore connu le développement que l'on aurait pu souhaiter : à ce jour, 350 ZPPAUP ont été créées, dont 13 intercommunales, qui concernent 38 communes ; par ailleurs, 590 sont en cours d'élaboration, dont 330 ont d'ores et déjà été soumises à enquête publique. On relèvera que les deux tiers des ZPPAUP concernent des communes de moins de 5 000 habitants. Il ressort qu'en dépit d'une application de plus en plus fréquente, ce dispositif ne s'est pas encore généralisé, les procédures de la loi de 1913 demeurant la règle.
Cette situation juridique, conjuguée aux difficultés de fonctionnement des services de l'Etat et à leur impact sur le déroulement des opérations, a souligné la nécessité d'engager une décentralisation des compétences patrimoniales, afin de tenir compte de la participation croissante des collectivités en ce domaine.
C'est à cette nécessité que répondait la loi du 28 février 1997, issue d'une initiative sénatoriale, qui a institué une procédure de recours auprès du préfet contre les avis conformes émis par les architectes des bâtiments de France. Cette procédure a été améliorée par l'article 112 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité qui a ouvert cette possibilité de recours au pétitionnaire et a créé une instance spécifique d'examen des recours au sein de la Commission régionale du patrimoine et des sites. Cependant, les décrets d'application nécessaires à la mise en oeuvre de ces dispositions ne sont pas encore parus.
L'Etat lui-même a pris conscience de l'intérêt de promouvoir un nouveau partage des compétences. C'est dans cette perspective notamment qu'ont été engagées des expérimentations dans le cadre des protocoles de décentralisation culturelle.
Toutefois, cette initiative s'est révélée fort décevante au regard des ambitions affichées. En effet, dans la plupart des cas, les conventions mises en place, au nombre de onze, relèvent plus d'une énième version de la politique de partenariat engagée dès les années 70 qu'elles ne procèdent d'une véritable décentralisation.
En effet, aucun des protocoles mis en place, dont le champ est limité aux enseignements artistiques et à la protection du patrimoine, ne prévoit de transferts de compétences. Seuls deux peuvent prétendre constituer une expérimentation. Ainsi, le département de l'Isère a signé un protocole visant à attribuer au conseil général les compétences de l'Etat en matière d'inscription sur l'inventaire supplémentaire et de financement des travaux sur les monuments inscrits. Pour la convention conclue avec la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, il s'agit de confier à la région la gestion du patrimoine inscrit, c'est-à-dire en pratique le soin de l'entretenir.
On rappellera que les protocoles ont bénéficié en 2001 d'une dotation de 2,29 millions d'euros, complétée en 2002 par une mesure nouvelle de 1,22 million d'euros. Le projet de loi de finances pour 2003 prévoit une mesure nouvelle de 600 000 euros.
Le ministre de la culture a annoncé son intention de poursuivre les expériences en cours voire d'en engager de nouvelles.
Votre rapporteur rappellera à cette occasion que le champ de l'expérimentation a été élargi par l'article 111 de la loi du 27 février 2001 précitée. En effet, les collectivités territoriales peuvent dans ce cadre se voir confier les compétences de l'Etat en matière d'inscription à l'inventaire supplémentaire, de financement des travaux sur les monuments inscrits mais également d'autorisation de ces travaux. Est donc ouverte la possibilité d'une décentralisation de la protection des monuments inscrits.
Par ailleurs, le ministre de la culture a confié à M. Jean-Pierre Bady, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission sur l'évolution de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales dans le domaine du patrimoine.
Cette mission s'inscrit dans le cadre de la préparation de la loi de programme sur le patrimoine monumental. Votre rapporteur considère que les choix faits en ce domaine constituent, en effet, un préalable à son élaboration, l'engagement financier de l'Etat ne pouvant être fixé si le périmètre des compétences des collectivités territoriales n'est pas arrêté.
Votre commission a entendu M. Jean-Pierre Bady le 22 octobre dernier. A cette occasion, ont été évoquées les orientations susceptibles d'être présentées dans le cadre de cette mission.
Votre rapporteur estime que la répartition des compétences proposée par la mission entre les régions qui se verraient déléguer les crédits d'investissement concernant le patrimoine inscrit et classé et les départements et communes qui en assureraient la gestion risque d'introduire une confusion sur les compétences respectives des collectivités dans un domaine où la compétence doit revenir au département.